Mot de la direction

Le poème en scène : confluences[Notice]

  • Catherine Cyr et
  • Louise Frappier

Intéressé par les croisements et entrelacements entre la danse, l’écriture et la lecture, le philosophe Michel Bernard écrit : « il y a une modalité chorégraphique de lecture qui restitue et révèle l’articulation corporelle radicale entre l’acte d’écrire un texte, la matérialité même de ce texte et la perception créatrice qu’on peut en avoir ». Cette « articulation », mouvante, plurielle, faite de convergences et de réciprocités, révèle qu’il y a un « noyau commun à l’acte de danser et à l’acte d’énoncer : l’expérience du sentir […] qui travaille et anime dans le même instant la manière de se mouvoir et de parler ou d’écrire ». L’écriture, le texte-matériau, le corps qui l’énonce. Entre ces trois composantes, et entre les espaces d’où elles tirent leur origine – le geste scripturaire, l’écrit, la corporéité –, s’affirment une fluidité, une porosité, où s’effritent, sans disparaître tout à fait, les frontières disciplinaires. Cette convergence qui s’observe parfois entre la danse et la littérature trouve fortement écho dans l’ensemble des pratiques du poème sur scène, dans leurs formes multiples comme dans les démarches qui les irriguent, toutes marquées par l’hybridation de la poésie et des arts vivants. Elle se manifeste ainsi, notamment, dans les lectures de poésie, les collages poétiques mis en scène, les happenings et différentes formes de poésie-performance. Comme le remarque Yan St-Onge au sujet de cette dernière pratique – mais nous pourrions étendre son observation à d’autres entrelacs transdisciplinaires –, la poésie-performance opère une « suture sémiotique ». Le chercheur emprunte cette expression à Herman Parret, lequel observe que, dans la suture, « [i]l y a discontinuité et en même temps homogénéisation du discontinu sans qu’il y ait effacement des différences ». Cela revient à dire que les formes entrelacées en composent une nouvelle, hybride, sans se départir entièrement de leurs spécificités respectives. Mobilisant une poésie hors du livre ou, inversement, reposant largement sur un support écrit, la poésie-performance requiert toutefois toujours la présence d’un corps vivant et sentant, d’où émane une voix, tout entière tendue vers un public en présence. En cela, et par-delà les découpages disciplinaires, cette pratique, comme toute forme de poème en scène, se déploie au confluent des arts littéraires et des arts vivants. Près de vingt ans après la parution de l’important dossier thématique de la revue Jeu consacré au poème en scène, nous avons souhaité, à Percées, reprendre le fil de cette réflexion, l’entretisser à de nouvelles recherches et recherches-créations qui mettent en lumière différents enjeux liés aux pratiques littéraires et performatives actuelles. Aussi avons-nous invité Marc André Brouillette, professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), à diriger le présent dossier intitulé « Scènes de poème : corps, communautés et performances ». Poète, auteur notamment des recueils M’accompagne (2005), Ta voix là (2015) et La langue de ta langue (2021), Brouillette a également signé plusieurs articles et essais sur la poésie, parmi lesquels le remarqué Spatialité textuelle dans la poésie contemporaine : Gilles Cyr, Jean Laude et Anne-Marie Albiach (2010). Artiste-chercheur, ses travaux sont irrigués par une expérience concrète de la scène, notamment théâtrale – il a suivi une formation à l’école de théâtre corporel Omnibus, à Montréal, et fait des stages à l’Odin Teatret, à Holstebro, au Danemark, auprès de collaboratrices d’Eugenio Barba. Sa propre pratique du poème en scène est marquée par un souci pour le corps, la voix et le souffle. Récemment, avec ses collègues Manon Levac, professeure associée au Département de danse de l’UQAM, et Francine Alepin, professeure associée à l’École supérieure de théâtre de la même université, il a aussi conduit un vivifiant …

Parties annexes