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La mise en scène des voix d’autrices au XVIIe siècle français dans quelques paratextes théâtraux[Notice]

  • Julia Gros de Gasquet

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  • Julia Gros de Gasquet
    Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle

Tels sont les mots et la question brûlante que Marie-Anne Barbier nous adresse dans la préface d’Arrie et Pétus, une tragédie qu’elle compose en 1702 et fait jouer à la Comédie-Française (Barbier, 2011 [1705] : 367-368). S’inscrivant au coeur d’une lignée de Françaises savantes dans l’art de composer, elle livre à la postérité, dans ce texte liminaire, son sentiment de femme et d’autrice. Dans le cadre de la présente réflexion, nous aimerions nous mettre à l’écoute non pas de personnages féminins de fiction, mais de quelques femmes autrices de théâtre ayant réellement existé, qui ont fait entendre leurs voix dans les paratextes de leurs pièces. Cette parole féminine révèle la manière dont ces femmes autrices pensent leur relation à l’art, aux hommes, à la République des lettres, au public et à la postérité. Les réflexions de Dominique Maingueneau sur la scène d’énonciation comme « scénographie » tracent une perspective éclairante : « Nous n’employons pas ici “scénographie” conformément à son usage théâtral, mais en lui donnant une double valeur : ajoutant à la dimension théâtrale de la “scène”, celle de la graphie, de l’inscription […]. La graphie doit donc être appréhendée à la fois comme cadre et comme processus » (Maingueneau, 1999 : 82; 84). Nous chercherons, à travers quelques paratextes d’autrices du XVIIe siècle, à montrer en quoi et comment cette « scénographie » est à la fois un « cadre » et un « processus » qui permet à ces voix féminines de construire leur identité et de se positionner dans l’espace social. La lecture de ces textes fait naître en effet une scène de théâtre qui garde la trace et la mémoire des représentations passées et qui s’adresse à la postérité, à ceux et celles qui prolongeront l’expérience théâtrale par la lecture. Les autrices agissent dans leurs paratextes comme sur une scène imaginaire qu’elles construisent après la représentation et avant la lecture, une scène « après la scène ». La rhétorique qu’elles emploient est canonique et conforme à ces exercices parfaitement codifiés que sont les préfaces, les épîtres dédicatoires et les Avis aux lecteurs, comme l’a montré Véronique Lochert dans ses travaux : Les paratextes liminaires des femmes dramaturges ne dérogent pas à cette rhétorique et à ses conventions. Mais les autrices démontrent un maniement très subtil des reproches qui leur sont adressés dans le déploiement de stratégies et d’arguments de défense. Dans cet exercice, au lieu d’apparaître comme assujetties à des conventions qu’elles suivent pourtant à la lettre, elles sont pleinement créatrices. Derrière l’humilité de convention, on entend une affirmation de soi. L’espace des paratextes s’ouvre à des scènes d’énonciation où le discours démontre la pleine maîtrise des codes sociaux et littéraires qui régissent le champ dans lequel ces autrices s’inscrivent. Par cette mise en scène de soi dans le discours, se constitue un ethos singulier, à la fois conforme et non conforme. En entrant dans ces textes par la notion rhétorique d’ethos, combinée à celle de « scénographie », s’ouvre un champ d’étude qui permet de saisir « l’instance subjective qui se manifeste à travers le discours comme voix et comme corps énonçant, historiquement spécifié et inscrit dans une situation que son énonciation tout à la fois présuppose et valide progressivement » (Maingueneau, 1999 : 76). Il convient de contextualiser la redécouverte de ce répertoire oublié, en rappelant tout d’abord les travaux qui depuis une vingtaine d’années, en France et aux États-Unis, ont défendu et promu le théâtre de femmes sous l’Ancien Régime. Une importante anthologie du théâtre de femmes du XVIIe siècle a été publiée sous la direction d’Aurore …

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