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La courtoisie vintage des cartes postales[Notice]

  • Marc-Antoine Cyr

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  • Marc-Antoine Cyr
    Codirecteur artistique du Jamais Lu Paris

Il était de bon ton, avant les vols low cost et les pangolins prêteurs de microbes, que les voyageur⸳euses au long cours n’oublient pas d’envoyer de temps à autre à la famille et aux ami·es trois mots-de-rien-du-tout sur l’endos d’une photo cartonnée aux teintes de bleu surexposées : Je vais bien. Si tu voyais ce que je vois. Tu me manques. L’essentiel de leur affection sur un véhicule à bas coût. À 40 ans passés, je ne tiens pas toujours bien en place, mais je reste un garçon gentil, assez correctement élevé (des témoignages vous le certifieront). Habitude ou mauvais pli, je m’accroche où que j’aille à cette tradition désuète de griffonner des banalités contre une image à trois sous avant d’y apposer deux timbres, destination chez-nous. Les frigos des ami·es, des cousines et de ma mère sont ainsi devenus au fil du temps la vaste tapisserie de mes déplacements de par le monde : panoramas, animaux bizarres, mers à l’infini et montagnes en arrière-plan leur rappellent que je pense à eux et elles et que si j’avais pu, je les aurais emmené·es aussi loin que mes transports m’ont propulsé. J’ai entamé il y a onze ans – de YUL jusqu’à CDG – un voyage qui dure encore aujourd’hui. Pour déplacer mon regard, j’ai voulu mettre dans un ordre inversé mes neurones et mon affect, et sentir si je captais le monde autrement, sinon mieux. Bien élevé, je l’ai dit, je n’oublie ni ma mère ni les camarades de théâtre qui m’ont vu faire mes premiers bonds à Montréal jusqu’à la grande culbute de mon exil. Le rituel est maintenu depuis le rivage de la Seine où j’aligne désormais mes pas : égrener mes nouvelles, raconter ce qui m’anime, donner à voir un bout du paysage. C’est toujours bref, toujours imagé, c’est même assez constant. (Tu le sais peut-être, je codirige depuis 2015 l’antenne parisienne du Jamais Lu au ravissant Théâtre Ouvert, auprès de la fée Marcelle Dubois. Des auteur·trices de France et de Navarre me déposent donc sous le pif quelques bonnes centaines de manuscrits de théâtre archineufs à chaque saison. Ça contribue, je pense, à mon humeur solaire, même quand il bruine sur la tour Eiffel. Ajoute le Faugères, le maroilles, Berthillon, et voilà mon bonheur fait.) (Pour témoigner des paysages multiples qu’il m’est donné d’embrasser des yeux, je vais tâcher de te dire peu, mais beaucoup, histoire de tout faire entrer sur le petit rectangle cartonné. Des auteur·trices, j’en admire par bouquets, via les neurones et / ou l’affect. Je nommerai d’abord Guillaume Cayet l’adorable excité, Gwendoline Soublin qui déploie ses étoiles mûres, Clémence Weill et son sarcasme raffiné, l’empathie magnifiée de Guillaume Poix, la folie rugueuse de Solenn Denis, les spasmes contagieux de Baptiste Amann, les labyrinthes infaillibles d’Aurianne Abécassis, les fresques fragiles de Sonia Ristić, la foudre que fait fuser Sidney Ali Mehelleb, l’élégance de Kevin Keiss, Charlotte Lagrange la force tranquille… je te dirai quel grand orchestrateur est Hakim Bah, les mécaniques floutées de Lucie Depauw, l’entêtement mathématique de Pauline Peyrade, le chaos libre d’Estelle Savasta… et j’invoquerai encore dans les marges, avant que l’espace ne me manque, les augustes Ronan Mancec, Jérémie Fabre, Karin Serres, Frédéric Sonntag, Marine Bachelot, Sylvain Levey, Julie Ménard, Yann Verburgh, Pauline Haudepin, Valérian Guillaume… puis je te dirai en tout petit, en bout de ligne, que ne pas avoir lu Straight, ou Philoxenia, ou Les fondamentaux, ou Pourvu qu’il pleuve, ou Folkestone, ou Pig boy, ou Taïga, ou Dancefloor Memories, ou Poings, ou 1200 tours ou Nous dans …

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