Résumés
Mots-clés :
- oralité,
- présence,
- noir,
- pratique de la mise en scène,
- motriz
En 2016, j’ai débuté un travail de recherche-création à l’invitation de la comédienne et chanteuse Juliana Mota, elle aussi enseignante-chercheuse au département d’arts de la scène de l’Universidade Federal de Sāo Joāo del-Rei. Alors que je m’intéressais aux études de la perception dans les pratiques scéniques contemporaines, et plus particulièrement aux phénomènes visuels et à la notion de présence, Juliana questionnait les liens entre voix et autobiographie dans le travail de l’acteur·trice. Nous n’avions jamais travaillé ensemble, mais intuitivement, nous savions toutes deux que nos axes de recherche, aussi dissonants fussent-ils, sauraient s’accorder. De cette rencontre est née Motriz, une performance sonore dans le noir où la voix d’une femme, se dépliant en une partition aux différentes textures de l’oralité – paroles, chants, rires, sanglots, cris, soupirs, râles, crachats… –, partage l’espace avec le public. Créé au sein de l’université en octobre 2016, le spectacle fut ensuite présenté aussi bien dans des festivals de théâtre que dans le cadre de colloques universitaires, dans plusieurs villes brésiliennes et à l’étranger. Tout processus de création a sa propre histoire, l’histoire de la mise en oeuvre d’une pensée : ses prémisses, ses éclats d’idée, ses dérives ou dérapages, ses blocages, ses conflits, ses déclics… Lorsqu’on s’intéresse à la fabrique et à la transmission des savoir-faire théâtraux, on sait combien les traces et le tracé d’un processus de création, souvent laissés dans l’oubli, sont riches en apprentissages. Par le moyen de ce texte-témoignage, je cherche à revisiter le processus de création de Motriz en me demandant quels enseignements a-t-il pu apporter à ma pratique de la mise en scène. Remémorer la mise en oeuvre de ce spectacle est une occasion de revenir sur une histoire entre voir et entendre, une histoire en deux actes : avant le noir et dans le noir. Devenu la clé de voûte de la composition scénique de Motriz, le noir n’était, au départ de notre recherche, ni une prémisse ni une hypothèse de travail. Le point de départ, donné par Juliana, était le désir de faire émerger figures et voix de femmes en faisant appel à une démarche d’écriture tantôt autobiographique, tantôt autofictive. De manière plus intime, il y avait pour la comédienne la nécessité de travailler et de mettre en jeu une mémoire affective en lien avec le deuil de sa mère, la maternité et le statut des femmes. Dans un premier temps, il s’agissait de se mettre à l’écoute des matériaux intimes de celle qui était à l’origine du projet, pour faire apparaître les multiples voix d’un imaginaire à la fois quotidien et archétypal lié aux femmes. À partir d’exercices d’écriture textuelle et scénique, nous avons créé ce que j’appelle des « masques de soi ». Ceux-ci ne sont pas des personnages, mais des instances ou des fréquences de soi qui se manifestent corporellement et vocalement par le souvenir de sensations plus ou moins enfouies. Dans le processus de Motriz, chaque masque était fortement lié à un affect sonore. Nous en avons fait une galerie : Maria portant un sceau d’eau sur la tête (refrain d’une chanson populaire brésilienne); l’épouse faisant mentalement sa liste de courses et de tâches domestiques; la guérisseuse récitant une prière; la gamine chantant faux; la jeune femme pleurant la mort de sa mère; la femme laissant éclater sa révolte… Pour chacune de ces figures, j’ai fait un dessin au pastel; c’était ma manière de m’approcher ou de venir fréquenter l’imaginaire de Juliana. Ces dessins n’étaient ni des croquis pour des costumes ni des portraits réalistes, mais des blocs de sensations, de couleurs et de textures, la façon dont je …
Parties annexes
Bibliographie
- CHION, Michel (2004), Le son, Paris, Armand Colin, « Armand Colin cinéma ».
- DIDEROT, Denis (1996 [1751]), « Lettre sur les sourds et muets », dans Oeuvres, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », vol. 4 (« Esthétique – Théâtre »), p. 532-533.
- LEIBNIZ, Gottfried Wilhelm (1993 [1765]), Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, Garnier-Flammarion, « Philosophie ».
- STEIN, Gertrude (1978), « Théâtre », dans Lectures en Amérique, trad. Claude Grimal, Paris, Christian Bourgois, p. 112-113.