Résumés
Résumé
Le répertoire ancien de tradition orale en langue bretonne — se rapportant à des faits antérieurs au xixe siècle — reflète un discours issu d’une source orale, bretonnante, partiellement populaire et massivement rurale, soit l’inverse des sources écrites, urbaines, lettrées et francophones qui constituent les bases de la documentation historique. Or, en qui concerne le regard porté sur les héros politiques, le propos de la chanson s’avère souvent différent de celui des archives écrites, reflet du discours officiel. Il s’agit donc de s’interroger sur la subjectivité de cette expression de la marge afin d’apprécier en quoi elle constitue une forme de résistance face au discours du centre. Le choix des héros retenus par la tradition pose la question d’une mémoire sélective et longue, qui perpétue le souvenir de personnages dont l’identification et les références historiques ont souvent perdu de leur sens. Le traitement des épisodes retenus invite à s’interroger sur les processus de mythification des héros, la question de la réécriture de l’histoire officielle ou encore la capacité de conservation de la réalité historique au fil de la transmission. La question de l’origine des chansons à contenu politique se pose également : celles-ci sont-elles toujours d’inspiration plus ou moins lettrée? Quelle place existe-t-il pour un discours de création plus proprement populaire? De même, l’interrogation porte sur les destinataires des chansons et sur l’utilisation de la chanson comme arme de propagande, mais également sur le réinvestissement de la marge par le centre lorsque le politique estime pouvoir en tirer profit, ou sur la question de l’assimilation d’un discours lettré dans la tradition populaire.
Veuillez télécharger l’article en PDF pour le lire.
Télécharger
Parties annexes
Note biographique
Éva Guillorel est titulaire d’un doctorat en histoire moderne à l’Université de Rennes 2, portant sur les comportements et les sensibilités dans la Bretagne d’Ancien Régime (xvie-xviiie siècles) à travers la confrontation de deux sources : les archives judiciaires et les complaintes en langue bretonne. Elle est actuellement chercheuse postdoctorale au département d’Études celtiques de l’Université Harvard. En collaboration avec Donatien Laurent, elle travaille à la publication du fonds constitué par l’abbé Jean-Marie Perrot en 1906; elle poursuit ainsi dans la ligne de son master d’ethnologie à l’Université de Bretagne Occidentale qui avait examiné cette collecte de chansons. Elle a aussi contribué, avec Joël Cornette, à la rédaction d’une étude sur l’histoire et la mémoire du marquis de Pontcallec dans la Bretagne des xviiie-xixe siècles (Le Marquis et le Régent – Une conspiration à l’aube des Lumières, 2008).
Notes
-
[1]
Cette recherche a été réalisée dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue financièrement par le Conseil régional de Bretagne.
-
[2]
Pierre Barbier et France Vernillat, Histoire de France par les chansons, Paris, Gallimard, 1956–1961, 8 vol.; Leroux de Lincy,Recueil de chants historiques français depuis le xiie jusqu’au xviiie siècle, Paris, Gosselin, 1841–1842, 2 vol.
-
[3]
Sur le concept de héros et sur la question de la « fabrication » des grands hommes, voir : Pierre Centlivres, Daniel Fabre et Françoise Zonabend (dir.), La fabrique des héros, Terrain, cahier 12, 1999, 316 p.
-
[4]
Patrice Coirault, Formation de nos chansons folkloriques, Paris, Éditions du Scarabée, 4 vol., 1953–1963.
-
[5]
Elle est uniquement citée brièvement dans la « Chanson du papier timbré », à l’authenticité controversée, et dans la complainte sur le siège de Guingamp. Voir à ce sujet : Yann-Ber Piriou, « La Gwerz du “Siège de Guingamp” et la duchesse Anne dans la tradition orale », Jean Kerhervé (dir.), 1491 – La Bretagne, terre d’Europe, Brest, CRBC/Société archéologique du Finistère, p. 489–499.
-
[6]
Hans-Jürgen Lüsebrink, « Images et représentations sociales de la criminalité au xviiie siècle : l’exemple de Mandrin », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. xxvi, juillet-septembre 1979, p. 345–364; du même auteur, « La Représentation du “bandit social” Mandrin dans la littérature et l’iconographie du xviiie siècle : champ d’une “culture de l’entre-deux”? », Les intermédiaires culturels, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1981, p. 291–304.
-
[7]
Coll. Penguern, Bibliothèque nationale de France, Ms. 111, 242r–251r. Catalogue Malrieu, chant-type n˚ 174. Patrick Malrieu, « La chanson populaire de tradition orale en langue bretonne – Contribution à l’établissement d’un catalogue », thèse inédite, Rennes, 1998, 5 vol. Tous les numéros de chants-types indiqués ici sont issus de ce catalogue, le seul qui ait entrepris la recension du répertoire des gwerzioù.
-
[8]
Ce conflit oppose, entre 1589 et 1598, les royalistes (partisans d’Henri iv, protestant monté sur le trône de France) et les ligueurs (qui affirment la suprématie de la religion catholique sur la dignité royale et refusent de reconnaître un roi protestant).
-
[9]
Les différents états connus de cette chanson sont analysés dans : Laurence Berthou-Bécam, « Enquête officielle sur les poésies populaires de la France, 1852–1876 – Collectes de langue bretonne », thèse inédite, Rennes, 1998, p. 189–194.
-
[10]
Kathleen Wilson, « Empire, Trade and Popular Politics in Mid-Hanoverian Britain : the Case of Admiral Vernon », Past & Present, n˚ 121, November 1988, p. 74–109; Gerald Jordan et Nicholas Rogers, « Admiral as Heroes : Patriotism and Liberty in Hanoverian England », Journal of British studies, vol. 28, July 1989, p. 201–224.
-
[11]
Chants-types n˚ 1409 et 117. Les prêtres réfractaires — qui rassemblent en Bretagne 80 pour cent des ecclésiastiques (contre 45 pour cent à l’échelle nationale) — sont ceux qui ont refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé adoptée en juillet 1790, visant à réorganiser l’Église de France en la subordonnant à l’État.
-
[12]
Peter Burke, Popular Culture in Early Modern Europe, Ashgate, Aldershot, 1994 (1re éd. 1978), p. 169–170.
-
[13]
Chant-type n˚ 228.
-
[14]
Chant-type n˚ 161.
-
[15]
Chant-type n˚ 238.
-
[16]
Charles de Keranflec’h, « Une frairie bretonne. La chapelle de Kermaria-Nisquit », Revue de Bretagne et de Vendée, 1857, n˚ 2, p. 281–301. Chant-type n˚ 47.
-
[17]
Chant-type n˚ 19. La période de la chouannerie correspond au soulèvement d’une partie des campagnes bretonnes contre la politique révolutionnaire, à partir de 1794.
-
[18]
François Billacois, Le duel dans la société française des xvie- xviie siècles – Essai de psychologie historique, Paris, Éd. de l’Éhéss, 1986, p. 247–275. Chant-type n˚ 39.
-
[19]
Ifig Troadeg, Carnets de route, Lannion, Dastum Bro Dreger, 2005, p. 40–41.
-
[20]
Michel Nassiet avance cet argument dans « La littérature orale bretonne et l’histoire », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 106, 1999, n˚ 3, p. 52–53.
-
[21]
Philippe Joutard, Ces voix qui nous viennent du passé, Paris, Hachette, 1983, p. 235. Les camisards sont les protestants des Cévennes en lutte contre la politique répressive de Louis xiv vis-à-vis de la religion réformée, suite à la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685.
-
[22]
Joseph Loth, « La Chanson du Marquis de Pontcalec [sic] », Annales de Bretagne, t. 8, 1893, n˚ 3, p. 480–487. Chant-type n˚ 78. Plusieurs commentaires en prose enregistrés par Donatien Laurent et Claudine Mazéas vont également dans ce sens. D’autres complaintes, comme celle de Perinaig ar Mignon qui se rapporte à un fait divers daté de 1695, connaissent la même réécriture : dans une version vannetaise recueillie à la fin du xixe siècle, les meurtriers de la jeune fille ne sont pas des douaniers mais des soldats de la Nation, reflétant le peu de sympathie envers les armées révolutionnaires dans une zone largement acquise à la chouannerie dans la dernière décennie du xviiie siècle (Mélusine, t. 7, 1894–1895, p. 128–131. Chant-type n˚ 189).
-
[23]
Le gouvernement radical conduit par Émile Combes poursuit à partir de 1902 une politique de restrictions sévères du pouvoir de l’Église, qui aboutit en 1905 à la loi de Séparation de l’Église et de l’État.
-
[24]
Yves Le Berre, « La bataille de Kerguidu de Lan Inisan (1877), un exemple de circularité oral/écrit », dans Qu’est-ce que la littérature bretonne? Essais de critique littéraire, xve – xxe siècles, Rennes, PUR, 2006, p. 181–192.
-
[25]
Michel Vovelle, « La Marseillaise – La guerre ou la paix », dans Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, t. I – Les Républiques, Paris, Gallimard, 1984, p. 104–105.
-
[26]
Youenn Le Prat, « “Vive la République!? ”. Ar Volonter, récit de combat naval et chant républicain », étude à paraître dans les Mélanges en l’honneur de Donatien Laurent.
-
[27]
Je remercie ici Loeiz Le Bras de ce témoignage personnel.
-
[28]
Je remercie Daniel Giraudon de cette information.