Résumés
Résumé
À la fin des années 1840, une importante épidémie gagne les cultures de pommes de terre dans toute l’Europe occidentale. La Wallonie, où le tubercule constitue l’aliment de base de bon nombre d’habitants des zones rurales, est touchée. Comme, d’autre part, la terre n’y a cessé d’être morcelée au rythme des successions familiales, la misère sévit et oblige plusieurs milliers de petits cultivateurs à s’expatrier. Sept à huit mille d’entre eux, originaires du nord du Namurois et du Brabant wallon, trouvent asile dans la Péninsule de la Porte — le Door County —, pointe de terre du nord-est du Wisconsin qui s’enfonce dans le lac Michigan. En défrichant la vaste forêt qui recouvre cette zone, ils y fondent des villages aux noms évocateurs : Brussels, Namur, Rosière, Grand-Leez, etc. Ces immigrés, illettrés, ne connaissent qu’une langue : le wallon, langue qui sert de support à toute une série de pratiques culturelles, culinaires, ludiques ou religieuses, et qui se transmettra de génération en génération durant plus d’un siècle. L’isolement de la communauté wallonne du Wisconsin par rapport à la mère patrie est total, lorsque, dans les années 1960–1970, explose un mouvement, général aux États-Unis, de redécouverte des « ethnicités » propres aux divers immigrants qui ont fondé la nation américaine. Les Wallons revendiquent alors leur « belgitude » — ils ignorent en effet le différend wallo-flamand qui déchire la Belgique — et renouent des contacts avec celle-ci. À leur grande stupéfaction, ils découvrent qu’on parle français dans leurs villages d’origine — où l’Église n’est plus toute puissante — et que les agriculteurs y sont désormais rares. Les traditions qu’eux-mêmes véhiculent, héritées en ligne directe du xixe siècle, sont, à l’est de l’Atlantique, considérées comme obsolètes ou singulières... Entre 1973 et 1982, j’ai eu l’occasion de séjourner de nombreuses semaines à Namur, Wisconsin, et d’y enregistrer et y filmer les derniers témoins d’une culture en détresse, des hommes et des femmes qui se tournaient avidement vers un passé révolu, en essayant d’y trouver l’énergie pour combattre une assimilation forcée dans le « melting pot » américain. La communication au colloque comporta donc deux parties : un « état des lieux », présentant, à l’aide d’un film tourné en 1975 par la Radio-télévision belge de langue française, les traditions culturelles de cette petite communauté « marginale », et une réflexion plus vaste sur la pertinence de la sauvegarde d’un patrimoine culturel, fondement d’une « ethnicité positive ».