Résumés
Résumé
S’il est un personnage qui a su résister au double processus de diabolisation et de récupération des anciennes divinités païennes opéré lors du difficile passage du paganisme au christianisme, c’est bien celui de sainte Anne! En effet, cette femme aux origines douteuses, qui a connu ses plus belles heures de gloire en Bretagne et au Canada français, se donne à voir, tout au long de son histoire, comme une véritable résistante à ce que l’on pourrait qualifier de processus de marginalisation du féminin en contexte monothéiste. En Acadie comme en Bretagne, l’histoire de la résistance de la figure de l’aïeule du Christ au sein de l’Église catholique nous permet d’apporter un nouvel éclairage sur la résistance des marginaux de l’histoire « canonique ». Nous verrons comment la sainte d’Auray en Bretagne tout comme celle du Bocage en Acadie nous convient à une relecture du concept même de marginalité!
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Parties annexes
Note biographique
Professeur d’histoire comparée des religions à l’Université de Moncton, Denise Lamontagne s’intéresse tout particulièrement à l’étude des cultes populaires à partir d’une approche transversale, où se rencontrent des disciplines comme l’histoire, l’ethnologie, la sociologie et la psychanalyse et qui se concentre autour du concept de marginalité. Cette approche a donné lieu à une thèse de doctorat sur la figure de sainte Anne dans l’histoire du catholicisme en Acadie. Ses études comparatives France-Acadie connaissent maintenant une extension vers d’autres figures marginales appartenant à la culture populaire, comme la sorcière, la gitane et le passeur. Elle est active au sein de l’Association internationale des études médico-psychologiques et religieuses (AIEMPR), de la Société québécoise pour l’étude de la religion (SQÉR); elle fait aussi partie du Groupe de recherche interdisciplinaire sur les traditions et les modernités (Gritem) de son université et du Groupe de recherche en études acadiennes (Gréa) de l’Université Sainte-Anne.
Notes
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[1]
Voir à ce sujet notre article « Sainte Anne et sainte Marie ou la lente assomption d’une rivalité mère-fille en terre acadienne », dans Port Acadie, revue interdisciplinaire d’études acadiennes, Pointe-de-l’Église, n˚ 10–11–12, automne 2006–automne 2007, « Le patrimoine religieux de la Nouvelle-Écosse – Signes et paradoxes en Acadie », p. 55–79.
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[2]
Expression de Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien, tome III, Paris, PUF, 1958, p. 156.
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[3]
La seule représentation connue d’une figure religieuse féminine avec un livre dans les mains est celle de la prophétesse Anne, fille de Phanuel de la tribu d’Aser, cette femme avancée en âge que l’on représente, tenant un parchemin suggérant ainsi sa compétence liée au savoir.
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[4]
Denise Lamontagne, « Sainte Anne et Marie en Acadie : une seule religion, deux lieux de mémoire, dans L’Acadie plurielle – Dynamiques identitaires collectives et développement au sein des réalités acadiennes (sous la dir. d’A. Magord), Université de Poitiers/Université de Moncton, 2003, p. 145–162.
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[5]
Pour le voyageur qui se rend à Pointe-de-l’Église (en Nouvelle-Écosse) par la route, il est impossible d’ignorer le nom de cette route dont le panneau affiche fièrement « Glooscap Trail », en référence à ce personnage légendaire de la mythologie micmaque. Pour connaître cette légende, voir Denise Lamontagne, « Pour une approche transversale du savoir banal en Acadie : la taoueille, sainte Anne et la sorcière », dans Rabaska, revue d’ethnologie de l’Amérique française, Québec, vol. 3, 2005, p. 31–48.
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[6]
Pour l’Amérindien, la femme est l’être de raison, qui éduque l’homme, oriente son avenir et prévoit les besoins de la société. L’homme reconnaît dans la femme les pouvoirs essentiels à la vie et une capacité de comprendre ses lois. Aussi laisse-t-il à la femme un rôle supérieur en quelque sorte au sien, dans l’organisation et la direction de la société. Cela est surtout évident pour les sociétés amérindiennes matriarcales, mais reste tout aussi vrai pour celles que l’on dit patriarcales, comme la plupart des groupes nomades. Ces sociétés, bien qu’elles doivent fonder leurs institutions selon un ordre patrilinéaire — en raison du rôle prépondérant de l’homme dans la quête, matérielle et spirituelle, des nécessités vitales —, ne sont pas pour autant patriarcales. Le pouvoir masculin n’y est qu’apparent; le sentiment d’être près de la terre est renforcé par la conscience de dépendre directement de ses produits, nés de la terre comme l’humain. On peut avancer que la grande majorité des peuples nomades de l’Amérique sont des sociétés matriarcales dans leur conception idéologique et spirituelle du monde. Cf. Georges Sioui, Pour une autohistoire amérindienne, Québec, Presses de l’Université Laval, 1989, p. 21.
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[7]
Pacifique de Valigny mentionne à cet effet que, sous le Régime français, les premiers prêtres missionnaires bénéficiaient d’un très vaste territoire allant de la Nouvelle-Écosse aux rives nord et sud de la baie de Chaleurs, en passant par le Nouveau-Brunswick actuel. Les Micmacs vivaient dans l’ensemble de ce territoire, c’est-à-dire dans la péninsule gaspésienne, dans le Nouveau-Brunswick d’aujourd’hui, à l’est du bassin hydrographique du fleuve Saint-Jean, partout en Nouvelle-Écosse, y compris l’Île-du-Cap-Breton, ainsi que l’Île-du-Prince-Édouard, soit un ensemble de terres qu’ils appelaient Megumaaye. Cf. Pacifique de Valigny, La tribu des Micmacs – Études historiques et géographiques, Restigouche, 1935, p. 2.
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[8]
Tous les sanctuaires dédiés à sainte Anne sont situés auprès d’un point d’eau et connaissent un légendaire maritime.
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[9]
« Sainte Anne au livre » est mieux connue au sein de l’histoire iconographique sous le nom du « modèle français » de sainte Anne.
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[10]
Jean Simard, « Le modèle breton », dans Les Cahiers des Dix, n˚ 50, 1995, p. 55–71.
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[11]
Nous pouvons assister, aujourd’hui encore, à la bénédiction des bateaux le jour même de la fête de sainte Anne, le 26 juillet.
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[12]
Jean Markale affirme à propos de cette statuette découverte par Nicolazic : « par le fait même qu’elle était grossière […] elle fut retaillée et repeinte afin de lui donner une apparence décente, on peut en déduire que c’était une de ces innombrables statues de divinités païennes, comme on en trouve de temps à autre dans les lieux qui ont toujours été des endroits sacrés. En l’occurrence, le soin qu’on a porté à la retailler prouve qu’elle devait représenter une femme nue. Il eût été fâcheux qu’on la vît dans son état primitif, et les capucins d’Auray, premiers bénéficiaires du miracle et instaurateurs du pèlerinage — pour ne pas dire inventeurs de la statue par l’intermédiaire du naïf Nicolazic — en avaient pleinement conscience. D’ailleurs, cette statue, probablement trouvée par un de ces astucieux capucins, ne fallait-il pas absolument lui donner le nom d’Anne (Anna en breton), puisque le village s’appelait Keranna? ». Cf. Jean Markale, Histoire secrète de la Bretagne, Paris, Albin Michel, 1977, p. 190–191.
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[13]
La Slava a été admirablement décrite par Chantal Hilaire, qui présente ce rite sacrificiel par lequel ces gens du voyage espéraient le secours de Dieu par l’intermédiaire de sainte Anne pour apporter la chance à leur famille et surtout pour favoriser la guérison de l’un des leurs. Cf. Chantal Hilaire avec la collaboration d’Ava Stanley-Mitchell, « La divination chez les Tsiganes Romkalderas », Québec, thèse présentée à l’École des gradués de l’Université Laval, Faculté des sciences sociales, 1988, p. 110.
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[14]
Ibid.
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[15]
Propos recueillis auprès d’un gardien du sanctuaire lors d’une enquête effectuée au printemps 2007 sur le site du sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré au Québec.
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[16]
On présente d’ailleurs Marie-Salomé comme étant la mère de saint Jacques de Compostelle en Espagne, ce qui correspond parfaitement à la description des descendants issus du triple mariage de Sainte Anne. Voir le tableau supra.
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[17]
Chronique de Claude LeBouthillier dans L’Acadie Nouvelle, le samedi 4 août 2007, p. 13.