Nouvelles perspectives en sciences sociales
Volume 19, numéro 2, mai 2024 Sur le thème : « Demain » Sous la direction de Denis Martouzet Sur le thème : « Guy Bajoit et la notion de relation » Sous la direction de Claude Vautier
Sommaire (12 articles)
Sur le thème : « Demain »
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Avant-propos : sur le thème « Demain »
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Crise de la COVID-19 : ruptures et transformations des trajectoires humaines pendant les temps incertains
Magali Boespflug, Carine Duteil-Mougel, Claire Lefort, Cécile McLaughlin et Petra Pelletier
p. 33–66
RésuméFR :
La crise de la COVID-19 a conduit à des ruptures importantes des existences humaines. La méthodologie a été adaptée à partir de recherches menées à la suite de l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986. Une analogie fondée sur l’invisibilité entre les contaminations radioactives par le césium 137 et les contaminations virales par SARS-CoV-2 souligne que les personnes ont besoin de construire le sens de la crise, de faire face aux émotions négatives et à l’incertitude pour espérer un avenir meilleur. Les participants (n = 784) ont rempli un questionnaire, intitulé « Moi : hier, aujourd’hui et demain », décrivant leur vécu pendant le confinement sanitaire en 2020. Les principaux résultats ont démontré la perte de repères des participants, le vécu de la peur et un besoin de changement positif dans le futur. Cette recherche indique la complémentarité des orientations émotionnelles globales de la peur et de l’espoir qui transcendent les individus et la société pendant les temps incertains de la crise de la COVID-19.
EN :
Crisis of COVID-19 has led to important breakdowns in human existence. The methodology has been adapted from research conducted following Chernobyl Nuclear Power Plant accident in 1986. An invisibility-based analogy between radioactive contaminations with caesium-137 and SARS-CoV-2 viral contaminations highlights that lay people need to construct the meaning of the crisis, cope with negative emotions and uncertainty, and hope for a better future. The participants (n = 784) completed a questionnaire, entitled “Me: yesterday, today and tomorrow”, describing their living experience during the pandemic lockdown in 2020. The main results demonstrated participants’ loss of landmarks, experience of fear, and need for positive change in the future. This research indicates the complementarity of global emotional orientations of fear and hope that transcend individuals and society in uncertain times of the COVID-19 crisis.
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Pluraliser les savoirs pour penser les futurs face à l’incertitude. Le cas de l’effondrement de la falaise d’Ault (Picardie, France)
Mathieu Bonnefond, Sofia Guevara Viquez et Mathilde Gralepois
p. 67–111
RésuméFR :
La place centrale des savoirs dans les choix d’action publique est remise en cause par la « mise en risque » de phénomènes climatiques et hydrologiques qui s’avèrent imprévisibles et irréversibles. C’est le cas du recul du trait de côte des falaises en Picardie. Longtemps basé sur une approche scientifique et technique dite de « recul moyen », l’État doit recomposer ses moyens d’action face à l’occurrence de risques extrêmes et brusques. Or, il ne s’agit pas seulement de changer de modalités dans l’approche technique, ni de promouvoir de nouveaux outils de prévention pour construire des stratégies de recomposition territoriale des littoraux. Le cas de l’effondrement de la falaise d’Ault illustre le besoin urgent d’intégrer dans l’action publique une pluralité de connaissances des effets du changement climatique, tant en termes de savoirs qui peuvent être alternatifs et scientifiques que de connaissances tirées de l’expérience sensible, personnelle ou esthétique.
EN :
The central place of knowledge in public policy choices is being challenged by climate and hydrological phenomena that turn out to be unpredictable and irreversible. This is the case with the retreat of the coastline of the cliffs in Picardy. For a long time based on a scientific and technical approach known as “average retreat”, the national government now has to reconstitute its methods of action in the face of extreme and sudden risks. But it’s not just a question of changing the technical approach, or promoting new prevention tools to build strategies for reorganising coastal areas. The case of the collapse of the cliffs at Ault illustrates the urgent need to integrate multiple forms of knowledge about the effects of climate change into public action, both in terms of alternative and scientific knowledge and in terms of knowledge rooted in sensitive, personal, or aesthetic experience.
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L’anthropologie des catastrophes : vers un futur événementiel ?
Karine St-Denis
p. 113–132
RésuméFR :
Les désastres et les catastrophes sont indissociables de la culture, indissociables de nos pratiques, de nos convictions et de nos aspirations collectives. L’anthropologie des catastrophes est donc un champ disciplinaire pertinent pour étudier les désastres et catastrophes qui marqueront de plus en plus notre futur. Cet article présente les objets d’études et les notions centrales de cette anthropologie. Nous y montrons en quoi nos cultures occidentales octroient un caractère événementiel aux désastres et aux catastrophes et en quoi ce caractère événementiel est insuffisant pour comprendre notre avenir.
EN :
Disasters and catastrophes are cultural facts, they are created by our practices, our convictions and our collective aspirations. Anthropology of catastrophes is a pertinent disciplinary field for studying disasters and catastrophes that will be more present in our future. This article presents research interests and main notions of this anthropology. We are demonstrating how our occidental cultures construct disasters and catastrophes as events and how these cultural constructions are insufficient for a real understanding of our future.
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Quand les lycéens et lycéennes s’adressent aux générations futures via une capsule temporelle…
Nicolas Hervé et Nathalie Panissal
p. 133–168
RésuméFR :
Cet article vise à comprendre les images du futur que forment des lycéens et lycéennes sur la numérisation de la société. Pour cela, une expérience de construction d’une capsule temporelle a été menée dans un lycée agricole. La capsule temporelle est constituée de vidéos produites par 18 groupes d’élèves de seconde sur leurs images du futur de la numérisation de la société en 2040, adressées aux élèves qui seront à leur place dans 20 ans. L’analyse des vidéos montre que les images du futur des élèves sont majoritairement critiques sur les transformations sociales induites par le développement du numérique, dans un contexte de changement climatique. La possibilité d’une prise en charge politique des problèmes soulevés est absente. Nos résultats pointent l’importance de développer des dispositifs pédagogiques susceptibles de faire formuler aux élèves des images de futurs à la fois possibles et souhaitables, et de leur permettre d’envisager des leviers individuels et collectifs d’action.
EN :
This article is aimed at understanding the images of the future that high school students form about the digitization of society. To this end, we carried out a time capsule experiment in an agricultural high school. The time capsule consists of videos produced by 18 groups of high school students on their images of the future about digital society in 2040, addressed to students who will be in their position in 20 years. Analysis of the videos shows that the students’ images of the future are mostly critical of the social transformations induced by digitization, in a context of climate change. The possibility of a political takeover of the issues raised is absent. Our results point to the importance of developing teaching methods that can help students formulate images of futures that are both possible and desirable, and enable them to envisage individual and collective levers for action.
Sur le thème : « Guy Bajoit et la notion de relation »
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Avant-propos : sur le thème « Guy Bajoit et la notion de relation »
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Pour compléter ma conceptualisation de la notion de relation sociale
Guy Bajoit
p. 177–188
RésuméFR :
En 2009, Guy Bajoit présentait la relation comme une forme de collaboration entre acteurs sociaux. Il associait cette collaboration aux notions de finalité, de contribution, de rétribution, d’inégalité et de domination. Dans cet article, il revient sur ce positionnement et le complète en faisant intervenir d’autres notions, dont celles d’identité et d’altérité collectives.
EN :
In 2009, Guy Bajoit presented relation as a form of collaboration between social actors. He associated this collaboration with notions of goal, contribution, retribution, inequality, and domination. In this article, he returns to this position and completes it by bringing into play new notions such as collective identities and otherness.
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Une théorie sociologique générale est-elle possible ? Mise en perspective historique du projet de Guy Bajoit
Monique Hirschhorn
p. 189–197
RésuméFR :
Avec son désir de construire une théorie sociologique générale, Guy Bajoit se met dans les traces de la plupart des sociologues contemporains dont certains restent en recherche d’une telle théorie alors que d’autres ont tourné le dos à un tel projet considéré comme utopique et voué à l’échec, voire comme indésirable. Le « pluralisme théorique » qui se manifeste comme l’un des volets de l’histoire de la sociologie apporte des capacités d’élucidation du social en tournant autour de l’objet d’étude, mais, considèrent les tenants d’une théorie générale en sociologie, empêche une unification de la discipline, qui serait la bienvenue. Ce texte veut montrer que si les efforts de Guy Bajoit pour parvenir à cette unification de la sociologie sont légitimes et si leur objectif peut être jugé souhaitable, c’est davantage dans le cadre d’un débat collectif que doit être posé un tel projet que dans celui d’une recherche essentiellement personnelle appuyée sur les travaux passés et présents de l’auteur.
EN :
With his desire to construct a general sociological theory, Guy Bajoit follows in the footsteps of most contemporary sociologists, some of whom are still in search of such a theory, while others have turned their backs on such a project, which is considered utopian and doomed to failure, or even undesirable. The “theoretical pluralism” that manifests itself as one of the aspects of the history of sociology provides capacities for elucidating the social by revolving around the object of study, but, according to the proponents of a general theory in sociology, prevents a unification of the discipline, which would be welcome. This article aims to show that if Guy Bajoit’s efforts to achieve this unification of sociology are legitimate and if their objective can be considered desirable, it is more in the context of a collective debate that such a project must be posed than in that of an essentially personal research based on the author’s past and present work.
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« Pour une sociologie de combat », nous dit Guy Bajoit… Mais quel combat doit poursuivre la sociologie ?
Michel Messu
p. 199–215
RésuméFR :
Cette communication vise à discuter la pertinence du titre donné à l’un de ses ouvrages par Guy Bajoit. Pour une sociologie de combat, dit-il, mais de quel combat s’agit-il ? Derrière ce titre se cache pourtant, aujourd’hui comme hier, un enjeu majeur pour la sociologie. Celui de rester la science du social qu’elle prétend être. La communication réaffirme la préséance de la rationalité dans la démarche scientifique, son autonomie épistémologique et le principe de la neutralité axiologique, menacés aujourd’hui par la prolifération des Studies.
EN :
This communication aims to discuss the relevance of the title given to one of his books by Guy Bajoit. “For a sociology of combat,” he says, but what kind of combat are we talking about? Behind this title, however, lies a major challenge for sociology, both today and in the past. That of remaining the science of the social that it claims to be. The paper reaffirms the pre-eminence of rationality in the scientific process, its epistemological autonomy and the principle of axiological neutrality, all of which are threatened today by the proliferation of “Studies”.
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La place de l’individu, de la subjectivité et de l’action et le rôle du macrologique dans la sociologie relationnelle
Simon Laflamme
p. 217–239
RésuméFR :
Guy Bajoit a envisagé dès 1992 une sociologie relationnelle. Sans l’avoir nommée, mes travaux me conduisaient naturellement vers une telle sociologie. J’ai donc rencontré avec bonheur cette sociologie bajoitienne ; je voyais en elle un objet autre que l’acteur social ou que les structures sociales, j’entrevoyais des relations qui pouvaient être étudiées en elles-mêmes, il y avait là la possibilité de comprendre l’humain autrement qu’en fonction de sa subjectivité autonome ou de ce qui commande ses actions depuis l’extérieur. J’ai entendu l’invitation bajoitienne à travailler à l’intérieur d’un nouveau paradigme. Mais j’ai dû prendre mes distances par rapport au projet de Guy Bajoit parce que, d’une part, son relationnisme impliquait étroitement l’acteur hyper-rationnel de l’individualisme méthodologique, et parce que, d’autre part, il m’est apparu essentiel d’éloigner la relation de l’ordre ontologique pour en faire un principe de modélisation.
EN :
As early as 1992, Guy Bajoit contemplated a relational sociology. Without having named it, my work naturally led me towards such a sociology. So, I was happy to come across this Bajoitian sociology; I saw in it an object other than the social actor or the social structures, I glimpsed relations that could be studied in themselves, there was the possibility of understanding the human being other than in terms of his autonomous subjectivity or what controls his actions externally. I heard the Bajoitian invitation to work within a new paradigm. But I had to distance myself from Guy Bajoit’s project because, on the one hand, his relationism closely involved the hyper-rational actor of methodological individualism, and because, on the other hand, it seemed essential to me to distance the relation from the ontological order to make it a principle of modeling.
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Entre ontologie et épistémologie. Un quiproquo sur le concept ou la notion de relation ?
Claude Vautier
p. 241–277
RésuméFR :
Guy Bajoit fait partie des sociologues ayant très tôt aperçu l’intérêt d’introduire le concept de relation dans la modélisation d’une société. Ce faisant, il a ouvert des voies de réflexion qui ont poussé la sociologie à sortir des querelles stériles entre individualisme et structuralisme. Sa volonté de construire une théorie générale des sociétés l’a poussé vers une synthèse bienvenue, enrichissante. Cependant, on peut penser que cette construction n’est pas suffisante pour saisir au moins en partie la complexité du monde. En humaniste, Bajoit s’intéresse à l’être humain, mais il en fait le centre de la modélisation. Cette position limite la portée de sa construction. Sa théorie (à vocation) générale, au demeurant éclairante dans le paradigme le plus répandu de nos jours, glisse vers un interactionnisme où ce sont forcément les individus qui sont en relation, entre eux ou entre eux et d’autres, vivants ou inanimés. Cet article veut tenter de montrer que la sociologie contemporaine doit faire un saut épistémique en modélisant par la relation. Une telle modélisation suppose que des catégories diverses soient analysées, non en elles-mêmes, mais au travers de leurs relations. Le modèle BIP (Biens, Idées, Personnes) de Laflamme ou le modèle RISE (Relation, Individu, Système, Événement) de Vautier, en prenant une forme trialectique (trois relations dialectiques intégrées) permettent d’atteindre cet objectif.
EN :
Guy Bajoit is one of the sociologists who very early on saw the benefit of introducing the concept of relation into the modeling of a society. In doing so, he opened avenues of reflection that pushed sociology to move away from the sterile quarrels between individualism and structuralism. His desire to construct a general theory of societies pushed him towards a welcome, enriching synthesis. However, we can think that this construction is not sufficient to grasp at least in part the complexity of the world. As a humanist, Bajoit is interested in human beings, but he makes them the center of his model. This position limits the scope of its construction. His general theory, although enlightening in the most widespread paradigm of our days, slides towards an interactionism where it is necessarily the individuals who are in relationship, between themselves or between themselves and others, living or inanimate. This article attempts to show that contemporary sociology must make an epistemic leap by modeling through relationships. Such modeling assumes that various categories are analyzed, not in themselves, but through their relationships. The GIP model (Goods, Ideas, People) of Laflamme or the RISE model (Relation, Individual, System, Event) of Vautier, taking a trialectic form (three integrated dialectical relationships), make it possible to achieve this objective.