Résumés
Résumé
La technique du tatouage serait, en principe, aussi vielle que l’humain. Réservée à peu près exclusivement aux sous-cultures de la déviance pendant la majeure partie du XIXe siècle, on voit s’étendre son usage, en Occident, depuis les années 1980, 1990, période pendant laquelle on assiste à une expansion des modifications corporelles en général. La question se pose donc de savoir comment expliquer cet engouement récent pour les bodmods dont, au premier chef, le tatouage. Dans ce texte, nous soutenons, d’une part, que sa montée en popularité peut s’expliquer par une épistémè qui prend racine dans quatre phénomènes distincts, mais interreliés : le rapport à l’espace qui se noue dans les années d’après la première guerre et qui se cristallise en 1969 avec les premiers pas sur la lune ; la montée en puissance des super héros, portés par des plateformes comme Marvel Comics et DC Comics ; la révolution sexuelle et le mouvement hippie qui en est le corollaire ; l’apparition d’internet et des réseaux sociaux en particulier. Nous avançons, d’autre part, que le fait de se faire tatouer ne peut être qu’un geste à la fois individuel et collectif, qu’en se singularisant, on intègre forcément une communauté, les sociétés humaines ne pouvant se construire que sur une logique du paradoxe, d’une tension nécessaire entre homogénéité et différenciation. À travers les données tirées d’une enquête franco-canadienne et en distinguant entre personnes non tatouées, peu tatouées et très tatouées, nous démontrons que, bien que la dimension artistique soit plus présente dans le discours français et la dimension symbolique, plus caractéristique du propos canadien, le tatouage éveille globalement, chez les individus interrogés, des référents liés à sa dimension artistique et esthétique, à la santé et au fait qu’il amène à transgresser des normes et à repousser ses limites physiques et psychologiques. Le tatouage apparaît ainsi comme un processus individuel qui inscrit dans le collectif, le rapport au collectif étant tantôt extérieur, tantôt secondaire, tantôt implicite, tributaire qu’il est du fait que l’on soit plus ou moins tatoué.
Mots-clés :
- Tatouage,
- modifications corporelles,
- épistémè,
- espace,
- super héros,
- révolution sexuelle,
- internet,
- individuel,
- collectif,
- homogénéité,
- différenciation
Abstract
Tattoos, it would seem, are as old as humankind. Although they were mainly used and displayed by members of deviant subcultures throughout most of the nineteenth century, the 1980’s and 1990’s have given way to a rise in body modifications in general, and tattoos in particular. The question arises as to how we can begin to explain this craze for tattoos in the Western world. In this paper, we suggest that this newly constructed infatuation is the product of an episteme which is built on four century-defining, distinct, all the while interrelated, phenomena: the Space Odyssey, the rise of Superheroes and Comic Books, the sexual revolution and the emergence of the internet in general and of social networks in particular. We also argue that the act of getting tattooed is necessarily both individual and collective: by differentiating oneself through the use of tattoos, one joins a collective or community. This reminds us that human societies are paradoxical in nature, their components constantly evolving between homogeneity and differentiation. Through the study of a Franco-Canadian sample divided into three separate groups – not tattooed, somewhat tattooed, very tattooed – we show that tattoos evoke arts, esthetics and health as well as the transgression of social norms and the extension of physical and psychological limits in all groups within both countries, although the French sample is more defined by art and the Canadian sample, by symbols. The marking of the body with ink thus appears as a collectively inscribed individual process in which the collective is either outside of, secondary to, or implicitly part of oneself, depending on the category with which we identify.
Keywords:
- Tattoos,
- Body Modifications,
- Episteme,
- Space,
- Super Heroes,
- Sexual Revolution,
- Internet,
- Individual,
- Collective,
- Homogeneity,
- Differentiation
Parties annexes
Bibliographie
- « Les 8 chiffres fous du business du tatouage », Capital, https://photo.capital.fr/les-8-chiffres-fous-du-business-du-tatouage-31355#le-nombre-de-salons-de-tatouage-explose-541086, site consulté le 14 juillet 2019.
- « Combien y a-t-il eu de révolutions industrielles ? », Futura, https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/epoque-contemporaine-y-t-il-eu-revolutions-industrielles-5443/, site consulté le 23 juillet 2019.
- « DC Comics », Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/DC_Comics, site consulté le 21 juillet 2019.
- Eco, Umberto, « Le mythe de Superman », Communications, no 24 : La bande dessinée et son discours, 1976, p. 24-40.
- Erner, Guillaume, Sociologie des tendances, 2e édition, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2009 [2008].
- Fiévet, Cyril, Body Hacking. Pirater son corps et redéfinir l’humain !, Limoges, Éditions FYP, coll. « Vertiges », 2012.
- Foucault, Michel, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1969.
- Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, tome 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1994 [1976].
- Foucault, Michel, « Le jeu de Michel Foucault » (entretien avec Dominique Colas, Alain Grosrichard, Guy Le Gaufey, Jocelyne Levi, Gerard Miller, Judith Miller, Jacques-Alain Miller, Catherine Millot et Gérard Wajeman), Dits et écrits 1954-1988, tome III, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, p. 298-329.
- Foucault, Michel, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1966.
- Foucault, Michel, « Sur la justice populaire, débat avec les maos », entretien de 1972, dans Dits et écrits 1954-1988, tome I, édition publiée sous la direction de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration de Jacques Lagrange, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, p. 1208-1237.
- Galipeau, Silvia, « Après les milléniaux, voici les pérenniaux », La Presse, 27 août 2017, https://www.lapresse.ca/societe/societe/201708/25/01-5127567-apres-les-milleniaux-voici-les-perenniaux.php, site consulté le 19 juillet 2019.
- Girard, Mélanie, Idées politiques et sociales du XIXe siècle à nos jours, Sudbury, Envision, Université Laurentienne, 2007.
- Godart, Frédéric Godart, Sociologie de la mode, 2e édition, Paris, La découverte, coll. « Repères », 2016 [2010].
- Jova, Pierre, « Le tatouage se transforme en culture », Le Figaro, 4 mars 2016, http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/03/04/01016-20160304ARTFIG00252-le-tatouage-se-transforme-en-culture.php, site consulté le 15 juillet 2019.
- Juignet, Patrick, « Michel Foucault et le concept d’épistémè », Philosophie, science et société, 2015, https://philosciences.com/philosophie-generale/la-philosophie-et-sa-critique/10-michel-foucault-episteme, site consulté le 15 juillet 2019.
- Jury, Mark et Dan, Dances Sacred and Profane, film documentaire, 1985.
- Laflamme, Simon, Communication et émotion. Essai de sociologie relationnelle, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 1995.
- Laflamme, Simon, Des biens, des idées et des personnes au Canada, 1981-1995. Analyse macrologique relationnelle, Sudbury, Prise de parole/Paris, L’Harmattan, 2000.
- Laflamme, Simon, La société intégrée. De la circulation des biens, des idées et des personnes, New York, Berne, Paris, Peter Lang, Worcester Polytechnic Institute, Studies in Science, Technology and Culture, vol. 12, 1992.
- Le Breton, David, « Entre signature et biffure : du tatouage et du piercing aux scarifications », Sociétés et représentations, no 25, 2008, p. 119-133.
- Le Breton, David, « Se reconstruire par la peau. Marques corporelles et processus initiatique », Revue française de psychosomatique, no 38, 2010, p. 85-95.
- Lombroso, Cesare, L’homme criminel. Étude anthropologique et psychiatrique, Paris, Félix Alcan, 1887 [1876].
- Luhmann, Niklas, Amour comme passion. De la codification de l’intimité, Paris, Aubier, coll. « Présence et pensée », 1982, p. 60-62.
- « Lukas Zpira. Une introduction au Body Hacktivisme », La Spirale.org, https://laspirale.org/texte-99-lukas-zpira-une-introduction-au-body-hacktivisme.html, consulté le 16 juillet 2019.
- « Marvel Comics », Wipipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Marvel_Comics, site consulté le 21 juillet 2019.
- « Memorial capsule : un implant avec les cendres d’un défunt », Iatransmumanisme.com, 10 avril 2016, https://iatranshumanisme.com/2016/04/20/memorial-capsule-un-implant-avec-les-cendres-du-defunt/, site consulté le 8 août 2019.
- Morin, Edgar, La méthode, tomes 1 à 6, Paris, Seuil, 1977-2004.
- Pitts-Taylor, Victoria, In the Flesh: The Cultural Politics of Body Modification, New York, Palgrave Macmillan, 2003.
- Simmel, Georg, Sociologie et épistémologie, traduit de l’allemand par Liliane Gasparini, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Sociologies » [1917] 1991.
- « Steve Haworth », Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Steve_Haworth, site consulté le 8 août 2019.
- Steve Haworth Modified, http://stevehaworth.com/, site consulté le 8 août 2019.
- Tarde, Gabriel, Écrits de psychologie sociale, textes choisis et présentés par Anne-Marie Rocheblave-Spenlé et Jean Milet, Toulouse, Privat, coll. « Rhadamanthe », 1973.
- Tarde, Gabriel, Les lois de l’imitation. Étude sociologique, Paris, Félix Alcan, 1900 [1890].
- Waquet, Dominique et Marion Laporte, La mode, 4e édition, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2014 [1999].
- « Where No Man Has Gone Before », Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Where_no_man_has_gone_before, site consulté le 19 juillet 2019.