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IntroductioN[1]

Cet article rend compte d’une démarche de mobilisation des pratiques et des connaissances mise en oeuvre et dirigée par des étudiant.e.s de l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) depuis 2021, à savoir le Colloque Engagemen(TS). Nous exposons d’abord les origines très concrètes de cette initiative, tout en décrivant les considérations axiologiques initialement évoquées dans la genèse de l’événement ; celles-ci constituent le socle de cette manifestation étudiante, scientifique, communautaire et artistique. Dans un second temps, nous élaborons sur les étapes consécutives ayant permis de constituer un tel événement. Quelques notes sont apportées sur les spécificités du colloque, notamment sur ses orientations résolument politiques et engagées. Tout au long du texte, des encadrés accompagnent les idées mises en place. Ces dernières représentent et mettent en valeur les acquis générés par l’organisation d’un colloque en travail social.

Origine du colloque et implications ÉpistÉmologiques

Produire du savoir, c’est alors accepter le risque de tester nos croyances et notre ignorance sans réduire ce que nous ne savons pas à ce que nous avons déjà, et sans écarter comme non pertinent ce que nous ne pouvons décrire par ignorance. Mais c’est aussi exercer une forme de prudence et un principe de précaution quand nous avons affaire à l’inconnu ou aux conséquences possibles de nos actes.

de Sousa Santos, Arriscado Nunes et Meneses, 2022 : 59, trad. Isabelle Mullet-Blandin

L’aventure qu’a été la mise sur pied du colloque Engagemen(TS) a d’abord été motivée par un désir sincère de partager avec nos pair.e.s nos connaissances, nos recherches, nos questionnements et nos valeurs afin de produire un événement rassembleur, au-delà des possibles. Ainsi, en septembre 2021, deux étudiant.e.s en travail social, tous deux animé.e.s par ce même désir de partage et de collectivisation, contactent leur association étudiante. Le premier, Alexis Grussi, travaillant en réduction des méfaits et étudiant le travail social (propédeutique), propose d’organiser « un événement porté par les étudiant.e.s de travail social et l’[Association étudiante des cycles supérieurs en travail social (AECSTS)] autour des questions de justices alternatives, de rapports des gouverné.e.s à l’État, etc.[2] ». Parallèlement, Julie Deslandes Leduc, étudiante à la maîtrise en travail social, soumet un projet de colloque à l’AECSTS. Son intention est de créer une manifestation scientifique où les étudiant.e.s des cycles supérieurs en travail social présentent les fruits de leurs recherches. Bien que porteuses de savoirs, ces recherches réalisées dans le cadre de la maîtrise sont d’ordinaire invisibilisées. Ce colloque en devenir est alors vu comme un espace de mobilisation des savoirs, mais aussi comme un moment d’échanges entre étudiant.e.s visant la construction d’une communauté d’apprentissages. Le conseil exécutif de l’AECSTS trouve alors bon – et quelle idée ! – de mettre en lien ces deux personnes qui ne se connaissaient pas.

Ce qui deviendra le « Colloque étudiant en travail social Engagemen(TS) » commence à s’agencer. La première rencontre a lieu, à deux, le 19 octobre 2021.

La suite de l’histoire, on s’en doute, est ponctuée de rencontres Zoom, de documents partagés, de channels Teams, de créneaux et de courriels. Tout cet aspect technique oblitère évidemment le facteur humain, la jovialité de la collaboration, l’épuisement relationnel par moment, l’agacement et l’excitation qui sont des sentiments qui se déploient dans beaucoup de relations humaines[3].

Nous pourrions résumer le début du projet en un mot : volonté. La volonté de créer un espace de partage, de s’autoriser à le faire et de bâtir, entre étudiant.e.s, un cadre de réflexion dans une optique constructive, laissant place à nos doutes et à nos expériences. Si la forme du cadre demeure plutôt floue à l’époque, l’important est qu’on puisse y développer nos particularités respectives.

Rencontre et partage d’intérêts

Après s’être entendu.e.s sur la forme de l’événement – un colloque étudiant – commence le travail de définition de ses contours. Nos intérêts, valeurs personnelles et professionnelles nous amènent à choisir les thèmes de la transdisciplinarité et des savoirs expérientiels (Le Bossé, Bilodeau et Vandette 2006 ; Beauchesne, 2016 ; Godrie et Dos Santos, 2017 ; Lee, 2017 ; Morin et Lambert, 2022 ; Parent, Grimard, Hamisultane et Lee, 2022 ; Cossette, 2023) ainsi qu’à mettre sur pied un comité d’organisation ayant une structure horizontale et participative (Lepage, 2021). Nous sollicitons nos collègues de classe afin qu’iels se joignent à nous dans cette expérience. C’est ainsi que se forme le comité organisateur de la 1re édition (Julie Deslandes Leduc, Anaïs Gerentes, Alexis Grussi et Gui Tardif) ainsi que des membres soutenant certaines tâches précises (notamment Alexandra Daicu, Sabry Adel Saadi et Laurie Fournier)[4]. Pendant plusieurs mois, de décembre 2021 à mai 2022, s’enchaîne, avec plus ou moins d’anxiété et de liesse selon les périodes, l’accomplissement des tâches menant à la réalisation du colloque. Afin de nous accompagner dans ces démarches, nous nous entourons de précieux.euses collaborateurs.trices. Tout d’abord, l’AECSTS, un soutien des premières heures ; le Service à la vie étudiante, et sa conseillère à la vie étudiante Lysianne Boucher, qui nous aident à assurer le côté logistique et organisationnel de l’événement ; l’École de travail social de l’UQÀM, notamment les membres de la direction Maria Nengeh Mensah (directrice de l’École à l’époque) et Myriam Dubé (directrice des cycles supérieurs), apportant l’aide financière et morale nécessaire ; la revue Nouvelles Pratiques Sociales, avec l’appui d’Audrey Gonin, sa codirectrice, et, finalement, la Chaire de Recherche du Canada sur les personnes de la diversité sexuelle et de genre et leurs trajectoires de consommation de substances psychoactives (Chaire TRADIS – Trajectoires, Diversité, Substances) et son titulaire Jorge Flores-Aranda, qui nous offrira un soutien sans faille. Avec ce dernier partenaire, une collaboration inédite se matérialise du fait que le comité organisateur souhaite mettre en place, car ses membres n’y avaient jamais eu accès auparavant, un balado[5] permettant d’outiller les candidatures potentielles, tant pour leur réponse à l’appel à contributions que dans la conception et l’exécution de communications scientifiques réussies. Cette initiative permet de faciliter l’accès à une manifestation scientifique, communautaire et artistique en faveur de personnes, notamment étudiantes ou intervenantes, n’ayant pas d’expérience de participation à ce genre d’événements particulièrement normés. La construction d’une communauté d’apprentissages s’en voit ici traduite par les faits.

Acquisition d’aptitudes en organisation d’événements scientifiques

La démarche a pour but, dès son origine, de s’inscrire à la fois au sein de l’École de travail social et de son université d’attachement que hors les murs de ces structures. En effet, étant pour la plupart intervenant.e.s de profession, les membres des comités organisateurs des deux premières éditions ont constaté la difficulté de bâtir des ponts entre le milieu universitaire et divers milieux d’intervention. Comme il était peu favorable à la collaboration, aux partages d’idées et à la mise en place de pratiques ancrées (tant pour les futur.e.s chercheur.e.s que pour les intervenant.e.s), ce cloisonnement des savoirs nous apparaît alors néfaste. C’est pourquoi la décision d’élargir l’appel à communications est prise afin d’inclure la possibilité, pour des organismes communautaires et leurs intervenant.e.s, ainsi que pour des artistes engagé.e.s, de participer à l’événement en tant que conférencier.ère.s. Celleux-ci répondent en grand nombre, autant pour présenter une communication que pour assister au colloque. C’est ce qui nous amène lors des deux premières années à inclure des présentations provenant d’organismes et de regroupements variés tels que le PIaMP, Cirque Hors Piste, Médecins du Monde – Montréal, CACTUS Montréal et le Centre l’Entre-Toit, pour n’en nommer que quelques-uns.

Implication universitaire ancrée

Guide 101 : Organiser un colloque Étudiant

Le colloque Engagemen(TS) est bien plus qu’une plateforme pour la diffusion de travaux de recherche étudiants ; c’est un espace de collaboration transdisciplinaire se réalisant entre les étudiant.e.s et avec divers milieux. Orchestrer un tel événement représente plus qu’un simple défi logistique ou académique : c’est une entreprise qui demande une vision stratégique, dont l’objectif n’est pas seulement de présenter des idées brillantes, mais aussi de construire un cadre participatif qui encourage l’échange, permet de construire des ponts entre les savoirs et stimule l’esprit critique. Suivant ce registre, un colloque étudiant réussi a le potentiel de faire beaucoup plus que de publier les actes d’une conférence. Il peut servir d’incubateur pour des collaborations de recherches et des pratiques innovantes, il peut s’ériger en tant que plateforme propulsant des partenariats durables entre les milieux universitaires, les acteurs du terrain, les artistes et la relève. Le défi est non seulement académique mais également social, éthique et même politique. Le chemin parcouru pour en arriver là en est un de questionnements, d’obstacles, de réflexions et de (très nombreuses) prises de position.

Pour orienter la réalisation du projet, l’établissement d’un objectif clair fournit un cadre de référence devenant, en quelque sorte, une sorte de boussole décisionnelle. Si cet objectif oriente d’abord le choix des ressources humaines et matérielles indispensables à la réalisation de l’événement, il permet également et surtout de poser des balises claires à nos aspirations, de répondre à des questions de base telles que : Quels sujets d’actualité ou problématique sociale nécessitent d’être mobilisés et discutés par des étudiant.e.s en travail social ? Comment souhaitons-nous atteindre cet objectif ? Dans cette question du « comment », l’enjeu de la posture du comité organisateur devient majeur, autant que celle du « pourquoi ».

Résistance, défense des droits et positionnement

En premier lieu, la justice sociale, la défense des droits et les principes de reconnaissance sont unilatéralement adoptés en tant que valeurs centrales du colloque. Ce positionnement axiologique se traduit dans la définition des axes d’intérêts et l’écriture de l’appel à participations. Notamment, au moment de la deuxième édition du colloque, nous mettons l’accent sur l’ensemble des violences avec lesquelles compose le travail social, y compris celles perpétrées par les travailleuses sociales elles-mêmes ainsi que par les institutions au sein desquelles elles évoluent.

Notre positionnement imprègne également le processus d’évaluation des propositions. En effet, nous avons été contraint.e.s d’ajuster le tir à mi-chemin lorsque nous avons constaté certaines incohérences dans notre méthode. Au départ, chaque proposition était évaluée de manière complètement anonyme par l’ensemble du comité. Cependant, nous avons rapidement pris conscience des limites de cette approche. Les propositions reçues provenant de tous les coins du monde et de tous les horizons, le processus d’évaluation devait être sensible au positionnement social des candidat.e.s afin d’être juste et inclusif. C’est donc en s’appuyant sur les valeurs centrales du colloque que nous en sommes venu.e.s à ajuster notre méthode et que cette dernière a, par ce même mouvement, précisé les implications opérationnelles de notre positionnement axiologique. Par le fait même, cette posture est réitérée par notre engagement à questionner nos biais et nos pratiques, et par notre capacité à reconnaître nos erreurs et à les ajuster dans la mesure du possible. Par ailleurs, une vision claire et bien articulée rend le colloque plus attractif pour les éventuels partenaires, conférencier.ère.s et participant.e.s. À partir de cet ancrage et de manière itérative, l’équipe peut alors élaborer une thématique pertinente qui sert d’axe autour duquel s’organise le colloque. Cette thématique doit être suffisamment engageante pour résonner avec les questions pressantes en travail social, et assez polyvalente pour encourager une conversation interdisciplinaire. Nous considérons qu’il est également de bon augure d’articuler la thématique en fonction des intérêts spécifiques des membres du comité organisateur, afin de favoriser l’intérêt et donc l’engagement de ces dernier.ère.s dans toutes les phases du projet.

Collectivisation et engagement communautaire

Une fois l’appel à participation transmis au grand public, vient finalement l’étape tant attendue de la sélection des conférencier.ère.s. Le comité scientifique d’évaluation des propositions des éditions 2022 et 2023 est formé d’une personne au premier cycle en travail social, d’étudiant.e.s des cycles supérieurs ainsi que d’un.e professeur.e de l’École de travail social de l’UQÀM. La composition de ce comité dépend des besoins ciblés par les membres du comité organisateur et est sujette à changement. En l’occurrence, les besoins d’inclusion et de formation de la relève (personnes du premier cycle) et d’accompagnement (chercheur.e expert.e) ont été mis de l’avant lors de ces éditions. Le désir de créer une rencontre dynamique, transdisciplinaire et ancrée ouvre les vannes pour toute communication jugée pertinente.

D’un même souffle, le comité organisateur invite quelques chercheur.e.s afin d’agir en tant que conférencier.ère.s ou modérateur.trice.s de session, toujours dans le but de générer un dialogue entre chercheur.e.s, personnel enseignant, personnes étudiantes et personnes concernées. Des intervenant.e.s et des gestionnaires sont également appelé.e.s à venir révéler leurs défis et réussites quotidiennes, tant pour informer le public des enjeux contemporains de l’intervention que pour élargir la discussion. Les témoignages de personnes vivant diverses réalités sociales et culturelles de plusieurs milieux et se situant à l’intersection de diverses identités et oppressions viennent renforcer cette conversation, en lui apportant une profondeur et une couleur régulièrement laissées pour compte lors de manifestations dites scientifiques. L’intégration de sections artistiques offre, en dernière note, une valeur ajoutée considérable ; que ce soit par des performances en direct, des ateliers ou des installations photographiques, ces éléments enrichissent le dialogue en introduisant des formes d’expression et de réflexivités alternatives. Les récits partagés par des personnes venant de milieux variés et embrassant une constellation d’identités offrent une pluralité de perspectives basées sur leurs savoirs d’expériences, apports souvent omis dans les contextes scientifiques traditionnels. Ces initiatives nous incitent à concevoir le social de manière affective, une dimension essentielle du travail social et complémentaire de l’approche scientifique.

Bien sûr, la logistique ne doit pas être négligée. Du choix du lieu aux dispositions pour la restauration et la technologie, l’humanité est souvent dans les détails. Parallèlement, le jour de l’événement, la coordination des différentes présentations nécessite un travail d’équipe solide et une communication efficace entre les membres du comité organisateur.

Pour terminer, la clôture du colloque n’est pas la fin du processus, mais plutôt le début d’une phase d’évaluation et de réflexion. Une évaluation post-événement est cruciale pour mesurer l’impact du colloque et identifier les occasions d’amélioration pour les futures éditions de l’événement afin d’en assurer la pérennité. Cela s’est notamment fait au travers de discussions informelles entre les membres du comité organisateur, des personnes ayant assisté au colloque ainsi qu’avec certain.e.s présentateur.trice.s. Les constats qui en ont émergé permettent de cibler des points de vigilance qui méritent l’attention du comité d’organisation pour le futur. Parmi ces derniers, l’importance de l’accessibilité en faveur de personnes qui n’auraient pas l’habitude de prendre part à des événements sous la forme de colloques semble primordiale. De ce fait, la constitution de panels, mêlant interventions communautaires, témoignages d’expérience et présentations scientifiques, semble être une piste particulièrement stimulante, bien que complexe à mettre en oeuvre. Parallèlement, il nous semble capital de préciser un enjeu : le temps et l’énergie que sollicite l’organisation d’un tel événement. La fatigue, le travail bénévole de l’ensemble du comité organisateur ainsi que les besoins grandissant en disponibilité à l’approche de l’événement peuvent constituer un frein à l’implication de certain.e.s dans le comité organisateur.

En somme, l’organisation d’un colloque étudiant en travail social est une tâche complexe mais très gratifiante. C’est un projet qui requiert une gestion précise, une vision claire et l’intégration de divers éléments comme la finance, la logistique et la rigueur, notamment scientifique. Plus qu’une simple rencontre, le colloque représente une occasion de favoriser des discussions interdisciplinaires et transdisciplinaires, et de créer un espace d’engagement(s). Nous espérons humblement que la réalisation d’un tel événement contribue à (re)dessiner le paysage du travail social, en offrant une plateforme à la fois pour l’apprentissage, la recherche et l’intervention sociale.

Conclusion

Le colloque étudiant en travail social Engagemen(TS) est une aventure toujours à ses balbutiements. Le succès des deux premières éditions souligne toutefois la validité de l’intuition première à l’origine de la fondation de cet événement, à savoir que l’organisation d’une manifestation scientifique, communautaire et artistique par et pour les étudiant.e.s en travail social est nécessaire et immanquablement pertinente. Les acquis évoqués dans ce texte, tant pour les personnes étudiantes impliquées que pour les personnes ayant participé à l’événement, soulignent la portée d’une telle implication. Pour l’avenir, nous souhaitons une longue postérité au colloque, mais également une plus grande reconnaissance de la part des autorités scientifiques et institutionnelles lui étant liées. Surtout, notre objectif principal est que le colloque demeure pertinent dans le paysage social duquel il est issu, et qu’il continue de faire honneur aux nombreuses personnes qui sont, de près ou de loin, touchées par le travail social.