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INTRODUCTION

L’impact de la pandémie sur la détresse psychologique et la consommation de substances

De nombreux gouvernements ont mis en place des mesures (distanciation physique entre les personnes et confinement à la maison) afin de maîtriser la pandémie de COVID-19. Au Québec, l’état d’urgence déclaré le 13 mars 2020 marque le début des premières restrictions sanitaires (Gouvernement du Québec, 2022). Rapidement, les conséquences de ces mesures sur la santé mentale de la population ont soulevé des inquiétudes (Pierce et al., 2020). L’isolement social, les difficultés financières causées notamment par la perte d’emploi, les bouleversements des routines familiales, professionnelles et scolaires, les tensions et violences intrafamiliales exacerbées ainsi que la peur de la contamination ont été évoqués comme éléments contributifs à l’augmentation de la détresse psychologique (Best et al., 2021 ; Zheng et al., 2021). Au Canada, comme dans plusieurs pays occidentaux, la prévalence de la détresse psychologique a augmenté considérablement durant la pandémie, notamment au cours de la première année, et en particulier les manifestations anxio-dépressives (Daly et al., 2021 ; Pongou et al., 2022).

Outre ces impacts sur la santé mentale, la pandémie a eu des effets sur la consommation de substances psychoactives (SPA), incluant l’alcool et les autres drogues : certaines personnes auraient consommé davantage pendant cette période (Roberts et al., 2021). L’augmentation de la consommation de SPA durant les premiers mois de la pandémie serait associée au fait de s’identifier au genre masculin, au statut de parent, à la perte de revenu et d’emploi, à l’ennui, à la solitude, au manque de soutien social ainsi qu’à la détresse psychologique, notamment sur le plan des sentiments d’anxiété, de dépression et de désespoir (Roberts et al., 2021). Chez les jeunes adultes, la pandémie a eu des effets différents selon leurs motifs de consommation. De façon générale, la consommation d’alcool ou de cannabis a diminué chez ceux qui consommaient pour socialiser, fêter, se conformer (p. ex. pour obtenir l’approbation des autres) ou pour le plaisir. Toutefois, elle a augmenté lorsqu’elle avait pour but de gérer l’état dépressif ou l’ennui (Bartel et al., 2020 ; Graupensperger et al., 2021). L’augmentation de la consommation constitue un enjeu préoccupant, car ce changement mettrait certaines personnes à risque de développer des méfaits associés, dont un trouble de l’usage de SPA.

Les services psychosociaux en ligne

Avant la pandémie, au Québec comme ailleurs, les services psychosociaux en santé mentale et en dépendance étaient majoritairement offerts en personne. Or, les mesures sanitaires ont entraîné un recours considérable à Internet pour la poursuite des activités quotidiennes (Gonzalez-Sicilia et al., 2020). Il était évoqué dès le début de la pandémie que les services psychosociaux connaîtraient également un virage numérique (Melamed et al., 2022). Cette transition aurait été accélérée pour respecter les mesures sanitaires et en raison de la fermeture, partielle ou complète, des services de réduction des méfaits et de réadaptation offerts en personne par les organismes communautaires ou le réseau public de la santé et des services sociaux (Canadian Centre on Substance Use and Addiction, 2020a).

Que ce soit en contexte de pandémie ou non, l’univers numérique des services psychosociaux englobe toutes les formes d’aide selon deux axes : le niveau d’intensité des services à offrir et le degré du besoin clinique de la personne. Cela inclut la recherche d’information autodirigée (besoin et intensité faibles), l’autoévaluation et le soutien à travers les forums, les applications et les outils de clavardage (besoin léger à modéré ; intensité faible), la coordination et la surveillance comme le suivi de l’évolution de la personne et les systèmes de navigation des soins (besoin modéré ; intensité élevée) et le traitement par le biais des interventions spécialisées individuelles ou en groupe (besoin et intensité élevés) (Ratchford et al., 2018). Uniquement au Québec, on retrouve actuellement des sites Web d’information et de référence comme « Drogues : Aide et référence » ou « Trouvetoncentre.com », des applications de dépistage et d’intervention brève comme « MonBuzz.ca », des applications mobiles et des forums de discussion tels que « Canna-Coach.ca », des groupes de soutien en visioconférence, de la téléconsultation et du suivi avec une personne intervenante, etc. (Drogue : aide et référence, 2021 ; Drogue : aide et référence et Association québécoise des centres d’intervention en dépendance, 2024 ; Flores-Aranda et al., 2019 ; Goyette et al., 2022; Hoffmann et Dudkiewicz, 2021 ; Mark et al., 2022; Senreich et al., 2022).

Ainsi, les services psychosociaux en ligne existaient déjà avant la pandémie, mais leur utilisation a augmenté de façon exponentielle dans l’ensemble des domaines médicaux en raison de la crise sanitaire, incluant les téléconsultations en psychiatrie et la prescription des traitements par agonistes opioïdes (Johansson et al., 2024 ; Nittari et al., 2022 ; Satre et al., 2021). Au-delà du contexte de pandémie, les services psychosociaux en ligne qui impliquent des interactions humaines (p. ex. groupes de soutien, téléconsultation, etc.) présenteraient des avantages significatifs variant selon les populations ciblées et les contextes d’utilisation. Ainsi, avant et pendant la pandémie, les groupes en ligne pour les personnes qui consomment des SPA se sont révélés efficaces pour atteindre des objectifs en lien avec la réduction ou l’arrêt de la consommation, la motivation et le sentiment d’auto-efficacité (Bergman et al., 2017; Schwebel et Orban, 2023). Toutefois, il existerait diverses barrières à leur utilisation : la faible motivation à recevoir de l’aide, la fatigue oculaire numérique, l’anxiété de parler au téléphone et le manque d’accès à la technologie ou à un endroit privé pour préserver la confidentialité (Chaiton et al., 2023). Aux États-Unis, des barrières plus spécifiques au traitement en ligne ont été notées pour les personnes utilisatrices de drogues injectables en raison d’une perte d’accès à la technologie lors d’hospitalisation ou d’incarcération (Paquette et al., 2024).

Le modèle de l’utilisation des services sociosanitaires d’Andersen

Avant de se poser des questions sur l’adhésion et l’efficacité d’un service psychosocial ou médical, il est essentiel de se demander s’il sera utilisé ou non. Le modèle du « Behavioral Model of Health Services Use » d’Andersen (1995) a été conçu pour décrire les facteurs qui influencent l’accès et l’utilisation des services de santé (Figure 1). Il implique trois principales composantes. Premièrement, les facteurs prédisposants sont essentiellement des caractéristiques sociodémographiques[1] propres à la personne : âge, genre, statut social, perceptions associées à la santé et aux services associés, etc. Deuxièmement, les facteurs facilitants regroupent les éléments contextuels qui influencent l’initiation, l’accessibilité et l’acceptabilité d’une demande d’aide : lieu de résidence, présence de soutien social, ressources financières, expériences antérieures des services, etc. Troisièmement, les facteurs de besoin sont les problèmes cliniques pour lesquels les personnes consultent en premier lieu : détresse psychologique, consommation, etc. Ces besoins peuvent être perçus par la personne concernée ou déterminés par une évaluation clinique.

Figure 1

Schéma adapté du modèle d’Andersen sur l’utilisation des services psychosociaux et de santé

Schéma adapté du modèle d’Andersen sur l’utilisation des services psychosociaux et de santé

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Le modèle d’Andersen est l’un des plus utilisés dans la recherche en santé publique pour identifier les obstacles et facilitateurs de l’accès aux soins les plus facilement modifiables par les milieux de l’intervention et de la gestion des systèmes sociosanitaires, dans le but de concevoir des interventions visant à améliorer l’équité en matière de santé (Alkhawaldeh et al., 2023 ; Lederle et al., 2021). En effet, il permet de considérer autant les caractéristiques sociodémographiques et psychologiques liées à la personne que les éléments liés au contexte, à l’environnement et aux structures institutionnelles. Il peut s’adapter aux différentes questions de recherche liées à l’utilisation des services sociosanitaires, tout en offrant un cadre analytique holistique. Ce modèle permet donc de mieux comprendre l’utilisation des services psychosociaux en ligne par les personnes qui ont consommé des SPA au Québec avant et pendant la pandémie de COVID-19.

Les facteurs associés à l’utilisation des services psychosociaux ou de santé en ligne

Parmi les facteurs prédisposants recensés dans l’utilisation des services psychosociaux ou de santé en ligne, l’âge (être plus jeune), le niveau d’éducation postuniversitaire (qui est un indicateur du statut social), la littératie en santé et le désir de s’impliquer dans ses soins (qui sont des indicateurs des croyances et attitudes associées à la santé) seraient associés à un taux d’engagement plus élevé dans l’utilisation des applications mobiles au-delà du contexte de pandémie (Borghouts et al., 2021 ; Meyerowitz-Katz et al., 2020 ; Milne-Ives et al., 2020). Être une femme serait également un facteur prédisposant, car elles seraient plus enclines que les hommes à chercher des informations liées à la santé sur Internet (Bidmon et Terlutter, 2015 ; Borghouts et al., 2021).

Quelques facteurs facilitants ont été identifiés antérieurement. Une étude étatsunienne rapporte des gains d’utilisation des services en ligne plus importants durant la pandémie de COVID-19 pour les personnes en milieu urbain que pour celles en milieu rural (Miller-Matero et al., 2024). L’accès à une connexion Internet adéquate et le désir de soutien social, eux aussi des facteurs facilitants, ont été nommés comme pistes explicatives de ce résultat. Autrement, une étude ontarienne réalisée durant la première vague de COVID-19 rapporte que l’utilisation des services en ligne pour des raisons de santé mentale ou de consommation durant la pandémie est favorisée si la personne a déjà utilisé ces mêmes services avant la pandémie (Hawke et al., 2021). Une expérience antérieure positive avec la technologie et les services de santé mentale facilite l’intention et l’adhésion future à ce type de service (Borghouts et al., 2021).

En termes de facteurs de besoin, une mauvaise santé perçue serait associée à l’utilisation des applications mobiles (Meyerowitz-Katz et al. 2020 ; Milne-Ives et al., 2020). Des données recueillies entre avril 2021 et août 2022 indiquent que les personnes déclarant avoir une santé mentale pauvre à moyenne sont plus enclines à consulter en ligne que celles qui disent avoir une bonne ou une excellente santé mentale (Statistique Canada, 2023). Selon la même enquête, les personnes qui ont le plus consulté en ligne (tous services confondus) sont celles qui autodéclaraient avoir une incapacité ou des problèmes de santé chroniques (Statistique Canada, 2023). Ainsi, la perception d’avoir des besoins de santé serait associée au recours à des services psychosociaux ou médicaux en ligne, sans qu’il y ait une évaluation professionnelle de ces besoins. En revanche, la présence de symptômes liés à la dépression, l’humeur ou la fatigue devient également une barrière pour utiliser des services de santé mentale en ligne, car ils entravent la démarche de demande d’aide (Borghouts et al., 2021).

Pertinence et objectifs de l’étude

Les données issues d’études internationales ou canadiennes ne s’appliquent pas forcément au contexte québécois. Il s’avère alors pertinent d’avoir un portrait québécois de l’utilisation des services psychosociaux en ligne. Ces connaissances serviront aux gestionnaires et aux personnes intervenantes à développer de nouveaux services ou de nouvelles modalités d’intervention qui répondent aux besoins des personnes en demande d’aide. Cette étude vise à 1) décrire l’utilisation des services psychosociaux en ligne depuis le début de la pandémie parmi des adultes au Québec qui consomment des SPA et 2) identifier, selon le modèle d’Andersen, les facteurs associés à l’utilisation de ces services.

MÉthodologie

Échantillon

Du 27 octobre 2020 au 27 juin 2021, période qui couvre approximativement les 2e et 3e vagues[2] de la pandémie de COVID-19 au Québec (Institut national de santé publique du Québec, 2022), des annonces ciblées diffusées sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram et Twitter) ont permis de recruter l’échantillon. Les critères d’inclusion étaient : 1) avoir 18 ans et plus ; 2) vivre au Québec et 3) avoir consommé des SPA dans les 30 jours précédant le décret de l’état d’urgence au Québec (13 mars 2020). Il n’y avait aucun critère d’exclusion supplémentaire. En cliquant sur l’annonce, la personne était dirigée vers un questionnaire en ligne où l’étude et le formulaire de consentement étaient présentés. Une compensation financière (10 $) était remise lorsque l’intégralité du sondage était remplie. Le projet de recherche a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche en dépendances, inégalités sociales et santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (DIS-2021-08).

Modèle d’analyse de l’utilisation des services psychosociaux en ligne

La figure 2 présente comment les variables utilisées dans les analyses ont été conceptualisées et classées en fonction du modèle d’Andersen (1995).

Figure 2

Variables utilisées dans les analyses et classées selon le modèle d’Andersen

Variables utilisées dans les analyses et classées selon le modèle d’Andersen

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L’utilisation des services psychosociaux en ligne

Les motifs d’utilisation des services psychosociaux en ligne retenus pour la présente étude sont dérivés de ceux utilisés dans l’Enquête de santé des collectivités canadiennes de 2012, volet santé mentale (Gouvernement du Canada, 2007) : « Avez-vous utilisé Internet pour obtenir de l’aide en lien avec vos difficultés : 1) psychologiques (santé mentale), 2) liées à vos émotions et 3) liées à votre consommation d’alcool ou de drogue ? » Les objectifs de l’utilisation étaient ensuite demandés : 1) trouver des trucs, des outils ou de l’information ; 2) connaître les ressources à contacter ; 3) discuter avec d’autres personnes (forums de discussion, groupes de soutien, réseaux sociaux en ligne) ; 4) recevoir du soutien professionnel offert par les centres communautaires, les centres de réadaptation en dépendance, etc. Deux indicateurs dichotomiques ont été créés dans le cas d’une réponse positive à au moins une de ces questions pour couvrir approximativement les trois premières vagues de la pandémie : 1) la période allant de la naissance de la personne jusqu’au 12 mars 2020 et 2) du 13 mars 2020 jusqu’au 27 juin 2021. Les motifs et les formes de services psychosociaux en ligne ont été fusionnés en raison de leur degré élevé de chevauchement sur les plans conceptuel et statistique. Conséquemment, il a été jugé plus approprié de présenter un modèle global afin d’éviter la présentation d’un nombre important de variantes d’une même analyse.

Facteurs prédisposants

Quatre groupes d’âge ont été formés à partir de la documentation scientifique entourant différentes phases développementales de l’âge adulte : 18-29 ans (adultes en émergence), 30-49 ans (adultes dans la force de l’âge), 50-64 ans (adultes d’âge moyen) et 65 ans ou plus (adultes âgés) (Arnett, 2014 ; Elder et al., 2003 ; Levinson, 1978 ; Organisation for Economic Co-operation and Development, 2015). Pour leur part, les réponses fournies pour l’identité de genre ont été catégorisées ainsi : femme, homme et autre genre (bispiritualité, non-binaire, genre fluide, etc.).

Facteurs facilitants

La perception du soutien social a été examinée grâce à une version abrégée de l’Échelle des provisions sociales (Caron, 2013). Cet outil est constitué de cinq sous-échelles : l’attachement, l’intégration sociale, la confirmation de sa valeur, l’aide matérielle et l’orientation. Un score total a été établi en utilisant la somme des 10 items du questionnaire allant de 10 à 40. Conformément au seuil utilisé dans les enquêtes populationnelles canadiennes, un score de 30 et plus était considéré comme un soutien social élevé (Orpana et al., 2019).

Le code postal a permis de situer le lieu de résidence. Un zéro à la deuxième position du code a été interprété comme un territoire rural ; les autres codes représentaient des milieux urbains ou semi-urbains (Statistique Canada, 2011).

La précarité financière a été déterminée par la question dichotomique : « Depuis le début des mesures sanitaires, avez-vous rencontré des difficultés à payer vos dépenses de base (p. ex. nourriture, logement, etc.) ? »

La composition du ménage de la personne a été dichotomisée : vivre seule versus vivre avec d’autres personnes (colocation, famille, partenaires, milieu institutionnel, etc.).

Facteurs de besoin

Les besoins cliniques sont autorapportés par les personnes participantes à partir de questionnaires standardisés. Ils n’ont pas été exprimés par des personnes cliniciennes.

Les items liés à la consommation de SPA et au besoin d’intervention appropriée proviennent de l’Alcohol, Smoking and Substance Involvement Screening Test (ASSIST ; Humeniuk et al., 2008). Ce questionnaire aide à l’identification précoce des risques pour la santé et des troubles liés à la consommation de SPA. Il a permis de séparer l’échantillon en trois catégories : 1) aucune intervention requise, 2) besoin d’une intervention précoce ou brève et 3) besoin d’une intervention spécialisée.

La détresse psychologique a été mesurée à partir de la version abrégée de l’Index de détresse psychologique de l’Enquête Santé Québec (Boyer et al., 1993). Ce questionnaire (14 items) s’intéresse à la fréquence autorapportée de comportements ou de symptômes anxieux, dépressifs, cognitifs et de colère dans la dernière semaine. Le score total (14-56) représente la somme des items et le seuil de détresse élevé a été établi au 80e percentile de notre échantillon (score=37) tel qu’utilisé dans le cadre d’études populationnelles (Boyer et al., 1993).

Les motifs de consommation ont été évalués à partir du Substance Use Motive Measure (SUMM) (Biolcati et Passini, 2019), un questionnaire de 32 items qui s’appuie sur le modèle à quatre dimensions de Cooper (1994). Il utilise une échelle de type Likert en 5 points (1=Jamais ou presque jamais à 5=Toujours ou presque toujours) pour déterminer la fréquence à laquelle un motif donné explique la présence d’un épisode de consommation. Les huit grands motifs de consommation ciblés par le SUMM sont : 1) amplification du plaisir, 2) socialisation, 3) conformité (p. ex. l’acceptation des autres), 4) gestion de l’anxiété, 5) gestion de la dépression, 6) gestion de l’ennui, 7) expansion de la conscience et 8) amélioration des performances cognitives et physiques. La moyenne est calculée pour chacune des huit catégories de motifs. Le SUMM permet plus de précision que le modèle de Cooper concernant le type d’émotions sous-tendant la consommation, car il subdivise la « Gestion des émotions » initiale de Cooper en trois catégories. L’amplification du plaisir, l’expansion de la conscience et l’amélioration de la performance constituent également des sous-catégories plus raffinées du motif initial d’amplification de Cooper. Ces révisions du modèle permettent de tenir compte des motivations spécifiques associées à la consommation de SPA autres que l’alcool. Par exemple, le motif d’expansion de la conscience capte davantage l’expérience liée aux psychédéliques que la simple augmentation de plaisir (Biolcati et Passini, 2019).

L’augmentation ou la diminution de la consommation a été établie en comparant la fréquence autorapportée de consommation six mois avant la pandémie à celle depuis la pandémie. Pour les deux périodes, les personnes participantes indiquaient la fréquence de consommation de chaque SPA : aucune fois, moins d’une fois par mois, 1-3 fois par mois, 1-3 fois par semaine, tous les jours ou presque. Une variable dichotomique a été créée pour identifier une augmentation pour au moins une SPA depuis la pandémie.

Analyses

Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel SPSS (version 28.0.1.1). Avant de procéder aux analyses, les données ont été vérifiées afin de retirer les fausses participations, définies par un temps irréaliste pour remplir le questionnaire (<2 secondes/item) ou la présence de réponses incohérentes. Les analyses ont été effectuées sur un échantillon de 1159 individus. Il n’y avait aucune donnée manquante : tous les items d’un questionnaire devaient avoir obtenu une réponse préalablement à sa soumission.

Pour répondre au premier objectif de l’étude, des tests de chi-carré ont été réalisés pour les variables catégorielles et des tests t de Student ont été menés pour les variables continues (types et motifs d’utilisation ou de non-utilisation des services psychosociaux en ligne).

Pour répondre au deuxième objectif, une régression multivariable logistique a été réalisée après la vérification des postulats (Tabachnick et Fidell, 2013), afin de déterminer les facteurs associés à l’utilisation ou non des services psychosociaux en ligne selon le modèle d’Andersen (1995). Des rapports de cotes (RC) et leurs intervalles de confiance à 95 % ont été calculés pour chaque variable introduite dans le modèle. Un RC supérieur à 1 indique une probabilité plus élevée d’avoir utilisé les services en ligne depuis la pandémie, alors qu’un RC inférieur à 1 indique une probabilité plus faible. Le seuil de signification est fixé à 0,05.

RÉsultats

Description de l’échantillon (tableau 1)

Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon. Lors des trois premières vagues de la pandémie, 92,7 % des personnes ont consommé de l’alcool, 44,0 % du cannabis, 11,2 % des calmants ou des somnifères, 7,7 % des stimulants de type amphétamine, 6,9 % de la cocaïne, 6,4 % des hallucinogènes, 4,1 % des opioïdes et 0,2 % des solvants dans les trois derniers mois.

Tableau 1

Résultats descriptifs et comparatifs des facteurs associés à l’utilisation des services en ligne au cours des trois premières vagues de la pandémie (n=1159)

Résultats descriptifs et comparatifs des facteurs associés à l’utilisation des services en ligne au cours des trois premières vagues de la pandémie (n=1159)

Tableau 1 (suite)

Résultats descriptifs et comparatifs des facteurs associés à l’utilisation des services en ligne au cours des trois premières vagues de la pandémie (n=1159)

*p < 0,05; **p < 0,01; ***p < 0,001

Pour les comparaisons bivariées des variables catégorielles (test du chi–carré), un résidu standardisé supérieur à 2 ou inférieur à −2 est statistiquement significatif (p < 0,05) et indiqué par un dièse (#) lorsque les proportions sont plus élevées que prévu et avec un double obèle (‡) lorsque les proportions sont plus faibles que prévu.

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Description de l’utilisation des services psychosociaux pour obtenir de l’aide et motifs associés

Avant le 13 mars 2020, 30,4 % de l’échantillon avait utilisé Internet pour obtenir de l’aide psychosociale. Cette proportion a augmenté à 38,2 % une fois les mesures sanitaires mises en place. La proportion de personnes ayant utilisé des services psychosociaux en ligne pour des difficultés liées aux émotions est passée de 23,6 % avant le 13 mars 2020 à 31,0 % du 13 mars 2020 au 27 juin 2021, celle pour des difficultés liées à la santé mentale est passée de 24,8 % à 31,9 % et celle pour des problèmes liés à la consommation de SPA de 6,5 % à 8,9 %.

Avant le début des mesures sanitaires, 12,4 % recevaient déjà de l’aide de la part d’une personne intervenante, toutes modalités confondues. De ceux-ci, 34,7 % ont arrêté leurs rencontres avec l’arrivée de la crise sanitaire, 8,3 % les ont poursuivies en présentiel seulement, 43,8 % en ligne seulement et 13,2 % ont poursuivi leurs rencontres en mode hybride. Depuis les trois premières vagues de COVID-19 et pour toute problématique confondue, 82,8 % des personnes ayant utilisé Internet en lien avec leur bien-être l’ont fait pour trouver des stratégies, des outils ou des informations pour s’aider, 59,1 % ont cherché des ressources à contacter, 35,9 % pour discuter avec d’autres personnes (forums de discussion, groupes de soutien, réseaux sociaux en ligne) et 29,6 % ont obtenu un soutien professionnel en ligne. De plus, 80,5 % des personnes qui ont utilisé Internet du 13 mars 2020 au 27 juin 2021 pour des difficultés liées aux émotions, 83,0 % pour des problèmes liés à la santé mentale et 72,8 % pour des problèmes liés à la consommation de SPA désirent poursuivre un suivi en ligne au-delà de la crise sanitaire.

Près des deux tiers (61,9 %) de l’échantillon n’ont pas utilisé Internet pour des problèmes reliés aux émotions, à la santé mentale ou à la consommation de SPA du 13 mars 2020 au 27 juin 2021. Parmi ces personnes, 72,8 % ne percevaient pas de besoin d’aide. Autrement, les motifs invoqués pour ne pas requérir de l’aide en ligne sont le besoin d’un contact physique humain (13,7 %), le fait de ne pas avoir pensé à demander de l’aide (8,9 %), la présence préexistante d’une personne intervenante (7,0 %), l’absence d’espace adéquat pour préserver la confidentialité (2,0 %) et le manque de matériel informatique requis (0,6 %).

Facteurs du modèle d’Andersen qui expliquent l’utilisation des services psychosociaux en ligne du 13 mars 2020 au 27 juin 2021 (tableau 2)

Concernant les facteurs prédisposants introduits dans le modèle, avoir 65 ans et plus (RC = 0,22 ; p = 0,032) et s’identifier comme homme (RC = 0,48 ; p < 0,001) diminuent significativement les probabilités d’avoir utilisé les services psychosociaux en ligne lors des trois premières vagues. Parmi les facteurs facilitants introduits dans le modèle, seule l’utilisation des services psychosociaux en ligne antérieure à la pandémie (RC = 39,69 ; p < 0,001) prédit significativement la probabilité d’utiliser ces services lors des trois premières vagues.

Tableau 2

Utilisation des services en ligne au cours des trois premières vagues de la pandémie — régression logistique multivariée (n=1159)

Utilisation des services en ligne au cours des trois premières vagues de la pandémie — régression logistique multivariée (n=1159)

*p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001

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Trois facteurs de besoin sont significativement associés à une probabilité plus élevée d’utiliser les services psychosociaux en ligne du 13 mars 2020 au 27 juin 2021. D’abord, un niveau de détresse élevé était associé à l’utilisation des services psychosociaux en ligne depuis la pandémie (RC=1,95 ; p=0,003). La consommation pour gérer son anxiété (RC=1,51 ; p=0,008) et l’augmentation de sa fréquence de consommation durant la pandémie (RC=1,74 ; p=0,003) expliqueraient également l’utilisation des services psychosociaux en ligne. Soulignons que, du 13 mars 2020 au 27 juin 2021, 42,9 % des personnes participantes ont augmenté leur fréquence de consommation d’au moins une SPA. Le besoin d’intervention déterminé selon les réponses à l’ASSIST n’était pas associé à l’utilisation des services psychosociaux en ligne depuis la pandémie. Le modèle final explique 59,9 % de la variance selon le R2 de Nagelkerke.

Discussion

La présente étude visait à documenter l’utilisation des services psychosociaux en ligne pour des difficultés reliées à la détresse psychologique et à la consommation pendant la pandémie au Québec par des personnes utilisatrices de SPA, ainsi qu’à identifier les facteurs associés au recours à ces services selon le modèle d’Andersen. Il semblait crucial de s’intéresser à ces enjeux dans un contexte où la détresse psychologique et la consommation étaient devenues des problèmes encore plus criants durant cette crise planétaire (Boschuetz et al., 2020 ; Pongou et al., 2022).

Description de la transition vers l’utilisation des services psychosociaux en ligne depuis la pandémie

Cette étude a permis d’estimer que le tiers de l’échantillon de personnes utilisatrices de SPA a eu recours à des services psychosociaux en ligne en lien avec sa santé psychologique ou sa consommation de SPA au cours de sa vie adulte, soulignant ainsi que ces personnes perçoivent la pertinence et l’utilité de ces ressources, particulièrement celles qui présentent de l’information ou qui offrent des conseils et des stratégies de gestion de soi. La prépondérance de la recherche d’information, comparativement aux interventions numériques avec d’autres personnes, suggère que les services psychosociaux en ligne répondraient d’abord à un besoin plus général de s’informer des enjeux liés à la santé mentale et à la consommation de SPA. Cela pourrait s’expliquer par la facilité d’accès, la grande disponibilité et la faible intensité de ce type de service en ligne disponible à n’importe quel moment sans devoir se coordonner et interagir avec d’autres personnes. En termes de sensibilisation et de prévention, cette modalité permettrait de diffuser davantage les connaissances et s’avérerait complémentaire aux interventions réalisées par un corps professionnel, que ce soit en présence ou en ligne. 

De plus, l’absence d’utilisation de services psychosociaux en ligne durant les trois premières vagues de la pandémie par la majorité des personnes participantes s’expliquerait par l’absence de perception d’un besoin d’aide. Ce constat rappelle que consommer n’est pas toujours synonyme de difficultés. Une très faible proportion de notre échantillon percevant un besoin d’aide, mais n’ayant pas eu recours à des services psychosociaux, a mentionné les contraintes liées à la technologie ou à un espace assurant la confidentialité comme étant une barrière à l’utilisation des services en ligne. Des enjeux semblables sont souvent soulevés dans la documentation scientifique, notamment les difficultés à utiliser la technologie, la méfiance à l’égard des données recueillies en ligne et les problèmes de connexion Internet (Hawke et al., 2021 ; Strudwick et al., 2021). C’est toutefois le besoin d’une présence physique déjà existante ou souhaitée avec une personne intervenante qui est invoqué comme motif par les personnes qui ont choisi de ne pas recourir aux services psychosociaux en ligne. À titre de rappel, selon les personnes sondées, les interventions personnalisées en ligne constituent le type de services psychosociaux ayant le plus bas taux d’utilisation. Ces résultats suggèrent qu’au Québec, les interventions psychosociales numériques comportant des interactions avec des intervenants demeurent limitées.

Facteurs du modèle d’Andersen qui expliquent l’utilisation des services psychosociaux durant la pandémie

L’analyse faite selon le modèle d’Andersen (1995) a permis d’identifier des facteurs associés au recours à des services psychosociaux en ligne. Ainsi, bien que le rôle des facteurs de besoins sur l’utilisation des services psychosociaux en ligne soit bien documenté (Canadian Centre on Substance Use and Addiction, 2020b ; Salari et al., 2020), notre étude permet de mettre en relief la contribution indépendante des facteurs prédisposants et facilitants.

Tout d’abord, en ce qui concerne les facteurs prédisposants, s’identifier au genre masculin a été associé à une probabilité plus faible d’utiliser des services psychosociaux en ligne durant les trois premières vagues de COVID-19. Au cours de la première année de la pandémie aux États-Unis, la prévalence de détresse psychologique était nettement plus élevée chez les femmes que chez les hommes, en particulier les symptômes anxio-dépressifs (Zhang et al., 2021). Soulignons que la pandémie aurait creusé davantage les iniquités entre hommes et femmes sur les plans professionnels et familiaux, sans compter les risques accrus des complications de la COVID-19 pour les femmes enceintes ou qui allaitent (Thibaut et van Wijngaarden-Cremers, 2020). Ainsi, des besoins cliniques plus importants couplés à une propension plus grande des femmes à demander de l’aide expliqueraient leur plus grande utilisation des services en ligne (Sagar-Ouriaghli et al., 2019). Selon une étude de Thompson et al. (2021), les hommes qui ont déclaré vivre plus de stress, de solitude et de désespoir durant la pandémie avaient tendance à boire davantage, alors que ce constat n’était pas observé chez les femmes qui vivaient de la détresse. Une explication possible pourrait résider dans l’utilisation d’une consommation accrue d’alcool des hommes dans le but de gérer leurs émotions plutôt que par une recherche d’aide en ligne ou en présence. Autrement, bien que les hommes tendent légèrement à manifester des attitudes plus favorables que les femmes envers les nouvelles technologies (Cai et al., 2017), cela ne semble pas tant se traduire dans l’utilisation des services psychosociaux en ligne dans notre échantillon.

Être jeune adulte est un autre facteur prédisposant à l’utilisation de services psychosociaux en ligne particulièrement intéressant, car il va à l’encontre de ce qu’on voit habituellement. En effet, les adultes plus âgés sont généralement plus nombreux que les personnes plus jeunes à fréquenter les services psychosociaux en présence pour des raisons liées à des troubles liés aux SPA ou à des troubles mentaux (Huỳnh et al., 2018 ; 2021). Ainsi, il est possible que l’aisance avec l’univers numérique soit davantage marquée auprès des jeunes ayant grandi dans celui-ci (Charness et Boot, 2009). Aussi, selon des jeunes de l’Ontario âgés de 15 à 28 ans, l’utilisation des services en ligne comporte des avantages liés au confort, à la commodité et à l’accessibilité de ces services (aucun déplacement, rencontre plus facile à intégrer dans l’agenda, etc.), tout en maintenant le sentiment de sécurité par rapport au risque de contamination (Hawke et al., 2021). En revanche, ce ne sont pas tous les jeunes adultes qui sont portés à recourir à des services en ligne, car la présence humaine en personne demeure essentielle pour plusieurs. Par exemple, en contexte de pandémie, des jeunes de 15 à 28 ans indiquent que les services en ligne sont vécus comme moins personnels et personnalisés, ce qui serait à l’origine d’une impression de non-authenticité, amplifiant le sentiment de solitude et rendant plus difficile l’établissement d’une alliance de travail (Hawke et al., 2021).

Notre étude a permis d’identifier un seul facteur facilitant l’utilisation de services psychosociaux en ligne. En effet, seule la présence de consultation des services psychosociaux en ligne avant la pandémie prédit le recours à ces mêmes types de services pendant les trois premières vagues de COVID-19. L’étude de Hawke et al. (2021) réalisée durant la première vague auprès de jeunes en Ontario de 15 à 28 ans rapporte une observation similaire : les jeunes ayant utilisé les services en ligne pour un problème concernant leur santé mentale ou leur consommation de SPA avant la pandémie étaient plus enclins que ceux qui ne l’avaient jamais fait à consulter en ligne durant la pandémie. L’augmentation du recours aux services en ligne de 30 % avant la pandémie à 38 % durant les trois premières vagues s’expliquerait autant par une hausse des besoins cliniques ressentis que par une bonification de l’offre de services psychosociaux en ligne. Malheureusement, nos données ne renseignent pas sur les besoins psychosociaux avant la pandémie ni sur l’évolution des services en ligne durant les premières vagues.

Finalement, les facteurs de besoin pouvant expliquer l’utilisation des services (le rôle de la détresse psychologique, de la consommation pour gérer l’anxiété et l’augmentation de la consommation durant la pandémie) ont déjà été bien documentés (Canadian Centre on Substance Use and Addiction, 2020b ; Salari et al., 2020). Néanmoins, les trois facteurs de besoin identifiés constituent des problèmes importants qui ont été associés à une recherche d’aide en ligne, malgré la fermeture de plusieurs services psychosociaux en présence. Cela souligne aussi l’importance pour les services psychosociaux en ligne d’aborder ces trois enjeux plus spécifiquement, que ce soit à travers l’information présentée sur les sites et les applications ou par la sensibilisation des personnes intervenantes afin qu’elles abordent plus systématiquement ces difficultés.

Forces et limites

Cette étude a permis de sonder un grand nombre de personnes consommatrices de SPA et d’apporter de nouvelles connaissances et réflexions sur les perspectives de l’utilisation des services psychosociaux en ligne adaptés au contexte québécois. En revanche, certains aspects méthodologiques viennent nuancer l’interprétation des résultats. Premièrement, l’information recueillie étant autorapportée par les personnes participantes, elle est sujette à des biais de désirabilité sociale, surtout en ce qui concerne des comportements pouvant faire l’objet de stigma (consommation de SPA, demande d’aide, problèmes liés à la santé mentale, etc.) ainsi qu’à des biais de mémoire. Toutefois, avoir rempli un questionnaire anonyme et confidentiel par le biais d’Internet devrait avoir contribué à réduire les appréhensions liées au dévoilement de certaines informations personnelles. De plus, les événements marquant et chamboulant le rythme d’une vie, comme le début d’une pandémie, constituent un bon repère mnésique pour aider à mieux situer temporellement les informations. 

Deuxièmement, le devis de cette étude est transversal, bien que certaines données puissent suggérer une interprétation longitudinale en captant deux périodes : avant la pandémie et durant les trois premières vagues. En effet, les résultats ne portent pas sur les trajectoires des personnes à travers le temps, mais présentent des comparaisons de proportions entre deux périodes temporelles, sans égard au changement ou non de statut ou de caractéristique des personnes à travers le temps. Ainsi, aucun lien de causalité ne doit être inféré entre les facteurs identifiés et l’utilisation des services psychosociaux en ligne depuis la pandémie.

Troisièmement, les personnes ayant été recrutées en ligne par le biais des réseaux sociaux, les analyses ont été effectuées à partir d’un échantillon de convenance, soit des individus qui possèdent les ressources pour accéder au sondage et qui détiennent un compte sur les plateformes utilisées pour le recrutement (Facebook, Twitter, Instagram). Il est donc possible de croire que les personnes ayant répondu au questionnaire en ligne seraient plus enclines à utiliser des services psychosociaux en ligne, car plus familières avec les technologies. De plus, la collecte de données pourrait avoir été plus limitée auprès des personnes institutionnalisées, à très faible revenu, présentant des degrés d’analphabétisme ou en situation de précarité résidentielle qui n’ont possiblement pas les moyens (matériel, espace fermé et privé, temps) pour répondre à un questionnaire de 45 minutes. Le choix des réseaux sociaux pour le recrutement pourrait aussi avoir eu une influence sur le type de personnes participantes et intéressées, surtout avec l’émergence de réseaux de niche qui ciblent davantage certains groupes d’âge ou centres d’intérêt ou activités. Néanmoins, encore en 2022, Facebook demeure le réseau le plus populaire au Canada avec environ 80 % de la population adulte qui posséderait un compte (Mai et Gruzd, 2022).

Quatrièmement, la variable concernant l’augmentation/diminution de la consommation de SPA dérive d’une fusion de réponses afin de pouvoir exploiter l’ensemble des données de l’échantillon. Ainsi, pour des raisons d’analyses statistiques, l’utilisation d’une variable augmentation/diminution par SPA n’a pas été retenue, car les personnes participantes n’ont pas toutes consommé l’ensemble des SPA étudiées. Ainsi, si les analyses avaient été menées par SPA, les personnes non consommatrices auraient été exclues de l’analyse de régression, avec comme conséquence une réduction importante de la taille de l’échantillon et une grande variabilité du nombre de participants selon la SPA. De plus, il est difficile d’établir une échelle du degré d’intensité (p. ex. un peu ou de beaucoup) de l’augmentation/diminution de la fréquence de consommation, considérant que les choix de réponses ne se convertissent pas en unités équivalentes.

Cinquièmement, fusionner tous les services psychosociaux en ligne ne permet pas d’identifier des facteurs qui seraient potentiellement distincts pour chacun des types de services en ligne. Or, il existe un chevauchement important concernant les motifs et les types de services utilisés. Comme ce ne sont pas des concepts mutuellement exclusifs, les utiliser de manière individuelle aurait amené la présentation de plusieurs dizaines de modèles de régression pour tenir compte de toutes les formes possibles de combinaisons motifs/types de service en ligne. Un modèle général permet de mieux faire ressortir les éléments importants à considérer.

Finalement, les données permettent de dresser un portrait quantitatif du recours à des services psychosociaux en ligne parmi les personnes utilisatrices de SPA, mais les raisons qui sous-tendent certaines réponses sont superficiellement captées par le questionnaire. Notamment, la non-utilisation des services psychosociaux en ligne pourrait aussi s’expliquer par la satisfaction de certaines personnes envers les soins reçus en présence et donc l’absence d’un besoin d’utiliser des services en ligne. Il est également possible que certaines personnes aient pu tenter d’accéder aux services psychosociaux en ligne sans y parvenir. Un devis qualitatif permettrait de mieux contextualiser les résultats obtenus et d’enrichir notre compréhension de la situation.

Conclusion

Cette étude a mis en relief que plus du tiers de personnes utilisatrices de SPA a eu recours à des services psychosociaux en ligne afin de gérer les difficultés liées à une détresse psychologique ou à la consommation de SPA au cours des trois premières vagues de la pandémie au Québec. L’utilisation de ce type de services était davantage observée auprès des femmes, des jeunes adultes, des personnes ayant déjà eu recours aux services psychosociaux en ligne avant la pandémie et des personnes qui vivaient une détresse psychologique élevée, qui avaient augmenté leur fréquence de consommation ou qui prenaient des SPA pour gérer leur anxiété. Les services psychosociaux en ligne sont très diversifiés, mais il semble y avoir une utilisation préférentielle pour les sites et applications qui présentent de l’information et des astuces d’autosoin ou qui aident à référer vers les services psychosociaux les mieux adaptés. Les services psychosociaux en présence paraissent être privilégiés pour des interventions personnalisées. Ces deux modalités doivent agir en complémentarité, puisque chacune répond à des besoins différents et à divers niveaux de gravité des difficultés vécues. Ainsi, les services psychosociaux en ligne offerts aux personnes utilisatrices de SPA doivent être maintenus et même être bonifiés, tout en assurant un arrimage étroit et bidirectionnel avec ceux prodigués en personne.

Au final, considérant la diversité des gens qui ont besoin d’aide pour un problème de santé mentale ou de consommation, il apparaît important que les services psychosociaux à la fois en personne et en ligne demeurent facilement accessibles, particulièrement dans les situations de crise, car les difficultés psychosociales persistent et sont même exacerbées par les événements mondiaux de cette envergure. Or, certaines personnes ne choisiront pas nécessairement les services psychosociaux en ligne, bien que ceux-ci puissent leur être offerts.