Corps de l’article

Cette fois encore, Nouvelles pratiques sociales propose un numéro substantiel, tant par la richesse des analyses menées dans les différents articles que par son nombre de pages ! Il reflète ainsi l’évolution de la revue, qui publie à présent des dossiers contenant régulièrement de huit à dix articles scientifiques – soit environ le double du nombre d’articles inclus dans les dossiers de la première moitié de l’existence de la revue, fondée en 1988. Or, la publication de ces articles repose sur le processus d’évaluation par les pairs, chaque article étant soumis à l’examen critique d’au moins deux personnes chargées de formuler un jugement sur leur qualité scientifique. Il est de plus en plus fréquent que nous ayons à solliciter près de 10 personnes (parfois plus !) pour réaliser ce travail essentiel. En effet, l’évaluation ne consiste pas seulement à autoriser ou à refuser la publication d’un texte, le processus étant, comme souvent, aussi important que son résultat : la conversation scientifique qui se déroule au travers des commentaires issus de l’évaluation et des réponses données par les auteur·es participe assurément d’un perfectionnement des textes. Au-delà de l’enjeu de l’acceptation ou non d’un article, cette conversation a, de surcroît, le potentiel de nourrir les réflexions des auteur·es comme des évaluatrices et évaluateurs, à long terme.

Nous profitons donc de cette tribune pour souligner l’intérêt de contribuer à l’analyse de la qualité de textes scientifiques, dans le cadre de leur évaluation, afin d’inciter nos lecteurs et lectrices à accepter plus fréquemment les invitations qui leur sont lancées par les revues. Cette difficulté de plus en plus grande à trouver des personnes qui acceptent ce mandat est partagée, dans le milieu de l’édition scientifique, ce qui complexifie le processus éditorial et allonge les délais de publication. L’intérêt individuel rejoint ici l’intérêt collectif, et nous espérons par ces quelques lignes vous sensibiliser au rôle clé joué par l’évaluation par les pairs.

L’entrevue

Dans ce numéro, Louis Chaput-Richard s’est entretenu avec Anne Plourde, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomique, au sujet de la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace – communément appelée loi Dubé. L’entrevue propose une analyse de ses enjeux, en mettant tout d’abord en avant sa continuité vis-à-vis des dernières réformes du système de santé et services sociaux. Anne Plourde discute ensuite du rôle attribué au secteur privé dans cette réforme, en argumentant que la privatisation des soins nuit à leur qualité et à leur abordabilité. Elle souligne que depuis les années 1980, au fil de la mise en oeuvre de la Nouvelle Gestion Publique qui « importe les méthodes de gestion du secteur privé dans le secteur public » et conduit à une centralisation, le réseau du système de santé s’est dégradé au point d’en arriver actuellement à des bris de services essentiels. Finalement, l’entrevue se conclut sur un appel à une prise en compte des déterminants sociaux de la santé, cette dernière étant fortement impactée par les conditions de vie – le logement et l’alimentation de mauvaise qualité ayant, en particulier, de forts impacts sur l’état de santé.

Le dossier thÉmatique

Quatre ans après la survenue de la pandémie de COVID-19, la revue Nouvelles pratiques sociales présente un dossier qui s’intéresse aux répercussions qu’elle a pu avoir sur le plan des liens sociaux et de la transformation des pratiques d’intervention sociales. Intitulé « Ça va bien aller ? Les enjeux et les défis de l’intervention psychosociale pendant et après la pandémie de COVID-19 », ce dossier coordonné par Jorge Flores-Aranda, Rossio Motta-Ochoa et Ida Giugnatico réunit huit articles. Ceux-ci mettent en évidence en quoi la crise sanitaire a pu exacerber la précarité de certaines populations défavorisées, minorisées ou marginalisées au préalable, aggravant ainsi les risques encourus (échec scolaire, isolement, contamination, violences…) dans le contexte pandémique. Par ailleurs, plusieurs articles abordent les défis et opportunités que ce contexte a créés, pour les interventions sociales.

La rubrique Échos de pratique

L’article publié dans la rubrique Échos de pratique est lié au dossier thématique. Intitulé « Le bien-être au travail des intervenant·es communautaires en temps de pandémie : des activités interventionnelles coconstruites pour répondre aux besoins des milieux », il a été rédigé par Marie-Pascale Béland, Lara Gautier, Catherine Pappas, Hugues Laforce, William Delisle, Ancuta Stan, Jean-Sébastien Patrice et Naïma Bentayeb. Ce texte présente le déroulement d’un projet comprenant deux étapes : il s’agissait de « documenter les expériences et les besoins des intervenant·es communautaires en lien avec leur état de santé mentale et leur bien-être, ainsi que les stratégies de réponses à ces besoins », pour ensuite mettre en place des activités visant à favoriser le bien-être. L’article conclut que ces activités ont contribué à briser l’isolement, mais aussi à faire émerger des solutions face aux difficultés rencontrées dans le quotidien du travail.

La rubrique Échos de recherche

Cette rubrique comprend un article rédigé par l’équipe qui a organisé un colloque étudiant en travail social à l’Université du Québec à Montréal, intitulé « Organiser une manifestation étudiante, scientifique, communautaire et artistique : Les première et seconde éditions du Colloque Engagemen(TS) ». Sabry Adel Saadi, Mathilde Chabot-Martin, Alexandra Daicu, Julie Deslandes Leduc, Alexis Grussi, Pier-Anne Paradis et Gui Tardif partagent ici leurs réflexions sur la démarche mise en oeuvre. Celle-ci a reposé sur « la rencontre entre collègues étudiant·es et la mise en commun de nos questionnements, de nos aspirations, de nos valeurs, de nos connaissances et de nos intérêts » et a conduit à développer « diverses compétences de logistique, d’organisation et de coordination » pour les personnes qui y ont contribué. L’équipe souligne finalement que cet événement a donné l’occasion aux participant·es de « réfléchir sur les origines de leurs motivations à l’engagement, ainsi que de prendre parole sur des thématiques spécifiques, comme la décarcéralisation du travail social, la positionnalité ou encore la place de la sexualité en recherche et en intervention ». 

Le concours Étudiant

Le concours étudiant de cette année a été remporté par Karl Beaulieu, candidat au doctorat en travail social à l’UQAM. Son article analyse les partenariats qui allient travail policier et intervention sociale, afin d’en questionner les enjeux. L’intérêt de ces partenariats est en effet souvent présumé, sans prendre en compte les tensions voire les « effets pervers » qu’ils peuvent induire – la légitimation de dispositifs punitifs ou de surveillance n’étant pas le moindre. L’article s’inscrit dans une perspective abolitionniste, en incitant à se distancier de ce type de dispositifs. Mais à quel point est-il possible que le travail social s’en dissocie ? « Ces réflexions soulignent donc les contradictions qui traversent le travail social et les limites auxquelles font face les travailleurs sociaux qui appellent au démantèlement de l’institution policière. Pour certains, ces limites sont telles que le travail social doit être inclus dans le projet abolitionniste (Maylea, 2021). » Questionnement fondamental, s’il en est, sur la place du travail social dans le Québec contemporain.

La rubrique Perspectives

La rubrique Perspectives comprend tout d’abord un article rédigé par Martin Lussier, intitulé « Qu’est-ce qu’une intervention culturelle ? Intervention, regard clinique et régime de valeur ». Bien que cet article s’intéresse aux personnes qui travaillent dans les organismes culturels, la réflexion menée sur ce qu’est une « intervention » présente une grande pertinence pour le champ du travail social. À partir d’entretiens semi-dirigés au sujet de l’intervention culturelle, ce texte fait écho au champ de l’intervention sociale. Tout d’abord, la visée de changement se donne pour but un mieux-être individuel ou collectif dans les propos recueillis. Par ailleurs, les entretiens mettent en évidence que « le regard de l’intervenante ou de l’intervenant suggère de discerner, dans le contexte, ce qui est jugé comme des symptômes d’un problème ou d’un enjeu qui sera à son tour l’objet de leur action ». Martin Lussier analyse ensuite que le jugement à partir duquel on évalue ce qu’est le problème et ses possibles solutions repose sur un idéal, et ainsi, sur un ensemble de représentations et de valeurs qui sont « dépendantes des conditions sociales, historiques, des classes et du contexte culturel qui les voient émerger ». Prenant appui sur les travaux de Deleuze et Guattari, il souligne que les régimes de valeurs majoritaires qui circulent dans un contexte social donné teintent le regard posé par les intervenant·es du domaine culturel – observation qui présente également un intérêt pour le domaine du travail social.

Le second article, par Annick Lenoir, Bilkis Vissandjée, Chantal Doré et Kheira Belhadj-Ziane, a pour titre « La “compétence culturelle”  : réflexion critique sur l’usage de cette expression dans le domaine de la santé et des services sociaux ». Le texte développe une analyse critique de la notion de compétence culturelle, en montrant que celle-ci renvoie à une raison instrumentale axée sur la performance de l’intervention. Or, les auteures soulignent que « la culture est polysémique, diversifiée et dynamique », ce qui signifie qu’on ne peut pas prédire la conduite ou la vision du monde d’une personne en fonction de son appartenance culturelle. Se donner l’objectif d’être compétent en « connaissant la culture » de tel ou tel groupe social présente donc le risque de « renforcer des perceptions d’homogénéité, de majorité et un sentiment erroné de recherche d’équité ». L’article invite donc plutôt à chercher à faire sens, de part et d’autre, d’une situation donnant lieu à l’intervention, dans une optique d’agir communicationnel. Celle-ci invite à créer un espace dialogique où les finalités de l’intervention peuvent être discutées dans un horizon de sens à la fois commun et divers.

Le troisième article en Perspectives, rédigé par Aude Kerivel, Cyril Dheilly et Samuel James, porte sur la question du développement et du maintien de liens sociaux pour les enfants retirés de leur milieu familial : « “Compter sur”, “compter pour” des adultes et des pairs : un enjeu majeur pour l’avenir, pour les enfants et jeunes placés ». Il retrace une recherche-action menée autour de ces enjeux dans un milieu d’hébergement institutionnel, où les réseaux sociaux des jeunes ont été explorés afin de se donner des plans d’action pour soutenir le maintien ou la création de liens. Au regard de la désaffiliation vécue par bon nombre d’enfants placés, qui se traduit par des risques beaucoup plus importants d’itinérance après 18 ans – entre autres retombées négatives des ruptures de liens occasionnées par cette mesure de protection, il est en effet important de trouver des avenues pour les minimiser. Les auteur·es constatent que les intervenant·es tendent à mettre l’accent sur les liens parents-enfants, quand ceux-ci peuvent être entretenus, mais qu’il serait utile de prendre en considération le réseau social plus élargi des enfants placés en favorisant le maintien de relations établis en dehors de la famille nucléaire (grands-parents, cousin·es…) mais aussi avec des pairs ou des adultes significatifs rencontrés à l’école ou lors d’activités extrascolaires. Cette vision plus large du réseau social pourrait ainsi contribuer à une moindre désaffiliation en contexte de placement.

Le quatrième texte, écrit par Jacob Boivin, est intitulé « L’influence sociale des plateformes dans le monde de la philanthropie ou vers une philanthropie de plateforme ». Il analyse en quoi les plateformes de philanthropie peuvent contribuer à une plus grande influence des logiques de marché au niveau des problèmes sociaux – d’autant plus que ce contexte se combine avec celui de politiques d’austérité au niveau de l’action sociale. Le capitalisme cybernétique, en tant que « structure économique fondée sur la circulation de l’information comme source d’accumulation du capital », est associé aux plateformes philanthropiques, en visant à « optimiser la pratique philanthropique par production de comportements reposant sur l’agrégation des données et des profils numériques ». L’article met par ailleurs en avant que l’action des fondations philanthropiques est orientée par leurs intentions propres plutôt que par l’analyse des besoins d’une population, contribuant ainsi à une forme de privatisation de l’intervention sociale.

Les comptes rendus de lecture

Nous publions deux comptes rendus de lecture. Le premier, rédigé par Cassandra Fournier, discute de l’ouvrage Messy Ethics in Human Rights Work (Plaut et al.). Le second, de Michel Parazelli, rend compte du livre Variations sur les formes de servitude - Essai sociopsychanalytique sur la soumission et l’actepouvoir (Jean-Luc Prades).

Bonne lecture !