Michel Parazelli, chercheur, professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal et ancien directeur de la revue Nouvelles pratiques sociales, nous offre, dans cet ouvrage collectif et interdisciplinaire qu’il dirige, une contribution aux réflexions entourant les enjeux de cohabitation urbaine. Son intérêt pour l’intervention collective en milieu urbain à visée démocratique y est manifeste. Son analyse met l’accent sur l’itinérance visible dans l’espace public, laquelle fait l’objet d’un débat politique et administratif qui laisse dans l’ombre l’itinérance cachée ou d’autres formes de précarité extrêmes. L’explication que Parazelli apporte est celle de la revitalisation urbaine conséquente d’une concurrence néolibérale entre les villes visant à attirer de nouveaux capitaux. Dans cette configuration, la visibilité de personnes en itinérance pose problème, car l’image des inégalités sociales associée à l’itinérance infirme l’image de convivialité et de vitalité économique que les villes de Montréal et Québec souhaitent exporter dans le monde. Selon Parazelli, la lutte contre cette visibilité remonte aux années 1990, avec l’approche américaine Housing First visant à éliminer l’itinérance chronique par le logement disponible sur le marché privé. À partir de 2015 à Montréal, cette approche emporta l’adhésion du milieu des affaires, soucieux de protéger ses intérêts économiques ; de la municipalité, souhaitant conserver une image de marque (branding) de classe mondiale en captant des revenus supplémentaires ; de certains organismes communautaires et des grands refuges se rendant utiles en faisant disparaître les obstacles sociosymboliques à la revitalisation des affaires ; et de certains chercheurs. Dans les deux premiers chapitres, Parazelli et Bourbonnais contextualisent cette analyse avec une synthèse des logiques normatives guidant les représentations sociales et les pratiques des acteurs dans l’espace public, le tout enrichi d’une perspective historique qui rend compte des effets d’une transition au long cours d’administrations municipales consolidant des logiques normatives néolibérales. Ainsi est-il possible de s’adresser à l’autre en organisant des contextes d’interactions sociospatiales demandant certaines représentations en accord avec l’image de marque des villes. En conséquence, certaines activités et certains comportements sont encouragés au détriment de la visibilité des personnes en itinérance, celle-ci ne correspondant pas à ces représentations. Les représentations deviennent ainsi normatives et renforcent l’exclusion. L’ouvrage s’intéresse aux politiques canadiennes de régulation de l’itinérance. Margier, Morin et Bellot font ressortir des critères et des choix d’intervention de Montréal et de Québec en les mettant en perspective avec d’autres municipalités canadiennes. Ainsi, contrairement à Québec, les politiques et les plans d’action montréalais en itinérance mettent de plus en plus l’accent sur la cohabitation dans l’espace public et la médiation pour lutter contre les tensions qu’on y observe. En revanche, les politiques des deux villes font état des comportements gênants des personnes marginalisées, mais aussi de la sollicitude envers elles et le souhait d’une cohabitation harmonieuse. De façon très différente, les politiques d’Ottawa, Toronto, Calgary et Vancouver n’ont pour seule préoccupation que la sortie de la rue. Les politiques mises en oeuvre par ces villes anglophones s’appuient sur le principe du Housing First visant à éliminer l’itinérance. Ratissant la presse écrite francophone à l’aide de Parazelli et Carpentier, l’analyse se poursuit avec les représentations sociospatiales des personnes en situation d’itinérance, « l’espace [étant] la structure relationnelle entre des corps qui sont en permanence en mouvement » (Low, 2015 cité dans Parazelli et Carpentier [2021, p. 119]). Les imaginaires sociaux seront constitués des représentations sociospatiales de la société alimentées par une normativité du monde et des pratiques sociales décrites dans les médias. Dans l’imaginaire écosanitaire, l’équilibre est menacé par la présence des personnes en itinérance dans l’espace public ; à travers lui, citoyens, commerçants et policiers font savoir que …
Parties annexes
Bibliographie
- Parazelli, M. (dir.), Bellot, C., Bourbonnais, M., Carpentier, M.-È., Desmeules, K., Gagnon, É., Hardy, M.-H., Margier, A. et Morin, R. (2021). Itinérance et cohabitation urbaine : regards, enjeux et stratégies d’action. Québec : Presses de l’Université de Québec.