Résumés
Résumé
Les résultats de l’analyse de 350 questionnaires, remplis par des responsables de la gestion des ressources humaines et des représentants syndicaux du Grand Montréal, révèlent que les pratiques de recrutement, de sélection, de promotion et d’accès à l’égalité en emploi d’entreprises ainsi que les attitudes des répondants entraîneraient un traitement inégal des employés issus des minorités visibles. De plus, des compétences attendues des candidats à la promotion dénotent la présence de règles, normes et pratiques implicites dans la majorité des entreprises. Or, ces éléments de la culture organisationnelle peuvent porter atteinte au droit à l’égalité des minorités visibles, groupe historiquement discriminé.
Mots-clés :
- discrimination,
- minorités visibles,
- promotion en emploi
Abstract
This article presents data from a survey of 350 human resources managers and union representatives in Greater Montreal. The results reveal that recruitment, selection, professional advancement and equal access to employment practices of companies and the attitudes of respondents would initiate an unequal treatment of visible minority employees. In addition, the skills expected from professional advancement candidates indicate the presence of implicit rules, standards and practices in most of companies. However, this organizational culture compromises the visible minority right to equality a group that has historically been discriminated against.
Keywords:
- discrimination,
- visible minorities,
- career advancement
Corps de l’article
contexte et problÉmatique
Il est difficile d’évaluer la progression des minorités visibles[2] en emploi et leurs conditions de promotion dans le secteur privé québécois. D’une part, les entreprises du Québec sont presque toutes exemptées de l’obligation d’implanter un programme d’accès à l’égalité en emploi (PAÉE). D’autre part, les études au Québec portant sur la présence des minorités visibles dans le secteur privé de l’emploi, notamment dans les postes de haute direction ou de gestion, sont très rares.
Seules les entreprises soumises au Programme de l’obligation contractuelle (POC) du gouvernement du Québec[3], très peu nombreuses, ont l’obligation de mettre en place un PAÉE et de rendre compte des mesures prises à cet égard. Ce dernier a pour but d’améliorer la représentation, au sein du personnel, des groupes visés (les femmes, les minorités visibles, les Autochtones et les personnes handicapées) et de corriger les pratiques et politiques du système d’emploi susceptibles d’être discriminatoires.
En réalité, le secteur privé échappe presque totalement à l’obligation d’implanter un PAÉE alors qu’il emploie la majorité des salariés québécois et, probablement, la majorité des salariés québécois appartenant à une minorité visible. Ainsi, en avril 2015 ‑ début de la période de la collecte de données de notre recherche ‑, 140 entreprises québécoises étaient assujetties au POC et donc, à l’obligation d’appliquer un PAÉE. Ces 140 entreprises ne représentaient alors que 2,9 % des 4891 entreprises québécoises de 100 employés et plus (Innovation, Sciences et Développement économique Canada, 2016, p. 1).
Il importe de mentionner à cet égard que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Cdpdj) doit évaluer la performance des entreprises dans la mise en place du PAÉE et leur fournir l’assistance nécessaire pour l’élaboration et l’implantation de ce programme. Or, son dernier bilan sur l’accès à l’égalité en emploi dans les entreprises soumises au POC, qui remonte à 1998, soulignait que d’énormes progrès restaient à faire en matière d’embauche et de promotion en emploi des membres des minorités visibles afin d’atteindre leur représentation à tous les niveaux d’emplois (Cdpdj, 1998, p. 24-25). Chicha constatait, pour la même année, que seules 2 entreprises sur 170 soumises au POC, dont certaines depuis sept ou huit années, avaient rempli leurs objectifs de représentation des membres des minorités visibles (Chicha, 2001, p. 69). En 2005, dans une autre étude menée auprès de 30 entreprises assujetties au POC, Chicha et Charest faisaient le même constat : il n’y avait guère eu d’amélioration en matière d’égalité et les entreprises entretenaient les mêmes pratiques de recrutement, de sélection et de promotion ayant des effets discriminatoires sur les membres des minorités visibles (Chicha, Charest, 2006, p. 9-10).
Ainsi, non seulement le secteur privé au Québec demeure presque totalement exempt de l’obligation d’appliquer un PAÉE, mais il est, de plus, difficile, faute de données récentes, d’évaluer la représentation des employés des minorités visibles dans les effectifs des rares entreprises québécoises soumises au POC.
Ensuite, dans le champ de la recherche en sciences sociales, la majorité des études québécoises concernant les membres des minorités visibles en emploi portent sur leur recrutement, leur embauche ou leur intégration organisationnelle (MESS, 2013, CRI, 2009).
Deux études, menées en 2012 et 2015, ont mesuré l’évolution de la représentation de membres des minorités visibles exerçant la fonction de haut dirigeant ou siégeant au sein des conseils d’administration dans le Montréal métropolitain (Diversité EnTête, 2016, 2013). Les résultats dénotent une sous-représentation des membres de ce groupe dans les effectifs relatifs à ces fonctions, notamment dans le secteur privé. En outre, ce dernier affiche une proportion plus faible de présence des personnes des minorités visibles aux emplois de haute direction et aux conseils d’administration en comparaison avec celles de leurs pairs ayant les mêmes emplois et fonctions dans le secteur public et le secteur sans but lucratif (Diversité EnTête, 2016, p. 4).
La Chambre de commerce de Montréal a, quant à elle, mené un sondage auprès de responsables des ressources humaines dans 686 établissements privés de 5 employés ou plus de la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal. Les résultats montrent que les immigrants n’occupent que 14 % des postes de cadre (CCMM, 2016, p. 24) et qu’ils sont sous-représentés dans ces catégories d’emplois. De plus, les immigrants qui parviennent le plus souvent à obtenir un emploi de cadre sont ceux qui possèdent une culture en matière de gestion proche de la culture québécoise (Français, Européens, Américains), maîtrisent le français et l’anglais, ont fait leurs études au Canada ‑ ou y ont obtenu une équivalence de diplômes ‑ et sont installés depuis longtemps (plus de 10 ans) au Canada. Selon le même sondage, « les employés [immigrants] originaires du Maghreb et d’ailleurs en Afrique ainsi que ceux originaires de l’Amérique latine et des Antilles sont sous-représentés dans les postes de cadre » (Ibid., p. 23-26). Dès lors, nous pouvons raisonnablement en déduire que, dans le cadre de cette étude, les immigrants qui appartiennent à une minorité visible sont ceux qui ont le plus de difficultés à accéder aux postes de gestion.
Les études canadiennes hors Québec[4] qui portent sur la progression en emploi des membres des minorités visibles examinent en général la place qu’ils occupent dans la hiérarchie organisationnelle de l’entreprise, notamment en interrogeant leurs perceptions à propos de leur avancement professionnel (Stratcom Startegic Com, 2014 ; Tiedi, 2012 ; Yap et al., 2010 ; Yap et Konrad, 2009). Pour démontrer la discrimination dans la promotion subie par les employés des minorités visibles, ce type d’études se fonde souvent sur la comparaison de mesures subjectives (perceptions des employés quant à leur promotion) et objectives (données basées sur des éléments concrets comme le montant du salaire, le nombre de promotions obtenues, les diplômes ou l’expérience de travail) concernant ces employés avec celles d’employés appartenant à un groupe témoin, généralement composé d’hommes « blancs ». Il est en effet établi que les privilèges de ces derniers en emploi sont définitivement acquis et perpétués au détriment des membres de groupes historiquement discriminés tels que les minorités racisées, notamment les femmes racisées, les personnes immigrantes, les Autochtones ou encore, les personnes en situation de handicap.
Dans un autre registre, deux études de Catalyst (2008 ; 2010) portent sur les règles et normes implicites, tacites et non écrites, néanmoins inscrites, voire enracinées dans la culture des entreprises. Ces normes implicites font référence à des comportements (être proactif ou bon communicateur) et à des caractéristiques individuelles (assimiler la culture organisationnelle) que doivent avoir les employés désireux de progresser dans l’entreprise (Catalyst, 2010 ; 2008).
Les résultats de la première recherche (Catalyst, 2008) ne font guère allusion aux effets discriminatoires engendrés par le caractère implicite des normes et règles des entreprises. Ils montrent toutefois que les employés désireux d’obtenir une promotion auront beau être compétents, ils n’y parviendront pas s’ils n’ont pas connaissance de ce type de normes et règles organisationnelles (Catalyst, 2008, p. 5). La taille de l’échantillon de la seconde étude (Catalyst, 2010) permet de comparer les différences de perceptions des répondants en fonction de leur sexe et de leur « race ». Ainsi, parmi les gestionnaires, les femmes des minorités visibles rapportent plus fréquemment que les hommes « blancs » et les femmes « blanches » l’importance d’augmenter leur visibilité dans l’entreprise. Les femmes des minorités visibles sont également plus susceptibles d’avoir utilisé des stratégies (réseautage professionnel, heures excédentaires au travail, temps passé physiquement au travail, compréhension et dépassement des attentes de l’employeur, etc.) de développement de carrière que les femmes « blanches » (Catalyst, 2010, p. 7-12). Les auteurs font trois recommandations aux employeurs : 1. soutenir le développement de carrière des employés et améliorer l’exécution des processus ; 2. augmenter la transparence et la communication afin d’offrir aux employés une culture d’entreprise plus ouverte et inclusive ; 3. mettre en place des programmes de mentorat et fournir des possibilités de réseautage aux employés (Catalyst, 2010, p. 22).
De manière plus générale, même si l’employeur s’attache à rendre transparentes les règles organisationnelles implicites enracinées dans la culture de l’entreprise, il n’est pas garanti qu’elles deviennent accessibles à tous les groupes d’employés pour lesquels elles n’ont pas été pensées. Aussi, même si les personnes des minorités visibles ont conscience de la présence de ces règles dans les processus décisionnels et parviennent à les exploiter pour obtenir une promotion, celles-ci leur seront inutiles si elles ne sont pas totalement dénuées d’effets discriminatoires sur leur développement de carrière.
Les résultats et les recommandations de ces deux études montrent combien les recherches sociales sur la progression des personnes appartenant à une minorité visible en entreprise portent moins sur l’accès à l’égalité en emploi que sur la gestion de la diversité en entreprise. La gestion de la diversité relève de choix organisationnels de l’employeur et met l’accent sur les bénéfices économiques de la valorisation des différences au sein de l’entreprise (Chicha, Charest, 2013). L’accès à l’égalité en emploi s’inscrit dans le respect du droit à l’égalité sans discrimination, aux différents niveaux du système d’emploi (embauche, formation professionnelle, promotion, mutation, conditions de travail, catégories ou classifications d’emploi, etc.), comme le garantissent les articles 10, 10.1, 16 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte). Il vise, à travers ses programmes, à éliminer les effets discriminatoires des politiques et des pratiques de gestion des ressources humaines sur la promotion des minorités visibles en emploi.
Les recherches succinctement relatées ci-dessus démontrent que des inégalités de traitement ont cours dans les processus de promotion du secteur privé. De plus, aucune étude québécoise, à notre connaissance, ne porte spécifiquement sur l’engagement des employeurs et des syndicats à mettre en place des pratiques facilitant la progression des membres des minorités visibles en emploi. C’est ce que nous explorons à travers ce portrait descriptif des pratiques d’entreprises du Grand Montréal en adoptant une approche qui n’est pas toujours celle des employeurs, soit celle de l’accès à l’égalité en emploi sans discrimination.
MÉthodologie
La méthode quantitative a été privilégiée pour la cueillette, le traitement et l’analyse des données. En tout, 350 responsables de la gestion des ressources humaines (responsables de GRH) et représentants syndicaux ont rempli les questionnaires de la recherche. L’entreprise constitue l’unité statistique de l’analyse descriptive. Chaque responsable de GRH ou représentant syndical est rattaché à une entreprise de l’étude. Trois critères de sélection ont permis de constituer les deux échantillons. Ainsi l’entreprise devait :
relever de l’un des quatre secteurs d’activité suivants : hébergement et services de restauration, fabrication, commerce de détail, services professionnels scientifiques et techniques ;
être localisée dans la RMR de Montréal, aussi appelée Grand Montréal ; et
compter 100 employés et plus.
Les deux échantillons ne renferment pas forcément les mêmes entreprises[5]. L’échantillon 1 regroupe les responsables de GRH en emploi dans 300 entreprises ; l’échantillon 2, les représentants syndicaux rattachés à 50 entreprises.
Pour construire les deux questionnaires, l’un s’adressant aux responsables de GRH et l’autre, aux représentants syndicaux, nous avons étudié plusieurs modèles d’outils méthodologiques de collecte de données (sondages, questionnaires, canevas d’entrevues) qui abordent l’un ou l’autre des éléments de la problématique de la recherche. Soulignons que nous nous sommes également inspirés des documents internes et publics de la Cdpdj (2009) qui ont trait aux pratiques de gestion des ressources humaines et aux mesures d’accès à l’égalité.
Les réponses au questionnaire s’adressant aux responsables de GRH ont été colligées par téléphone par le Bureau des intervieweurs professionnels (BIP) entre le 30 avril et le 21 juillet 2015.
La liste des 1227 entreprises a été transmise au BIP qui a produit des échantillons aléatoires permettant la généralisation des résultats à l’ensemble des entreprises de la population totale. Le questionnaire téléphonique a duré en moyenne 15 minutes. Au total, 300 questionnaires ont été complétés. La taille de l’échantillon 1 (n=300) permet d’extrapoler les résultats globaux avec une marge d’erreur maximale de 4,9 %, 19 fois sur 20 (niveau de confiance de 95 %).
Pour recueillir le point de vue des représentants syndicaux, nous avons répertorié et contacté les syndicats présents en tenant compte également des trois critères de sélection des entreprises cités plus haut. Sept responsables rattachés à deux centrales syndicales ont répondu favorablement à notre invitation et nous ont fait part de la liste des unités de travail qui participeraient à l’étude. Le questionnaire destiné aux représentants syndicaux leur a été envoyé par courriel ou distribué en version papier. Au total, 50 questionnaires ont été remplis entre le 8 décembre 2015 et le 8 avril 2016. La pondération des entreprises de l’échantillon selon les trois critères retenus, soit la taille, le secteur d’activité et la localisation de l’entreprise, reste acceptable.
Il importe de souligner que « l’entreprise » constitue l’unité d’analyse statistique. Chaque unité d’analyse renvoie en réalité à un responsable de GRH ou à un représentant syndical. La majorité des 300 responsables de GRH (67 %) disent occuper un emploi de cadre (directeurs, directrices des ressources humaines), 20,3 %, de professionnel (conseillers, conseillères en ressources humaines), 2,3 %, de technicien, 5,3 %, de soutien administratif (agents, agentes en ressources humaines) et 5 %, d’autres types de fonctions (propriétaires). La majorité des 50 représentants syndicaux (92 %) sont en général des personnes salariées par l’entreprise. Ils se trouvent à la base de la hiérarchie syndicale et font le lien entre les employés syndiqués et la centrale syndicale. Une minorité d’entre eux (8 %) occupe des positions plus élevées de la pyramide syndicale et est employée par la centrale syndicale.
Que ce soit dans le premier échantillon ou dans le second, les répondants des minorités visibles sont peu présents : ils représentent 5,7 % des responsables de GRH et 6 % des représentants syndicaux. Les participants de descendance canadienne-française[6] sont majoritaires et représentent 80,3 % des responsables de GRH et 84 % des représentants syndicaux. Ceux s’identifiant comme étant de descendance canadienne-anglaise[7] représentent 4,7 % des responsables de GRH ; aucun représentant syndical ne s’identifie à ce groupe. Enfin, les répondants se déclarant d’une autre origine ethnique (de l’Europe de l’Ouest, majoritairement) représentent 9,3 % des responsables de GRH et 10 % des représentants syndicaux.
Il importe de souligner que la taille et la répartition de l’échantillon dans les deux collectes de données ne sont pas similaires. Aussi, nous ne pouvons savoir si les entreprises au sein desquelles oeuvrent les représentants syndicaux ont pu également faire l’objet de la récolte de données auprès des responsables de GRH. À ce sujet, il a été convenu avec le BIP que l’anonymat des entreprises approchées serait conservé. Ainsi, la prudence reste de mise si nous voulons comparer les résultats descriptifs concernant les perceptions des responsables de GRH et celles des représentants syndicaux quant aux pratiques d’entreprises et à leurs attitudes face aux employés des minorités visibles.
RÉsultats
La promotion des employés dans l’entreprise étant indissociable de leur recrutement et de leur sélection, nous avons exploré au préalable les perceptions des participants à l’étude concernant ces étapes de la dotation. Dans la première section, nous relatons les pratiques de recrutement des entreprises. Dans la seconde, nous présentons les pratiques concernant la sélection, notamment l’application des critères de départage des candidats à compétences équivalentes dans la décision de dotation.
Les pratiques des entreprises
Les pratiques de recrutement
Précisons que dans le cadre de cette étude, le taux de représentation des employés des minorités visibles dans l’effectif des entreprises des deux échantillons est calculé en fonction du taux d’activité des membres des minorités visibles de la RMR de Montréal, et ce, pour chacun des quatre secteurs d’activité retenus. La sous-représentation des employés des minorités visibles dans les entreprises de l’étude signifie donc que leur taux de présence est inférieur au taux d’activité des minorités visibles de la RMR de Montréal. Ces comparaisons montrent que les employés des minorités visibles sont sous-représentés ou totalement absents dans la majorité des entreprises de l’échantillon 1 (65,6 %) et de l’échantillon 2 (72 %)[8].
La grande majorité des responsables de GRH (70,1 %) et des représentants syndicaux (80,9 %) de descendance canadienne-française est rattachée à des entreprises dans lesquelles les employés appartenant à une minorité visible sont sous-représentés ou pas du tout représentés. La majorité des responsables de GRH (58,8 %) s’identifiant à une minorité visible et tous les représentants syndicaux s’identifiant à une minorité visible (100 %) proviennent d’entreprises dans lesquelles les employés des minorités visibles sont adéquatement représentés dans les effectifs.
Par ailleurs, les représentants syndicaux rapportent que les employés des minorités visibles occupent moins fréquemment un emploi permanent que leurs pairs n’appartenant pas à une minorité visible (respectivement 86,9 % et 93,2 %). Contrairement aux représentants syndicaux, les responsables de GRH mentionnent que les salariés de ces deux groupes occupent un emploi permanent dans des proportions presque égales (respectivement 88,6 % et 88,8 %).
Les pratiques de sélection et de promotion
Les responsables de GRH et les représentants syndicaux avancent majoritairement que le processus de promotion comprend des critères formels de sélection (respectivement 87,3 % et 80 %). Pourtant, selon leurs réponses, leur entreprise n’est pas toujours proactive pour améliorer la progression en emploi.
Ainsi, parmi les cinq pratiques[9] contribuant à améliorer la promotion des employés dans l’entreprise, l’évaluation de rendement (88,3 %) et la formation (86,3 %) sont le plus souvent citées par les responsables de GRH, alors que les représentants syndicaux, eux, nomment l’affectation temporaire (50 %) et la formation (40 %). Le mentorat est la pratique la moins usitée dans les entreprises des deux échantillons, alors qu’il contribue grandement au développement de carrière des employés de groupes historiquement discriminés, comme les minorités visibles.
En outre, les représentants syndicaux ont nettement moins tendance que les responsables de GRH à considérer que leur entreprise est proactive[10] en matière de promotion en emploi. Ainsi, alors que 89,3 % des responsables de GRH s’accordent à dire que leur entreprise est proactive (50 %) et moyennement proactive (39,3 %), les représentants syndicaux ne sont que 48 % à avancer que leur entreprise est proactive (10 %) et moyennement proactive (38 %).
Par ailleurs, selon les répondants, la compétence est généralement le premier critère pris en compte pour sélectionner les candidats à la promotion, notamment lorsqu’il s’agit de doter des postes autres que ceux de supervision, de cadre ou de direction. Cependant, certaines conventions collectives privilégieraient l’ancienneté (et non pas la compétence) comme étant le principal critère de sélection.
Lorsqu’une seconde étape de sélection est requise pour départager des candidats à compétences équivalentes dans le but de pourvoir un poste de supervision, de cadre ou de direction, l’expérience (critère mesurable) est plus souvent évoquée par les responsables de GRH (24 %), alors que « l’affinité avec le candidat et sa personnalité » (critères subjectifs, non mesurables) sont les critères les plus fréquemment cités par les représentants syndicaux (35,3 %). Pour pourvoir tout autre poste, les responsables de GRH et les représentants syndicaux citent l’ancienneté comme étant le critère le plus fréquemment utilisé (respectivement 27,2 % et 75,9 %) pour départager des candidats à compétences équivalentes.
Il importe de noter que les responsables de GRH ont nommé d’autres critères de départage. Ces derniers, nombreux et disparates, ont été réunis sous la catégorie « Autres » : 24,2 % des responsables de GRH en nomment un lorsqu’il s’agit de pourvoir un poste de supervision, de cadre ou de direction et 30,3 %, pour combler tout autre poste. La plupart de ces critères sont difficiles à mesurer ou à évaluer et révèlent que la dotation se fait, le cas échéant, sans fondements objectifs. Citons parmi ceux-ci, « les qualités interpersonnelles du candidat », « son attitude », « son dévouement », « le feeling du sélectionneur ». La « représentation des membres des minorités visibles » comme critère de départage des candidatures n’est quasiment jamais citée par les participants à l’étude.
La tendance pour un candidat des minorités visibles à être promu
Les répondants de l’étude n’entretiennent pas tous des perceptions positives quant à la propension des employés des minorités visibles de leur entreprise à obtenir une promotion en emploi.
Les qualités requises pour les candidats à la promotion
Nous avons soumis deux assertions aux participants à l’étude pour évaluer leurs perceptions des candidats des minorités visibles à la promotion de leur entreprise.
L’assertion 1 a été testée en posant la question suivante : « Dans quelle mesure êtes-vous en accord ou en désaccord avec les affirmations suivantes ?
Les candidats potentiels à une promotion interne augmenteront leurs chances d’obtenir cette promotion s’ils :
font partie d’un réseau professionnel ;
trouvent le bon mentor ;
planifient leur carrière ;
demandent des rétroactions régulières sur leur travail ;
sont proactifs ;
assimilent la culture organisationnelle de l’entreprise. »
L’assertion 2 a été testée en posant la question suivante : « Dans quelle mesure êtes-vous en accord ou en désaccord avec les affirmations suivantes ?
Dans votre entreprise, les candidats à une promotion interne appartenant à une minorité visible ont tendance à :
faire partie d’un réseau professionnel ;
trouver le bon mentor ;
planifier leur carrière ;
demander des rétroactions régulières sur leur travail ;
être proactifs ;
assimiler la culture organisationnelle de l’entreprise. »
Selon les responsables de GRH, « assimiler la culture organisationnelle de l’entreprise » et « être proactif » sont les deux qualités les plus importantes que doivent avoir les candidats pour augmenter leurs chances d’obtenir une promotion dans leur entreprise. D’une part, 95 % des responsables de GRH sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle les chances des candidats d’obtenir une promotion augmenteront s’ils « assimilent la culture organisationnelle de l’entreprise ». D’autre part, 93,3 % d’entre eux s’accordent à dire que leurs chances croîtront s’ils « sont proactifs ». Ensuite, les responsables de GRH sont 64,7 % à déclarer que ces candidats augmenteront leurs chances d’être promus s’ils demandent des rétroactions régulières sur leur travail, 63,7 %, s’ils planifient leur carrière, 35,7 %, s’ils trouvent le bon mentor et 28 %, s’ils font partie d’un réseau professionnel. (Voir le tableau 1.)
Bien que n’étant pas explicitement exigées lors d’un processus de dotation, ces « compétences », notamment quatre d’entre elles majoritairement estimées par les responsables de GRH (c, d, e et f, tableau 1), seraient implicitement attendues des candidats de l’entreprise désireux d’augmenter leurs chances de promotion. Le cas échéant, elles pourraient être évaluées lors de la sélection et avoir une influence sur la décision de dotation dans la majorité des entreprises de l’échantillon 1. Certains auteurs décrivent ces « qualités » comme étant des règles tacites, « non écrites ou non dites » qui, si elles ne se traduisent pas dans le comportement ou l’attitude professionnelle du candidat, desservent sa progression en emploi (Catalyst, 2008, p. 3-5).
Tel que le montre le tableau 2, « assimiler la culture organisationnelle de l’entreprise » et « être proactifs » sont également les deux qualités que les responsables de GRH reconnaissent le plus fréquemment (respectivement 74,7 % d’entre eux en ce qui concerne la première qualité et 61 %, pour la seconde) aux employés de leur entreprise appartenant à une minorité visible. De plus, les responsables de GRH déclarent que ces candidats à la promotion membres des minorités visibles ont tendance à planifier leur carrière (46,3 %), à demander des rétroactions régulières sur leur travail (45,3 %), à trouver le bon mentor (31,7 %) et à faire partie d’un réseau professionnel (20,3 %).
Peu importe la qualité, les responsables de GRH sont proportionnellement plus nombreux à déclarer être en accord avec la première assertion qu’avec la seconde. Autrement dit, les qualités que requiert une promotion selon certains d’entre eux ne sont pas toujours celles qu’ils reconnaissent aux candidats appartenant à une minorité visible.
Le tableau 3 donne un aperçu des perceptions des représentants syndicaux quant aux aptitudes qu’un employé doit posséder pour accéder à un poste de promotion. Ainsi, 74 % des participants sont d’accord pour dire que les chances d’y parvenir seront plus grandes si les candidats « sont proactifs » et 68 %, s’ils « assimilent la culture organisationnelle de l’entreprise ». Les représentants syndicaux sont également 36 % à déclarer que ces candidats augmenteront leurs chances d’être promus s’ils planifient leur carrière, 32 %, s’ils demandent des rétroactions régulières sur leur travail, 32 %, s’ils trouvent le bon mentor et 28 %, s’ils font partie d’un réseau professionnel.
Comme le montre le tableau 4, « assimiler la culture organisationnelle de l’entreprise » et « être proactifs » sont également les deux qualités[11] que les représentants syndicaux attribuent le plus fréquemment – ils sont respectivement 56 % et 50 % – aux employés de leur entreprise appartenant à une minorité visible. Toutefois, ces proportions sont bien plus basses que celles des représentants syndicaux qui estiment que les candidats potentiels à une promotion augmenteront leurs chances d’obtenir cette promotion s’ils possèdent ces deux aptitudes (respectivement 68 % et 74 %, voir le tableau 3). Nous avons également constaté cette différence de proportions dans le cas des perceptions des responsables de GRH (voir les tableaux 1 et 2).
Ensuite, les représentants syndicaux restent proportionnellement moins nombreux à déclarer être en accord avec la seconde assertion selon laquelle ces candidats des minorités visibles ont tendance à faire partie d’un réseau professionnel (24 %) et à demander des rétroactions régulières sur leur travail (22 %). À l’inverse, ils déclarent, dans des proportions un peu plus importantes que celles constatées dans le cas de leur accord avec la première assertion, que les candidats à la promotion membres des minorités visibles ont tendance à planifier leur carrière (38 %) et à trouver le bon mentor (34 %).
Mis à part les deux qualités qui consistent à « trouver le bon mentor » et à « planifier sa carrière », les représentants syndicaux sont proportionnellement plus nombreux à se dire en accord avec la première assertion qu’avec la seconde. Autrement dit, à l’instar des responsables de GRH, ils ne reconnaissent pas toujours aux candidats des minorités visibles les quatre qualités qu’ils jugent nécessaires à l’obtention d’une promotion, soit celles d’« assimiler la culture organisationnelle de l’entreprise », d’« être proactifs », de « faire partie d’un réseau professionnel » et de « demander des rétroactions régulières sur leur travail ».
Afin d’appréhender les perceptions des participants à l’étude à l’égard des candidats des minorités visibles à la promotion, nous avons calculé les écarts entre les proportions de leurs réponses à l’assertion 1 avec celles de leurs réponses à l’assertion 2. Attardons-nous aux deux qualités les plus fréquemment citées par les répondants comme étant nécessaires à l’obtention d’une promotion et pour lesquelles les écarts sont les plus élevés : la tendance à « être proactif » et celle à « assimiler la culture organisationnelle de l’entreprise ».
La tendance à être proactif
Rappelons que lorsque les responsables de GRH considèrent à 93,3 % que les candidats potentiels à une promotion augmenteront leurs chances de l’obtenir s’ils sont proactifs, ils ne sont plus que 61 % à être d’accord avec le fait que les candidats appartenant à une minorité visible ont tendance à posséder cette qualité : l’écart entre ces deux proportions s’élève à 32,3 points de pourcentage (tableau 5).
Parmi les 32,3 % (soit 97/300) de responsables de GRH ayant indiqué qu’être proactif permet à un candidat d’augmenter ses chances de promotion :
29 % (soit 87/300) ont une opinion neutre (ni en accord ni en désaccord) face à la tendance des candidats appartenant à une minorité visible à être proactifs et ;
3,3 % (soit 10/300) sont en désaccord avec le fait que ces candidats ont tendance à être proactifs.
Il apparaît donc que l’écart (32,3 %) entre les proportions de responsables de GRH en accord avec les deux assertions est dû majoritairement à leur proportion (29 %) à émettre une opinion neutre face au fait que les candidats des minorités visibles à la promotion de leur entreprise ont tendance à être proactifs (voir le tableau 5).
De même, alors que 74 % des représentants syndicaux considèrent que les candidats à une promotion augmenteront leurs chances d’obtenir une promotion s´ils sont proactifs, ils ne sont plus que 50 % à être d’accord avec le fait que ceux appartenant à une minorité visible ont tendance à détenir cette qualité : l’écart entre ces deux proportions s’élève à 24 points de pourcentage (tableau 6).
Parmi les 24 % (soit 12/50) de représentants syndicaux ayant indiqué qu’être proactif permet à un candidat d’augmenter ses chances de promotion :
18 % (soit 9/50) ont une opinion neutre face à la tendance des candidats des minorités visibles à être proactifs et ;
6 % (soit 3/50) n’ont pas répondu à l’assertion 2.
Il apparaît donc encore ici que l’écart (24 %) entre les proportions des représentants syndicaux en accord avec les deux assertions est dû majoritairement à leur proportion à avoir une opinion neutre face à la tendance des candidats des minorités visibles à la promotion de leur entreprise à être proactifs.
La tendance à assimiler la culture organisationnelle
Rappelons que les responsables de GRH qui affirment à 95 % que les candidats potentiels à une promotion augmenteront leurs chances d’obtenir une promotion s’ils assimilent la culture organisationnelle de l’entreprise ne sont plus que 74,7 % à être d’accord avec le fait que les candidats de leur entreprise appartenant à une minorité visible ont tendance à posséder cette qualité : l’écart s’élève à 20,3 points de pourcentage (voir le tableau 7).
Parmi les 20,3 % (soit 61/300) de responsables de GRH ayant indiqué qu’assimiler la culture organisationnelle permet à un candidat d’augmenter ses chances de promotion :
18 % (soit 54/300) ont une opinion neutre (ni en accord ni en désaccord) à propos de la tendance des candidats des minorités visibles à posséder cette qualité et ;
2,3 % (soit 7/300) sont en désaccord avec le fait que ces candidats aient tendance à détenir cette qualité.
Tout comme pour la première qualité (« être proactif »), il apparaît donc que l’écart (20,3 %) entre les proportions de responsables de GRH en accord avec les deux assertions est dû majoritairement à leur proportion (18 %) à émettre une opinion neutre face au fait que les candidats des minorités visibles à la promotion de leur entreprise ont tendance à assimiler la culture organisationnelle (voir le tableau 7).
De même, 68 % des représentants syndicaux déclarent que pour poser sa candidature à une promotion, il est essentiel pour un employé d’assimiler la culture organisationnelle de l’entreprise. Ces mêmes représentants ne sont plus que 56 % à avancer que les candidats des minorités visibles possèdent cette qualité : l’écart entre ces proportions s’élève à 12 points de pourcentage (soit 6 représentants sur 50).
Cependant, les 12 % de représentants syndicaux en accord avec l’assertion 1 n’expriment pas, en majorité, une opinion neutre face à l’assertion 2. Ainsi, l’écart (12 %) entre les proportions des représentants syndicaux en accord avec les deux assertions est dû à la fois à :
Leur opinion neutre (4 %, soit 2/ 50) face à l’assertion 2 ;
Leur désaccord (2 %, soit 1/ 50 avec l’assertion 2 ;
Leur non-réponse (6 %, soit 3/ 50) à l’assertion 2.
DISCUSSION
Dépréciation, méconnaissance ou bienveillance ?
La neutralité dont il est question plus haut renvoie au niveau de l’échelle de Likert « ni en accord ni en désaccord » choisi par une proportion importante de participants à l’étude pour répondre à l’assertion 2 (alors qu’ils sont en accord avec l’assertion 1). Leur attitude neutre pourrait, de prime abord, refléter une neutralité statistique parfaite. Autrement dit, leur positionnement neutre n’appellerait aucune interprétation. Cependant, comme la neutralité n’est quasiment jamais neutre (de Coorebyter, 2014), notamment en sciences humaines et sociales, trois hypothèses peuvent être émises.
Ces répondants ont en réalité une opinion négative des minorités visibles qu’ils dissimuleraient, car cette dépréciation serait inacceptable socialement.
Ils méconnaissent le groupe des employés des minorités visibles de leur entreprise, ce qui les inciterait à rester prudents au moment de s’exprimer au sujet de la propension de ces employés à obtenir une promotion.
Ils adoptent une attitude « bienveillante », car ayant conscience de règles et pratiques implicites dans leur entreprise, ils savent pertinemment que les employés des minorités visibles auront de la difficulté à se les approprier pour mieux progresser en emploi.
De telles hypothèses auraient pu être corroborées si des entretiens avec les répondants, en complément de l’approche quantitative de cette étude, avaient pu être réalisés.
Réalité des griefs et la progression en emploi
Selon les représentants syndicaux, les employés appartenant à une minorité visible déposent proportionnellement moins de griefs que leurs pairs n’appartenant pas à une minorité visible. Pourtant, toujours d’après leurs réponses, les employés appartenant à une minorité visible déposent, plus fréquemment que leurs pairs n’y appartenant pas, des griefs pour des motifs reliés à leur maintien et à leur progression en emploi, à savoir l’ancienneté, l’affichage de poste et le congédiement. Ils ont également plus tendance à déposer des griefs pour discrimination ou harcèlement. Or, la preuve de la discrimination systémique fondée sur la « race », la couleur, l’origine ethnique ou nationale est souvent difficile à faire.
Dans le secteur du travail, mais aussi dans d’autres domaines, cette discrimination peut découler d’attitudes négatives et d’un système de gestion dont une ou plusieurs composantes ont pour effet d’exclure les membres de certains groupes en raison d’un motif de discrimination. La jurisprudence définit d’ailleurs la discrimination systémique dans des termes similaires. Elle consiste en :
la somme d’effets d’exclusion disproportionnés qui résultent de l’effet conjugué d’attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l’interdiction de la discrimination[12]. (Nos soulignés.)
De plus, mentionnons le fait que les employés des minorités visibles n’osent pas toujours porter plainte dans le cas de discrimination raciale ou ethnique dans les processus de dotation (promotion, mutation) par crainte de représailles[13] de la part de l’employeur.
Surestimation de l’efficience des programmes d’accès à l’égalité en emploi
Les responsables de GRH ont tendance à surestimer l’engagement de l’employeur en matière d’accès à l’égalité en emploi. En effet, ils sont 38 % (114 sur 300) à déclarer que leur entreprise a l’obligation d’appliquer un PAÉE en vertu du POC. L’échantillon 1 comprendrait ainsi 114 entreprises assujetties au POC. Or, ce nombre est très largement supérieur à celui des entreprises du Grand Montréal assujetties au POC identifiées dans la population mère (1227 entreprises) de l’étude, soit 41 entreprises.
Les représentants syndicaux rapportent plus fréquemment que les responsables de GRH ne pas savoir si l’employeur est tenu d’appliquer un PAÉE en vertu de l’obligation contractuelle : 56 % des premiers et 16,3 % des seconds disent n’en avoir aucune idée. Seuls 14 % des représentants syndicaux indiquent que leur entreprise est soumise à l’obligation contractuelle.
Enfin, les responsables de GRH rapportent dans une grande proportion que les membres de la haute direction (58 %) et les gestionnaires (47,7 %) sont formés en matière d’accès à l’égalité en emploi. Pourtant, la représentation des membres des minorités visibles est un critère de sélection qui, rappelons-le, n’est presque jamais pris en compte dans le processus de dotation. Les représentants syndicaux, eux, déclarent beaucoup moins fréquemment que les membres de la haute direction (10 %) et les gestionnaires (10 %) ont bénéficié d’une formation portant sur l’accès à l’égalité en emploi.
Plusieurs autres constats énoncés précédemment illustrent bien que ces entreprises ne prennent pas en compte l’accès à l’égalité en emploi des minorités visibles dans le processus de promotion.
conclusion
D’un point de vue systémique, il est difficile, à l’aide de la seule approche descriptive, d’avancer que la conjugaison des pratiques d’entreprises et des attitudes des participants à l’étude engendre des effets discriminatoires sur la progression en emploi des employés des minorités visibles.
Cependant, au regard des résultats, nous constatons, d’une part, que les pratiques qui contribuent à faciliter la progression en emploi ne sont pas systématiquement appliquées dans toutes les entreprises de l’étude. D’autre part, les attitudes des responsables de GRH et des représentants syndicaux, quant à la propension des employés des minorités visibles à obtenir une promotion, ne sont pas toujours positives et pourraient nuire à leur progression dans l’entreprise.
En outre, nous pouvons raisonnablement supposer que des « qualités », implicitement attendues des candidats à la promotion dans les processus de dotation, pourraient entraver les chances de certains employés d’être promus. Quand bien même ces comportements et habiletés à adopter seraient connus de tous dans l’entreprise, ils pourraient tout de même engendrer des effets discriminatoires sur la carrière d’employés pour qui ils n’ont pas été pensés.
Rappelons par ailleurs qu’une proportion élevée de participants à l’étude répondent n’être ni en accord ni en désaccord avec la tendance des candidats des minorités visibles à la promotion à être proactifs et à assimiler la culture organisationnelle, alors que ce sont les qualités les plus fréquemment attendues d’un candidat par une grande majorité d’entre eux. Ces résultats suscitent notre intérêt quant à l’interprétation de cette réponse, neutre statistiquement, qui ne signifie pas nécessairement que l’attitude de ces participants est, elle aussi, neutre. Cette neutralité pourrait s’expliquer par le fait que certains responsables de GRH et représentants syndicaux méconnaissent les employés des minorités visibles, adoptent une attitude « bienveillante » ou dissimulent une certaine dépréciation à leur égard.
Ainsi, les résultats de cette recherche, inédits au Québec, mettent l’accent sur une dimension importante des mécanismes de perpétuation de la discrimination que pourraient subir les employés des minorités visibles. De fait, la progression en emploi de ces personnes pourrait être, encore aujourd’hui, tributaire de leur connaissance de règles et pratiques organisationnelles implicites et de leur aptitude à les utiliser à bon escient. Or, l’on sait que ce fardeau n’incombe pas à l’employé désireux d’obtenir une promotion, d’autant que ces règles, implantées par le passé au profit d’employés provenant du groupe social majoritaire, peuvent porter atteinte au droit à l’égalité des groupes d’employés historiquement discriminés. Il revient bien évidemment à l’employeur de s’assurer que les pratiques et politiques du système d’emploi soient exemptes de biais discriminatoires. Soulignons à cet effet que tous les employeurs du secteur privé québécois ont l’obligation légale, en vertu de la Charte, de ne pas discriminer à l’un ou l’autre des niveaux du système d’emploi.
Finalement, les résultats descriptifs de cette étude révèlent des inégalités de traitement dans certaines entreprises qui pourraient porter préjudice aux membres des minorités visibles. Les indicateurs principaux de ce traitement différentiel sont résumés dans ce qui suit :
La sous-représentation des minorités visibles dans les effectifs des entreprises ;
Des normes et règles organisationnelles implicites, notamment dans le processus de dotation, qui pourraient être inaccessibles aux employés des minorités visibles ;
Une connaissance de la culture organisationnelle et un comportement proactif attendus des candidats à la promotion qui pourraient avoir des effets discriminatoires sur la progression des employés des minorités visibles ;
Des critères sans fondements objectifs et difficiles à mesurer pour départager les candidats à compétences équivalentes dans les processus de dotation ;
Des programmes de mentorat souvent absents dans les entreprises alors qu’ils contribuent à la progression des employés des minorités visibles dans l’entreprise ;
L’attitude de responsables de GRH et de représentants syndicaux face à la propension des employés des minorités visibles à être promus dans l’entreprise ;
L’attitude de responsables de GRH et de représentants syndicaux face à la contribution que pourraient apporter des gestionnaires appartenant à une minorité visible à l’entreprise et aux employés ;
La proportion de griefs déposés par les employés appartenant à une minorité visible pour des motifs reliés à leur maintien et à leur progression en emploi ainsi que pour discrimination et harcèlement ;
La méconnaissance des programmes et mesures d’accès à l’égalité en emploi.
Bien que leur effet sur la carrière des employés des minorités visibles n’ait pas été testé, ces indicateurs d’inégalités témoignent néanmoins de la présence d’obstacles systémiques qui pourraient entraver la progression des membres de ce groupe dans leur entreprise.
C’est pourquoi il serait pertinent d’interroger les perceptions des personnes susceptibles de vivre la discrimination en emploi du fait de leur « race », la couleur de leur peau, leur appartenance ethnique ou nationale. Plus particulièrement, il s’agirait de les questionner sur les obstacles qui, selon eux, compromettent leur promotion en emploi. L’objectif serait de déterminer comment différents éléments au sein de l’entreprise – les pratiques organisationnelles, les processus décisionnels, les attitudes de l’employeur et des membres du personnel – s’articulent pour produire des effets d’exclusion disproportionnés sur l’avancement professionnel des membres des minorités visibles.
Afin d’appréhender le caractère systémique de la discrimination dont pourraient faire l’objet les membres des minorités visibles au sein de leur entreprise, et proposer des interventions à cet égard, il serait utile de mesurer les effets de variables, notamment l’origine ethnique ou nationale et l’identification à une minorité visible, sur leur promotion en emploi. Cette inférence ne saurait être efficace sans prendre en compte les perceptions des acteurs personnellement concernés, soit les employés des minorités visibles eux-mêmes.
Parties annexes
Note biographique
Amina Triki-Yamani est chercheure à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Cdpdj), elle travaille sur le sujet des minorités racisées depuis près de 20 ans. Ses deux champs d’expertise sont le milieu de l’enseignement et le secteur du travail. Elle est, entre autres, l’auteure de la recherche portant sur la progression en emploi des minorités visibles dans le secteur privé du Grand Montréal publiée par la Cdpdj en 2018. Elle détient un doctorat en sciences de l’éducation de l’Université Paris-X Nanterre et un postdoctorat en éducation et études ethniques du Centre d’études ethniques des universités montréalaises.
Notes
-
[1]
Cet article présente une partie des résultats d’une recherche qui s’inscrit dans la continuité de deux études de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Cdpdj) portant sur la discrimination subie par les minorités racisées en emploi (Cdpdj, 2012, Eid 2009). Elle contribue également aux actions de la Cdpdj en matière de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité réelle en emploi. Référons notamment à celles qui consistent à enquêter sur la discrimination et le harcèlement discriminatoire, interdits en vertu des articles 10, 10.1 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne, et à surveiller l’application des programmes d’accès à l’égalité.
-
[2]
La Commission privilégie le qualificatif « racisées » pour désigner les personnes qui subissent, dans le cadre d’un processus de racisation, la discrimination fondée sur les motifs « race », couleur, origine ethnique ou nationale. Toutefois, cet article parle de « minorités visibles » dans la présentation des résultats, vocable que nous avons utilisé dans les questionnaires. En effet, l’expression « minorités racisées » aurait pu ne pas être comprise par les participants à l’étude puisque l’expression « minorités visibles », qui figure dans la décision ministérielle portant sur le Programme d’obligation contractuelle (Décision n° 87-246, 23 septembre 1987) et la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics (RLRQ, c. A-2.01, art. 1) est la plus vulgarisée dans le discours public, médiatique ou politique québécois.
-
[3]
« L’organisation ou l’entreprise québécoise ayant à son emploi plus de cent (100) employés et employées au Québec, soumissionnant en vue d’un contrat de 100 000 $ et plus ou faisant la demande d’une subvention de 100 000 $ et plus, doit s’engager à mettre en place un programme d’accès à l’égalité conforme à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. » Gouvernement du Québec (1989). L’obligation contractuelle, un nouveau pas vers l’égalité en emploi. Renseignements aux organisations, p. 1.
-
[4]
Pour une bibliographie et une revue de littérature complète de ces études, voir : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2018). La progression en emploi dans le secteur privé du Grand Montréal : les minorités visibles face à des inégalités de traitement. Rapport de recherche, A. Triki-Yamani, avec la collaboration de M. Goupil-Landry et K. Mokarram (Cat. 2.126.24), 2018, p. 11-18.
-
[5]
Nous ne pouvons savoir si les entreprises au sein desquelles oeuvrent les représentants syndicaux ont pu également faire l’objet de la récolte de données auprès des responsables de GRH. À ce sujet, il a été convenu avec le Bureau des intervieweurs professionnels que l’anonymat des entreprises approchées serait conservé.
-
[6]
Nous choisissons cette expression plus acceptable que celle de « Blanc » proposée par la Loi sur l’Équité en matière d’emploi ou « origines européennes » qui peut renvoyer à des personnes ayant récemment immigré au Canada. Statistique Canada. 2017. Québec [Province] et Canada [Pays] (tableau). Profil du recensement, Recensement de 2016, produit nº 98-316-X2016001 au catalogue de Statistique Canada. Ottawa. Diffusé le 29 novembre 2017. https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/prof/index.cfm?Lang=F (site consulté le 11 novembre 2019).
-
[7]
Id.
-
[8]
Il s’agit ici de l’estimation que font les participants à l’étude du nombre d’employés des minorités visibles de leur entreprise.
-
[9]
Ces cinq pratiques sont : le plan de relève, l’affectation temporaire, l’évaluation de rendement avec rétroaction, la formation et les programmes de mentorat.
-
[10]
L’entreprise est proactive si elle met en place quatre à cinq pratiques de promotion, moyennement proactive si elle en met deux à trois et non proactive si elle n’en applique qu’une ou aucune.
-
[11]
La question B11) destinée aux responsables de la gestion des ressources humaines est la suivante : Dans quelle mesure êtes-vous en accord ou en désaccord avec les affirmations suivantes : « Dans votre entreprise, les candidats à une promotion interne appartenant à une minorité visible ont tendance à :
faire partie d’un réseau professionnel ;
trouver le bon mentor ;
planifier leur carrière ;
demander des rétroactions régulières sur leur travail ;
être proactif ;
assimiler la culture organisationnelle de l’entreprise. »
-
[12]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain inc. 2008 QCTDP 24, par. 36 Cité par Gaz métropolitain inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011 QCCA 1201, par. 27.
-
[13]
Voir par exemple : Chopra c. Santé Canada, 2008 TCDP 39, par. 244, 266 et 267.
Bibliographie
- Catalyst (2010). Unwritten rules : Why Doing a Good Job Might Not Be Enough. Sabattini, L. and Dinolfo, S. Récupéré de https://www.catalyst.org/wp-content/uploads/2019/02/unwritten_rules_why_doing_a_good_job_might_not_be_enough.pdf.
- Catalyst (2008). Unwritten rules : What You Don’t Know Can Hurt Your Career, Sabattini, L. Récupéré de https://www.catalyst.org/wp-content/uploads/2019/02/Unwritten_Rules_What_You_Dont_Know_Can_Hurt_Your_Career_0.pdf.
- Chambre de commerce du Montréal métropolitain (2016). Les immigrants en bonne position pour accéder à des postes stratégiques.
- Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
- Chicha, M. T. (2001). Les politiques d’égalité professionnelle et salariale au Québec : l’ambivalence du rôle de l’État québécois. Recherches féministes, 14(1), 63-82.
- Chicha, M. T. et Charest, E. (2006). L’accès à l’égalité en emploi pour les minorités visibles et les immigrés : l’importance d’un engagement collectif. Mémoire présenté à la Commission de la Culture en vue d’une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et les discriminations.
- Chicha, M. T. et Charest, E. (2013). Le Québec et les programmes d’accès à l’égalité : un rendez-vous manqué ? Analyse critique des programmes d’accès à l’égalité depuis 1985. Centre d’études ethniques des universités montréalaises.
- Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2015). Mémoire à la Commission des relations avec les citoyens de l’Assemblée nationale sur le document intitulé Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion – Cahier de consultation (Cat. 2.120-7.30).
- Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2012). Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées : résultats d’un « testing » mené dans le Grand Montréal, Eid, P. avec la collaboration de Azzaria, M. et Quérat M. (Cat. 2.120-1.31).
- Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (juin 2009). Rapport d’implantation du programme d’accès à l’égalité en emploi, Partie 2, Questionnaire, Première phase d’implantation dans le cadre de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics.
- Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (février 2003). Guide pour l’analyse du système d’emploi.
- Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (1998). Les programmes d’accès à l’égalité au Québec. Bilan et perspectives.
- Conseil des relations interculturelles (2009), « EDIT », Rapport du sondage Edit-entreprises diversifiées et talentueuses mené auprès des entreprises québécoises.
- de Coorebyter, V. (2014). La neutralité n’est pas neutre. Dans D. Cabiaux, F. Wibrin, L. Abedinaj, L. Blésin (dir.), Neutralité et faits religieux. Quelles interactions dans les services publics ?(p. 19-42). Louvain-la-Neuve : Academia-L’Harmattan.
- Diversité EnTête (2016). Les femmes et les minorités visibles occupant des postes de leadership : profil de la région métropolitaine de Montréal, Rapport 2015, Institut de la diversité de l’Université Ryerson et Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill.
- Diversité EnTête (2012-2013). Les femmes et les minorités visibles occupant des postes de leadership : profil du Montréal métropolitain, Rapport 2012-2013, Institut de la diversité de l’Université Ryerson et Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill.
- Eid, P. (dir.) (2009). Pour une véritable intégration : droit au travail sans discrimination. Actes du colloque du même nom tenu par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en novembre 2008. Montréal : Fides.
- Innovation, Sciences et Développement économique Canada (juin 2016). Principales statistiques relatives aux petites entreprises. Direction générale de la petite entreprise.
- Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (2013). Les pratiques de recrutement des entreprises au Québec, A. Dubé.