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Cette entrevue a été réalisée en avril 2019, par Audrey Rousseau, professeure au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais, dans les bureaux du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec avec l’aimable participation de Geneviève Ashini, conseillère en santé et services sociaux :
Je suis la personne-ressource qui s’occupe d’outiller les intervenants qui sont dans les Centres, mais mon poste implique aussi plusieurs tâches connexes qui permettent de faciliter l’accès aux soins de santé aux Autochtones qui vivent en milieu urbain.
Et celle d’Audrey Pinsonneault, coordonnatrice de la recherche et de l’amélioration continue :
Mon rôle est de m’assurer que la recherche, autant les processus de recherche que les résultats de recherche, puisse être utile et optimisée, mais aussi d’accompagner les Centres d’amitié dans le développement de leurs capacités et de leur autonomie au niveau de la recherche et de l’évaluation.
La mission du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ) est d’améliorer les conditions de vie des Autochtones en milieu urbain et de favoriser le rapprochement entre les peuples.
Audrey Rousseau (A. R.) (NPS) ‑ Sur une note terminologique, qu’est-ce qu’être Autochtone au Canada ? Qui sont les peuples autochtones reconnus dans la province de Québec et à quoi ressemble leur présence en milieu urbain ?
Audrey Pinsonneault (A. P.) ‑ De manière générale, les définitions officielles des peuples autochtones au Canada incluent les Premières Nations, les Métis et les Inuit[1]. Dans le cas des Métis, il s’agit de groupes qui ont une reconnaissance constitutionnelle dans l’ouest du pays et en Ontario. Au Québec, il n’y a pas de groupe Métis reconnu constitutionnellement. Ainsi, dans la province, il y a onze nations autochtones, soit dix Premières Nations et les Inuit. À l’intérieur d’une même nation, il peut y avoir beaucoup de diversité, car chaque communauté a une situation géographique unique. Il y a également de nombreux Autochtones qui résident de manière temporaire ou permanente en dehors des communautés. Selon les dernières données de Statistique Canada pour la province de Québec, on considère qu’il y a environ 55 % des membres des Premières Nations qui résident de manière permanente en dehors des communautés et 15 % des Inuit. Donc cela constitue une part importante de la population autochtone et les données officielles montrent que la population autochtone urbaine est en forte croissance au Québec.
Lorsqu’on parle des « Autochtones en milieu urbain », on parle des Autochtones qui vivent en dehors des communautés territoriales, mais également ceux qui sont de passage en milieu urbain ou ceux qui sont établis de manière temporaire dans de petites ou grandes villes. Il n’y a pas de données officielles qui permettent de saisir l’ampleur de la présence des Premières Nations et des Inuit en milieu urbain[2], mais on peut l’observer sur le terrain, dans les Centres d’amitié, les besoins augmentent. Au cours des cinq dernières années, il y a quatre nouveaux Centres d’amitié qui ont été créés à la suite de mobilisations citoyennes autochtones dans les villes de Roberval, Maniwaki, Trois-Rivières et Québec.
Sur le terrain, on voit aussi que les besoins sont de plus en plus complexes. Dans une même ville, on retrouve des Autochtones de différentes nations et qui vivent différentes réalités. Par exemple, il peut y avoir des gens qui viennent tout juste d’arriver en milieu urbain, tandis que d’autres ont grandi en ville et plusieurs conservent un lien fort avec leur communauté. Le Mouvement des Centres d’amitié autochtones est une structure qui offre une voix à tous les Autochtones en milieu urbain. On voit de plus en plus émerger un leadership et une mobilisation citoyenne autochtones dans les villes au Québec. Cette mobilisation s’exprime entre autres à travers le Mouvement des Centres d’amitié et elle est évidemment soutenue par le Regroupement.
A. R. (NPS) ‑ Qu’est-ce qui distingue l’identité des personnes autochtones de celle d’autres groupes sociaux ou ethniques au pays ou au Québec ?
Geneviève Ashini (G. A.) ‑ Ce qu’on pourrait dire, c’est que c’est vraiment lié au territoire. Les cultures autochtones sont très liées aux territoires parce qu’au niveau historique, on sait que les Autochtones étaient ici. La différence entre les Autochtones et les minorités ethniques, c’est que les Autochtones sont ici et que c’était leur place initiale. Alors que les minorités ethniques viennent d’ailleurs. Ce serait alors l’histoire des Autochtones qui fait leur différence. Lorsqu’on prend le mot « autochtone », la définition propre fait référence à des personnes qui viennent d’ici. Je pense que cette définition représente bien les Premières Nations au Québec.
A. P. ‑ J’ajouterais que les cultures autochtones, elles n’existent qu’ici. Alors que les groupes ethnoculturels, leur langue et leur culture existent aussi ailleurs, donc l’enjeu de la reconnaissance et de la préservation des langues et des cultures autochtones est beaucoup plus important. J’ai aussi envie d’ajouter que parfois il y a une confusion au niveau des intervenants qui vont représenter l’État, par exemple des intervenants en travail social, c’est certain qu’il y a une différence au niveau de la relation d’une personne immigrante par rapport à l’État qui est sa terre d’accueil et la relation d’un Autochtone par rapport à l’État québécois qui est associé à la dépossession et à la colonisation. Donc, c’est certain que la relation au départ, elle s’inscrit dans un contexte qui est totalement différent. Puis cela fait aussi partie de pourquoi les services doivent être ajustés avec une sensibilité et une ouverture particulières quand on travaille avec les Autochtones versus d’autres communautés ethnoculturelles.
A. R. (NPS) ‑ En tant qu’association provinciale, le Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec milite pour les droits et les intérêts des citoyens autochtones dans les villes, et représente aussi les Centres d’amitié autochtones qui offrent des services culturellement pertinents et sécurisants en milieu urbain. Pouvez-vous donc nous parler de ce qui définit l’action et l’approche des Centres d’amitié autochtones du Québec ?
A. P. ‑ En fait, c’est certain qu’à l’intérieur du Mouvement des Centres d’amitié autochtones, il y a toujours eu une approche qui n’impose rien du haut vers le bas. Les Centres d’amitié et le Regroupement ont des mécanismes en place pour être à l’écoute en continu des besoins et des priorités des membres des collectivités autochtones dans les villes. Un Centre d’amitié c’est à la fois un carrefour de services, parce qu’il y a beaucoup de services offerts dans les Centres, mais c’est aussi un milieu d’ancrage communautaire et culturel où on peut aller socialiser, voir ses amis, etc. Il faut comprendre que d’être Autochtone et de vivre dans une ville font en sorte que les Autochtones sont champions lorsque c’est le temps de s’adapter à une autre culture et ils le font en permanence. Par exemple, presque tous les Autochtones au Québec parlent une des deux langues officielles du Canada. Lorsqu’ils sont en ville, leurs enfants vont dans les écoles québécoises donc ils connaissent très bien la culture québécoise et ils sont toujours en train de s’y ajuster. Un Centre d’amitié autochtone peut être un endroit où on se repose de ça et où on peut juste être qui on est et vivre sa culture, de la façon qu’on a envie de la vivre, parce qu’il n’y a pas une seule façon de vivre sa culture et son identité autochtones.
Les Centres d’amitié sont des milieux de vie ouverts que les gens peuvent fréquenter au quotidien. Pour certaines familles, ça peut être un endroit pour aller recevoir des enseignements ou approfondir leur culture ou leur fierté identitaire. Un Centre d’amitié, c’est aussi un lieu, en milieu urbain, où les Autochtones peuvent avoir accès à certains services de santé, du support psychosocial, de l’aide pour trouver un emploi, du soutien scolaire, etc., tout ça dans un contexte culturellement sécurisant et pertinent.
Dans un Centre d’amitié, tout se passe beaucoup dans l’informel, c’est vraiment à partir de la relation humaine que se développe et se bâtit une relation de confiance envers les intervenants et les services. Ça se passe dans le rire et dans le silence partagé ensemble. Ce n’est pas comme dans le réseau québécois par exemple, où tu vas voir l’intervenant psychosocial au CLSC et puis ensuite tu es référé à un autre professionnel avec qui tu dois prendre rendez-vous, où tout fonctionne en silo. Au sein des Centres d’amitié, tout est pas mal décompartimenté et selon les différents besoins, on va guider la personne vers les services appropriés. Quand c’est nécessaire, il y a aussi de l’accompagnement qui se fait vers les ressources externes, le Centre peut donc faire le pont vers les services du réseau québécois. Les Centres d’amitié ont une approche globale où on considère qu’un individu n’est pas tout seul, qu’il se rattache à une famille, à une communauté. Donc le mieux-être de chacun passe aussi par le mieux-être collectif. Enfin, ce qui est différent dans un Centre d’amitié, c’est qu’il peut y avoir des gens de différentes nations qui se côtoient et même, de différentes langues. Donc, c’est aussi un lieu de rencontres et de rapprochements entre les peuples.
A. R. (NPS) ‑ Lorsque vient le temps de dénoncer des inégalités, des injustices que subissent les individus, les familles, les collectivités autochtones urbaines, de quelle manière le Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ) peut-il soutenir l’autonomie des organisations et de la société civile autochtone urbaine ?
A. P. ‑ C’est important de dire que le RCAAQ est une association provinciale. Chaque Centre d’amitié est une organisation autonome, avec son propre conseil d’administration, et chaque Centre est libre d’être affilié ou non avec le Regroupement. Pour nous, c’est important parce que les Centres et le Regroupement choisissent de se rassembler pour faire avancer des luttes communes. Dans un Centre d’amitié, les gens peuvent prendre la parole, gagner en confiance, puis se mobiliser. Donc, un Centre d’amitié donne une voix aux Autochtones qui n’ont pas de représentation politique dans une ville. De là peuvent émerger toutes sortes de dénonciations, mais aussi des actions très positives. Sans un Centre d’amitié, les Autochtones sont souvent invisibles en milieu urbain. Au sein de notre Mouvement, il y a un Centre qui a cinquante ans cette année à Chibougamau, mais il y a aussi des Centres d’amitié qui ont deux ans et demi et on voit la différence que ça fait dans une ville. Lorsque c’est le temps de dénoncer certaines injustices ou inégalités, c’est certain que c’est dans la mission du Regroupement de militer pour les droits et les intérêts des Autochtones qui sont en milieux urbains et de supporter les Centres à ce niveau. Quand un enjeu dépasse les capacités ponctuelles des Centres d’amitié parce qu’ils sont déjà très occupés sur le terrain, le Regroupement peut aussi faciliter le partage des expériences et des préoccupations à l’échelle provinciale. Lorsqu’il y a un besoin ou un enjeu qui émerge dans une ville, il y a souvent un autre Centre qui a déjà fait des essais et des erreurs par rapport à cet enjeu, donc le partage des expériences améliore les actions locales sur certains enjeux et parfois ça nous permet de nous regrouper pour avoir une influence plus grande. Ainsi, on est vraiment plus fort tous ensemble, mais on reconnaît l’autonomie, la diversité, l’unicité de chaque Centre d’amitié puis de chaque ville.
Par exemple, par rapport aux injustices, aux inégalités et à la discrimination, cette année le Regroupement facilite ou favorise l’organisation de forums sociojudiciaires. Le premier événement a eu lieu à Val-d’Or au mois de mars 2019, mais il y en aura d’autres. Ces forums sont des lieux où on peut rencontrer des gens du réseau québécois, des intervenants, des chercheurs, le ministère de la Sécurité publique, le ministère de la Justice, la direction des poursuites criminelles et pénales, des partenaires qui sont touchés de près ou de loin par la justice et les gens du milieu des Centres d’amitié autochtones, afin de chercher des solutions ensemble. Au niveau de la justice, le grand constat qu’on a fait jusqu’à présent est que trop souvent, la porte d’entrée, le premier contact avec les services publics pour les Autochtones est le système de justice : les policiers, le système correctionnel, la protection de la jeunesse, etc. Ce sont des gens qui auraient eu besoin de services avant, mais la prévention n’a pas été faite, les services n’ont pas été là. C’est important de réfléchir à des solutions tous ensemble. On ne veut pas seulement dénoncer, on veut agir.
A. R. (NPS) ‑ Cette question concerne les résultats de l’enquête qui s’intitule « Les Autochtones en milieux urbains et l’accès aux services publics : portrait de la situation au Québec » qui a été publiée par le Regroupement en 2018[3] et qui a été aussi présentée lors de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (aussi appelée Commission Viens). Je sais, Audrey, que tu faisais partie de la délégation avec une autre personne. Donc, pouvez-vous situer les raisons qui ont justifié la réalisation de l’enquête ainsi que nous parler brièvement des observations qui touchent les discriminations envers les populations autochtones urbaines ?
A. P. ‑ Le contexte qui a justifié la réalisation de l’enquête est important. Premièrement, on sait qu’il y a eu une crise majeure en 2015, que le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or a joué un rôle de premier plan dans les dénonciations qui ont été faites et que cette crise a été l’élément déclencheur de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec. De plus, le Regroupement a chapeauté la création, en 2016, de tables locales et centrales d’accessibilité aux services en milieu urbain pour les Autochtones. Avec ces tables, tout le monde se regroupe ensemble pour dénouer certaines impasses et faire avancer les changements qui sont nécessaires pour favoriser l’accès équitable des Autochtones aux services. Les membres de ces tables souhaitaient avoir un portrait juste et à jour de la situation des Autochtones en milieu urbain. Pour nous aussi, au sein du Mouvement des Centres d’amitié, on avait besoin de données probantes pour appuyer nos actions. On a donc réalisé une enquête auprès de plus de 1700 adultes autochtones dans 13 villes du Québec. Un questionnaire d’environ 82 questions a été distribué et rempli. C’est le plus grand échantillon de population autochtone urbaine qui a été recueilli à ce jour au Québec. Étant donné l’absence de données sur les réalités urbaines, cette enquête nous offre un portrait qui est très pertinent.
Les résultats ont été accueillis sans grande surprise par les gens des Centres d’amitié, car c’est venu confirmer des choses qu’on savait déjà sur le terrain. On constate, par exemple, qu’il y a une grande précarité financière, qu’il y a beaucoup d’adultes autochtones sans emploi, qu’il y a beaucoup de gens sans diplôme et tout ça colle très bien à ce qui était déjà vécu et observé sur le terrain, mais cette fois, on a des données qui le prouvent. Ça pour nous, c’est très utile parce qu’on est maintenant en mesure de démontrer qu’il y a des besoins dans plusieurs domaines.
Puis, on a aussi documenté l’interaction entre les Autochtones et les différents secteurs des services publics. Il en ressort toutes sortes de choses intéressantes. On remarque entre autres qu’il y a des barrières culturelles qui limitent l’accès aux services pour certains Autochtones, mais pas tous. Donc, il y a une part non négligeable des Autochtones qui n’utilisent pas les services parce qu’ils ne maîtrisent pas bien la langue, parce qu’ils ont peur du racisme ou parce qu’ils trouvent que les services ne correspondent pas bien à leurs valeurs et à leur culture. Ensuite, ce qui ressort de l’enquête, c’est qu’il y a une très grande méconnaissance des services publics de la part des Autochtones. On encourage donc les services publics à mieux se faire connaître et à peut-être adresser un message plus spécifique aux Autochtones. Par la suite, on constate qu’il y a peut-être un effort à faire au niveau des relations humaines. Tous les participants à l’enquête se faisaient demander : « est-ce que vous avez déjà vécu du racisme ou de la discrimination dans le cadre de la prestation de services dans le réseau public ? », et 57 % des répondants ont dit oui. C’est quelque chose de choquant, mais encore une fois, pour les gens qui travaillent à l’intérieur du Mouvement des Centres d’amitié autochtones, ce n’était pas surprenant. C’est donc intéressant pour nous d’avoir ce genre de preuve solide pour appuyer nos recommandations.
A. R. (NPS) ‑ Quelles sont, d’après vous, les formes actuelles ou les manifestations du racisme envers les populations autochtones urbaines au Québec ?
G. A. ‑ Lorsqu’on regarde au niveau historique en lien avec le colonialisme qui a été présent, on peut faire le lien avec des situations qui persistent jusqu’à aujourd’hui. On a mentionné qu’il y a une méconnaissance des services de la part des Autochtones, mais il y a une grande méconnaissance de leurs droits aussi. Et il y a aussi de la méconnaissance des cultures autochtones de la part des intervenants du réseau, ce qui fait en sorte qu’il y a une difficulté de travailler en collaboration. La conséquence c’est que les services québécois sont sous-utilisés par les Autochtones.
A. P. ‑ Il y a vraiment du travail à faire au niveau de la méconnaissance et même de l’ignorance de la part des Québécois. De manière générale, l’histoire et les réalités autochtones sont très mal connues, même dans les régions et les villes où la présence autochtone est très importante. Donc, évidemment, les relations ne sont pas faciles dès le départ.
G. A. ‑ La méconnaissance découle vers de la discrimination. Les préjugés qui sont mis de l’avant, les stéréotypes à propos des Autochtones, ce sont des choses qui sont apprises dans la société, qui sont nourries dans la société également. Je pense que si on avait l’heure juste de part et d’autre, il y aurait beaucoup moins de discrimination et de racisme.
A. R. (NPS) ‑ Est-ce que vous pourriez nous nommer une situation très fréquente de racisme, par exemple, dans l’accès à des services dans le domaine de la santé ou dans le domaine de l’éducation ? Il y a quelque chose d’extrêmement fréquent lorsqu’on dit que 57 % disent avoir vécu du racisme lorsqu’ils ont tenté d’accéder à des services publics, est-ce qu’il s’agit de racisme ouvert ? Est-ce que c’est du racisme sous couvert ? Même si c’est un phénomène difficile à quantifier, est-ce qu’il y a certaines villes où c’est plus commun ? Ou bien, certaines villes où il y a une histoire de la présence de l’Autre ?
A. P. ‑ C’est certain que les Autochtones se retrouvent dans différentes villes au Québec. Il y a des villes où la présence autochtone est assez nouvelle, donc on part avec une ignorance, une méconnaissance de leurs réalités. Dans les grands centres urbains comme Trois-Rivières et Québec par exemple, ils sont un peu invisibles, car il y a une grande diversité culturelle, mais il n’y a pas de préjugés spécifiques envers les Autochtones. Par contre, il y a des régions au Québec où la cohabitation entre les Autochtones et les non-Autochtones porte un historique assez lourd. Il y a donc encore beaucoup de villes au Québec où on voit que les Autochtones et les non-Autochtones vivent des réalités parallèles, c’est-à-dire que souvent les gens ne se connaissent pas même s’ils se côtoient au quotidien. Je ne sais pas si les racines du racisme sont plus profondes dans certaines villes, mais il y a définitivement des régions et des villes où il n’y a pas beaucoup de relations entre Autochtones et non-Autochtones. C’est quelque chose qui existe dans plusieurs régions du Québec. Dans d’autres régions où la présence autochtone est un phénomène plus nouveau comme à Saguenay par exemple, ce sont d’autres enjeux qui sont soulevés. L’histoire des relations est différente d’une ville à l’autre, mais le manque de reconnaissance des peuples autochtones est assez généralisé. La société québécoise travaille tellement fort à revendiquer sa spécificité culturelle et linguistique dans le Canada, c’est tout de même étonnant d’avoir des groupes d’individus qu’on rend invisibles en 2019 parce qu’on ne reconnaît pas leur place. Les Autochtones, ce sont des groupes, des cultures et des nations qui étaient présents sur le territoire bien avant que les Québécois arrivent.
G. A. ‑ Si on regarde les villes où il y a un Centre d’amitié autochtone au Québec, il y a des grandes villes où il y a déjà une certaine diversité culturelle qui est présente, donc on est moins perçus comme une minorité en tant qu’Autochtones, on est plus invisibles. Par contre, quand on est dans une région éloignée, on nous remarque davantage parce qu’il y a moins de diversité. La question qu’on peut se poser, c’est dans quel cas y a-t-il le plus de discrimination ? Dans les deux cas il y a des difficultés et des enjeux.
A. R. (NPS) ‑ En lien avec la méfiance qui a été mentionnée plus tôt, quel type de solution ou de vision serait à privilégier afin d’assurer la reconstruction du lien de confiance entre les services publics et les populations autochtones au Québec ? À partir justement de l’étude dont on discute, y avait-il des pistes qui avaient été révélées par rapport à ce qui pourrait aider à consolider, à reconstruire ou à construire ce lien de confiance ?
A. P. ‑ Il y a, à toutes les échelles, vraiment beaucoup d’exemples porteurs de ça. Je pense que ça ne peut plus être simplement des mots et des paroles, il faut agir. Et puis je pense qu’il faut être patient parce qu’on parle de reconstruire une relation qui a été abîmée, qui a été difficile et qui est porteuse de blessures. On ne peut pas tourner la page rapidement, il faut le reconnaître et il faut laisser du temps. Après, il faut qu’il y ait des initiatives sur le terrain, avec la participation des Autochtones. Les Centres d’amitié se retrouvent souvent à être des incubateurs d’innovations et des lieux où des idées émergent. Lorsque les partenaires du réseau public décident d’embarquer avec les Centres dans cette aventure, d’innover réellement, il y a de nombreux exemples où cela donne des résultats exceptionnels. En milieu urbain, on veut créer des projets ensemble et non construire en silo. On essaie vraiment de vivre ensemble de façon harmonieuse. Il s’agit de donner leur juste place aux Autochtones afin de réfléchir à des solutions, mais en collaboration et en partenariat.
G. A. ‑ Le but est de travailler en partenariat pour essayer de rendre les services accessibles pour les Autochtones, tout en s’assurant que ces services soient sensibles aux réalités autochtones. Il faut être proactif autant dans le réseau que dans les Centres d’amitié pour reconstruire des liens de confiance.
A. P. ‑ Il y a vraiment beaucoup d’exemples de ça, par exemple le projet « Kijaté », qui est une initiative à Val-d’Or, qui a permis de construire des logements sociaux avec un espace communautaire pour des familles autochtones. Il y a de grands logements pour les grandes familles, mais aussi des petits logements pour les personnes seules. Il y a vraiment un support sur place et une complémentarité avec les autres services du centre. C’est un projet porteur et intéressant. À La Tuque, il y a « Sakihigan » qui est un projet d’économie sociale axé sur le tourisme et les événements culturels et qui génère certains revenus en plus de permettre à des Autochtones sans emploi d’effectuer des stages en milieu de travail. Un autre exemple d’initiative inspirante est le « wellness center » du Centre d’amitié autochtone de Maniwaki qui donne aux Autochtones un accès à des professionnels de la santé directement dans le Centre d’amitié. Le médecin et l’infirmière travaillent en partenariat et en collaboration avec le reste de l’équipe du Centre pour favoriser le mieux-être global des individus et des familles. Il y a des projets de construction de milieux de vie résidentiels pour des étudiants autochtones qui sont en cours à Sept-Îles et Trois-Rivières. Donc, il y a vraiment toutes sortes de projets pilotes, d’initiatives, qui sont très encourageants et qui, je pense, participent à construire un lien de confiance avec le réseau public. Et cela se fait à toutes les échelles.
A. R. (NPS) ‑ Il y a eu beaucoup de tentatives, d’initiatives, on voit aussi qu’il commence à y avoir un écho sociétal dans les dernières années. Lorsqu’on regarde ce qui s’est fait dans le passé et ce qui se fait au présent, qu’est-ce qui peut expliquer l’échec de certaines politiques d’inclusion qui faisaient la promotion de l’égalité, qui étaient contre la discrimination, et qui étaient pour la participation citoyenne lorsqu’il était question des populations autochtones d’après vous ?
A. P. ‑ Au sein du Mouvement des Centres d’amitié, ce qu’on remarque, parce qu’il y a eu toutes sortes de tentatives effectuées, c’est que lorsqu’on vise seulement à adapter les services existants pour la clientèle autochtone, ça ne fonctionne pas. Pour vraiment favoriser l’accès équitable des Autochtones aux services dont ils ont besoin, il faut réfléchir différemment, il faut faire les choses différemment et il faut impliquer les Autochtones et donc coconstruire les solutions ensemble. On dit que les Centres d’amitié autochtones du Québec sont experts en innovations sociales, parce que les solutions n’existent pas encore, il faut les inventer. Évidemment, on peut s’inspirer des cultures et des valeurs autochtones. On peut aussi s’appuyer sur l’expertise qui existe dans les Centres d’amitié autochtones et ailleurs. On peut donc se mettre ensemble pour innover. Mais adapter, tenter de faire entrer les Autochtones dans les petites boîtes qui existent déjà, on essaie depuis longtemps et on voit bien que ça ne fonctionne pas. Les rapports des Commissions d’enquête le montrent clairement. Au lieu d’adapter, il faut innover, faire autrement!
A. R. (NPS) ‑ Comment décririez-vous l’implication et la place des femmes et des jeunes Autochtones dans le Mouvement des Centres d’amitié autochtones au Québec?
G. A. ‑ Dans les Centres d’amitié autochtones, on peut voir que les principaux acteurs sont des femmes. Pour ce qui est des jeunes Autochtones en milieu urbain, ce sont majoritairement des étudiants et la place de leur implication est très importante. Ce sont eux et elles qui font vivre le Mouvement. Les Centres d’amitié sont des incubateurs des leaders de demain.
A. P. ‑ On parle souvent des défis que les Autochtones rencontrent et c’est vrai qu’il y a des gens qui vivent des problématiques très difficiles, mais tous les gens qui gravitent autour des Centres d’amitié sont porteurs d’aspirations et de rêves. À travers le Mouvement, ils ont l’opportunité de mettre de l’avant leur vision pour l’avenir. D’ailleurs, il y a plusieurs employés et administrateurs des Centres d’amitié qui sont arrivés dans le Mouvement à un moment de leur vie où ils avaient besoin de soutien et heureusement, ils ne sont jamais partis.
Parties annexes
Remerciements
L’intervieweuse tient à remercier chaleureusement Geneviève Ashini et Audrey Pinsonneault pour leurs paroles généreuses et leur travail axé vers la transformation et la justice sociale. De plus, ce projet de collaboration et de coécriture repose sur l’action durable des Centres d’amitié autochtones du Québec ainsi que sur le soutien plus ponctuel de l’équipe de rédaction de ce numéro de NPS. En terminant, nous souhaitons souligner l’implication des intervenants et des membres des Centres d’amitié autochtones qui ont pris part aux travaux de recherche et ont ainsi contribué à fournir un portrait unique des discriminations envers les populations autochtones urbaines.
Notes
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[1]
Comme le Bureau de la traduction du Canada en discute, le terme qu’ont choisi les Inuit pour se désigner eux-mêmes peut être employé comme nom propre ou comme adjectif. « Selon l’organisme inuit Tapiriit Kanatami, le mot Inuit en tant que nom propre s’emploie généralement seul [et s’inscrit avec une majuscule, comme tous les noms de peuples, par exemple, un Français]. Toutefois, il n’est pas d’usage de parler de peuples inuits, expression qui se révèle redondante. Comme nom propre, Inuit ne prend pas la marque du pluriel. Notez que le mot inuit utilisé comme adjectif s’accorde en genre et en nombre. » (emphases du texte d’origine) : Terminologie autochtone (2002). En ligne : http://publications.gc.ca/collections/Collection/R2-236-2002F.pdf.
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[2]
Depuis 2009, les Cahiers ODENA, portant sur l’Autochtone urbaine, permettent un tour d’horizon scientifique et communautaire des réalités vécues par les personnes autochtones en milieu urbain dans la province de Québec. En ligne : https://reseaudialog.ca/produire/cahiers-odena/. Consulté le 25 juin 2020.
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[3]
Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ). 2018. Les Autochtones en milieu urbain et l’accès aux services publics. Portrait de la situation au Québec. Enquête provinciale menée en 2016-2017. Wendake.