Les comptes rendus

Corps suspect, corps déviant, Sylvie Frigon, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2012, 316 p.[Notice]

  • Ariane Vinet-Bonin

…plus d’informations

  • Ariane Vinet-Bonin
    Étudiante de 2e cylcle, École de service social, Université de Montréal

Sous la direction de Sylvie Frigon, ce collectif d’auteurs.es porte sur l’enfermement et le contrôle du corps des personnes criminalisées et psychiatrisées. Il s’agit d’un ouvrage passionnant qui jette un éclairage fort intéressant et offre un point de vue critique sur des réalités et pratiques sociales méconnues et peu discutées. L’influence de la pensée de Foucault et Goffman traverse et nourrit la réflexion théorique de presque tous les chapitres du livre. En début d’ouvrage, Frigon révèle la genèse du projet dont l’objectif est « d’explorer comment la construction de corps déviants (féminins et masculins) reconduit ou modifie les représentations symboliques du corps normal » (p. 21). Ce thème fait l’objet d’un de ses cours au département de criminologie de l’Université d’Ottawa dans lequel elle tente, avec des collègues de diverses disciplines dont plusieurs collaborent à l’ouvrage traité ici, de « constituer une sorte d’archéologie de ces discours disciplinaires sur le corps » (p. 21). L’ouvrage est divisé en trois sections dont nous discuterons l’une à la suite de l’autre. La première partie, intitulée De la phrénologie du mal à la technologie du mal, comprend trois chapitres. Dans le premier, Sylvie Frigon nous propose un survol historique de la théorisation du corps en sociologie et en criminologie. L’auteure situe à la fin des années 1960 la naissance de la sociologie du corps, laquelle – insufflée par les études féministes – aurait pour objet principal la construction sociale et culturelle du corps. Frigon met en lumière le double standard qui contribue à renforcer le contrôle du corps des femmes, particulièrement de celles qui ne correspondent pas aux rôles de femme, épouse et mère que leur confère la société. Cette question est d’ailleurs explorée dans plusieurs chapitres de cet ouvrage. L’auteure rend également compte des différentes théories qui tracent un lien entre le corps et le crime. Elle réfère à l’analyse de Foucault de la « transition de la macropolitique du spectacle à la microphysique d’une surveillance » (p. 32) pour illustrer les transformations historiques des savoirs et pratiques criminologiques. Les techniques de surveillance et de contrôle du corps criminalisé prennent en effet des formes de plus en plus sophistiquées et insidieuses, tel qu’en témoignent Dominique Robert et Martin Dufresne dans le second chapitre. Ces auteurs nous révèlent les liens entre les développements en génétique et l’évolution de la criminologie vers une ère de « surveillance corporelle prospective » (p. 62). Robert et Dufresne montrent comment l’interaction entre les gènes et l’environnement ferait en sorte que les conditions de la criminalité ne soient plus inscrites de façon fixe dans le corps, ni dans le temps et l’espace. La technologie d’identification génétique – qui consiste à prélever des substances corporelles de personnes considérées suspectes, qu’elles aient été déclarées coupables ou non – contribuerait à « la prolifération administrative du corps » (p. 59). Ainsi, le profil génétique de personnes condamnées dans le passé serait conservé et utilisé pour toutes les affaires futures. En prolongeant la vie génétique de certaines parcelles du corps, on prolongerait en même temps celle de l’enquête policière. Dans le troisième chapitre, on quitte l’univers de la criminologie pour se plonger dans celui de la psychiatrie légale où la surveillance et le contrôle des corps s’exerceraient à travers des pratiques behavioristes. Les auteurs Dave Holmes et Stuart J. Murray nous proposent le fruit d’une réflexion critique, à partir d’une perspective éthique et politique, sur les plans de modifications de comportement (PMC), employés pour modifier les comportements dits déviants. Ces interventions perdureraient depuis les années 1970 et ce, malgré les critiques selon lesquelles elles ne permettraient pas de réhabiliter les personnes …