Ce dossier de Nouvelles pratiques sociales veut explorer, documenter et soulever les enjeux de l’intervention sociale territoriale. L’émergence d’une démocratie de proximité, au sens de l’exercice de pratiques plus démocratiques, cohésives et participatives au sein des communautés locales, est un défi important à relever pour assurer des processus de développement, de prestation de services et de transformations sociales ouvrant sur l’amélioration des conditions de vie et l’accroissement du pouvoir d’action des populations. Par ailleurs, cet accent sur la démocratie locale et la participation territoriale ne pourrait, sans être un échec, se réaliser au détriment d’une citoyenneté vécue en référence à des enjeux plus larges qui conditionnent des communautés locales. Se pose dès lors le défi d’une construction ouverte de ces communautés locales. Prenant l’échelle locale de territoire comme point d’entrée et d’arrivée, ce dossier s’inscrit dans une perspective multiscalaire de la construction des pouvoirs locaux. Selon un jeu de va-et-vient à échelles de territoires multiples (d’habitat, microlocal, local, régional, national...) et d’interterritoires, nous nous demandons comment des pratiques sociales, territoriales et locales de développement peuvent favoriser des actions et engendrer des conjonctures et des contextes politiques, culturels, économiques en appui au pouvoir des personnes et des communautés pour transformer leurs conditions de vie tant objectives que subjectives et intersubjectives. Ce dossier, nous l’avons porté à partir de nos pratiques dans ce domaine. Au cours des dernières années, que ce soit par la recherche ou l’action terrain, nous avons pu constater le potentiel et la créativité des approches d’intervention territoriale. Nous y avons également vu des limites, des dangers, des déviations possibles. Voilà pourquoi nous avons voulu présenter un dossier sur la nature et les enjeux de ce type d’intervention sociale. Notre analyse résulte également de nos ancrages, et des complicités que nous y avons, dans le Réseau québécois de revitalisation intégrée (RQRI) et le Regroupement des intervenants et intervenantes en action communautaire en CSSS (RQiiAC). Nous posons ici l’intervention sociale territoriale comme une pratique de transformation sociale de nos communautés, mais aussi de nos sociétés. À ce titre, ce type d’intervention interpelle tout autant l’ensemble des pratiques sociales qu’il se laisse interpeller par celles-ci. Développement des communautés, approches territoriales intégrées, développement local communautaire, revitalisation urbaine intégrée, développement social intégré, politique de la ruralité, pratiques ou mesures gouvernementales à visée intersectorielle ou territoriale, toutes ces appellations renvoient à des mécanismes d’action territoriale. C’est pourquoi dans ce dossier, nous avons choisi l’appellation « intervention sociale territoriale », terme peu utilisé, mais englobant. Après avoir défini, en tant que double processus d’articulation référée territorialement, ce que nous entendons par intervention sociale territoriale, nous identifierons cinq enjeux, à nos yeux centraux, pour penser ce type d’intervention à la visée ultime de transformation sociale locale. Pour assurer la qualité de ces pratiques, nous pensons en effet qu’il faut : 1) Stopper la psychologisation des problèmes sociaux; 2) Miser sur la participation des personnes et des groupes marginalisés; 3) Redéfinir le concept de communauté; 4) Croiser les « engagements citoyens » locaux et sociétaux; et 5) Comprendre ces interventions dans une continuité historique. Pour comprendre notre vision de l’intervention sociale territoriale, partons d’une image inversée : celle des interventions privées d’ancrages territoriaux. Les interventions éclatées des différents acteurs se déploient sans référence ni appartenance à un territoire donné. Chacun recherche à répondre à ses finalités ou mandats propres, le plus souvent sans souci de cohésion avec les autres oeuvrant ou résidant sur le territoire. Le rapport au territoire, et à celles et ceux qui s’y rattachent, est absent; il est de délocalisation, de déterritorialisation ou encore, c’est un rapport instrumental, de calcul, d’intérêt, soumis à une …
Parties annexes
Bibliographie
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