L’entrevue

Démystifier la rue pour mieux partager les espaces publics. La lutte du GIAP contre les préjugésEntrevue avec Marie-Noëlle L’Espérance, coordonnatrice du Groupe d’intervention alternative par les pairs (GIAP)[Notice]

  • Karl Desmeules

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  • Karl Desmeules
    Doctorant en études urbaines, Université du Québec à Montréal

Marie-Noëlle L’Espérance, coordonnatrice du Groupe d’intervention alternative par les pairs (GIAP), est en poste depuis 2008. Elle cumule aussi la responsabilité de formatrice en normes du travail pour Au bas de l’échelle depuis bientôt quatre ans. Depuis 10 ans, l’ensemble de ses expériences de travail et de bénévolat, qu’elles soient locales ou internationales, ont été dans le domaine des services sociaux et dans la défense des droits.

L’existence de jeunes en situation de marginalité (JSM) à Montréal n’est pas récente et le phénomène est toujours présent, mais il semble que le contexte urbain qui englobe leurs expériences est en pleine transformation. Les pratiques, les représentations et les lieux concernés se modifient au gré des fluctuations économiques et des ambitions urbanistiques des différentes instances impliquées dans la gouvernance de la métropole. Cette situation suscite évidemment d’importants enjeux quant à la cohabitation au centre-ville, notamment ceux reliés à la reconnaissance du parcours des JSM et des problématiques auxquelles ils font face. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les actions du Groupe d’intervention alternative par les pairs (GIAP).

Le GIAP existe depuis maintenant 16 ans. Le tout a débuté avec la Clinique des jeunes St-Denis. À l’époque, les intervenants commençaient à se rendre compte que les jeunes qu’ils voulaient rejoindre, les jeunes marginaux en situation de précarité, n’utilisaient pas leurs services. Donc, c’est de là que l’idée a germé d’aller directement vers eux, dans la rue. Ainsi, en 1992-1993, la Clinique a monté un projet qui s’appelait : « C’est dans la rue que ça se passe ». Il s’agissait de dépasser les limites de l’intervention traditionnelle, et l’option d’embaucher des pairs-aidants a alors été retenue. Le projet et les critères de sélection ont évolué. Aujourd’hui, au GIAP, un pair-aidant est une personne que l’on a recrutée pour son vécu et pour ses aptitudes à l’utiliser comme base de son intervention auprès d’autres personnes avec lesquelles il partage une proximité reliée à l’expérience de la rue, à la consommation, à la violence, aux situations familiales difficiles, aux séjours en centre jeunesse, etc. Au moment de l’embauche, le pair-aidant doit démontrer un recul critique face à son expérience de vie et avoir entre 18 et 30 ans. Le GIAP fonctionne grâce à l’expertise des pairs-aidants, qui sont au coeur de notre philosophie d’intervention. Ils doivent donc prendre part à l’ensemble des facettes de l’organisation, allant de l’embauche des nouveaux pairs-aidants aux orientations du GIAP et à la reddition de comptes. Le travail d’équipe est donc essentiel au bon déroulement des activités du GIAP. Notre mission comporte deux volets. Le premier est la prévention de la transmission des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), particulièrement le VIH ainsi que l’hépatite C. Le deuxième se concentre sur la réduction des méfaits reliés à la consommation de drogues et au mode de vie de la rue. Oui, tout à fait. Dans notre perspective, l’épisode de rue n’est pas négatif en soi. Ce sont plutôt les conséquences qui découlent de ces comportements qui peuvent le devenir. Une personne peut faire le choix d’être dans la rue et ça peut très bien aller pour elle. Au GIAP, on respecte cet espace appartenant à l’individu. On veut travailler avec lui à partir de sa perspective et à son rythme. Notre mission n’est donc pas de vouloir à tout prix sa réinsertion, mais de l’aider à cerner ses propres besoins et à trouver les solutions nécessaires pour y répondre. C’est ça l’important dans notre façon de faire et ça transcende toute notre action. Par contre, il ne faudrait pas encenser la rue parce qu’après la lune de miel du début, il peut y avoir un désenchantement. C’est certain que, dans la rue, tu peux être en gang, tu peux être avec des amis, tu peux vivre enfin un sentiment d’appartenance qui est signifiant pour toi. Par contre, avec la violence qu’il peut y avoir, la consommation qui prend parfois de plus en plus de place et les conditions de vie qui sont souvent rudes, une personne peut s’essouffler et s’isoler ou encore prendre des risques inutiles. La rue peut donc avoir des aspects négatifs, et on veut justement travailler sur ces aspects avec les gens. Et s’ils continuent de fréquenter la rue, on continuera à contribuer à la réduction des méfaits en adoptant une approche humaniste selon laquelle chaque individu a des qualités, des défauts, des goûts dans la vie, des champs d’intérêt, des désirs, des besoins et des problèmes. On part d’où la personne est et on la guide vers où elle veut aller. Donc si une personne a un problème de toxicomanie et qu’elle cherche seulement pour le moment à diminuer les …

Parties annexes