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Alors que l’on assiste dans le cadre de la présente réforme de la santé et des services sociaux (réforme Couillard) à une remise en question de la pertinence de la pratique de l’organisation communautaire dans ses formes actuelles, si ce n’est dans ses fondements, il peut être tentant pour certains acteurs de vouloir mettre de côté ce mode d’intervention souvent méconnu et secondarisé par rapport aux approches individuelles. D’ailleurs, certains ne vont-ils pas jusqu’à s’interroger sur la pertinence de l’organisation communautaire en cette époque néolibérale ?
Dans ce débat, Bourque et Lachapelle adoptent un parti pris évident pour le développement de l’organisation communautaire telle qu’elle est pratiquée dans les Centres de santé et de services sociaux (CSSS) au Québec. De fait, ce livre présente l’état des travaux de recherche de l’ARUC-Innovation sociale et développement des communautés, et de la Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire. Sans prétendre couvrir l’ensemble des questions concernant les fondements, les approches et les champs de pratique de l’organisation communautaire qui ont par ailleurs été traitées dans un ouvrage précédent[1], cet ouvrage documente les éléments clés de la pratique actuelle de l’organisation communautaire en CSSS. Les auteurs proposent ainsi une analyse des enjeux et des perspectives auxquels sont confrontés les différents acteurs concernés par celle-ci et identifient les facteurs, les stratégies et les pratiques qui agissent sur son développement dans le secteur public (p. 5). Après avoir situé l’organisation communautaire au Québec dans le premier chapitre, les auteurs ont choisi d’aborder quatre thèmes centraux qui font chacun l’objet d’un chapitre.
Chapitre 1 : L’organisation communautaire au Québec, des CLSC aux CSSS
L’organisation communautaire, en prenant appui sur une lecture des problèmes sociaux et de santé perçus comme étant de nature collective et devant faire l’objet de solutions collectives, se démarque du modèle « case-work » en service social. Les auteurs nous rappellent que le Québec détient une expertise unique en ce domaine et que c’est maintenant des milliers d’intervenants qui exercent ce métier dans les organismes communautaires et près de 400 en CSSS.
Après avoir situé les origines de l’organisation communautaire dans une perspective historique qui nous apparaît fort utile pour les étudiants et étudiantes ainsi que pour les nouveaux intervenants appelés à faire de l’organisation communautaire, les auteurs font les distinctions d’usage entre organisation communautaire et action communautaire, pour en arriver à présenter les approches de Rothman ainsi que les quatre approches du modèle québécois. Selon Bourque et Lachapelle, ces approches font maintenant partie du corpus de connaissances propre à l’organisation communautaire et ont émergé tout comme ses méthodes, entre 1986 et 2002, lors de la phase de structuration de la profession. C’est également durant cette période que s’est constitué le Regroupement québécois des intervenantes et intervenants en action communautaire (RQIIAC).
En reprenant la petite histoire de 1972 à aujourd’hui, de rapports en commission, et de politique en réforme et en projets de loi, les auteurs dressent le portrait des conditions organisationnelles et des déterminants sociopolitiques de la pratique. À la fin du chapitre, les balises sont posées pour bien comprendre les enjeux et les perspectives auxquels font face les différents acteurs actuellement.
Chapitre 2 : Transformations institutionnelles et organisation communautaire
Alors que la lecture du premier chapitre nous apprend que la réforme du système de santé et des services sociaux pilotée par le ministre Couillard à partir de 2003 se trouve en continuité avec les actions des gouvernements précédents et constitue en quelque sorte l’aboutissement d’un long processus, la première partie du chapitre 2 démontre à quel point la réforme du réseau public de la santé et des services sociaux portée par la Nouvelle gestion publique (NGP) s’inscrit dans une logique qui induit des conditions organisationnelles lourdes de contraintes pour les OC et les principes à la base même de leur pratique. Le citoyen n’est plus au coeur des réformes, bien au contraire.
En posant le rapport Clair et le projet de loi sur la Gouverne comme deux éléments majeurs dans la compréhension de la réforme Couillard, les auteurs nous aident à mieux saisir comment les rapports des CLSC avec les organismes communautaires s’en sont trouvés affectés. Le projet de loi 25, en plus de constituer un net recul sur le plan du contrôle démocratique des services, crée des territoires sans signification d’un point de vue social et communautaire, noie les services sociaux et l’organisation communautaire dans une logique médicale et curative de la santé, et tend à normaliser l’offre de services avec une approche par programmes. Programmes qui, par ailleurs, évacuent les dimensions structurelles des problèmes, leur dimension collective et figent les personnes concernées dans des rôles de clients.
Pourtant, malgré ce portrait plutôt négatif des conditions organisationnelles de la pratique, les auteurs sont d’avis qu’il existe des leviers importants à l’intérieur même des lois, des cadres, des missions et des définitions mis à l’oeuvre dans cette réforme, qui permettent aux acteurs de renouveler la pratique de l’organisation communautaire.
À cet effet, les auteurs lancent quelques pistes, à commencer par la définition même de l’organisation communautaire énoncée par le ministère de la Santé et des Services sociaux en 2004. Suivent la responsabilité populationnelle conférée par la loi aux CSSS, la vision de la prévention et de la promotion de la santé mise de l’avant par la Charte d’Ottawa, ainsi que la nécessaire action sur les déterminants de la santé inscrite à l’article 100 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. À certaines conditions, ces éléments de politiques publiques pourraient constituer d’importants leviers de développement pour l’organisation communautaire et lui permettre de réaffirmer ses valeurs et ses modes d’action dans un nouveau contexte organisationnel.
Chapitre 3 : Les rapports avec la santé publique
Les programmes de santé publique (PSP) heurtent très souvent de plein fouet les façons de faire des OC. Ceux-ci réagissent négativement à la prédominance des approches définies de l’extérieur par des experts sur les besoins des communautés. Paradoxalement, dans un contexte de prédominance d’une culture curative, les PSP constituent, d’après les auteurs, une sorte de champ de protection pour l’organisation communautaire, laissant aux OC de l’espace pour agir sur les déterminants sociaux de la santé tout en promouvant l’empowerment des personnes et des communautés.
En y regardant de plus près – ce que les auteurs ont fait en examinant quatre PSP –, il apparaît possible de faire évoluer les pratiques des PSP vers des actions davantage partenariales dans le milieu. C’est d’ailleurs ce qu’une majorité d’OC interrogés estime arriver à faire dans la pratique. Pour ce faire, ceux-ci doivent toutefois « utiliser les marges de manoeuvre professionnelle et déborder des consignes de programmes » (p. 85). De plus, l’appui de leur supérieur immédiat est un atout fondamental. Or, cela constitue en soi un défi majeur, dans un contexte où le taux de roulement du personnel parmi les directions de CSSS est très élevé.
À la fin de ce chapitre, les auteurs relèvent trois pistes d’action toutes centrées sur l’aspect de la participation citoyenne, pour améliorer les rapports entre l’organisation communautaire et la santé publique : instaurer un dialogue entre les acteurs en vue de reconnaître les expertises mutuelles, obtenir l’appui des directions pour soutenir l’approche socio-institutionnelle et, enfin, poursuivre la recherche pour mieux documenter la place de la participation citoyenne dans l’élaboration et la mise en oeuvre de programmes.
Chapitre 4 : Intervenir avec des organismes communautaires d’un nouveau calibre
Dans le chapitre 4, Bourque et Lachapelle relatent que depuis leur tout début, les OC ont contribué au développement de l’action communautaire. Après avoir soutenu le développement de nouvelles ressources, les OC ont maintenant à soutenir le développement des communautés, et ce, dans un contexte qui s’est radicalement transformé. Multiplication des structures de soutien au développement des communautés, reconnaissance formelle du statut des organismes communautaires, surmultiplication des instances de concertation et, sur certains territoires, plafonnement de l’action communautaire : voilà quelques éléments qui ont mené à la création de ce que les auteurs ont choisi de désigner comme des « infrastructures communautaires de développement des communautés », les ICDC. Celles-ci « établissent sur le terrain de nouveaux rapports entre la municipalité, le réseau de la santé et des services sociaux, les autres acteurs institutionnels et le milieu communautaire » (p. 100).
C’est dans ce contexte particulier que les auteurs ont voulu vérifier si la pertinence de l’organisation communautaire en CSSS se maintenait. Ils nous livrent les résultats d’une vingtaine d’entrevues réalisées avec des OC, leurs responsables immédiats et les responsables des ICDC de trois territoires (un en milieu métropolitain, un en milieu urbain et le dernier en milieu rural).
Alors que les OC ont été associés à la mise en place de ces instances dans les trois cas, les résultats démontrent qu’on leur reconnaît un rôle de liaison entre les organisations, un rôle de « passeur ». Pourquoi ? Parce que leur position centrale et stratégique au sein des territoires qu’ils desservent leur permet de dépasser les intérêts sectoriels pour se situer dans une perspective d’intérêt général. Ils sont conscients de l’importance des déterminants sociaux de la santé, et mettent à profit ces connaissances pour soutenir des processus de réflexion à partir de l’action, tout en ayant la préoccupation de soutenir la participation citoyenne. C’est d’ailleurs ce que les répondants disent attendre des OC qui, eux, doivent par ailleurs composer avec de nouveaux rapports à leur propre direction d’établissement, rapports qui modifient leur marge de manoeuvre à l’intérieur même des CSSS.
Chapitre 5 : La structuration de la profession dans les CSSS
Dans ce chapitre (où l’on note la contribution d’un nouvel auteur : Foisy), les auteurs postulent qu’en réagissant aux transformations du réseau, les équipes d’OC tentent d’assurer la pérennité de la mission communautaire des CSSS. Cette volonté s’actualise entre autres dans des dispositifs de soutien et d’encadrement mis en place par les praticiens. C’est pourquoi les auteurs ont choisi d’analyser les pratiques organisationnelles actuelles d’équipes d’OC. Ils ont ainsi identifié des pistes d’action pour assurer la pérennité du soutien à l’action communautaire.
La première piste est le rattachement administratif. À cet égard, les auteurs préconisent l’adoption du modèle de concentration plutôt que celui de l’étalement, c’est-à-dire un modèle qui regroupe l’ensemble des OC d’un établissement au sein d’une même unité administrative (équipe ou direction). Le modèle de la concentration semble en effet plus favorable à la reconnaissance de l’organisation communautaire dans les CSSS en plus de contribuer au soutien entre les pairs. Par ailleurs, les auteurs mentionnent que ce modèle a favorisé la mise en place de coordination professionnelle. Celle-ci constitue la deuxième piste identifiée. En assurant la liaison entre l’équipe d’OC et les différentes directions à l’intérieur de l’établissement, une plus grande cohérence est atteinte à la fois entre les pratiques des OC eux-mêmes, mais aussi avec les orientations du CSSS, améliorant ainsi l’impact des interventions dans la communauté.
La troisième piste est celle de la supervision professionnelle. Les auteurs nous expliquent que, même s’il existe une interaction entre la coordination et la supervision professionnelle, dans la pratique, il semble difficile pour les coordonnateurs d’identifier avec précision ce qui, dans leurs tâches, relève de la supervision professionnelle. C’est toutefois une piste qu’il y aurait lieu de développer, selon eux, car encore trop d’équipes ne peuvent compter que sur l’entraide entre pairs, ce qui leur apparaît insuffisant pour soutenir la pratique de l’organisation communautaire en CSSS.
En plus de ces trois pistes d’action, les auteurs ont identifié une stratégie complémentaire mise en oeuvre par plusieurs équipes. Il s’agit de l’élaboration de documents d’orientation et de référence pour définir l’offre de service des équipes d’OC. Dans la mesure où elle met à contribution l’ensemble de l’équipe d’OC et des gestionnaires concernés, les auteurs sont d’avis que cette stratégie permet effectivement de mettre de l’avant la spécificité de l’organisation communautaire tout en favorisant le cheminement des différents acteurs associés à la démarche.
Vous l’aurez compris, malgré les contraintes importantes auxquelles sont confrontés les OC pratiquant en CSSS aujourd’hui, les auteurs considèrent que l’organisation communautaire y a encore tout son sens. C’est en se centrant sur ses forces et ses spécificités et en réitérant sa contribution à la mission communautaire des CSSS, qu’elle sera à même de conserver sa légitimité. Certes, le défi reste de taille, mais les auteurs, par la publication de cet ouvrage, apportent une contribution importante en ce sens tout en participant au renouvellement des pratiques de l’organisation communautaire en CSSS.
Parties annexes
Note
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[1]
D. Bourque, Y. Comeau, L. Favreau et L. Fréchette (dir.) (2007). Organisation communautaire. Fondements, approches et champs de pratique, Québec, Presses de l’Université du Québec.