Dans la foulée d’une réflexion sur la diversification des formes d’action collective, Dominique Cardon inscrit ses recherches notamment au Centre d’études des mouvements sociaux (École des hautes études en sciences sociales – EHESS). Il s’intéresse maintenant à Internet puisqu’il considère que même si sa forme d’action politique « est inclassable » parce qu’il révèle des « formes inédites de partage du savoir, de mobilisation collective et de critique sociale » (p. 8), il demeure que « son développement bouleverse notre conception et notre pratique de la démocratie » (p. 7). Ce livre est un essai synthèse des connaissances sur le rapport entre les usages d’Internet et les transformations de l’espace public. Cardon postule qu’Internet élargit l’espace public et que, pour ce faire, il s’appuie sur deux dynamiques révolutionnaires : « D’une part, le droit de prendre la parole en public s’élargit à la société entière ; d’autre part, une partie des conversations privées s’incorpore dans l’espace public » (p. 11). Ses recherches le poussent à être de ceux qui constatent que l’individualisme contemporain est un phénomène imminent. Le premier chapitre « L’esprit d’Internet » cerne justement ce que peut représenter cet individualisme contemporain. Deux visions du Web sont actuellement en tension : des versions « forte » et « faible » de l’autonomie de l’individu. Si l’utopie pirate incarne la version forte où « il ne s’agit ni de faire la révolution, ni de transformer la société, mais de changer sa vie plutôt que de changer la vie » (p. 32), la version faible, celle du monde du logiciel libre qu’on nomme aussi communauté Open Source, dilue la tradition anarcho-situationniste en refusant de s’engager politiquement, mais valorise plutôt la liberté d’initiative (p. 33). C’est là un des paradoxes du capitalisme cognitif (Moulier-Boutang, 2010 : 83-93, cité par Cardon, 2010 : 33) : Cela dit, si l’esprit d’Internet contribue à l’élargissement de l’espace public (chapitre 2) cela s’explique, à la base, par le pouvoir des internautes à produire et à hiérarchiser les informations. De fait, la définition classique du concept d’espace public est mise à mal avec Internet car « certaines choses visibles ne sont pas pour autant publiques » (p. 36). De la figure du « profane » qui dépendait à la fois de la parole des experts, des professionnels, mais aussi des gate keepers, l’internaute est devenu un « amateur », un preneur de parole ordinaire, qui s’est délié de sa fonction de porte-parole et de ce principe de représentation collective. Et voilà que de nouveaux dispositifs de communication sur Internet bravent maintenant les principes chers aux régulationnistes en remettant en cause le bien-fondé de la fonction de modération dans la communication : « Publier d’abord, filtrer ensuite ! » (p. 39). Or, la libération des subjectivités inclut encore, bien sûr, les idéaux régulateurs. Il faut retenir ici que la visibilité et la hiérarchisation des informations dans l’espace public ne dépendent plus tant des modes de régulation traditionnels, mais davantage du jeu langagier qui produit la réputation : « Les internautes font ce tri eux-mêmes, une fois les propos publiés : c’est le principe de hiérarchisation ex post, effectué par les internautes en fonction de leur position dans la structure des réputations sur la Toile (p. 41). Cardon présente alors une typologie de quatre formes de prise de parole en tenant compte de deux axes (p. 43) : en abscisse se situe l’acteur qui parle qu’il soit professionnel ou amateur ; en ordonnée se place l’acteur dont on parle, soit du quidam à la personnalité. Le troisième chapitre met en exergue l’une de ces tendances du …
Dominique Cardon, La démocratie Internet : promesses et limites, Paris, Seuil, 2010, 102 p.[Notice]
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Sylvie Jochems
École de travail social, Université du Québec à Montréal