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Introduction

Le modèle québécois de l’économie sociale, c’est-à-dire de production de biens ou de services par le biais de l’entrepreneuriat collectif « […] intègre dans ses statuts et ses façons de faire un processus de décision démocratique impliquant usagères et usagers, travailleuses et travailleurs » (Groupe de travail sur l’économie sociale, 1998). Les pratiques d’intervention des groupes dans le domaine de la santé mentale sont ancrées dans une démarche d’empowerment, cheminement qui oblige la participation des premiers concernés. Alors, qu’en est-il de la participation des personnes atteintes de maladie mentale dans les organismes de l’économie sociale ? Cet article fait état des résultats d’une recherche exploratoire[1] qui décrit la participation des personnes atteintes de maladie mentale dans ces entreprises, qui en constate les impacts et identifie les éléments qui l’affectent.

L’article est divisé en quatre parties. La première porte sur le problème de la participation des personnes atteintes de maladie mentale. La deuxième définit le concept de participation citoyenne sous deux angles, soit le nombre d’instances où les personnes participent et leur pouvoir au sein de celles-ci. La troisième partie explique la méthodologie suivie ainsi que les difficultés rencontrées. Enfin, la quatrième partie est consacrée aux résultats. On y verra que les instances ouvertes à la participation pourraient être plus nombreuses. On montrera aussi que la participation est une chose difficile à implanter pour les organismes pour des raisons individuelles, organisationnelles ou de l’ordre des mésosystèmes professionnels.

Le problème de la participation des personnes atteintes de maladie mentale

De manière générale, les éléments affectant toute participation sont nombreux et le foisonnement des écrits scientifiques sur le sujet en est la preuve. Dans ces écrits, on lit que trois ordres de préoccupation peuvent influencer la participation. Le premier est individuel et comprend les trajectoires biographiques (Havard Duclos et Nicours, 2005), les valeurs qui s’y sont forgées et le désir de cohérence entre celles-ci et l’action dans laquelle on s’engage (Comeau, 1994 ; Duperré, 2004, 2008). Il comprend aussi certaines dispositions individuelles à l’engagement, c’est-à-dire les cycles et les sphères de vie (McAdam, 1999, dans Barré, 2009) ou la confiance en soi (Comeau, 1994).

Le deuxième ordre est lié aux organisations, tels que les mécanismes d’exercice de la démocratie, la socialité qui peut s’y exercer, l’ouverture faite par l’organisation à combler le désir de sens des participants quant à l’engagement, etc. (Comeau, 1994 ; Duperré, 2004, 2008 ; Havard Duclos et Nicours, 2005).

Enfin, le troisième relève de l’ordre des méso- ou macrosystèmes qui peuvent être plus ou moins ouverts à la participation (Tilly, 1985), d’époques où l’engagement est plus valorisé et où les participants reçoivent plus de soutien pour le faire (Havard Duclos et Nicours, 2005, Rubin et Rubin, 2001). On inclut ici certaines cultures professionnelles plus ou moins ouvertes à la participation, ce qui est d’une grande importance dans le domaine de la maladie mentale.

Ces dimensions individuelles, organisationnelles ou de culture professionnelle sont toujours présentes quand il s’agit de la participation des personnes atteintes de maladie mentale, mais elles revêtent un caractère particulier. Le premier est la tendance qu’ont les professionnels de les étiqueter comme étant des personnes passives, récipiendaires ou consommatrices de services (Peck, Gulliver et Towel, 2002 ; Barnes et Shardlow, 1997 ; Hickey et Kipping, 1998) et donc incompétentes à participer aux processus décisionnels. Cette perception de l’usager serait influencée par le modèle médical (Kent et Read, 1998 ; Pilgrim et Waldron, 1998 ; Diamond et al., 2003). Une culture professionnelle plaçant l’intervenant comme expert est, aussi, une barrière à la participation des usagers (Hickey et Kipping, 1998).

Des contraintes organisationnelles expliqueraient aussi les difficultés de participation. Certaines organisations ne voudraient pas s’engager à développer des outils et des stratégies concrètes pour favoriser la participation (Diamond et al,. 2003 ; Hickey et Kipping, 1998).

La constitution de règles, la difficulté à mobiliser les différents services, l’absence de cohérence dans les stratégies pour accroître la participation, le peu de financement pour les groupes d’usagers ainsi que le manque de formation pour le personnel quant à l’importance d’impliquer les usagers sont aussi des éléments qui rendent la participation difficile (Crawford et al., 2003).

Plusieurs éléments permettraient d’améliorer la participation des usagers selon les études consultées. Parmi ceux-là, on compte d’abord les attitudes positives de la part des intervenants et des gestionnaires (Diamond et al., 2003, Hickey et Kipping, 1998 ; Crawford et al., 2003 ; Kent et Read, 1998 ; Grant, 2007 ; Peck et al., 2002). Il faut aussi viser l’utilisation d’approches basées sur la collaboration qui contribueront à l’amélioration du pouvoir des usagers (Peck et al., 2002 ; Kent et Read, 1998) et éviter l’utilisation d’un jargon spécialisé (Diamond et al., 2003, Crawford et al., 2003). Enfin, il faut penser au développement de règles incitatives à la participation (Crawford et al., 2003), permettre l’accès au personnel à des formations qui les sensibilisent aux avantages de la participation (Kent et Read, 1998) et augmenter le nombre d’organismes de défense des droits pour soutenir les usagers (Diamond et al., 2003).

Une réflexion sur les éléments affectant la participation ne pourrait être complète sans s’interroger sur les lieux de participation qui sont effectivement ouverts aux personnes. Une étude menée en Angleterre montre que les instances auxquelles participent les usagers sont l’évaluation des services (88 %), la sélection du personnel (76 %) et la participation au conseil d’administration (CA) (71 %). Inversement, les stratégies les moins utilisées sont l’implication des usagers dans l’évaluation des programmes de formation pour le personnel (6 %), l’offre de formation au personnel pour promouvoir la participation des usagers dans les services (12 %) ainsi que la possibilité pour l’usager d’être membre du CA (18 %) (Crawford et al., 2003).Dans une autre étude menée en Angleterre les données montrent que les organisations impliquent les usagers dans le recrutement du personnel ainsi que dans la planification et l’organisation des services. Cependant, des lacunes sont observées quant à la sensibilisation du personnel à la participation des usagers (Diamond et al., 2003).

En Ontario, Grant (2007) a repris un questionnaire élaboré par Kent et Read (1998) sur les perceptions et les attitudes des intervenants en regard de la participation des usagers dans la planification, la gestion et l’évaluation des services (Consumer Participation Questionnaire) et il montre que 19 % des organisations ont intégré des employés qui vivent avec un problème de santé mentale. Parmi les usagers, 77 % participent à la planification des services, 63 %, à la création des politiques, 48 %, à la formation des employés, 44 %, à l’embauche et 39 %, à l’enseignement au personnel.

Grant (2007) précise que 80 % des organisations participantes estiment que les services aux usagers seraient améliorés si leur participation dans la planification était augmentée. De plus, les organisations semblent ouvertes à engager davantage d’usagers pour travailler sur une base régulière puisqu’elles croient que les services en seraient bonifiés.

Le concept de participation citoyenne : définition

Généralement, l’expression « participation citoyenne » est utilisée pour décrire la participation des citoyens dans la prise de décision publique (Hardina, 2008). Elle est aussi le synonyme de l’engagement actif et volontaire d’individus et de groupes pour changer les conditions de vie problématiques des communautés (Gamble et Weil, dans Ohmer et Beck, 2006 ; Morone et Marmor, 1994, dans Hardina, 2008). Malgré cela, toute participation n’est pas nécessairement un acte de citoyenneté. La participation doit se confondre avec la capacité réelle de résoudre des problèmes (Boyte, 1994), elle doit permettre aux personnes de devenir des sujets de leur propre existence et, en même temps, de la construction sociale de cette existence (Lamoureux, 2001). En ce sens, la citoyenneté se confond avec le pouvoir détenu par les personnes. Selon Arnstein (1969), « la participation citoyenne est une catégorie sémantique du pouvoir citoyen [dans] la manière dont l’information est partagée, comment les buts et les politiques sont établis, quelles sont les ressources qui leur seront allouées, quels sont les programmes qui seront offerts et comment les bénéfices de ceux-ci seront répartis » (p. 216 ; notre traduction).

Deux dimensions du concept de participation citoyenne peuvent être déduites à partir de cette définition, soit celle du degré de participation, ou du pouvoir, et celle de l’étendue, c’est-à-dire les instances effectivement ouvertes à la participation des citoyens. La notion de pouvoir qui est développée ici résonne avec l’intervention en empowerment qui est l’approche utilisée traditionnellement en santé mentale. En effet, on ne peut penser une démarche d’empowerment sans la participation des personnes (Ninacs, 2008). De plus, le sentiment de compétence associé à cette démarche ne pourrait émerger si les personnes n’avaient pas un véritable pouvoir sur des démarches, des programmes, des instances, etc.

Arnstein (1969) a développé une échelle de participation qui mesure le pouvoir du citoyen où elle distingue huit échelons qui sont eux-mêmes regroupés en trois niveaux. Le niveau le plus élevé est le pouvoir effectif et comprend les échelons du contrôle citoyen, du pouvoir délégué et du partenariat. Outre l’échelon du contrôle citoyen, rien ne dit pour les deux autres que les cultures organisationnelles permettront au pouvoir citoyen de s’exercer réellement. Le niveau suivant est la participation symbolique où le citoyen a accès à certaines informations et à la possibilité de se faire entendre par le biais de consultations, mais le respect de leur avis demeure incertain. Enfin, l’échelon de la non-participation est celui où le citoyen n’a pas l’occasion de participer à l’élaboration ou au suivi des programmes. Ici, la volonté est d’éduquer ou de guérir les personnes en laissant l’illusion de la participation effective aux processus décisionnels.

La participation citoyenne peut s’actualiser à travers différentes structures d’une organisation. Les dimensions tirées d’Hardina (2003), de l’étude de Kent et Read (1998) et de celles de Crawford et al. (2003) montrent que les personnes peuvent participer et être membres des instances démocratiques (conseil d’administration, assemblée générale, etc.). La participation à ces instances est rarement contestée. Or, on peut ajouter les activités d’éducation et politiques, de sélection et de formation du personnel, d’élaboration et de diffusion de l’information en plus des activités liées à la planification, la prestation et l’évaluation des services. Or, la participation à ces activités n’est pas généralisée.

La méthodologie de la recherche

L’objectif général de la recherche était de décrire la participation dans les entreprises d’économie sociale du domaine de la santé mentale, comprendre les difficultés vécues et identifier les éléments affectant la participation. Pour atteindre ces objectifs, la stratégie privilégiée a été une recherche qualitative.

Les personnes visées par la recherche étaient les gestionnaires d’organismes d’économie sociale de la région de Québec et des personnes majeures ayant un problème de santé mentale et n’étant pas sous tutelle ou curatelle. L’échantillonnage s’est fait en plusieurs étapes. La sélection des organismes s’est faite sur la base de la reconnaissance par ces derniers d’être dans le champ de l’économie sociale. Ensuite, le gestionnaire était invité à participer à l’étude par une entrevue individuelle et par l’affichage d’une invitation aux membres de participer eux aussi. Les personnes intéressées devaient ensuite contacter une personne de l’équipe de recherche. Lors du contact, on présentait les objectifs de la recherche, les critères d’admissibilité ainsi que la contribution demandée. On parle donc ici d’une participation volontaire par autodéclaration.

Le recrutement a posé plusieurs difficultés. L’une de celles-ci a restreint le nombre de groupe pouvant faire partie du bassin de recrutement, car peu se considèrent comme faisant partie de la sphère de l’économie sociale. Ensuite, certains gestionnaires ont refusé que l’organisme participe à la recherche de peur que leur clientèle ne soit étiquetée dans une recherche en santé mentale. D’autres organismes ont refusé parce qu’ils étaient déjà trop sollicités pour des collaborations dans des recherches. De plus, nous avons été dans l’impossibilité de joindre certains directeurs d’organismes même après de multiples appels et relances. Dans certains organismes, notre appel a été transféré d’une personne à une autre sans que quiconque puisse répondre à notre demande. Enfin, le manque de temps pour répondre à notre demande a aussi été invoqué. C’est ce qui explique que seulement sept entrevues ont pu être réalisées. De ces sept entrevues, cinq l’ont été auprès de gestionnaires d’organismes communautaires et deux, auprès de membres.

Les entrevues ont été enregistrées et transcrites intégralement et ont subi un codage par unité de sens en fonction des catégories émanant de la problématique et du cadre conceptuel.

Les résultats

Les entrevues ont eu lieu dans cinq organismes qui se définissent comme faisant partie de la sphère de l’économie sociale. L’organisme A est une entreprise dont la mission est d’offrir des services aux personnes âgées à faible revenu. L’organisme B est un groupe entièrement géré par les utilisateurs dont la mission est de briser l’isolement et de favoriser la participation à un vaste éventail d’activités. L’organisme C est un organisme de réinsertion au travail pour les personnes atteintes de maladie mentale. Il vise le développement des habiletés sociales et professionnelles par des activités de travail. Les organismes D et E ont des missions d’insertion socioprofessionnelle. Les prochains paragraphes exposent ce qui a été constaté au plan des instances disponibles à la participation des usagers dans ces organismes.

Les instances de participation

La gestion démocratique dans les organismes de l’économie sociale passe par des structures telles que l’assemblée générale (AG) où les membres sont invités à participer. Lors des entrevues, une seule personne a souligné la grande participation des membres à cette structure (organisme E).

En ce qui concerne la participation au conseil d’administration (CA), l’éventail des réponses est très grand. D’un côté, il y a un organisme où il n’y a aucun membre (organisme D) et de l’autre côté, il y a l’organisme B où tous les sièges sont occupés par des utilisateurs. Entre ces deux pôles, l’organisme A réserve deux postes aux usagers, mais ils n’étaient pas comblés. Dans l’organisme C, plus de 50 % des postes sont réservés aux utilisateurs et il existe aussi un comité des participants. La liaison avec le CA est assurée par une personne qui siège à la fois à ce comité et au CA. Enfin, dans l’organisme E, on dit que la participation des membres au CA est très difficile à susciter.

À cette instance, l’exercice du pouvoir semble parfois poser problème :

Ils n’ont tellement pas été habitués d’avoir du pouvoir que quand ils en ont, à un moment donné, tout ce qui se fait, c’est de la merde… tu comprends, ils rejettent tout d’un revers de la main. Ensuite, ils se ramassent dans le trouble parce qu’on ne leur a pas appris à gérer le pouvoir. Tu sais, le pouvoir, c’est beau, mais, à un moment donné, il faut que tu saches quoi faire avec le pouvoir. Tu peux te détruire et tout le monde autour de toi avec du pouvoir. Et ce qu’on se rend compte avec les comités d’usagers, c’est que c’est monopolisé par certaines personnes, puis bon donner les droits de parole, écouter les autres, pas toujours passer son idée, ce n’est pas évident.

gestionnaire E

On retrouve cette idée dans les écrits qui soulignent que les personnes atteintes de maladie mentale ont longtemps été opprimées de toutes sortes de manières et que leur pouvoir, refusé, ne peut être réapproprié sans heurts et nécessite un temps d’apprentissage et d’apprivoisement. Cela montre que la formation à la prise de parole et à l’exercice du pouvoir doit faire partie des outils utilisés par les organismes pour favoriser la participation. Les organismes peuvent alors devenir des écoles de citoyenneté (Boyte, 1994). Un seul organisme offre un cours à l’exercice du pouvoir aux personnes élues sur le CA (organisme E).

En résumé, les organismes offrent peu d’occasions de participer à toutes les instances démocratiques. Et, même si les structures sont présentes, il faut que les membres les connaissent et veuillent y participer. En ce qui concerne les deux membres rencontrées, l’une connaît toutes les structures et l’autre, non. Qu’est-ce qui explique leur intérêt ou leur désintérêt ? Les entrevues révèlent que l’intérêt de participer vient lorsqu’il y a un lien entre ce que l’organisme offre et le désir de participer de la personne. Pour une personne, les activités du conseil semblent intéressantes comparées à d’autres. Aussi, son engagement vient du fait qu’elle a été sollicitée directement. Enfin, il semble que la mobilisation se nourrit d’elle-même : « Disons que ça m’intéressait plus ou moins au début. Avec l’implication, j’ai commencé à percevoir que je pouvais apporter quelque chose » (répondante F).

Pour une autre personne (répondante G), la non-participation est aussi expliquée par le sens donné à l’expérience. En effet, l’activité proposée ne répond pas à ses attentes et, de toute manière, croit-elle, les activités où il n’y a que des personnes atteintes de maladie mentale est en contradiction avec le principe de rétablissement : « Pour moi, le rétablissement, c’est de fréquenter du monde normal, pas de fréquenter le monde qui a des problèmes de santé mentale. »

Pour une participation pleine et entière des personnes, il faut aussi considérer la structuration des services qui peut être vue sous trois angles : la planification, la prestation et l’évaluation des services ainsi que la formation des intervenants.

Selon les écrits, la participation des utilisateurs à la planification et à la prestation des services aurait pour effet d’en améliorer la qualité et l’efficacité, de stimuler l’innovation et d’assurer un équilibre entre les exigences des bailleurs de fonds et les besoins de la communauté (Hardina, 2003, 2008). Notre étude tenait pour acquis que les services des organismes se structuraient dans et par les diverses structures démocratiques. Comme il a été constaté que l’étendue de la participation des membres à ces structures était limitée, on peut croire que leur participation à la structuration des services n’est pas pleine et entière.

En ce qui concerne la formation des intervenants, seulement deux personnes interviewées en ont parlé. Dans l’organisme C, les personnes utilisatrices sont appariées avec des intervenants pour l’animation des activités (prestation des services) et cela aurait pour effet indirect de former le personnel : « On cherche à utiliser beaucoup leurs témoignages autant aux fins de formation du personnel que pour les activités avec d’autres utilisateurs » (répondante C).

Quant à l’évaluation des services, dans quatre des cinq organismes rencontrés, il n’y a pas de processus formel de participation des utilisatrices au processus. Pour trois de ces groupes, l’écoute et la sensibilité au vécu des personnes sont suffisantes pour vérifier leur satisfaction. Dans le dernier groupe, on procède à une consultation anonyme sur la qualité des services aux deux ans. Entre ces périodes, les membres ont accès à un groupe de personnes qui recueille les plaintes.

En résumé, on peut avancer que, dans l’ensemble, les membres ne participent pas beaucoup à la structuration des services.

Les retombées de la participation

Les entrevues montrent que la participation a quatre impacts positifs. Le premier est l’exemple qui est offert aux autres utilisatrices qui peuvent en tirer espoir : « Même s’il ne veut pas l’être [un modèle], il joue quand même ce rôle-là pour les autres personnes parce qu’elles le savent qu’il est salarié. Donc, c’est comme dire si lui ça a pu lui arriver, ça peut m’arriver à moi aussi. C’est un modèle, c’est un message d’espoir aussi » (répondante C).

Deuxièmement, selon les interviewées, la personne atteinte amène une perspective sur la maladie mentale à laquelle les intervenants n’auraient pas accès autrement et, par conséquent, cela développe leur tolérance (répondantes A, B, E).

Troisièmement, c’est par l’accès à la réalité du vécu des personnes qu’on peut penser que leur participation joue sur l’amélioration de la qualité des services :

Je dirais que l’avantage qu’on a c’est qu’ils nous mènent vers l’avant [...] je te dirais que ça nous aide à nous projeter vers l’avant, ça nous aide à être visionnaires, ça nous aide à être des chefs de file que de leur donner leur place, leur donner du pouvoir aussi.

répondante D

Enfin, la participation a des effets sur le développement de la citoyenneté. Pour une répondante, la citoyenneté passe d’abord par l’insertion au marché du travail. Quand les gens ont un emploi, paient un loyer, vont à l’épicerie, c’est ce qui fait d’eux des citoyens (gestionnaire E). Malheureusement, les répondantes disent que le taux de réinsertion en emploi n’est pas aussi élevé qu’on le souhaiterait. Pour actualiser leurs habiletés, les personnes se tournent alors vers l’engagement dans des organismes à titre de bénévole ou dans l’action sociale. Selon la définition que nous avons retenue, on peut aussi parler de participation citoyenne dans ces cas.

Malgré ces aspects positifs, il y aurait aussi des impacts négatifs à la participation selon les répondantes rencontrées. Trois impacts négatifs ont été relevés par les interviewées. D’abord, le temps d’encadrement semble plus élevé quand on embauche une personne atteinte. Ensuite, on a soulevé qu’il peut y avoir un impact négatif sur les équipes de travail (organisme A, E), car il arrive que des collègues doivent fournir un coup de main pour que le travail puisse se terminer et cela peut causer du ressentiment. Enfin, la participation peut aussi affecter la qualité des services, parce que des congés de maladie dus à des rechutes peuvent signifier une instabilité dans l’offre de services (répondante E).

Au plan des retombées individuelles, une utilisatrice rencontrée soutient que la participation permet de faire des apprentissages sur la manière de se sortir de situations précises. Ces apprentissages renforcent la confiance en soi et la fierté. Cela permet de les transférer dans d’autres situations de vie. La participation amène aussi l’amélioration des rapports avec les autres. En entrevue, on parle d’apprendre la compassion et de ne pas s’imposer.

Selon un autre membre, la participation permet aux organismes de mieux connaître les besoins des personnes et d’ajuster les services qui leur sont offerts. Selon ce membre, il y a encore beaucoup de changements à faire en psychiatrie, et la présence des pairs aidants est la clef qui permettrait de les apporter dans le sens d’un véritable rétablissement.

Les éléments affectant la participation

La confiance est un premier élément affectant la participation et bien qu’elle soit cruciale pour tout engagement, la question se pose différemment pour des personnes atteintes de maladie mentale. Dans ce cas, la confiance a deux angles, celle des intervenants dans les capacités des personnes et celle de la confiance en soi des personnes. Toutes les personnes interviewées ont souligné l’importance de la confiance. Les gestionnaires disent qu’il faut redonner confiance aux personnes (répondante A) ; celle-ci leur fait défaut probablement parce qu’on leur a rarement donné le droit de parole (répondante E). Une participante dit que les utilisatrices ont peur du rejet qui pourrait survenir si on leur demande des choses qu’elles se croient incapables de faire (répondante F).

Pourtant, bien qu’encensée, la confiance n’est pas toujours facile à accorder par les gestionnaires parce que, lorsqu’une personne rétablie est engagée, il peut survenir des périodes d’instabilité qui ont des impacts sur la qualité des services. On a aussi entendu que les usagers pouvaient réserver leur confiance, car « ils ne voulaient pas être soignés par des personnes plus malades qu’eux » (répondante C).

Un deuxième élément qui affecte la participation est le degré d’adaptation des activités aux désirs et intérêts des personnes. Il faut que l’activité présentée soit ancrée dans l’expérience des personnes, qu’elle ait du sens et qu’elle soit stimulante (répondante G).

Outre ces éléments importants pour tout engagement, les interviewées disent que la maladie mentale pose des défis particuliers qui peuvent être d’ordre individuel, organisationnel ou structurel. En effet, parfois « les problèmes de maladie mentale sont trop importants et la personne s’élimine d’elle-même » (répondante D). Parfois encore, les effets secondaires des médicaments sont importants et affectent la participation (répondante B). Deux personnes disent que la gestion des émotions pouvait poser un problème (répondantes D et F). Enfin, une utilisatrice dit que les usagers peuvent avoir de la difficulté à organiser leurs idées et que la participation est difficile dans les réunions qui durent trop longtemps (répondante F). Cela montre l’effet des conditions organisationnelles sur la participation.

On dit aussi que des personnes longtemps habituées à la marche de certaines organisations plus directives éprouvent des difficultés à fonctionner autrement. Cela confirme ce qui été trouvé dans les écrits scientifiques, c’est-à-dire l’importance de l’impact du modèle médical sur la participation des usagers (Pilgrim et Waldron, 1998). Ainsi, les défis peuvent aussi être d’ordre structurel et on peut relever des contradictions, dit une répondante, entre le discours d’empowerment des uns et celui maintenant la désappropriation du pouvoir des autres.

Conclusion

La participation est au coeur des principes de l’économie sociale et des pratiques d’empowerment utilisées en intervention avec les personnes atteintes de maladie mentale. L’étude présentée ici cherchait à décrire les formes et l’étendue de la participation ainsi qu’à identifier les éléments qui la favorisaient ou l’entravaient. Des difficultés de recrutement se sont posées et certaines sont représentatives de la question de la recherche. En dehors des questions liées à l’étroitesse du bassin de recrutement pour les organismes d’économie sociale ou la surcharge des gestionnaires, pourquoi si peu de membres de ces organisations ont-ils voulu participer à la recherche ? Peut-être pouvons-nous trouver quelques réponses dans les éléments individuels et même structurels de la recherche. Par exemple, la confiance en soi. Il en faut sans doute une bonne dose pour qui que ce soit, pour envisager de contribuer à une recherche scientifique. Il y a peut-être aussi la peur du stigmate en s’identifiant comme une personne atteinte de maladie mentale. Sur le plan de la méthode de recherche, l’autodéclaration pouvait nuire, si on accepte que le contact personnalisé augmente la participation.

Nous avons vu que la présence des personnes au sein des structures démocratiques pourrait être plus importante et représente aussi un grand défi. Aussi, la présence des usagers dans la planification, la prestation et l’évaluation des services est encore plus ténue. Cela nous amène à penser que le pouvoir des personnes est, dans certains organismes, plus près du partenariat que du pouvoir citoyen et que, dans d’autres, la participation est plutôt symbolique.

Enfin, l’insistance soutenue quant à la participation doit aussi poser la question de la liberté. En effet, où est la véritable liberté de choix nécessaire à la démarche d’empowerment quand la participation est tellement valorisée ? Choisir signifie qu’il y a présence et acceptation de l’alternative (Ninacs, 2008), soit de ne pas participer. C’est un paradoxe en soi, car l’empowerment passe indéniablement par la participation. Or, le refus de participation peut aussi faire partie de la démarche.