L’entrevue

« Bon, propre et juste… de la fourche à la fourchette ! » Slow Food Vallée de la BatiscanEntrevue avec Johane Germain, présidente et Carole Moisan, secrétaire-trésorière[Notice]

  • Sylvie Jochems et
  • Audrey Gonin

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  • Sylvie Jochems
    École de travail social, Université du Québec à Montréal

  • Audrey Gonin
    École de travail social, Université du Québec à Montréal

Juin 2010 – J’étais invitée par le projet Ecominga Amazonica de la Chaire de recherche Éducation relative à l’environnement (ERE) à passer une fin de semaine dans la Vallée de la Batiscan. À notre arrivée au Manoir Dauth, notre groupe était manifestement attendu ! À notre table s’installent deux dames avec qui la conversation s’entame rondement sans que je réalise que c’était là nos hôtesses de la fin de semaine : « Quelle belle région, la Batiscan ! Et ce n’est qu’à deux heures de route de Montréal. J’avais déjà parcouru différents villages tout le long de la rivière Saint-Maurice jusqu’à La Tuque, et même bien au-delà, en haute Mauricie, pour des vacances familiales de pêche mémorables, mais la Batiscan, c’est une découverte pour moi, je l’avoue. » D’un beau sourire, Carole Moisan me rassure en me disant que bien des Québécois et Québécoises ont séjourné en Mauricie sans pour autant réaliser que la Batiscan n’est qu’à quelques kilomètres en parallèle à la rivière Saint-Maurice. Or, cette fin de semaine là, nous avons donc pu nous introduire à cette région du Québec encore méconnue et eu la chance de faire une tournée de différentes entreprises familiales, d’économie sociale, d’initiatives citoyennes ainsi que de rencontrer des personnes engagées auprès de leur région qui nous ont fait voir, écouter, toucher, sentir et goûter leur Batiscan.

Dès mon retour à Montréal, il fallait bien forcer le destin pour pouvoir profiter de nouveau de cet environnement social d’exception. C’est ainsi que, le mois suivant, deux collègues et moi avons pu nous exiler pour une semaine d’écriture-lecture. Nous étions d’ailleurs les premières à habiter le tout nouveau pavillon de chanvre, fruit d’une corvée éco-citoyenne de Slow Food Vallée de la Batiscan. Bref, voici l’entrevue que nous avons réalisée, Audrey Gonin et moi, auprès de Mmes Johane Germain (présidente) et Carole Moisan (secrétaire-trésorière), toutes deux engagées dans le mouvement Slow Food Vallée de la Batiscan.

Puisque que notre travail est basé sur l’économie de marché, ça pourrait paraître, d’un point de vue comptable, plus économique de faire uniquement une seule sorte de pain, avec la grosse machine. De cette façon, la grosse machine est rentabilisée puisqu’elle fournit le pain à toutes les personnes de la terre. Alors à cause d’un produit de masse, nous sommes capables de baisser le coût de production, mais les coûts sociaux engendrés, ne sont pas énumérés. C’est très énergivore de produire l’agriculture, de transporter d’un bout à l’autre de la planète. Alors si ça prend tant de kilocalories pour faire pousser des aliments qui nous procurent des calories… Il y a un problème de répartition de la nourriture partout sur la planète. Il y a un problème d’accès à l’alimentation et à la propriété. Le problème est causé par des décisions qui sont prises, comme celle d’utiliser des sols à faire « pousser » du pétrole. Alors, ces sols qui servent à faire pousser du pétrole sont des sols qui ne servent pas à faire pousser des aliments qui, eux, servent à nourrir les gens. Alors, c’est tout un système mondialisé. La gastronomie va au-delà du fait de déguster des produits chic et cher, par des personnes qui ont les moyens de se les procurer. La gastronomie vient du mot gastrique, c’est à dire « qui est capable de digérer l’aliment » que l’on produit. Quand les profits prennent les dessus, alors tout est orienté vers la machinerie, l’outil, le marché non pas alimentaire, mais boursier. Alors, l’agriculture a à rétablir un équilibre pour nourrir davantage de personnes. Et je suis partie le faire valider par des Françoise Kayler, Louise Vendelac, et aussi par des réunions de cuisine, pendant tout l’hiver 2005-2006, de Batiscan jusqu’à Notre-Dame de Montauban. Dans chacun des villages, nous avons appelé des gens pour faire une petite réunion, en leur disant « j’ai de quoi à vous proposer ». Alors j’ai fait valider ce projet-là et il s’est enrichi au fil des rencontres. Puis Carole et moi sommes allées en Italie présenter le projet d’augmentation de la biodiversité dans la vallée de la Batiscan à des tuteurs, à l’université des sciences gastronomiques. Et ça été tout de suite : « WOW » ! Quand c’est plein de monde comme ça, c’est parce que ça va mal ! On cherche de nouveaux créneaux. L’industrie forestière nous a tourné le dos dans la couronne agroforestière de la Vallée de la Batiscan et l’industrie agricole est en péril. Donc, la limite de ces consultations, c’est son approche sectorielle et géopolitique. Alors on consulte les agriculteurs qui font le rapport. On consulte les gens qui sont en tourisme et on fait le rapport. On consulte les industriels et on fait le rapport. On consulte l’éducation et on fait un rapport. Mais les personnes qui participent à ces consultations sont trop peu souvent en interaction : ils ne se rencontrent pas ces groupes de personnes-là. Il faut mentionner que la Vallée de la Batiscan traverse trois MRC. La rivière traverse 13 municipalités d’une moyenne de 1 000 habitants. Toute décision prise en amont a un impact en aval. L’approche bassin-versant s’impose. C’est la limite de la consultation. C’est là que le fossé s’élargit dans la démocratie. C’est grave ce que je dis là parce que les gens participent, ils consacrent bénévolement une journée de leur travail pas pour le plaisir. Ce qu’on entend après ces consultations : « Mais ils font ce qu’ils veulent pareil, alors ça sert à rien de participer à tout ça, ils font ce qu’ils veulent …

Parties annexes