Le thème de la participation a souvent été associé aux formes d’actions collectives, dont l’action communautaire autonome qui, non seulement a contribué historiquement à la susciter, mais qui doit, politiquement, s’appuyer sur elle pour faire reconnaître des droits ou revendiquer des ressources permettant d’améliorer les conditions sociales et économiques des personnes marginalisées. La participation est aussi évoquée pour rendre compte de son instrumentalisation technocratique servant à activer socialement les personnes marginalisées dans une direction, dont le sens n’aura pas été déterminé par ces dernières, mais par d’autres acteurs usant de leur position d’autorité. Cette question demeure très d’actualité si on lit les articles que nous recevons sur ce sujet, et dont plusieurs sont publiés dans ce numéro. En effet, si le présent dossier thématique traite de l’intervention collective, la quasi-totalité des textes de ce numéro interroge les enjeux démocratiques de la participation dans le domaine de l’intervention sociale. Qu’il s’agisse des personnes atteintes de santé mentale, des personnes analphabètes, des enfants de la rue, des jeunes immigrés, ou des personnes itinérantes, on tente de rendre compte des situations d’inégalités sociales traversant les pratiques se voulant démocratiques, plus égalitaires, et de proposer des moyens pour questionner et atténuer les rapports asymétriques. Précisons d’entrée de jeu que les questions traitées dans ce numéro se démarquent de l’emballement actuel autour de la lutte contre les inégalités sociales de santé et de la promotion des innovations sociales. Même si ces tendances semblent mobiliser de nombreux intervenants sociaux, chercheurs, et gestionnaires de la santé publique, cet engouement ne s’inscrit pas nécessairement dans une perspective d’émancipation démocratique des personnes dites bénéficiaires de ces pratiques ; rien n’est moins sûr. Dans le cas de la lutte aux inégalités sociales de santé (Frohlich et al., 2008), les inégalités sociales de la participation sont la plupart du temps éludées au profit d’une analyse épidémiologique des inégalités d’accès aux produits d’alimentation « santé », aux conditions environnementales saines, ou encore aux statuts socioéconomiques pouvant procurer un « bon stress » pour la santé, selon certains experts de la santé publique (Roy, 2008). Il y a là une posture maintenant des rapports asymétriques avec les personnes visées par les politiques sociales pensées pour elles, et non avec elles. On qualifie souvent ces personnes de « vulnérables », « en situation de pauvreté » ou à risque de contracter tout un lot de maladies compte tenu de leur situation, et de mourir à un âge prématuré relativement à une norme statistique populationnelle. Les bonnes intentions relatives à la bienveillance à l’égard d’autrui, mais sans le point de vue d’autrui, pullulent à l’heure actuelle dans ce domaine. Du point de vue des réflexions entourant la démocratie participative, on semble mettre de côté ce que Breton (2006 : 27) appelle « l’acte de parole démocratique » de ces personnes : Cet auteur attire notre attention sur le processus de substitution politique qui s’opère par le savoir expert : « On voit bien sur ce point précis comment le dispositif de parole qui sert à produire le savoir, et qui est légitimement hiérarchisé, se substitue aux dispositifs de parole symétrique, qui fondent le principe d’égalité politique » (Breton, 2006 : 182). Dans un article proposant une approche anthropologique sur la genèse des problèmes individuels de santé, Bibeau et Fortin (2008) avancent que la dépolitisation de la santé publique, relativement à l’analyse des inégalités sociales, résulterait de la pauvreté théorique de son champ d’expertise. Celui-ci serait constitué de théories non critiques du social (exemple : théories du choix rationnel, neurobiologiques, comportementalistes, etc.) et s’appuierait quasi exclusivement sur des recherches empiriques, descriptives et quantitatives. Bibeau et …
Parties annexes
Bibliographie
- Arnstein, S. R. (1969). « A Ladder of Citizen Participation », Journal of the American Institute of Planners, vol. 35, no 4, 216-224.
- Bibeau, G. et S. Fortin (2008). « Inégalités et souffrance sociale : une approche anthropologique », dans K. Frolich, M. De koninck, A. Demers et P. Bernard, Les inégalités sociales de santé au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 111-137.
- Breton, P. (2006). L’incompétence démocratique. La crise de la parole aux sources du malaise (dans la) politique, Paris, La Découverte.
- Farro, A. L. (2000). Les mouvements sociaux : diversité, action collective et globalisation, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.
- Freytag, M. (2009). « L’émancipation : réflexions sur la liberté et le progrès moderne », dans R. TREMBLAY (dir.), L’émancipation, hier et aujourd’hui. Perspectives françaises et québécoises, Québec, Presses de l’Université du Québec, 89-107.
- Frohlich, K, Bernard, P., Charafeddine, R, Potvin, L., Daniel, M. et Y. Kstens (2008). « L’émergence d’inégalités de santé dans les quartiers », dans K. Frolich, M. De Koninck, A. Demers et P. Bernard, Les inégalités sociales de santé au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 165-185.
- Giugni, M. G. (1996). « L’étude de l’action collective entre deux traditions sociologiques », Swiss Political Science Review, vol. 2, no 1, 1-51.
- Mendel, G. (2003). Pourquoi la démocratie est en panne. Construire la démocratie participative, Paris, La Découverte.
- Parazelli, M. (2009). « Le défi du renouvellement démocratique des pratiques d’action et d’intervention sociales », Nouvelles pratiques sociales, vol. 22, no 1, 3-12.
- Parazelli, M. (2010). « L’autorité du “marché” de la santé et des services sociaux », Nouvelles pratiques sociales, vol. 22, no 2, 1-13.
- Roy, J.-P. (2008). « Statut socio-économique et santé : une perspective neurobiologique », dans K. Frolich, M. De Koninck, A. Demers et P. Bernard, Les inégalités sociales de santé au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 209-220.