Qu’est-ce qui n’a pas déjà été dit sur l’homosexualité ? Cette question est la première qui nous vient à l’esprit lorsqu’on aperçoit une nouvelle publication sur le sujet. Pierre Verdrager, sociologue et auteur de L’homosexualité dans tous ses états, en est bien conscient. Qu’il ait malgré tout décidé d’aller de l’avant avec son projet et de publier cet ouvrage pouvait nous laisser croire, à nous lecteurs, que le livre ainsi que son auteur étaient imbus d’une certaine dose de prétention, d’autant plus que la quatrième de couverture annonçait en grande pompe qu’il s’agissait là d’« une première en sociologie ». Mais, dès le début, l’auteur nous révèle que ses ambitions sont, au contraire, des plus modestes : « Nous comptons suivre, modestement, le parcours identitaire de gens “ordinaires” » (p. 8). Verdrager espère que sont étude viendra compléter les essais sociologiques plus sérieux et plus ambitieux. Ceux-ci ont l’inconvénient, selon lui, de privilégier l’étude de l’homosexualité des élites cultivées. Dans son ouvrage, Verdrager donne plutôt la parole à des gens du commun, des gays et des lesbiennes vivant en France qui n’ont pas l’habitude de se faire entendre dans les différents espaces médiatiques et intellectuels. Son but est simple : il s’agit de théoriser le rapport à l’identité (homosexuelle) chez ces personnes ou, comme l’auteur l’affirme de manière plus prosaïque, de « décrire les modalités selon lesquelles s’articulent pour les sujets ce verbe – “être” – et cet adjectif – “homosexuel” » (p. 7). Pour arriver à cette fin, l’ouvrage se base sur deux choix méthodologiques et épistémologiques qui répondent aux critiques que l’auteur adresse à certains de ses collègues. La méthode de collecte des données constitue le premier de ces choix. Les résultats de l’étude proviennent d’un nombre limité (25) d’entrevues qualitatives intensives. La sélection des participants s’est effectuée selon la méthode « boule de neige », chaque participant proposant un autre candidat potentiel parmi son réseau relationnel. Verdrager s’inscrit donc à l’opposé de ceux qui ne conviennent de la scientificité de la sociologie que lorsqu’elle s’accompagne d’une accumulation de chiffres et de tableaux statistiques. En choisissant d’analyser le discours de gens ordinaires, en les prenant aux mots, sans en omettre et sans les aider, l’auteur prend aussi ses distances avec certains collègues qui insistent pour traduire les paroles des acteurs dans leur métalangage sociologique. Le second choix de l’auteur, plutôt épistémologique, est son rejet de la posture militante et son refus de tout engagement politique. Dans sa démarche, il propose plutôt d’adopter une posture neutraliste, qui a l’avantage, en plus d’éviter que son travail ne soit discrédité pour des raisons idéologiques, de favoriser le respect du principe de symétrie. L’auteur reproche aux sociologues engagés leur « épistémocentrisme » ou leur « ethnocentrisme du présent » (p. 142), c’est-à-dire leur tendance à observer – et à juger – les travaux passés sur l’homosexualité selon le point de vue, et avec le bagage culturel et intellectuel, des gens de notre époque. En respectant le « principe de symétrie », il s’agit donc de traiter de la même façon les « gagnants » et les « perdants » d’une controverse scientifique, ce qui écarte la possibilité d’émettre des jugements de valeur. L’ouvrage de Verdrager s’inscrit, par conséquent, dans la tendance à abandonner la sociologie critique pour plutôt se consacrer à la sociologie de la critique. L’auteur ne se contente pas d’étudier l’homosexualité, il fait aussi de l’historicité elle-même de l’homosexualité – c’est-à-dire de la manière dont elle est étudiée, comprise et replacée dans son cadre historique – son objet historique d’étude. Un long chapitre du livre est consacré à cette …
Pierre Verdrager, L’homosexualité dans tous ses états, Paris, Éditions les Empêcheurs de penser en rond, 2007, 342 p.[Notice]
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Dominic Bizot
Doctorant en andragogie, Université de Montréal Chargé de cours en travail social, Université de Montréal et Université LavalPierre-Alexandre Viens
M.A. Sciences politiques