J’ai lu avec beaucoup d’attention et d’intérêt le texte produit par Pierre Beaudet portant sur les contraintes et les défis de ce qu’il nomme « le mouvement social ». J’en ai retenu quelques grands énoncés qui me semblent résumer l’essentiel des propos de l’auteur. Dans un premier temps, le professeur à l’Université d’Ottawa rappelle l’importance qu’ont pris les mouvements sociaux dans le développement d’une dynamique politique qui fut d’abord oppositionnelle un peu partout sur la planète. Dans plusieurs régions du monde, cette expression de la société civile a conduit à l’émergence ou la consolidation de relais politiques qui, tant en Amérique latine qu’en Europe de l’Est, ont accédé démocratiquement au pouvoir. Les exemples du Brésil, du Venezuela et de l’Équateur viennent évidemment spontanément à l’esprit et c’est d’ailleurs essentiellement le modèle latino-américain qui sert de canevas à l’analyse de Beaudet. Dans un deuxième temps, l’auteur suggère que les mouvements sociaux constituent en eux-mêmes une force politique qui malgré son hétérogénéité semble capable à la fois de soutenir certaines formations partisanes et de s’en démarquer si nécessaire. Troisièmement, Beaudet souligne la capacité des mouvements sociaux à s’ajuster aux nouvelles réalités, ce qui conduit à la construction d’un archipel toujours plus vaste et diversifié d’organisations fondées sur les besoins réels et les préoccupations majeures des populations. Quatrièmement, l’auteur soutient que ces organismes formant une part très importante de la société civile exercent une fonction politique évidente qui se démarque cependant des modèles antérieurs dominés par l’avant-gardisme et une conception plus ou moins élitiste de l’autorité politique. En prime, les mouvements sociaux auraient découvert des méthodes de lutte plus appropriés, voire plus efficaces que la violence révolutionnaire qui a caractérisé les mouvements de résistance et de libération du xxe siècle. Parmi ces nouveaux outils de combat, il y a évidemment le réseautage que permet Internet. Enfin, ces mouvements sociaux seraient plus en phase avec les valeurs privilégiées par les milieux populaires au sens large : solidarité, justice sociale, entraide, autonomie, équité, etc. Ils seraient aussi plus branchés sur les préoccupations quotidiennes des gens : logement, alimentation, santé, éducation, qualité de l’environnement, relations intergénérationnelles, violence, etc. Cela dit, l’auteur rappelle à juste titre la capacité du néolibéralisme à renaître de ses cendres tel un phoenix, en cannibalisant pourrait-on dire, pour évidemment les servir nappées de sa sauce, les meilleures idées des mouvements sociaux. Dans ce sens, la critique des mouvements sociaux serait utilisée comme principal intrant d’une adaptation permanente du capitalisme aux exigences de l’époque dans une perspective de maintien de sa domination. Les mouvements sociaux auraient donc de ce fait un rôle régulateur important dont une des expressions actuelles serait le libéralisme social qualifié aussi de blairisme ou de « capitalisme à visage humain ». Un renversement de perspective politique fondamental découle donc de cette analyse, rejoignant en partie la perspective gramscienne, mais aussi certains aspects de la logique anarchiste autogestionnaire. Ainsi, ce « mouvement social » n’est plus la courroie de transmission d’un parti révolutionnaire, mais l’élément essentiel d’une dynamique de changement social dont le parti n’est qu’une composante. En d’autres termes, le parti devient le relais de préoccupations citoyennes et, faute de remplir correctement cette fonction, est voué à l’échec, les forces l’ayant porté au pouvoir le laissant tomber au profit d’autres relais. Si je rejoins Beaudet en ce qui concerne l’importance politique et sociale actuelle des mouvements sociaux, je me permets d’apporter certaines nuances et d’autres éléments de réflexion, la sienne me semblant à la fois un peu trop théorique, pour ne pas dire hermétique, insuffisamment fondée sur l’expérience québécoise et un peu trop latino-centrée. J’ajouterais qu’elle gagnerait également …
La place des mouvements sociaux dans la dynamique politique actuelle[Notice]
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Henri Lamoureux
Socioéthicien et écrivain