Malgré la diversité thématique des questions sociales traitées, les auteurs des textes de ce volumineux numéro partagent des interrogations similaires en ce qui a trait à la fonction médiatrice que peuvent assurer l’intervenant et l’intervenante. Si le dossier thématique de ce numéro porte particulièrement sur les pratiques de médiation, l’entrevue, ainsi que les articles des rubriques Perspectives posent un regard sur l’intervention sociale justement en tant que pratiques médiatrices entre un mandataire et des personnes auprès desquelles on « livre un message ». J’emprunte ici la distinction commode que font Chouinard, Couturier et Lenoir (2009) dans le dossier thématique du présent numéro entre « pratiques médiatrices » et « pratiques de médiation ». Ces dernières se réclamant formellement d’un travail de médiation entre des parties impliquées, tandis que les pratiques médiatrices seraient, selon ces auteurs, le coeur même de la position du travail social, non seulement par le fait que l’intervenant se constitue en intermédiaire, mais aussi parce qu’il viserait d’une certaine manière des transformations (individuelles, sociales, culturelles, symboliques, économiques, structurelles, etc.) du rapport de l’individu à la société que la situation soit conflictuelle ou non. Ainsi, la médiation constituerait : Ce point de vue nous renvoie à d’autres auteurs tels que Keller et Goguel d’Allondans (2002) ainsi qu’Herreros (2001) qui font écho, par leurs références mythologiques, à ce type de rationalisation des fondements du travail social. Au lieu de recourir aux racines judéo-chrétiennes du travail social, ceux-ci évoquent certains personnages de la mythologie grecque pour rendre compte du sens investi dans l’intervention sociale aujourd’hui. Dans cet avant-propos, je me permets donc de présenter quelques éléments de réflexions en ce sens. C’est surtout la figure d’Hermès qui est convoquée pour représenter la spécificité du rôle de l’intervenant social et de ses ambivalences. Dans le récit mythique des divinités olympiennes, on présente Hermès comme le messager des Dieux personnifiant l’intelligence rusée, l’ingéniosité (métis), l’audace et la chance, mais aussi la tromperie. Il ne naît pas dieu, il le devient à la suite d’une lutte pour la reconnaissance de ses qualités auprès de Zeus. Hermès devient le dieu du commerce, des voyageurs, et des voleurs, des pasteurs et de leurs troupeaux tout autant que des orateurs ou des prostituées. On dit de lui qu’il est le plus bienveillant des dieux grecs à l’égard des hommes. Il est à la fois médiateur (mariage), passeur (entre le haut et le bas, la mort) et ambigu et rusé (menaçant). Non seulement il leur offre l’écriture, la danse, les poids et mesures, la flûte, etc., mais surtout : L’auteur ajoute un élément important de la structure mythique de ce personnage qui peut aussi être ambigu et menaçant : l’ambivalence. Ajoutons que, selon Platon, le nom d’Hermès proviendrait de herméneus qui signifie « celui qui interprète » (herméneutique), mais aussi paradoxalement « hermétique » (difficile à comprendre, secret, obscur). C’est pourquoi des chercheurs du domaine de la traduction littéraire vont aussi se référer à cette figure mythique ambivalente pour tenter de comprendre les problèmes de traduction et de médiation associés à la position d’intermédiaire. Ce passage nous permet de jeter un regard critique sur la fonction politique de l’intervenant social qui peut à la fois faciliter et bloquer des rapports en s’interposant de la sorte entre un mandataire et le public auquel on veut s’adresser. Si nous sortons un peu de l’imagerie mythique, le mandataire serait moins une personne qu’une idéologie circulant dans les institutions et qui tend à s’imposer comme cadre interprétatif des situations singulières des personnes, bref qui ferait autorité auprès d’intervenants sociaux. Pensons à l’idéologie de la prévention, à celle de l’écologie …
Parties annexes
Bibliographie
- Caputo, A., Dessureault, S. Doucet, L., Gélinas, C., Goyette, C., Lachapelle, O., Vanier, L. et M.-S. Weche (2008). « Des mots fracassants : “Vulnérable, vous dites ! qui de nous, intervenante ou parent pauvre, ne l’est pas ?” ». Revue du CREMIS, vol. 1, no 1, 4-7.
- Cauchy, C. (2009). « La dictature de la charité ? Une fondation privée peut-elle imposer ses choix au gouvernement ? », Le Devoir, samedi, 23 mai, A1.
- Chouinard, I., Couturier, Y. et Y. Lenoir (2009). « Pratique de médiation ou pratique médiatrice ? La médiation comme cadre d’analyse de la pratique professionnelle des travailleurs sociaux », Nouvelles pratiques sociales, vol. 21, no 2, 31-45.
- Cléro, J.-P. (2007). Qu’est-ce que l’autorité ?, Paris, Vrin.
- Desjardins, L. (2009). « Fonds pour le développement des jeunes enfants : un projet de loi loin de faire l’unanimité ! », Bulletin de liaison de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ), vol. 34, no 1. En ligne : <www.fafmrq.org/federation/2009/06/fonds-pour-le-developpement-des-jeunes-enfants.html>, consulté le 15 octobre 2009.
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- Herreros, G. (2001). « Sociologie d’intervention : pour une radicalisation de certains principes », dans D. Vrancken et O. Kuty (dir.), La sociologie et l’intervention : enjeux et perspectives, Bruxelles, De Boeck Université, 273-298.
- Keller, P. et T. Goguel d’Allondans (2002). « Le travail social et ses rites, entre prométhéisme et herméneutique ». Institut européen Psychanalyse et Travail social. En ligne : <www.psychasoc.com/Textes/Le-travail-social-et-ses-rites-entre-prometheisme-et-hermeneutique>, consulté le 19 octobre 2009.
- Lesemann, F. (2008). « L’irruption des fondations privées dans le “communautaire” : une nouvelle gouvernance des services publics ? », Bulletin de liaison de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ), vol. 33, no 2. En ligne : <www.fafmrq.org/federation/2008/10/lirruption-des-fondations-priv%C3%A9es-dans-le-communautaire-une-nouvelle-gouvernance-des-services-publics.html>, consulté le 19 octobre 2009.
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