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Introduction

En juin 1998, l’Institut de développement humain a été mandaté et financé par la Commission du droit du Canada (CDC) pour faire une étude sur les personnes victimes d’abus dans des établissements publics. L’objectif général de l’étude consistait à explorer les expériences et les opinions de ces victimes au regard des démarches légales qu’elles avaient entreprises. Les objectifs spécifiques de l’étude étaient les suivants :

  • Identifier la nature et l’étendue de l’abus des enfants institutionnalisés au Canada.

  • Documenter l’information pertinente aux expériences et aux opinions des victimes d’abus institutionnel, ainsi que d’autres informateurs clés sur les options de compensations.

  • Identifier l’éventail et la justification des options légales disponibles au Canada pour les victimes d’abus institutionnel, ainsi que la manière dont elles ont été intégrées à d’autres réponses institutionnelles (par exemple, les programmes de soutien moral ou les programmes de compensations).

  • Examiner l’efficacité des options de type compensatoire établies pour répondre aux besoins et aux désirs de solution des victimes d’abus institutionnel.

  • Identifier les principes, les politiques et les programmes devant assurer la prévention, l’intervention rapide ainsi que les réponses les plus aptes à neutraliser l’impact de l’abus institutionnel sur les victimes.

C’est en novembre 1997 que la ministre de la Justice, Madame Anne McLellan, mandatait la Commission du droit du Canada pour évaluer :

Les moyens de réparer les sévices physiques et sexuels infligés à des enfants placés dans des établissements dirigés, financés ou parrainés par l’État, qu’il s’agisse d’internats pour enfants autochtones, d’écoles pour aveugles et sourds, de centre de formation ou d’établissements de soins de santé mentale à long terme.

CDC, 2000 : 1

Une partie de cette étude portait sur un de ces groupes d’enfants, ceux connus sous le nom « les orphelins de Duplessis ».

Historique

Entre 1930 et 1964, plusieurs milliers d’enfants québécois abandonnés, « illégitimes », orphelins ou autrement confiés aux soins de l’État par leurs parents ont été élevés dans des établissements contrôlés par des congrégations religieuses catholiques. Les soins qu’on leur a accordés étaient, au mieux, rudimentaires. Selon les critères actuels, la discipline y était très sévère. Ces enfants ont souvent été négligés, molestés et abusés sexuellement. Dépourvus d’une éducation élémentaire digne de ce nom, plusieurs ont été qualifiés de « débiles mentaux » ou de « retardés mentaux » et placés dans des asiles où ils cohabitaient avec les schizophrènes, les déficients intellectuels profonds et d’autres personnes internées. Sous la direction de la profession médicale, plusieurs de ces enfants ont reçu des traitements normalement réservés aux psychiatrisés : électrochocs, isolations, médication excessive, etc. Ces enfants ont collectivement été appelés « les enfants de Duplessis ». La référence à l’ancien premier ministre du Québec, Maurice Duplessis (1944-1959), vient du fait que c’est une décision de ce régime qui a créé cette catégorie d’enfants.

Maurice Duplessis et son parti politique, l’Union nationale, avaient une conception du rôle de l’État différente de celle du gouvernement fédéral, tout particulièrement en matière de santé et de politique sociale. Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral adoptait une position favorable à l’interventionnisme politique en guise de compromis entre la bourgeoisie canadienne, d’un côté, et les classes ouvrière et moyenne, de l’autre. Cela était plus particulièrement évident dans le domaine de la santé et du bien-être social (Vaillancourt, 1988). Au même moment, le gouvernement Duplessis renversait une tendance similaire mise de l’avant par le gouvernement Godbout et maintenait une position non interventionniste : « celle du libéralisme économique et de la charité privée » (Vaillancourt, 1998 : 128). Ainsi, alors que le Canada développait son État-providence, le gouvernement de Duplessis poursuivait une stratégie non interventionniste dite résiduelle et s’opposait à la création de l’État-providence. Duplessis appuyait en fait à la fois les intérêts de la grande bourgeoisie monopoliste du Canada et des États-Unis dans l’approche du laisser-faire économique, et les intérêts beaucoup plus traditionnels des propriétaires terriens du Québec. Pour répondre aux besoins de la population québécoise en matière de santé et d’assistance sociale, ce gouvernement a maintenu une « sainte alliance » entre l’État et l’Église. Duplessis laissait donc le contrôle total des établissements de santé et de charité entre les mains de l’Église.

La prise de conscience de la population québécoise

La situation des enfants de Duplessis a été portée à l’attention du public québécois par les médias. Des histoires de cas ont été publiées dans des livres et plus tard portées à l’écran. La première histoire est parue dans le livre de Jean Charles Pagé Les fous crient au secours (1961), qui expose la situation des enfants dans les asiles. Même si le public n’a pas tellement réagi à ce livre, celui-ci a néanmoins provoqué l’institution d’une commission d’enquête qui a donné lieu à la publication du Rapport de la Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques (Bédard, Lazure et Robert, 1962), en 1962, plus communément connu sous le nom de rapport Bédard. Ce rapport a attiré l’attention sur le fait que plusieurs enfants, abusivement étiquetés « débiles mentaux », ont été institutionnalisés avec des gens qui souffraient de véritables maladies mentales ; il a largement contribué à mettre un terme à cette pratique.

Même si la pratique de placer des enfants en institution psychiatrique a cessé au début des années 1960, le problème suivant demeurait : des milliers d’enfants grandissaient et quittaient ces institutions pour la vie à l’extérieur, sans avoir bénéficié d’une éducation et d’une socialisation adéquates. Cette situation a été décrite dans le livre Ma chienne de vie, publié en 1964 par Jean-Guy Labrosse. Labrosse a publié deux autres ouvrages sur ce thème dans les années 1970. Mais au cours des deux décennies suivantes, on entend très peu parler des enfants de Duplessis. Beaucoup plus tard, après quelques reportages à la télévision, un autre livre important, Les enfants de Duplessis, a été écrit par Pauline Gill (1991). Elle y raconte l’histoire d’Alice Quinton, élevée dans deux de ces établissements. Peu après, Bruno Roy, lui aussi, un enfant de Duplessis, décrit en détail les conditions endurées par ces enfants dans son livre Mémoire d’asile (1994). Enfin, en 1998, une minisérie a été produite par la télévision de Radio-Canada ; le film était basé sur un autre livre écrit par Roy, Les calepins de Julien (1998). La situation des enfants de Duplessis est aujourd’hui passablement connue de la population québécoise.

L’histoire des aspects légaux

L’initiative des enfants de Duplessis pour obtenir réparation des conditions endurées dans leur jeunesse a été entamée en 1992 lorsque Hervé Bertrand et d’autres orphelins ont rencontré l’avocat Robert Fauteux, lui demandant son appui pour intenter un recours collectif. Fauteux a formé une équipe avec quatre autres avocats. La première étape de leurs travaux a consisté à identifier les enfants institutionnalisés. Après plus d’un an de travail, l’équipe a réussi à rencontrer presque 1 800 orphelins ayant vécu dans sept établissements différents du Québec. Un comité spécial qui avait pour fonction de représenter les intérêts des orphelins a été créé : le Comité des orphelins et des orphelines institutionnalisés de Duplessis (COOID). Des sous-comités ont été formés pour les orphelins de chacun des sept établissements impliqués dans ce recours collectif. Au début, un conseil d’administration restreint et informel, sous la direction de Jean-Guy Labrosse, supervisait les travaux des différents sous-comités. Plus tard, lorsqu’un meilleur contrôle administratif se révéla nécessaire, un comité exécutif a été formé ; Hervé Bertrand en a assumé la présidence. L’équipe légale a alors été élargie : deux autres avocats, un sociologue, un psychologue et un historien ont été invités à prendre part aux travaux du groupe. Cette équipe élargie a effectué une recherche sur les différents aspects légaux et historiques du cas, en vue de mieux décrire le contexte légal, social, économique et religieux dans lequel s’étaient déroulés les événements et pour démontrer que les orphelins ont tous été victimes « d’actes similaires ».

La première étape légale a consisté à soumettre une demande de subventions au Fonds d’aide au recours collectif pour entamer des procédures légales contre l’État, les congrégations religieuses et la profession médicale. Cette demande a été rejetée en cour sous prétexte que les orphelins n’avaient pas été victimes d’actes similaires, mais d’actes différents et individuels. Un appel a été interjeté, mais le cas a également été rejeté pour les mêmes raisons. L’équipe légale a de nouveau rencontré les orphelins, presque 1000, dans le but d’accumuler des preuves qu’un nombre important d’actes perpétrés individuellement avaient, de fait, été similaires. Deux autres avocats, ainsi que des experts en recours collectifs, ont été embauchés pour reprendre le dossier. La demande d’aide financière au recours collectif a alors été présentée à la Cour supérieure du Québec. Après cinq jours de témoignages, le cas des orphelins de Duplessis a encore une fois été rejeté pour les mêmes motifs. On a suggéré que les orphelins devaient approcher individuellement le système judiciaire criminel avec leur dossier. Après deux ans de travail et un effectif allant jusqu’à 20 personnes, le dossier des orphelins et de l’équipe légale se trouvait dans un cul-de-sac.

Entre-temps, quelques orphelins ont été approchés individuellement par le service de police de la Communauté urbaine de Montréal dans le but de porter des plaintes formelles concernant des actes de nature criminelle. Mais comme ces cas provenaient de toutes les régions de la province, l’enquête a été transférée au service de police de la Sûreté du Québec. Les policiers de la Sûreté du Québec ont enquêté sur 241 cas soumis par les orphelins. Même si la plupart des orphelins sont d’avis que les policiers ont enquêté de manière professionnelle, quelques-uns ont tout de même souligné que le langage des policiers leur était peu familier, ce qui semblait compliquer leur démarche. Certains orphelins ont même dit que les policiers tentaient de créer de la confusion. Les procureurs de la Couronne impliqués dans ce dossier ont rencontré toutes les victimes. Finalement, ils ont décidé de ne procéder à aucune poursuite, et ce, pour diverses raisons. Par exemple, ils ont prétexté que les orphelins ne constituaient pas de bons témoins, que les accusés étaient trop vieux et que certains étaient morts. Bref, la Couronne a déterminé que les accusations étaient trop faibles pour procéder aux poursuites.

Il est important de noter qu’un orphelin a décidé de procéder seul, sans l’appui du Bureau du procureur de la Couronne ; le cas en était un d’agression sexuelle et l’accusé a plaidé coupable à l’accusation. Cela a au moins permis de constater que certaines des causes étaient, après tout, légitimes et suffisamment solides pour que l’on procède à des accusations. En revanche, dans ce cas, il n’y a eu ni procès, ni dédommagements, et les résultats de la cause n’ont pas été publiés. En dépit de ce développement, Paul Bégin, alors ministre de la Justice du Québec, a annoncé en 1993 que le dossier des orphelins de Duplessis était clos.

Croyant qu’il ne restait pas d’autres options légales, des représentants du COOID ont approché le Bureau du protecteur du citoyen ; ce dernier a fait une enquête qui a duré six mois. En janvier 1997, un rapport a été publié dans lequel le protecteur du citoyen a indiqué qu’il était inutile de chercher quelqu’un à blâmer. Il a toutefois formulé plusieurs recommandations, suggérant, entre autres, que les orphelins méritaient des excuses publiques de la part du gouvernement du Québec, de la profession médicale et des organismes religieux, qu’ils méritaient des dédommagements et que ces sommes devraient être mises de côté pour défrayer les coûts de programmes de thérapies pour les victimes qui en éprouvaient le besoin. Le rapport a été présenté à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale. Cette commission de 12 membres, représentants tous les partis politiques présents à l’Assemblée nationale, a unanimement endossé le rapport du protecteur du citoyen. Très peu de temps après, le premier ministre Lucien Bouchard a indiqué publiquement qu’il voulait régler le dossier des orphelins de Duplessis. Dix-huit mois plus tard, au moment de cette étude, le dossier était toujours en suspens.

Méthodologie

Nous devions donc explorer les expériences et les opinions des orphelins de Duplessis. Nous avons procédé par une série d’entretiens à questions ouvertes, non structurées. Le canevas d’entrevue a été élaboré par l’Institut de développement humain en collaboration avec la Commission du droit.

Étant donné que la majorité des orphelins sont unilingues francophones, les fiches d’information, le formulaire de consentement et le questionnaire de l’étude ont été traduits en français par le chercheur principal. En plus des données obtenues grâce aux entretiens individuels, le COOID a fourni au chercheur des documents légaux, de la correspondance, les cassettes vidéo de la minisérie, ainsi que des articles de journaux. Les livres qui ont été écrits par les orphelins et sur les orphelins, en plus du rapport du protecteur du citoyen, ont complété l’ensemble des données.

La phase de la collecte de données pour cette recherche a débuté le 17 août 1998. Au moment de la rédaction, 19 orphelins et 6 professionnels avaient participé aux entretiens (19 entrevues ont été réalisées dont 2 par téléphone). Ce qui suit est le résultat de l’analyse des données et quelques-uns des principaux thèmes qui s’en sont dégagés.

Les résultats

Dans plusieurs autres cas d’abus de jeunes qui ont eu lieu dans des établissements de santé ou d’éducation (le plus connu étant Mount Cashel à Terre-Neuve), il y a eu au moins reconnaissance, par les instances impliquées, qu’une injustice avait été commise. Dans le cas des enfants de Duplessis, au moment de la collecte des données, il n’y avait même pas eu cette reconnaissance, ni de la part du gouvernement du Québec, ni de celle de l’Église catholique, ni de la profession médicale du Québec. Cela se reflète donc dans le thème le plus important mentionné par les informateurs, qui soulignent cet intense besoin ressenti de faire reconnaître qu’une injustice a été commise[1]. Même s’ils comprennent et acceptent que les normes de discipline de cette époque étaient différentes de celles d’aujourd’hui, ils ne peuvent accepter de n’avoir pas été éduqués et, plus encore, ils acceptent très mal d’avoir encore et toujours à vivre avec l’étiquette « débile mental » qui leur a été accolée. C’est cette pratique d’étiquetage, largement répandue à l’époque, qui demeure insupportable, source de stigma et d’une faible estime de soi. Un des plaignants croyait même que cette étiquette lui avait été assignée avant sa date de naissance[2]. On a obligé les orphelins à vivre avec ces étiquettes toute leur vie.

Voyons maintenant les thèmes qui ont émergé des entrevues.

Soutien moral pour les orphelins

Le recours collectif

La plupart des orphelins ont parlé du recours collectif initié par le COOID. En fait, le COOID a été créé pour faciliter le recours collectif ; beaucoup de temps et d’énergie ont donc été investis dans cette entreprise. Au début, l’espoir était grand, plusieurs pensaient qu’on allait finalement leur rendre justice. Malheureusement, l’initiative n’a pas abouti, faute de fonds. Pour faire avancer le dossier, on a demandé que chaque orphelin débourse 300 $ pour payer le travail des avocats. Étant donné que la plupart de ces personnes n’ont pour seul revenu qu’un chèque mensuel d’assistance sociale, elles ne pouvaient payer le montant demandé. Souvenons-nous que toutes les demandes d’aide financière avaient été refusées ; ce qui a fait dire à plusieurs qu’il n’y avait de justice que pour les riches.

La plupart des faits relatés par les orphelins, comme le fait d’avoir été placés dans des hôpitaux psychiatriques et de ne pas avoir reçu une éducation adéquate, n’ont pas été contredits par le porte-parole des congrégations religieuses. La réponse que ces dernières ont donnée tournait essentiellement autour du fait que la situation de l’époque, en particulier le manque de personnel et d’argent, les empêchait de faire autrement et que, finalement, elles ont fait leur possible avec les moyens à leur disposition.

L’Enquête policière

La plupart des orphelins qui ont participé à l’étude ont confirmé qu’ils ont également participé à l’enquête policière qui a eu lieu en 1992 et 1993. Les enquêteurs du service de la police avaient alors rencontré 241 victimes d’abus. Quelques-uns ont trouvé cette enquête intimidante, demeurant sous l’impression que les policiers leur ont manqué de respect et qu’ils utilisaient un langage difficile à comprendre, utilisé expressément pour créer de la confusion. Par exemple, on a demandé à un homme qui avait déposé une plainte d’abus sexuel, s’il avait été sodomisé ; comme cet homme ne savait pas ce que ce mot voulait dire, il a répondu non. Les policiers ont conclu qu’il n’y avait pas eu d’abus sexuel.

La plupart des orphelins ont cependant eu l’impression que les policiers faisaient leur possible pour les aider. Ils croient même que les policiers avaient les mains liées par le Bureau du procureur de la Couronne. Un informateur a décrit comment s’était déroulée une entrevue avec la procureure de la Couronne et un policier. La procureure n’acceptait apparemment pas le témoignage de l’informateur, même si le policier le défendait devant la procureure et confirmait le témoignage. Selon l’informateur, le policier se faisait dire par la procureure de se taire.

Les orphelins sont unanimes dans leur condamnation de la procureure de la Couronne responsable du dossier. Leur point de vue variait entre « elle a fait le minimum » et « elle voulait simplement protéger ceux qui étaient au pouvoir ». Les plaignants ont senti qu’aux yeux de la procureure, c’étaient eux les coupables. Un plaignant, qui rencontrait la procureure dans un petit bureau, s’est fait dire : « Vous n’obtiendrez jamais justice dans ce cas. Si vous voulez la justice, il faut aller voir les politiciens. »

Sur la question de l’abus, le porte-parole des congrégations religieuses a indiqué sans équivoque que les religieuses n’avaient jamais abusé des enfants. Elles disposaient alors de moyens limités pour contrôler le comportement des enfants, elles avaient certes utilisé des moyens qui ne seraient pas acceptés aujourd’hui, mais qu’à son avis les histoires de mauvais traitements de la part des religieuses étaient exagérées.

Niveau de satisfaction

La plupart des orphelins se sont dits très insatisfaits des différentes options légales qui s’offraient à eux. Plusieurs ont éprouvé une forte déception à la suite de la faillite du recours collectif. Ceux qui avaient auparavant été impliqués dans la cause étaient soit morts ou refusaient tout simplement de s’impliquer davantage dans la lutte du COOID ou dans tout type d’activités se rapportant à la question des orphelins.

Un orphelin a poursuivi son agresseur en cour sans l’aide du procureur de la Couronne. La plainte portait sur une agression sexuelle et l’agresseur a plaidé coupable. Mais le plaignant a été déçu des retombées de ses démarches. Le fait que l’accusé ait plaidé coupable a fait en sorte qu’il n’y a pas eu de procès, aucune publicité sur l’affaire, et que, par conséquent, les autres orphelins n’ont pu se rendre compte que justice avait été rendue. De surcroît, il n’y a pas eu de dédommagements. Nonobstant le fait que la Couronne a décidé de ne pas procéder aux poursuites criminelles, ce dernier cas a confirmé que la cause des orphelins de Duplessis était juste.

Les raisons de s’impliquer, les choix disponibles, les changements suggérés et les besoins exprimés

Les seuls aspects légaux de la cause dans lesquels les orphelins de Duplessis ont été impliqués sont l’enquête policière et le recours collectif. Les informateurs sont d’avis qu’ils ont été intimidés, par le service de la police dans certains cas et par la procureure de la Couronne dans d’autres. Mais chacun d’eux a participé directement ou indirectement dans ces deux démarches. Certains ont exprimé leur frustration relativement au maigre résultat concret obtenu et ont indiqué que la poursuite de leur lutte était une perte de temps.

Les informateurs ont déclaré qu’on ne leur avait pas vraiment donné de choix quant aux options légales qui s’offraient à eux. Au moment de l’étude, ils n’étaient pas encore à l’étape de la discussion sur les formes de compensations possibles ou souhaitables ; ils se méfiaient de tout ce qui venait du gouvernement. Ce qui devait changer, selon eux, c’était l’attitude du gouvernement, de l’Église catholique et de la profession médicale. Chacune de ces instances semblait plus soucieuse de se protéger que de trouver une solution au problème soulevé. L’opinion exprimée a été unanime. Ici encore, les informateurs croyaient qu’ils méritaient au moins des excuses publiques et une forme de compensation financière. Cela leur permettrait de clore ce chapitre de leur passé et leur assurerait peut-être, ainsi qu’à leurs familles, de ne pas finir leurs jours dans un état de pauvreté extrême.

Conclusion

Les enfants orphelins internés sous le régime Duplessis pour des raisons pécuniaires ont perdu beaucoup. Presque tous ont perdu la chance de vivre une vie familiale normale, une carrière et une santé morale non perturbée par des souvenirs d’abus. Leur qualité de vie actuelle est généralement bien pauvre. Une étude conjointe de l’Université McGill et de l’Hôpital général juif de Montréal (Signal, Rossignol et Perry, 1999) a comparé l’état de santé mentale des membres du COOID, tel qu’il apparaissait en 1997, avec celui d’un groupe de citoyens à faible revenu lors d’une étude réalisée en 1987. On a trouvé des différences considérables entre les deux groupes. L’étude a démontré que tous les indices de santé des membres du COOID (par exemple, l’indice de stress, celui des maladies chroniques, du suicide ou des problèmes généraux et personnels) pointaient vers un pire état que ceux du groupe de comparaison.

Les orphelins de Duplessis, victimes du système de l’époque, comptent actuellement parmi les gens les plus vulnérables dans la société. Leurs faibles ressources financières, l’absence d’éducation pertinente et leur fragile estime de soi font que ces gens n’ont pas les ressources nécessaires pour poursuivre une lutte prolongée. Ils sont aussi de plus en plus âgés ; ils ont besoin de mettre un terme à cette histoire, de tourner la page. Ils demandent des excuses publiques pour l’injustice qu’ils ont vécue et ils ont besoin d’une forme de compensation pour que le reste de leurs jours soit un peu moins difficile et pour que, symboliquement, ils sentent que la société reconnaît sa faute.