Le dossier : Des pratiques adaptées aux nouveaux temps de vie

Les dangers d’un refus des conflits intergénérationnels[Notice]

  • Jean Carette

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  • Jean Carette
    École de travail social
    Université du Québec à Montréal

Traduisons, provisoirement, la « Commune » par « Les plus jeunes », Gaster ou le roi par « Les Anciens », sans bousculer leur hiérarchie. Nous nous retrouvons devant un ordre social basé sur la séniorité et ses privilèges, dans lequel les plus jeunes sont soumis à l’exploitation par les plus vieux et se prennent à contester une organisation de la vie collective qui reposerait sur leur seule contribution. À la suite de Ménénius, Agrippa, dont l’intervention mit fin à la sécession du peuple romain, Jean de La Fontaine justifie l’exploitation du plus faible par l’idée de solidarité organique : si les membres ne travaillent plus, si le peuple n’est plus « corvéable à merci », le corps social se dérègle et dépérit. Le fabuliste courtisan espérait sans doute des fins de mois plus aisées. Il met ainsi sa plume au service d’un statu quo garanti par la personne du roi. Chacun a besoin de l’autre et doit faire sa part pour « maintenir » l’ordre social, et si les anciens s’assurent la soumission de leurs cadets, c’est pour le bien de tous. Le pouvoir des uns fait le salut de tous et chaque citoyen doit s’imposer l’assujettissement nécessaire à la survie de la cité, les jeunes obéir et servir les aînés avant de goûter un jour aux délices tant convoités de la gérontocratie. Que chacun, et surtout chacune, joue à son tour son rôle sur la scène sociale et l’ensemble s’en trouvera préservé, dans l’harmonie et l’abondance. Les loisirs de la vieillesse seront la récompense des travaux antérieurs, promesse tenue, à moins que la mort ne vienne raccourcir l’échéance. On savait que l’instauration du lien social était générateur d’inégalité et de pouvoir, mais voici que la solidarité devient justificative de la domination. Le pas est vite franchi par les groupes qui ne sauraient accepter une contestation active de leurs positions et privilèges. Or, nous entendons ce type de discours de plus en plus souvent et sur deux modulations. Paternaliste d’un côté : les vieux d’aujourd’hui ont bâti la société, institué ses règles, réalisé ses progrès, produit et maintenu ses équilibres, conjuré les diverses menaces de désordre. Ils auraient donc acquis le droit, légitime et légal, de tirer profit des efforts de leur vie au service de la croissance. Certes, les jeunes en souffrent, mais c’est à leur tour de prendre le relais et de continuer le dur labeur de leurs prédécesseurs. C’est ainsi que la société se maintiendrait et les cris contestataires ne sont que l’écho de l’adolescence prolongée d’enfants gâtés, mal initiés à l’effort nécessaire. À la rigueur crier, mais plutôt se soumettre en silence à ce qui serait la loi de l’espèce. La culture dominante travestit ses arguments en faits de nature pour mieux s’imposer aux jeunes esprits tentés par l’indocilité. Modulation plus morale de l’autre bord : toute société doit favoriser et valoriser le dialogue intergénérationnel, dépasser les égoïsmes des castes d’âges, faute de quoi elle ne peut assurer ni sa cohésion ni sa continuité. Une continuelle transmission des valeurs et l’organisation volontaire d’un dialogue civique et d’échanges ouverts et harmonieux entre générations assurent l’harmonie ou, pour le moins, évitent la désagrégation du tissu social et les déséquilibres personnels. Enfermer les jeunes comme les vieux dans les ghettos d’âges nuit gravement à la paix sociale et à la poursuite du fonctionnement social. Il convient de susciter, de maintenir et, si possible, d’accroître la solidarité entre les âges pour préserver les conditions individuelles de la croissance personnelle et rendre efficients les leviers collectifs du progrès. C’est en solidarisant qu’on solidifie l’édifice social. Dans les deux styles, on …

Parties annexes