Les comptes rendus

Pauvreté et santé mentale au féminin. L'étrangère à nos portes. Louise Blais. Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa Collection « Études des femmes » 1998,169 p. [Notice]

  • Jean Gagné

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  • Jean Gagné
    Regroupement des ressources alternatives en santé mentale

La forte prévalence des problèmes de santé mentale parmi les populations pauvres est un phénomène bien documenté par les diverses enquêtes épidémiologiques menées au Canada et au Québec depuis le début des années 1980. L'avis du Comité de la santé mentale du Québec qui portait sur ce sujet affirmait d'ailleurs que la pauvreté était l'un des plus puissants prédicteurs de la genèse et de la chronocisation des problèmes de santé mentale. Ces enquêtes confirment aussi que cette corrélation est particulièrement forte chez les femmes. Celles-ci, plus pauvres que les hommes, sont généralement en moins bonne santé physique et mentale. L'intérêt de l'ouvrage de Louise Blais est de décaper cette évidence statistique pour en révéler les substrats existentiels. Il s'agit en effet de donner la parole à ces femmes dont on parle beaucoup mais qu'on entend peu. Camouflée sous les agrégats statistiques, leur réalité quotidienne nous apparaît être celle d'objets passifs victimes d'un double déterminisme économique et psychopathologique. Sans se laisser prendre au piège d'une romantisation de la culture du (de la) pauvre, l'auteure s'est attardée à écouter et à transcrire les stratégies de résistance de ces femmes qui, par-delà les contraintes sociales, culturelles et économiques qu'elles subissent, en arrivent néanmoins à survivre en tant que sujet. Pour une part importante, les témoignages recueillis par Louise Blais sont autant d'illustrations apportées en appui à sa critique virulente de la « nouvelle santé publique » et de l'épidémiologie. La « nouvelle santé publique », c'est cette approche des politiques sociosanitaires qui fait florès en Occident depuis le début des années 1980 et qui consiste à rapprocher physiquement et conceptuellement les services publics des populations locales. La Politique de santé mentale (1989) ainsi que la réforme des services sociaux et de santé du Québec s'inscrivent dans le droit fil de cette approche. Son adoption enthousiaste, ici comme ailleurs, est, selon Louise Blais, le produit de trois facteurs : d'abord, le constat de l'échec des politiques sociosanitaires de l'époque « État-providence » à endiguer les problèmes d'aujourd'hui, ensuite, les contrecoups de la crise budgétaire à laquelle les États occidentaux font face et, enfin, la contestation de plus en plus étendue des populations à l'égard de la technocratisation extensive des services sociaux et de santé. Ces trois éléments se conjuguent plus en tension qu'ils ne forment un consensus social. Les dangers de dérapages sont réels : désengagement de l'État, destruction de la société civile par ses visées technocratiques et privatisation des fonctions de solidarité. En s'éloignant d'une analyse manichéenne de la situation, la recherche de Blais constitue une contribution importante au débat. Plutôt que de se cantonner dans une opposition du « tout à l'État » contre le « tout au communautaire », elle donne à (re)penser les interventions professionnelles du réseau institutionnel ainsi que leurs rapports à l'aide informelle ou semi-formelle dispensée par les communautés. La critique de l'épidémiologie contribue directement à un recadrage du débat sur la reconfiguration des services sociaux et de santé. Cette perspective, en effet, réduit des phénomènes complexes où s'entremêlent les contraintes économiques, socioculturelles, psychologiques et, éventuellement, biologiques à l'identification de déficiences, de handicaps, de maladies et de comportements malsains dans une population donnée. Toutes ces anomalies sont d'ailleurs évaluées à l'aune d'une « normalité » qui est plus l'obédience à un code culturel qu'une mesure objective et universabilisable du bien-être. Ajoutant au malheur individuel, l'épidémiologie cible et stigmatise ses victimes. Elle contribue au déficit de sens de la société contemporaine en aliénant les citoyens de leur capacité à évaluer eux-mêmes leur situation et à en déterminer les stratégies d'amélioration. En santé mentale, on dispose de 400 diagnostics pour …

Parties annexes