Résumés
Résumé
Dans un contexte de mondialisation économique et financière, l'auteur analyse le rôle de l'État face aux perspectives stratégiques qui prennent place dans le cadre du processus d'intégration des pays de l'Amérique latine et des Caraïbes. Il étudie les divers blocs économiques de la région ainsi que les influences des États, des organismes internationaux, des entreprises transnationales, des mouvements sociaux et des parlements sur les politiques adoptées par les blocs et entre les pays des blocs. L'auteur conclut que pour contrebalancer les effets contradictoires du nouveau régionalisme économique et de la mondialisation, il est nécessaire d'intensifier la participation des mouvements sociaux, de la société civile et des pouvoirs législatifs afin de renforcer le pluralisme et la démocratie dans la région.
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Problématique
À la fin du deuxième millénaire, deux phénomènes capitaux entraînent une redéfinition de la scène internationale : la poussée de la mondialisation et le rôle grandissant de la régionalisation et des blocs économiques. Bien que reliés, ces deux processus ont des dynamiques qui leur sont propres et des acteurs divers.
Même si ce phénomène est d'abord de nature économique, la mondialisation a aussi des impacts sociopolitiques importants. Elle engendre certaines contradictions dans l'action de l'État, contradictions issues de la forte influence des deux principaux acteurs que sont les organismes internationaux et les entreprises transnationales. On peut même dire que ces acteurs constituent la locomotive de la mondialisation, dans la mesure où les politiques actuelles de libéralisation et de déréglementation mondiales leur confèrent un degré inédit de liberté d'action qui s'exprime sous forme de mobilité du capital industriel, de transferts, d'acquisitions et de fusions d'entreprises, etc. La mondialisation concourt à écarter les barrières à la libre circulation du capital et instaure des conditions favorables à la définition de stratégies globales visant l'accumulation de capital.
Du point de vue strictement économique, le thème de la mondialisation comporte de nombreuses perspectives : productive, commerciale, institutionnelle, politicoéconomique et financière (Bauman, 1996). Parmi celles-ci, la perspective financière est celle qui s'est le plus distinguée au cours des 15 dernières années ; on constate en effet dans les pays développés une augmentation des indices de croissance des investissements, du produit intérieur brut (PIB) et du commerce extérieur. Un volume croissant de capital productif est consacré à la spéculation. De plus, les nouvelles technologies de l'information et de communication (NTIC) ont augmenté la capacité des investisseurs à effectuer des transactions internationales. Seulement sur le marché des devises, plus de 1,2 trillion de dollars américains parcourent quotidiennement les principaux marchés financiers de la planète. Ces capitaux spéculatifs sont une source permanente de déséquilibre financier et d'instabilité politique. La crise mexicaine de 1994 a révélé combien les conséquences de la déréglementation financière des marchés émergents pouvaient être néfastes ; le gouvernement américain et le Fonds monétaire international (FMI) ont dû consentir des prêts de l'ordre de 38 milliards de dollars américains pour éviter la faillite de l'État mexicain, faillite qui risquait d'entraîner une crise en chaîne du système financier international (O contexto…, 1997 : 7). À la fin de 1997 et en 1998, le système financier s'est encore trouvé ébranlé par la crise asiatique, dont les effets ont atteint les économies de tous les pays de la planète.
Par ailleurs, deux perspectives de la mondialisation, les perspectives institutionnelle et politicoéconomique, peuvent entraîner la perte de plusieurs attributs de la souveraineté économique et politique d'un pays en stimulant cet autre phénomène contemporain qu'est la régionalisation économique. Selon Oman (1994), la régionalisation peut être de deux types : de facto ou de jure. On parle de régionalisation de facto quand une intense intégration naturelle s'établit entre des pays frontaliers, comme c'est le cas entre le Canada et les États-Unis depuis ces dernières décennies et, plus récemment, entre les pays de l'Asie du Pacifique. De son côté, l'intégration de jure survient lorsque, par le biais d'arrangements politiques et institutionnels, deux ou plusieurs pays d'une région constituent un bloc économique ; l'Union européenne (UE) et le Marché commun du Cône sud (MERCOSUR) en sont des exemples. L'État joue un rôle clé dans les deux types de régionalisation, mais surtout dans le second ; cependant, on constate que, de plus en plus, la régionalisation de facto s'accompagne, elle aussi, d'un plus grand nombre d'accords régionaux de jure.
Il faut souligner qu'il n'existe pas de contradiction entre la mondialisation et la régionalisation, même si leurs acteurs clés sont différents. La mondialisation se rapporte au marché mondial et ses acteurs principaux sont les entreprises ; quant à la régionalisation, elle est surtout marquée par l'action politique des États, qui établissent les règles de plans régionaux et sous-régionaux. Lorsque la régionalisation vient consolider le jeu de la concurrence et que l'État contribue à homogénéiser les conditions d'opération du capital sur les différents marchés, ces deux processus tendent à se renforcer mutuellement.
De plus, lorsque la régionalisation, en stimulant la concurrence interne, favorise une intégration profonde des politiques nationales, elle peut renforcer la souveraineté collective des politiques des États membres d'un bloc économique et, conséquemment, augmenter l'efficacité et la compétitivité régionales par rapport au reste du monde (Oman, 1994 : 17).
L'histoire nous apprend que le marché a besoin de l'État. L'économie n'est pas seulement le marché, elle comprend aussi, entre autres, la production et la distribution, et l'État doit promouvoir des conditions assurant un développement durable et intégré.
Dans le contexte actuel d'élaboration de divers processus d'intégration, l'État passe par une période de restructuration à deux niveaux. Étant un acteur du système des relations internationales, il soutient la formation et la consolidation de blocs économiques, tandis que, sur le plan domestique, il doit être l'interlocuteur et le représentant de la société nationale et défendre les intérêts de celle-ci. À cet effet, l'État doit promouvoir le débat et créer des mécanismes permanents de consultation sur les stratégies économiques, politiques, sociales et culturelles qui visent la mise en place d'un projet régional ou sous-régional de développement viable.
Dans ce travail, nous analyserons les processus actuels d'intégration dans les Amériques et les Caraïbes ainsi que le rôle des États, des mouvements sociaux et de plusieurs autres acteurs dans l'intégration qui est en cours.
La consolidation des blocs dans les Amériques et les Caraïbes
En 1957, un processus de régionalisation de jure, soutenu par une intervention active des États impliqués, a abouti à la signature du traité de Rome, qui instaurait la Communauté économique européenne (CEE). Cet accord historique a influencé la pensée de nombreux hommes d'État et intellectuels latino-américains, stimulant ainsi la gestation et la création, en 1960, de l'Association latino-américaine de libre-échange (ALALÉ) par la signature du traité de Montevideo. Ultérieurement, de nouveaux blocs économiques et de nouvelles formes d'intégration ont surgi, comme, en 1969, le Marché commun d'Amérique centrale (MCAC) et le Pacte andin, maintenant appelé Groupe andin. Dans les années 1970, le Groupe andin et la Communauté des Caraïbes (CARICOM) se sont consolidés et, en 1980, un nouveau traité de Montevideo a fait de l'ALALÉ l'Association latino-américaine d'intégration (ALADI).
Le MERCOSUR
Dans le Cône sud, les présidents du Brésil et de l'Argentine ont enclenché, en 1985, un processus de rapprochement et d'intégration entre leurs pays qui a abouti, en 1988, au Traité d'intégration et de coopération. C'est sur cette base que le Marché commun du Cône sud (MERCOSUR) a été créé en 1991, lorsque ces deux pays, auxquels le Paraguay et l'Uruguay se sont joints, ont signé le traité d'Asunción, véritable pilier d'une nouvelle conformation géopolitique.
Sept ans plus tard, le MERCOSUR touche plus de 205 millions d'habitants, dont le revenu par habitant est parmi les plus élevés chez les pays émergents, soit environ 5 000 $ US par année. Le PIB du MERCOSUR dépasse le trillion de dollars, ce qui représente plus de la moitié du PIB et de la production industrielle de toute l'Amérique latine, 46 % de son commerce intrarégional, 45 % de sa population et presque 60 % de sa surface. Depuis janvier 1994, ce bloc, qui récolte pas moins de 80 % des investissements en provenance des pays d'Amérique du Sud, est la plus importante union douanière de l'hémisphère sud.
Cependant, cette union n'est pas encore complète. Certains produits ne pourront bénéficier du tarif extérieur commun (TEC) avant l'abolition, à la fin de 1999, du régime d'adéquation. De plus, les tarifs des biens en capital et ceux du secteur des télécommunications et des technologies de l'information devront être unifiés, ce qui est prévu pour 2001 et 2006 respectivement (Barbosa, 1997 : 1). En d'autres termes, le MERCOSUR ne deviendra une zone parfaite de libre-échange qu'à la fin de 1999 et une union douanière complète, qu'en 2006.
Quoi qu'il en soit, les résultats du MERCOSUR demeurent une réalité, tant à l'échelle régionale que mondiale. À l'interne, le commerce intrabloc, qui totalisait 4,1 milliards de dollars américains en 1990, atteignait 19,9 milliards en 1997, soit une croissance de plus de 400 %. Les échanges entre l'Argentine et le Brésil, par exemple, ont augmenté de 600 % durant cette période, pour atteindre approximativement 15 milliards de dollars américains en 1997 (ALADI, 1998). Des données préliminaires indiquent qu'ils dépasseront la marque des 20 milliards en 1998 (Figueiredo, 1998).
Sur le plan externe, le bloc a opté pour un régionalisme ouvert où chaque pays libéralise son économie et où les pays dans leur ensemble augmentent leur présence dans une économie de marchés globaux. Ainsi, par rapport au reste du monde, les exportations du bloc ont augmenté de 47 % de 1990 à 1997, passant de 42,3 à 62,3 milliards de dollars américains, et les importations ont augmenté de 214 %, passant de 25 à 78,8 milliards de dollars américains (Almeida, 1998a).
Un autre aspect important à souligner est le caractère global trader du MERCOSUR, qui favorise le système multilatéral de commerce. En 1996, par exemple, 24,1 % de ses exportations allaient vers l'Union européenne, 15,3 % vers les États-Unis, 14,7 % vers l'Asie, 9,4 % vers les autres pays de l'ALADI ; le reste, soit 22,8 %, était constitué d'exportations intrabloc. En 1997, l'UE était destinataire de 23,4 % de ses exportations et les États-Unis, de 13,9 %. Quant aux importations, le principal fournisseur du MERCOSUR a été l'UE, avec 26,4 %, en 1996, et 25,9 %, en 1997. Ces mêmes années, les importations américaines passaient de 20,8 % à 21,2 % (ALADI, 1998).
Le plus important membre économique du MERCOSUR, le Brésil, est aussi un global trader, comme on peut le supposer. En 1997, 27,4 % de ses exportations allaient à l'UE, 25,7 %, aux pays de l'ALADI, 17,7 %, aux États-Unis, et, enfin, 17,1 %, aux autres pays du MERCOSUR. En 1991, ce dernier pourcentage n'était que d'environ 4 % ; il a donc presque quintuplé (Exportações…, 1997 : 375). Une telle évolution laisse voir que le bloc est devenu une pièce centrale de la géopolitique et de la politique économique extérieure brésiliennes.
Les initiatives des États membres du MERCOSUR ne se limitent pas à des efforts commerciaux, elles se reflètent aussi dans certains investissements, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la région. Par exemple, la somme des investissements brésiliens en Argentine est passée de 700 millions de dollars américains qu'elle était en 1994 à 2,3 milliards à la fin de 1997, ce qui constitue une hausse considérable (Coelho, 1998 : 43). On compte aussi environ 400 entreprises en copropriété brésilienne et argentine.
Par ailleurs, les investissements extérieurs directs destinés au MERCOSUR, entre 1990 et 1995, représentaient 13 % du total des sommes destinées aux pays en développement (exception faite de la Chine), soit environ 30 milliards de dollars américains. Selon le World Investment Report, le MERCOSUR a reçu approximativement 20 milliards de dollars américains en 1997, ce qui représente une augmentation de 41 % par rapport aux 14,2 milliards reçus en 1996 (Almeida, 1998a : 10).
Un véritable processus d'intégration ne peut et ne doit pas être uniquement économique et commercial ; il doit présenter d'autres dimensions, tout aussi importantes : politique, sociale, culturelle, écologique, etc. À ce propos, il faut se rappeler qu'à l'origine, le MERCOSUR est issu d'un projet géopolitique visant à encourager un essor politique entre les peuples du Cône sud et poursuivait surtout des objectifs politiques. Plus récemment, en juin 1996, les quatre présidents du bloc signaient la Déclaration présidentielle sur le compromis démocratique dans le MERCOSUR, aussi appelée Clause démocratique, par laquelle le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay ont convenu de se consulter et d'appliquer des mesures punitives, à l'intérieur de l'espace normatif du MERCOSUR, dans les cas de rupture ou de menace de rupture de l'ordre démocratique d'un État membre. À cette occasion, ils signaient aussi une déclaration sur le dialogue politique qui établit un mécanisme de consultation et de concertation politique mutuelle. Enfin, une déclaration sur les îles Malouines réitère l'appui traditionnellement accordé par l'Argentine à cette question (Coelho, 1998 : 44-45).
En ce qui concerne la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), les quatre pays ont tenu des réunions préliminaires pour se concerter avant de prendre des décisions importantes quant à l'intégration des Amériques. Ainsi, ils se sont positionnés uniformément et ont pris position comme bloc, et non seulement comme pays, lors des réunions ministérielles de la ZLÉA à Belo Horizonte, Brésil, en mai 1997, et à San José, Costa Rica, en mars 1998. Ils ont également adopté des positions identiques avant et durant le deuxième Sommet des Amériques, qui s'est tenu à Santiago, Chili, en avril 1998[2].
Le MERCOSUR a été créé il y a plus de sept ans, et il est là pour rester, comme l'a reconnu le président des États-Unis lors d'un voyage au Brésil en 1997. À l'instar de l'Union européenne, le bloc devra surmonter les difficultés qui surgiront et toujours suivre la direction de la consolidation et de l'approfondissement. À cet égard, le rôle de l'État est décisif. Ce qui est en jeu, c'est la stabilité économique et politique même de chaque pays et celle des sous-régions comme un tout. Il faut construire une infrastructure normative et institutionnelle solide qui soit apte à harmoniser les actions des quatre pays, à minimiser les risques et à régler les conflits internes. Le bloc pourra alors renforcer son image comme personnalité juridique, acquise en 1995, et surtout raffermir son rôle comme acteur international.
Le MERCOSUR doit faire davantage d'efforts pour harmoniser ses politiques macroéconomiques, fiscales et douanières en vue d'attirer plus d'investissements. De plus, sa structure juridico-institutionnelle est fragile, et nul doute qu'un jour il lui faudra affronter la question épineuse des institutions supranationales.
En ce qui a trait à l'aspect financier, la présence de l'État se fait très timide, et les supranationales ne manquent pas de profiter de cette situation. Il faut établir des règles communes pour canaliser les capitaux et homogénéiser les positions des États. Ainsi, on étudie la création d'une Banque du MERCOSUR, et, bien que préliminaires, des simulations et des analyses scientifiques envisagent même la possibilité d'établir une monnaie commune.
Cependant, le MERCOSUR n'a pas pris clairement position au sujet de la propriété et de divers thèmes nouveaux comme, par exemple, les politiques environnementales. Quant aux services, un accord-cadre a été approuvé en décembre 1997, dont les clauses doivent être implantées graduellement sur dix ans. En 1998, l'Argentine, appuyée par l'Uruguay et le Paraguay, exerçait des pressions pour que le Brésil ouvre plus rapidement son marché dans les domaines des services financiers, des télécommunications et des transports, et pour qu'il libéralise son secteur public.
La principale lacune du MERCOSUR est reliée à la question sociale et à une plus grande participation, tant des entrepreneurs que des travailleurs, aux décisions et destinées du bloc, un thème que nous développerons plus tard. C'est un fait que la société civile, à travers les divers éléments qui la représentent, comme les associations, les groupes sociaux et les organisations non gouvernementales, ne dispose pas des voix nécessaires pour se faire entendre. On peut en dire autant des parlements.
L'ALALÉ
Le processus de formation et de consolidation du MERCOSUR s'est toujours appuyé sur un esprit de flexibilité et sur un modèle ouvert d'intégration avec les autres pays d'Amérique du Sud, selon l'optique du building block. En octobre 1993, lors de la VIIe Réunion présidentielle du Groupe de Rio[3] à Santiago, Chili, le président du Brésil, Itamar Franco, ayant ces principes en vue et cherchant à dynamiser le processus d'intégration en cours, a émis l'idée de la formation d'une Association latino-américaine de libre-échange (ALALÉ) qui inclurait le MERCOSUR, le Groupe andin et le Chili. Le Brésil a proposé la création d'un programme commun de réduction tarifaire et d'abolition des entraves non tarifaires au commerce intrarégional des produits, à l'exception des services (Chaloult, 1996). L'idée de la création de l'ALALÉ a avancé quelque peu, mais divers motifs politiques et économiques ont fait qu'elle a été écarté temporairement pour resurgir avec plus de force en 1998.
À partir de 1995, lorsque le Chili s'est aperçu qu'il ne pourrait pas devenir le quatrième pays membre de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), on a entamé des négociations pour associer le Chili au MERCOSUR dans l'optique de l'Accord 4+1. La Bolivie a adopté la même attitude et, en 1996, les deux pays se sont associés au MERCOSUR. L'objectif à moyen terme était d'instaurer une zone de libre-échange entre ces six pays.
Le MERCOSUR, avec le Chili et la Bolivie comme pays associés, représente plus de 80 % du PIB de l'Amérique du Sud et ces pays ont établi des relations commerciales significatives. En 1997, par exemple, les pays du MERCOSUR ont exporté plus de 3 milliards de dollars américains vers le Chili, dont ils ont importé 1,9 milliard de dollars, ce qui totalise des échanges commerciaux de près de 5 milliards de dollars. On note cependant, toujours en 1997, un déficit commercial de 1,1 milliard de dollars du Chili avec le MERCOSUR (ALADI, 1998).
La tendance vers une plus grande intégration entre les six pays se confirme non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan politique. Lors du deuxième Sommet des Amériques, les présidents des six pays, parallèlement à la Déclaration présidentielle des 34 chefs d'État, ont signé une déclaration politique sur la lutte à la fabrication et au trafic illicites d'armes à feu, de munitions, d'explosifs et autre matériel associé.
Cette nouvelle forme d'intégration ne manque pas d'apporter des bénéfices économico-politiques aux quatre pays membres. La présence du Chili comme pays associé donne une dimension bi-océanique (Atlantique et Pacifique) au bloc ; l'ouverture des ports chiliens permet aux produits du MERCOSUR d'atteindre l'Asie. Par ailleurs, l'intégration de la Bolivie permet d'établir un pont vers le Groupe andin, en plus de faciliter le transport par voie maritime et les échanges énergétiques dans la région. Ainsi, cette intégration favorise l'implantation d'un projet de gazoduc de la Bolivie vers le Brésil, où des investissements de l'ordre de 1,4 milliard de dollars sont garantis, partiellement financés par la Banque mondiale (BM) et la Banque interaméricaine de développement (BID).
Quant au processus d'intégration du MERCOSUR, du Chili et du Groupe andin, qui vise à constituer l'ALALÉ, soulignons que le bloc qui en résulterait représente 99 % du PIB de l'Amérique du Sud et plus de 300 millions de consommateurs potentiels. Ce bloc est évidemment hétérogène, les différences de développement entre les nations andines et celles du MERCOSUR étant marquées. En effet, bien que constituant 40 % de l'aire géographique et 51 % de la population totale du MERCOSUR, les pays andins ont un PIB qui équivaut à seulement 22 % de celui du MERCOSUR. En outre, à eux seuls, la Colombie et le Venezuela effectuent presque la moitié du commerce entre pays andins (Almeida, 1998b).
Le flux commercial entre le MERCOSUR et le Groupe andin totalisait 4,7 milliards de dollars américains en 1996 et 5,9 milliards, en 1997, soit une augmentation de plus de 25 %, ce qui témoigne d'une intégration économique accélérée. Entre 1990 et 1997, le flux des exportations du MERCOSUR vers le Groupe andin a augmenté de 172 % et celui des importations, de 113 %. On note donc un risque de déficit croissant de la balance commerciale du Groupe andin avec le MERCOSUR, ce qui peut compliquer, sinon entraver le processus d'intégration en cours. Par exemple, en 1997, le MERCOSUR a exporté plus de 3,9 milliards de dollars américains vers ce groupe, dont il a importé un peu moins de 2,1 milliards de dollars (ALADI, 1998).
Malgré les difficultés, la formation du bloc progresse sur les plans politique et institutionnel. À Buenos Aires, en avril 1998, le MERCOSUR et le Groupe andin ont signé un accord-cadre qui prévoit la création d'une zone de libre-échange entre les deux blocs à partir de janvier 2000. Comme l'a dit à cette occasion le président argentin, Carlos Meném, l'objectif du pacte était de formaliser l'ALALÉ par le biais de l'expansion et de la diversification des échanges commerciaux et de l'élimination des entraves au commerce dans la région. L'accord prévoit aussi des actions sur les plans juridique et institutionnel en vue de concrétiser la coopération et l'intégration économique et géographique, contribuant ainsi à la création, en deux étapes, d'une aire économique élargie[4].
Du point de vue analytique, l'élaboration de l'ALALÉ s'adapte parfaitement au modèle de régionalisme ouvert adopté par les pays sud-américains qui, comme on l'a vu plus haut, est du type de jure, ce qui signifie que le rôle de l'État est primordial pour assurer le progrès de l'intégration. En outre, cet accord favorise non seulement l'évolution du MERCOSUR vers un marché unique et la promotion de l'intégration commerciale, économique et politique, mais également les échanges sur le plan des transports, de l'énergie et des infrastructures sur une grande échelle. Cette orientation ne lésera personne, puisque ce qui est préconisé, c'est un régionalisme ouvert.
L'élargissement du réseau d'accords de libre-échange à divers niveaux et entre plusieurs pays de l'Amérique du Sud comporte de nombreux avantages. Il offre un plus grand pouvoir de négociation lors des pourparlers sur les accords d'intégration avec les pays développés. D'un autre côté, l'élargissement du marché entraîne des économies d'échelle qui se traduiront par une plus grande efficacité, diminuant ainsi les coûts d'ajustement lors d'une éventuelle intégration avec des pays de l'hémisphère nord, que ce soit par la voie de la ZLÉA ou de l'UE. Du point de vue des entrepreneurs, les analyses indiquent que le marché régional est fondamental pour les petites et moyennes entreprises dans leur apprentissage du commerce extérieur. Ces entreprises réussissent à exporter vers les pays latino-américains, mais elles n'auraient pas d'emblée le souffle nécessaire pour pénétrer le marché des pays du Nord. Une phase de transition leur est donc bénéfique.
L'ALALÉ, le MCAC et le CARICOM
Le MERCOSUR négocie également avec le Mexique, seul pays de l'ALADI n'ayant pas joint l'ALALÉ. Cependant, les négociations progressent beaucoup plus lentement que prévu. Tandis que le MERCOSUR tend vers un accord du type 4+1 muni de bilatéralités exceptionnelles, le Mexique désire des critères plus flexibles et demande de plus importantes concessions bilatérales spécifiques[5]. Ces différences de perspective, qui minent l'union des 11 pays latino-américains membres de l'ALADI, peuvent faire traîner les choses encore longtemps, surtout si l'on considère que le Mexique est membre de l'ALÉNA et que, d'un autre côté, il a signé plusieurs accords bilatéraux avec des pays d'Amérique latine et des Caraïbes[6].
En examinant de plus près le Marché commun d'Amérique centrale (MCAC), nous constatons que ses relations commerciales avec le MERCOSUR ne représentent pas des sommes considérables. En 1997, par exemple, le Brésil n'exportait vers ce bloc que 199 millions de dollars américains, soit seulement 0,4 % de ses exportations. Les années précédentes ne montrent aucune intensification de l'intégration, au contraire. En 1992 et en 1994, les exportations brésiliennes étaient de 207 et 242 millions de dollars (Exportações…, 1997 : 375). Soulignons cependant un fait encourageant, soit la signature d'un accord-cadre de commerce et d'investissement entre le MERCOSUR et le MCAC lors du Sommet de Santiago en avril 1998. Sur les plans macropolitique et institutionnel, cet accord constitue une étape importante de l'intégration des deux blocs.
Enfin, les données relatives aux échanges commerciaux entre le Groupe andin et le Marché commun des Caraïbes (CARICOM) n'indiquent pas une grande activité. Pour citer un exemple, en 1997, le Brésil, principal pays du MERCOSUR, n'exportait vers cette région que 137 millions de dollars américains, soit moins de 0,3 % de ses exportations. Par contre, si l'on considère que pour la période 1992-1997, les exportations brésiliennes sont passées de 87 à 137 millions de dollars, nous pouvons tout de même conclure qu'il y a eu une augmentation de plus de 58 % (Exportações…, 1997 : 375).
Les relations entre le MERCOSUR et la ZLÉA
En décembre 1994, les États-Unis ont convoqué à Miami le Sommet des Amériques, qui réunissait les 34 chefs d'État des Amériques et des Caraïbes (à l'exception de Cuba), afin de proposer la formation d'une Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) en 2005.
L'influence de cet accord sur la politique hémisphérique des États-Unis démontre des éléments de continuité avec le passé, mais aussi des innovations. Les éléments de continuité sont représentés par un certain interventionnisme, pas toujours voilé. Pendant la guerre froide, cet interventionnisme a même assumé des caractéristiques militaires dans les cas, par exemple, du Guatemala et de la République dominicaine. Avec l'Alliance pour le progrès, on a combiné la recherche de l'entente politique, assortie de programmes d'aide, à des mesures militaires de fort potentiel interventionniste qui s'appuient sur une doctrine contre-révolutionnaire.
Du côté des innovations, l'Initiative pour les Amériques, lancée par le président Bush, en 1990, propose une intégration panaméricaine par la création d'une zone de libre-échange allant de l'Alaska à la Terre de Feu. Cependant, la proposition subséquente du président Clinton se situe dans un nouveau contexte, puisque les États-Unis ne sont plus menacés politiquement ou militairement. Tandis qu'ils auraient pu être amenés, dans les cas cités, à rechercher la cohésion continentale pour faire face à un danger extérieur, les États-Unis sont maintenant, au contraire, dans une position de suprématie – position qui n'est nullement contestée, d'ailleurs. En outre, les deux Initiatives n'établissent pas explicitement de programmes d'aide. Comme ce fut le cas avec l'Alliance pour le progrès, on parle beaucoup de démocratie, mais ce principe est désormais associé au libéralisme économique et, plus spécifiquement, au libre-échangisme.
Ainsi, l'Initiative pour les Amériques de M. Bush n'a pas fait l'unanimité et la ZLÉA n'arrive pas à proposer un projet qui engloberait tous les pays de l'Amérique latine, comme par le passé. Nonobstant le caractère singulier et l'apparence purement économique de la ZLÉA, cet accord comporte en réalité un aspect politique des plus importants (Garcia, 1998).
Les États-Unis souhaitent maintenir, et même consolider leur actuelle hégémonie dans les Amériques. La composante politique de la ZLÉA est en relation directe avec l'émergence et l'ascension du MERCOSUR, dont le leadership croissant en Amérique du Sud peut, à moyen terme, forcer les États-Unis à renégocier ses formes d'hégémonie. Cette nouvelle situation est clairement illustrée par le témoignage, devant une sous-commission du Sénat américain, de la représentante commerciale des États-Unis (poste de premier échelon), Charlene Barchefsky : « L'intérêt croissant qu'éveille le MERCOSUR, pas seulement en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, mais également en Europe, au Japon et en Chine, est perçu [par les Américains] comme une menace aux intérêts commerciaux et au leadership des États-Unis dans leur propre hémisphère » (Martins, 1997 : 57).
À l'instar d'autres blocs économiques, nous définissons la ZLÉA comme une intégration de type de jure qui comporte de forts éléments d'asymétrie parmi les 34 acteurs ou États en jeu. Il s'agit d'une intégration qui s'élabore à partir d'une forte pression de l'une des parties sur les autres, ainsi que d'ambivalences et de résistances des autres parties ou des blocs existants. Certains pays croient que cette initiative leur est imposée par les États-Unis (Martins, 1997), qui viseraient ainsi à maintenir leur hégémonie dans la région.
Deux aspects sont en jeu : l'agenda des négociations et le mérite de la proposition. En ce qui a trait à l'agenda, le MERCOSUR a clairement laissé entendre que sa position divergeait de celle des États-Unis, qui tentent d'accélérer le processus d'intégration. La question du mérite est plus complexe et soulève de nombreux doutes au sein du MERCOSUR et des autres blocs et pays, surtout à cause de l'évidente asymétrie de l'intégration proposée et des tensions et conflits qui en découlent, dont certains ne peuvent être résolus par les États de la région.
Il est certain que les intérêts communs et les avantages réciproques découlant de l'association qualifient, d'une certaine manière, un écart de pouvoir entre les parties concernées. Néanmoins, il paraît également certain que lorsque cet écart est assez grand pour accroître l'asymétrie dans le réseau de l'intégration, l'appropriation inégale de bénéfices qui en résulte peut menacer le principe même de la constitution des blocs régionaux. En effet, les conflits d'intérêts, notamment ceux qui découlent de disputes entourant des hégémonies politiques, ont tendance à s'exprimer aussi dans le cadre régional plutôt que de se restreindre aux relations bilatérales entre les États. L'éventuelle formation de la ZLÉA présente un cas notoire (et extrême) d'intégration asymétrique, étant donné le poids qu'exercent les États-Unis dans la région. (Martins, 1997 : 31)
Du point de vue économique, l'asymétrie est effectivement évidente. Le PIB des États-Unis correspond à plus de 76 % de celui des 34 pays réunis ; d'un autre côté, les 24 plus petits pays du bloc, appartenant surtout aux Caraïbes et à l'Amérique centrale, totalisent moins de 1 % du PIB total. Cela révèle des disparités prodigieuses. Le revenu par habitant aux États-Unis dépasse les 26 000 $ US, tandis qu'à Haïti il est d'environ 265 $ US.
Pour tous les autres pays du bloc, les États-Unis sont, et de loin, le plus important partenaire commercial ; cependant, l'inverse n'est pas vrai. Les États-Unis absorbent 15 % des exportations du MERCOSUR et 38,5 % des exportations des autres pays latino-américains, à l'exception du Mexique. En échange, leurs ventes au MERCOSUR ne représentent que 3 % de leurs exportations totales. Si l'on considère le reste de l'Amérique latine, à l'exception du Mexique, la proportion est d'environ 3,7 % (Serra, 1998 : 18).
Cette asymétrie économique entre les États-Unis et les pays latino-américains et caraïbes constitue un problème fondamental, car ses effets économiques et sociaux ont des conséquences politiques inévitables. En outre, la portée de la ZLÉA ne se limite pas à la formation d'une zone de libre-échange, mais se veut aussi un accord global qui prétend atteindre beaucoup plus, soit les services, le système financier, les achats gouvernementaux et les investissements. En ce sens, l'accord proposé cherche à accentuer le processus de déréglementation économique et financière imposé à l'Amérique latine en profitant du chaos engendré par la crise de la dette extérieure dans les années 1980. Dans un contexte où de claires asymétries économiques et technologiques sont présentes, comme c'est le cas entre les États-Unis et les pays de la région, ce processus tend à favoriser l'économie nord-américaine (Tavares, 1998b).
Un autre fait important vient encore compliquer la situation : l'ouverture rapide et unilatérale du commerce en Amérique latine depuis les 10 dernières années. Par exemple, entre 1987 et 1990, le tarif douanier moyen du Brésil a chuté de 51 à 32,2 % pour atteindre, en 1996, le niveau de 12,1 %. Cette même année, plusieurs autres pays représentatifs de la région avaient un tarif moyen semblable : Argentine, 13,4 % ; Chili, 11 % ; Colombie, 13,4 % ; Mexique, 12 % (Serra, 1998 : 20).
Cette large ouverture commerciale des pays latino-américains a entraîné la réduction de leurs tarifs douaniers mais ne s'est pas accompagnée de barrières non tarifaires aux importations, du type quota ou barrières techniques, sanitaires, environnementales, etc. La politique d'ouverture a été éminemment unilatérale et ne s'est pas accompagnée d'un relâchement des restrictions pratiquées par les principaux marchés de consommateurs de l'hémisphère nord. Conséquemment, une possible implantation de la ZLÉA devrait être suivie, dans une première étape, d'une élimination substantielle des barrières non tarifaires imposées par les États-Unis aux exportations en provenance d'Amérique latine et des Caraïbes. Cela devrait se faire sans concession de la part du Sud, simplement parce que les concessions ont déjà été faites : les tarifs ont été abaissés et les contrôles quantitatifs ont été éliminés (Serra, 1998 : 24).
La preuve de cette ouverture en est que le déficit commercial du MERCOSUR avec les États-Unis est en croissance exponentielle. Selon les données du Secrétariat du commerce extérieur (Secex) du Brésil, ce qui, en 1991, était un surplus de 600 millions de dollars américains dans la balance commerciale du bloc avec les États-Unis, est devenu un déficit de 1,2 milliards de dollars en 1994, puis de 4,6 et 5,8 milliards en 1995 et 1996. En même temps, les exportations du Brésil faisaient un bond de 5,6 milliards de dollars en 1990 à 17,3 milliards en 1996, ce qui représente une importante augmentation de 208 % (Brasil, 1998).
Si l'on se penche plus particulièrement sur le Brésil, les données confirment cette tendance. En effet, de 1990 à 1996, les achats en provenance du marché américain ont connu une augmentation de 165,9 %, tandis que les ventes du Brésil aux États-Unis n'augmentaient que de 20,9 %. Le solde commercial, qui était favorable au Brésil en 1990 avec 3,2 milliards de dollars, montre en 1996 un déficit de 2,5 milliards. Entre 1992 et 1996, le montant des importations brésiliennes en provenance des États-Unis a été cinq fois plus élevé que celui des exportations (Tachinardi, 1997). En comparant les périodes de janvier à août 1996 et de janvier à août 1997, nous observons que le déficit brésilien est passé de 1,1 à 3 milliards de dollars américains, c'est-à-dire qu'il a presque triplé ; en décembre 1997, ce déficit atteignait 5 milliards. Il s'agit sans doute d'une tendance alarmante pour le Brésil.
Enfin, les résultats préliminaires d'une recherche en cours à l'Institut de recherche économique appliquée (IRÉA), un organisme subordonné au ministère de la Planification du Brésil, font ressortir les effets d'une réduction tarifaire, dans le cadre de la ZLÉA, sur le commerce entre le Brésil et les États-Unis. Avec des tarifs d'importation zéro sur le plan du commerce bilatéral, les exportations américaines vers le marché brésilien augmenteraient deux fois plus que les exportations brésiliennes vers les États-Unis (Schwartz, 1998).
Toutes ces données expliquent pourquoi l'ouverture commerciale rapide et unilatérale du Sud préoccupe tant les analystes. Si l'on considère que la majorité de ces pays, loin de posséder des structures industrielles et agricoles complémentaires comparables à celles des États-Unis, possèdent des niveaux d'intégration productive et de développement technologique de même que des échelles de production substantiellement plus petits, on constate qu'ils sont dans une position nettement inférieure pour concurrencer l'industrie nord-américaine. La libéralisation du commerce hémisphérique, avant même de parvenir au stade de l'élimination totale des tarifs et des barrières non tarifaires, aurait un impact très destructeur sur l'industrie de nombreux pays. Même les entreprises ayant jusqu'à présent réussi à s'ajuster à la plus grande concurrence des importations issues de la vague actuelle de libéralisation, y compris celles qui opèrent dans le cadre du MERCOSUR, du Groupe andin et des autres blocs de la région, supporteraient difficilement une telle réduction des tarifs, étant donné le bas niveau de protection interne de l'industrie et de l'agriculture dans plusieurs pays (Tavares, 1998b). Tous ces facteurs renforcent la position du MERCOSUR, qui soutient que les délais du processus d'intégration doivent être allongés et que les décisions doivent être prises dans l'optique du single undertaking. La grande majorité des entrepreneurs et des exportateurs du MERCOSUR appuient leur État respectif dans les positions adoptées par ce bloc.
À la suite du Sommet des Amériques de 1994, de nombreuses réunions ministérielles ont permis de discuter de l'idée et du format que devrait prendre la ZLÉA. Comme cela a été mentionné plus haut, les 34 chefs d'État des Amériques, réunis en avril 1998 à Santiago, Chili, ont signé le Plan d'action du deuxième Sommet des Amériques, qui aborde plusieurs thèmes sociaux, notamment l'éducation. Ils ont également signé la Déclaration de Santiago, qui présente les principes généraux de ce plan d'action ainsi que son application dans le respect du processus d'intégration en cours. Lors de la cérémonie de clôture du Sommet, le président du Brésil a fait référence, dans un discours improvisé, au seul pays absent, Cuba, en soutenant son éventuelle inclusion au bloc et en vantant les importantes politiques sociales de cette nation[7].
À Santiago, cinq idées de base de ce plan d'action ont été entérinées, indiquant, quant au mérite, que la ZLÉA doit : a) être un processus décisionnel par consensus ; b) impliquer un projet unique (single undertaking) ; c) coexister avec les autres accords bilatéraux et sous-régionaux d'intégration plus larges et plus profonds ; d) stimuler la compatibilité entre la ZLÉA et l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ; e) tenir compte des pays dont l'économie est plus petite, particulièrement ceux des Caraïbes et de l'Amérique centrale. En ce qui concerne ce dernier point, le processus de négociation doit être flexible et graduel, de manière à favoriser l'implantation de mesures de protection spéciales pour les économies moins développées et à diminuer l'impact des déséquilibres économiques qui existent, par exemple, entre les États-Unis et les pays des Caraïbes.
La presse, certains analystes scientifiques, comme Paul Krugman, et plusieurs diplomates ont estimé que les débats portant sur des thèmes comme l'éducation, la démocratie, la lutte contre la drogue et la possible intégration de Cuba avaient été plutôt rhétoriques et n'avaient servi, en fin de compte, qu'à camoufler l'échec réel des négociations, considérant que sans l'approbation du Fast Track par le Congrès américain, le gouvernement des États-Unis n'avait qu'un pouvoir de négociation extrêmement réduit. L'absence de cet instrument de négociation a favorisé la stratégie du MERCOSUR, qui consiste à ajourner la prise de décisions clés. D'un autre côté, cela a renforcé l'image du MERCOSUR en tant que bloc qui sait négocier de façon unie et défendre ses points de vue.
Les résultats du Sommet de Santiago ont aussi contribué à renforcer le leadership du Brésil en Amérique du Sud et dans le cadre des négociations sur la ZLÉA. La position brésilienne, qui soutient une plus grande autonomie pour les pays, en est sortie renforcée (soit par la voie de l'adhésion aux règles et normes internationales, soit par la voie du multilatéralisme). Mais pour implanter cette autonomie, il est indispensable que ces pays négocient l'appui des entrepreneurs et des travailleurs.
En regardant l'avenir, on s'aperçoit que plusieurs problèmes persistent : a) le manque de consensus entre les gouvernements ; b) le peu d'intérêt, au sein de la société civile et du Congrès américain, pour l'approbation du Fast Track ; c) la difficulté à obtenir des traités commerciaux plus larges au sein de l'OMC ou d'autres forums multilatéraux.
Pourtant, la plus grande difficulté est celle que nous avons analysée antérieurement, soit l'intégration asymétrique au sein de la ZLÉA et l'hégémonie progressive, sur les plans économique et politique, des États-Unis dans la région. Les pays du MERCOSUR, notamment le Brésil, tentent de réduire l'impact de cette hégémonie en négociant des limites d'adhésion. Une position défensive face à la ZLÉA peut devenir une position offensive sur le plan de la politique régionale en Amérique du Sud, et au sein d'autres forums ou blocs hors des Amériques. Dans un monde où la prééminence absolue d'un pays sur une région et sur la planète est un fait, on cherche à établir de nouveaux centres décisionnels sans pour autant créer de contradictions irréversibles.
Dans cet ordre d'idées, le MERCOSUR a tenté, avant le Sommet de Santiago, de défendre des négociations effectives et larges avec tous les membres de la ZLÉA, où l'on viabiliserait des trade offs et appliquerait des principes généraux et des procédures respectant les particularités de chaque pays. Ces objectifs vont dans le sens de corriger plutôt que d'aggraver les déséquilibres existants au sein de la ZLÉA. Ainsi, depuis le Sommet, les pays membres du MERCOSUR ne voient plus la ZLÉA comme une chose inévitable, mais comme un projet politique et économique possible qui aura de la valeur dans la mesure où il sera équilibré, implanté graduellement et, surtout, compatible avec les intérêts nationaux de chaque pays.
Lors de la Réunion des comités de négociation de la ZLÉA, qui s'est tenue à Buenos Aires en juin 1998, le ministre des Relations extérieures du Brésil, Luiz Felipe Lampreia, s'est montré sceptique quant à l'avenir de la ZLÉA en affirmant :
Il est prématuré d'espérer des négociations sérieuses et approfondies, parce que les conditions politiques pour ce faire n'existent pas sans le Fast Track. En outre, le message du Congrès américain est à l'effet qu'il n'existe pas de disposition politique visant à ouvrir le marché à nos produits. Comment pourrais-je participer à un exercice de libéralisation sans savoir ce que j'obtiendrai en échange ? Présentement, cela ne vaut pas la peine de négocier (Gazir, 1998).
Selon le ministre, on ne peut prévoir si la ZLÉA sera même effective en 2005, surtout si l'une des principales revendications du MERCOSUR n'est pas satisfaite, c'est-à-dire si les États-Unis refusent de lever les barrières commerciales sur les produits agricoles, comme on s'y attend. D'un autre côté, le ministre a déclaré textuellement que le gouvernement argentin est d'accord avec l'opinion du Brésil sur la ZLÉA (Gazir, 1998).
Enfin, tant les entrepreneurs que les travailleurs, ces derniers par le biais des représentants des centrales syndicales du Cône sud, appuient les positions adoptées par le MERCOSUR. Selon eux, la première étape consiste à approfondir le processus d'intégration en cours dans le Cône sud ainsi que le processus de formation de l'ALALÉ, en lui incorporant des aires nouvelles comme les services, la propriété intellectuelle, les achats gouvernementaux, la concurrence et autres nouveaux thèmes, comme l'environnement, les relations de travail, la circulation de la main-d'oeuvre, etc. Après avoir fait des percées en Amérique du Sud, le futur bloc de l'ALALÉ aurait sans doute de meilleures chances de participer à une intégration moins asymétrique.
Les relations entre le MERCOSUR et l'UE
Le MERCOSUR a une identité comme projet politique et il doit la protéger, ce qui renforcera la souveraineté de ses pays membres. Si l'on tient compte du fait que les objectifs du bloc ne se limitent pas au champ économique, une des meilleures façons de protéger cette identité consiste à sauvegarder son caractère de global trader en préservant l'équilibre des échanges commerciaux avec des partenaires ou des blocs situés sur plusieurs continents. Une certaine indépendance, notamment en ce qui touche à la politique économique, est essentielle à la politique extérieure du MERCOSUR. Conséquemment, ayant écarté l'hypothèse de liens exclusifs dans les relations extérieures du MERCOSUR, le mieux serait d'examiner ses options à l'égard d'autres blocs, comme la ZLÉA ou l'Union européenne, plutôt que parmi les pays du bloc (Dauster, 1997 : 3), de façon à maintenir un équilibre commercial relatif avec diverses régions de la planète.
Pour ces raisons, le MERCOSUR doit développer ses relations avec l'UE, qui constitue le plus gros marché intégré de la planète avec ses 360 millions d'habitants, ce qui totalise plus d'un tiers du commerce mondial. De plus, le lancement de la monnaie euro est venu renforcer l'Union européenne, lui permettant ainsi d'augmenter ses investissements dans le MERCOSUR qui, de son côté, est habilité à négocier de nouveaux partenariats avec l'UE dans divers secteurs comme les infrastructures, les télécommunications, les transports et les ports, les technologies environnementales et les NTIC.
Selon le Secex, en 1996, plus de 24 % des exportations du MERCOSUR allaient vers l'UE et plus de 26 % de ses importations en provenaient. Considérant la période de 1991 à 1996, les exportations du MERCOSUR vers l'UE sont passées de 14,7 à 18 milliards de dollars américains, tandis que les importations de l'UE ont fait un bond énorme, passant de 7,8 milliards de dollars en 1991 à 21,9 milliards en 1996. L'analyse des données révèle que la balance commerciale entre les deux blocs s'est inversée : en 1991, le MERCOSUR présentait un surplus de 7 milliards de dollars, alors qu'en 1996 et 1997, on constate des déficits respectifs de 3,8 et 3,9 milliards de dollars. Cette tendance est sans doute nocive pour le bloc, et doit être renversée. Bien que considérable, ce déficit est tout de même bien inférieur à celui qu'il a avec les États-Unis, qui totalisait 5,8 milliards de dollars américains en 1996 (Brasil, 1998).
Ces deux déficits résultent en grand partie de l'ouverture commerciale rapide des pays du MERCOSUR, que nous avons déjà analysée, ainsi que du maintien des barrières tarifaires et non tarifaires de l'UE et des États-Unis, notamment en ce qui concerne les produits agricoles, qui reçoivent, seulement aux États-Unis, plus de 130 milliards de dollars de subventions. Ces produits font l'objet de renégociations au niveau de l'OMC dans une perspective d'ouverture multilatérale du commerce international.
Dans le but de préserver l'équilibre du MERCOSUR dans ses relations avec diverses régions de la planète, les pays membres ont signé, à Madrid, Espagne, en décembre 1995, un accord-cadre de coopération économique et commerciale avec l'UE qui vise l'implantation d'un programme de libéralisation progressive des flux commerciaux réciproques. En juillet 1998, la Commission européenne, principal organe exécutif de l'UE, a proposé au Conseil des 15 ministres d'entamer des négociations avec le MERCOSUR et le Chili en vue de développer une association interrégionale en établissant : a) une zone de libre-échange par le biais d'une réduction progressive des tarifs douaniers, du démantèlement des barrières non tarifaires et de l'élimination graduelle des subventions agricoles, ce qui viendrait consacrer une nouvelle relation initiée en 1995[8] ; b) un partenariat sur des questions de politique et de sécurité ; c) une coopération renforcée dans les domaines économique et institutionnel. L'objectif du MERCOSUR est de parvenir à un accord au même rythme que les négociations qui préparent la création de la ZLÉA, prévue pour 2005.
Parallèlement, les 32 pays d'Amérique latine et des Caraïbes préparent une réunion au sommet avec les 15 chefs de gouvernement de l'UE, une idée qui avait été proposée initialement par l'Espagne et qui a été lancée officiellement par le président Chirac de France, en 1997, lors de sa visite en Amérique du Sud. La rencontre, prévue pour avoir lieu à Rio de Janeiro en juin 1999, pourra servir de contrepoids au Sommet de Santiago en augmentant le pouvoir de négociation des pays de l'hémisphère sud face aux États-Unis.
Les acteurs des processus d'intégration
Les organisations internationales
Les phénomènes de mondialisation et de régionalisation sont profondément influencés par les organisations internationales, qui stimulent l'économie politique de la mondialisation, l'ouverture des marchés et les transformations des politiques intérieures de chaque pays. Des institutions comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l'Organisation mondiale du commerce soutiennent le renforcement du système multilatéral du commerce, en diminuant conséquemment l'importance des négociations localisées, comme celles qu'entretiennent le MERCOSUR et l'UE ou le MERCOSUR et la ZLÉA.
Parallèlement, certaines organisations internationales exercent un rôle clé dans l'élaboration et la réalisation de nouveaux accords régionaux, en plus d'offrir un certain appui logistique lors de l'exécution de ces accords. Par exemple, au niveau de la ZLÉA, on note quatre organismes importants : l'Organisation des États américains (OÉA), la Banque interaméricaine de développement (BID), la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes des Nations Unies (CÉPALC) et l'Organisation panaméricaine de la santé (OPAS).
On remarque aussi la présence d'organisations internationales qui négocient de leur côté des accords sectoriels, comme l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). L'OCDE négocie le profil et la réalisation d'un accord multilatéral extrêmement important, soit l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), qui est vital pour les pays du Sud dans la mesure où il diminue grandement la souveraineté nationale des pays par le biais de la déréglementation des investissements. Trois aspects de l'AMI illustrent la diminution du rôle de l'État et de la souveraineté des pays signataires : a) la prééminence des droits des investisseurs étrangers, qui auront le droit d'investir en tout lieu, secteur ou activité sans aucune restriction ; b) la suprématie des critères des investisseurs étrangers qui, selon l'accord, pourront exercer, selon leur propre interprétation, leur droit à l'indemnisation ou exiger la révocation de mesures considérées discriminatoires ; c) l'abdication des prérogatives de l'État, considérant que cet accord donne à l'État et aux investisseurs privés étrangers les mêmes droits et le même statut pour en appliquer les clauses. Les investisseurs étrangers pourront donc actionner les gouvernements nationaux devant les tribunaux de leur choix. De leur côté, les États acceptent de ne pas soumettre les litiges à un arbitrage international. Après avoir adhéré à cet accord, les États y seront irrévocablement liés pour une période de 20 ans (Tavares, 1998a).
Les entreprises transnationales
Un autre type d'acteur joue un rôle de plus en plus important sur la scène internationale : les entreprises transnationales. Bien qu'elle n'ait aucune nationalité, l'entreprise transnationale est intimement liée aux politiques d'expansion de son État d'origine et exerce un rôle important à l'intérieur des blocs économiques et entre ces blocs. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi, par exemple, le Forum des gens d'affaires des Amériques a rapidement été officialisé, dans la foulée de la ZLÉA, et pourquoi, lors de certains événements importants du bloc, plus de mille directeurs de grandes entreprises transnationales se sont déplacés pour participer aux discussions programmées plutôt que d'assister à des réunions officielles des États. Les transnationales ont acquis un statut de citoyen international, ont accès à des informations clés et peuvent attaquer les politiques intérieures d'un État ; elles peuvent même poursuivre un État en justice, comme dans le cas de l'AMI.
En regardant de plus près le cas des transnationales sises en Amérique du Nord et en tenant compte du processus de formation de la ZLÉA, les données révèlent que l'Amérique latine absorbe plus de 17 % des investissements nord-américains directs à l'étranger et 12 % des actifs des filières à l'étranger, tandis qu'elle en tire 21 % de ses profits et de ses emplois. En termes globaux, plus de 60 % des exportations et 37 % des importations nord-américaines dépendent des transnationales localisées sur son territoire. En outre, le commerce intra-entreprise des transnationales représente 25 % des exportations et plus de 17 % des importations américaines (Brunelle et Deblock, 1997).
L'actuel projet libéral latino-américain qui, comme on le sait, a souvent été générateur de crises conjoncturelles et structurales est renforcé par les entreprises transnationales. Celles-ci privilégient le profit et le développement du commerce, sans égard pour les intérêts et les problèmes sociaux de chaque pays, comme par exemple le chômage. Face à ces crises, les États tentent d'attirer des capitaux étrangers et les investissements des entreprises transnationales, ce qui amène les gouvernements locaux, provinciaux ou nationaux à se faire concurrence pour obtenir ces investissements. La libéralisation des conditions du marché accroît les marchés des transnationales, ce qui augmente leur pouvoir par rapport aux États à différents niveaux. Ce pouvoir, élargi par le processus de mondialisation, permet aux entreprises d'influer sur les législations nationales. En 1994, par exemple, 49 pays ont introduit 110 changements à leur législation sur le capital étranger dont 108 allaient dans le sens d'une libéralisation des contrôles sur les investissements (Martins, 1997 : 28-29). Ce contexte favorise également les fusions d'entreprises et la vente d'entreprises nationales à d'importants groupes internationaux. Ainsi, au Brésil seulement, il y a eu plus de 490 fusions et acquisitions d'entreprises de juin 1997 à juin 1998 (Gleizer, 1998).
Face à cette nouvelle dynamique, l'État a un rôle prépondérant à jouer. Il lui faut déterminer le rythme et les paramètres de l'ouverture commerciale et s'y tenir, et promouvoir, pour les entreprises nationales, les conditions de leur restructuration dans un objectif de compétition internationale, afin de contrebalancer les effets de la mondialisation et du laisser-faire du marché. Dans le cadre du MERCOSUR, les États encouragent certaines entreprises à se régionaliser en investissant dans les marchés des pays du bloc ou des pays voisins appartenant à l'ALALÉ. À l'étape actuelle de développement, ce que les entrepreneurs jugent le plus important, c'est l'expansion de la région. L'objectif est donc régional, bien qu'une région comme le Cône sud ne dispose pas nécessairement d'une échelle économique suffisante pour alimenter certaines industries compétitives du point de vue régional. L'État tente de donner aux entreprises nationales et régionales des conditions favorables à une intégration régionale stratégique, de façon à renforcer le bloc de l'Amérique du Sud et à éviter que ces entreprises ne soient absorbées par des groupes transnationaux qui, pour leur part, prendront leurs décisions dans les pays de l'hémisphère nord.
Les mouvements sociaux
Le processus d'intégration en cours en Amérique du Sud et dans les Amériques est un sujet de préoccupation, car les accords qui sont en voie d'être implantés affectent les politiques intérieures de chaque État. En effet, ces accords affectent le travail, le rapport entre l'emploi et le chômage et l'environnement. D'un autre côté, ils encouragent des modifications de caractère libéralisant aux constitutions de plusieurs pays, comme c'est le cas pour l'Argentine, le Brésil et le Mexique, ce qui conduit à une réelle déconstitutionnalisation de plusieurs droits collectifs et sociaux acquis depuis des décennies. Sous l'influence des politiques libérales économiques, les États recourent à la privatisation, à la déréglementation et à la démonopolisation de plusieurs secteurs de leurs économies, ce qui affecte directement la vie des travailleurs et de toute la société (Brunelle et Deblock, 1997).
Néanmoins, nombre de ces décisions importantes ne sont pas suffisamment débattues par les travailleurs, ni par les autres segments de la société civile, ce qui favorise certains groupes économiques. Ainsi, un déficit démocratique réel caractérise plusieurs des décisions des États au cours de l'entrée en vigueur de la libéralisation des politiques et du processus même d'intégration, qui est guidé par ces politiques.
Dans ce contexte, et bien qu'ils appuient de prime abord l'idée de l'intégration des pays latino-américains et caraïbes, les travailleurs remettent en question la voie qu'emprunte le processus actuel. Par exemple, les travailleurs soutiennent le renforcement du MERCOSUR, mais souhaitent qu'il soit réorienté, parce que le bloc ne réussit pas à atteindre l'un des préceptes les plus chers du traité d'Asunción, qui prône textuellement l'amélioration des conditions de vie des habitants de la région. Or, il faut apporter des modifications à ce modèle d'intégration, car celui-ci répète, sur une échelle régionale, les politiques ayant mené à la récession économique et à l'exclusion sociale, problèmes que les taux élevés de chômage qui prévalent dans l'hémisphère sud viennent aggraver.
Après avoir créé, en 1987, l'Organisme de coordination des centrales syndicales du Cône sud (OCCSCS), les mouvements sociaux et les centrales syndicales des pays membres du MERCOSUR, du Chili et de la Bolivie ont finalement décidé, en 1992, après une période d'hésitation, de s'impliquer directement dans le processus. On notait déjà une certaine tendance à la transnationalisation des pratiques syndicales dans le Cône sud (Chaloult, 1997). Les centrales du MERCOSUR ont participé activement au Sous-groupe de travail no 11 sur les questions du travail, créé par les gouvernements, qui s'est appelé par la suite Sous-groupe no 10 sur les relations du travail, l'emploi et la sécurité sociale. L'importance de l'action syndicale est progressivement devenue plus claire, de même que ses limites ; la perspective internationaliste face aux intérêts nationaux ou locaux est également mieux définie (Vigevani, 1998 : 20).
Parallèlement, les syndicats et les entrepreneurs se sont intégrés, de même qu'un représentant des consommateurs, au Forum consultatif économico-social (FCES), créé à la fin de 1994 par le Protocole d'Ouro Preto. Pendant que les États progressent dans le processus d'intégration de l'hémisphère sud, les acteurs sociaux tentent de s'adapter. Ainsi, ils ont décidé de participer à ce forum, bien qu'il ne soit que consultatif, afin de protéger les positions des classes sociales, qu'elles soient corporatives ou sectorielles (Vigevani, 1998). En fin de compte, ce qui est en jeu, c'est l'impact de l'intégration non seulement sur les entreprises et sur le mouvement syndical, mais sur tout le marché du travail (Barbosa et Veiga, 1997).
Le défi des travailleurs consiste à penser et à agir comme une classe ouvrière régionale et progressivement continentale, à élaborer une stratégie commune et à établir de nouveaux paramètres de relation avec les entrepreneurs, qui sont de plus en plus intégrés et assujettis à des décisions supranationales.
Quant à la ZLÉA, il paraît évident que les travailleurs et plusieurs autres segments de la société civile s'opposent à ce processus d'intégration. Ils croient que la ZLÉA accentue les actuels effets négatifs de la politique de libéralisation économique en Amérique latine et aggrave les problèmes sociaux. Ils croient encore que la ZLÉA entraîne un déficit démocratique beaucoup plus important que le MERCOSUR ou l'ALÉNA. Ainsi, lorsque des canaux de demande ne fonctionnent pas de manière satisfaisante, les groupes de pression sont contraints de rechercher d'autres formes de revendication qui renforcent, à la limite, leur pouvoir d'échange et de pression, comme c'est le cas du Forum des entrepreneurs, reconnu depuis 1995, et du Forum des travailleurs. Cette dernière instance a été soutenue par le Brésil et plusieurs autres pays lors de la Troisième Réunion des ministres du Commerce de la ZLÉA, à Belo Horizonte, Brésil, en mai 1997, mais refusée par plusieurs pays latino-américains tels que le Pérou, la Colombie, le Mexique et le Costa Rica. Quoi qu'il en soit, ces forums visent à créer un consensus parmi leurs participants sur la base de leurs différends et de leurs divergences, ce qui permettrait de formuler une stratégie basée sur la participation et la négociation dans le cadre du processus d'intégration (Vigevani et Mariano, 1997).
Lors du Sommet des Amériques de Santiago, en avril 1998, les travailleurs ont réitéré leur demande de mettre sur pied un groupe de travail, intégré au processus de négociation pour la création de la ZLÉA, sur les sujets travaillistes, à l'exemple d'autres groupes déjà formés sur plusieurs thèmes, mais ils n'ont pas été écoutés.
Aussi, lors de ce Sommet, l'OCCSCS a réaffirmé qu'il n'appuie pas la création de la ZLÉA parce que, selon ses analyses, les délais (an 2005), la forme, la portée et la méthodologie de son entrée en vigueur correspondent surtout aux intérêts d'importants groupes économiques qui cherchent à garantir leur hégémonie économique et commerciale dans la région.
[En outre,] la ZLÉA restreint encore plus les possibilités de développer des politiques d'expansion économique, concernant par exemple la création d'emplois, les droits travaillistes, le respect de l'environnement et l'avancement des droits sociaux. Nous sommes opposés à la négociation d'un accord de libre-échange continental dans ces conditions et ce format, mais nous sommes favorables à une intégration américaine de nos peuples, à une action coordonnée des organisations syndicales et sociales pour la construction d'une société libre et souveraine, qui apporterait plus de démocratie politique, économique et sociale à notre continent. (OCCSCS, 1998)
On soutient ainsi non seulement l'élaboration d'une alliance sociale continentale, mais aussi la mondialisation des droits sociaux et économiques face au processus actuel de mondialisation des capitaux et des marchés.
Cependant, les organisations qui représentent les travailleurs ne peuvent se contenter de jouer un rôle d'avant-garde. Elles doivent contribuer à l'élaboration d'un projet plus ample, qui va au-delà des intérêts des travailleurs et qui est apte à obtenir l'adhésion et l'appui de différentes classes et groupes sociaux, en donnant une direction intellectuelle et morale aux diverses sociétés civiles où elles agissent dans les pays latino-américains et caraïbes.
Dans cette perspective, et parallèlement au Sommet de Santiago, tenu du 15 au 18 avril 1998, le Sommet des Amériques réunissait plus de 3 500 citoyens et citoyennes de tout le continent À cette occasion, une Commission syndicale comptait neuf forums qui abordaient divers thèmes : les femmes, les parlementaires, les paysans et les agriculteurs, les indigènes, les droits de l'homme, l'éthique, l'écologie, l'éducation et, enfin, les alternatives à l'intégration économique. L'importance de ce Sommet peut être mesurée par la représentativité de la société civile des Amériques et par la présence des ONG et de la communauté scientifique et universitaire. On tente de créer une alliance continentale, qui comporte un calendrier d'actions communes pour le prochain millénaire, jusqu'au prochain Sommet des dirigeants des Amériques, qui se tiendra au Canada, de façon à ce que la société civile prenne connaissance des compromis faits par les autorités des 34 pays présents.
Le poids du Sommet des Amériques et ses répercussions dans les médias ont contribué à contrebalancer les puissantes forces du marché présentes à Santiago et amené les États à prendre en considération les aspirations des millions de citoyens qui y étaient représentés. Il est intéressant d'observer qu'en juin 1998, pendant la première réunion du Comité de négociation pour la création de la ZLÉA à Buenos Aires, Argentine, l'un des sujets qui a suscité le plus de polémiques parmi les ministres des États portait justement sur le type de participation de la société civile à l'élaboration d'une zone de libre-échange.
Les pouvoirs législatifs
Si la direction de l'intégration dans les Amériques reste l'apanage exclusif des négociations entre États nationaux en écartant la participation directe des entités représentatives, de la société civile et des parlements, nous nous trouvons devant une conception plus restrictive de la démocratie. Dans le processus de régionalisation en cours, la participation des représentants élus par le peuple est fondamentale pour assurer la légitimité du processus de même que pour contrebalancer le poids d'autres acteurs qui font pression sur les États, comme les entreprises transnationales.
La participation des pouvoirs législatifs sur les plans national, provincial et municipal est d'une importance fondamentale. Les parlements supranationaux devraient aussi jouer un rôle prépondérant, comme en Europe, où le Parlement européen a déjà atteint un degré de représentation indiscutable ; comme tel, il amène les demandes et les revendications des acteurs économiques et sociaux de la région et de chaque pays dans les divers forums.
Les Amériques doivent privilégier la création d'institutions supranationales qui engageraient les États indépendamment de la volonté politique d'un chef d'État donné, évitant ainsi le recul du processus d'intégration. Actuellement, il existe dans les Amériques, sur un plan supranational, au moins cinq parlements ou instances équivalentes : le Parlement latino-américain, le Parlement andin, le Parlement centre-américain, l'Assemblée parlementaire de la Communauté des Caraïbes et la Commission parlementaire mixte du MERCOSUR[9]. S'ils ont un pouvoir réel, ces parlements seront en mesure de diminuer les effets négatifs de certains changements constitutionnels nationaux qui soustraient des droits collectifs et sociaux acquis ou qui favorisent de façon indue les investisseurs étrangers, pour qui le bien-être et la qualité de vie des citoyens d'un pays ne sont pas primordiaux.
Actuellement, ces parlements supranationaux ont peu de pouvoir de fait. Par exemple, la Commission parlementaire mixte du MERCOSUR a une fonction purement consultative et est dépourvue de pouvoirs de délibération. Le fait est que, dans le processus actuel d'intégration latino-américaine, on assiste à une subordination évidente des pouvoirs législatifs aux pouvoirs exécutifs, ce qui va à l'encontre du principe démocratique de séparation entre les pouvoirs. Le degré de participation aux congrès nationaux est, en pratique, très limité.
Afin de tenter de corriger cette réalité, plus de 600 parlementaires des pays de la ZLÉA se sont réunis dans la ville de Québec, Canada, du 18 au 22 septembre 1997, dans le cadre de la Première Conférence des parlementaires des Amériques (COPAM). Dans leur déclaration finale, les parlementaires ont demandé une plus grande participation aux discussions sur le processus de création de la ZLÉA et ont abordé diverses dimensions du processus en cours : démocratie, droits humains, libre-échange, emploi, éducation, prévention sociale, santé, culture et, enfin, développement durable.
Ils ont aussi insisté sur l'importance de diminuer le déficit démocratique qui résulte de l'intégration en cours et se sont offerts pour améliorer le processus :
Nous sommes d'accord, comme représentants des citoyens, pour appuyer et stimuler la participation active de la population aux discussions et aux consultations préliminaires et aux prises de décisions relatives à la création d'une zone de libre-échange continental, en respectant, à titre de contribution importante, les expériences des mécanismes régionaux d'intégration. (Conférence des parlementaires des Amériques, 1997)
En pensant à l'avenir, les parlementaires présents à Québec ont décidé de créer un comité, lors d'une réunion prévue pour 1998, afin d'augmenter les pouvoirs législatifs au sein de la ZLÉA :
Nous avons décidé de constituer le Comité de suivi, dont l'objectif sera d'étudier les modalités de la poursuite du dialogue et de conduire à une structure réunissant des représentants des parlements et des organisations interparlementaires des Amériques, afin de permettre aux parlementaires de partager leurs points de vue sur les implications du processus d'intégration de l'hémisphère et sur ses impacts législatifs, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux. (Conférence des parlementaires des Amériques, 1997)
Conclusion
Face au processus actuel de mondialisation et de régionalisation, les quatre pays membres du MERCOSUR ont opté pour l'approfondissement et la consolidation du bloc, pour l'intensification de leurs relations avec le Chili et la Bolivie, pays associés au MERCOSUR, et pour la formation rapide du futur bloc de l'Amérique du Sud, l'ALALÉ. On observe aussi un désir de réorienter les directions prises par l'intégration en cours, la valorisation des thèmes sociaux, la promotion et l'harmonisation des droits sociaux ainsi qu'un objectif de création d'emplois.
En ce qui concerne la ZLÉA, le mérite du projet est remis en question et l'agenda de son entrée en vigueur doit être ajourné, puisque que des négociations précipitées pourraient avoir des impacts négatifs sur les économies nationales et, conséquemment, sur la société. Notons qu'il y a consensus entre les entrepreneurs et les travailleurs sur ce point, même si les intérêts qui mènent à cet accord peuvent différer.
Enfin, on a constaté que divers autres acteurs, comme les centrales syndicales, les mouvements sociaux, la société civile et les pouvoirs législatifs, souhaitent participer plus activement au processus d'intégration en cours. S'ils devenaient plus présents et plus actifs, ils contribueraient à contrebalancer le pouvoir de négociation des autres acteurs, comme les entreprises transnationales, et, surtout, ils donneraient une plus grande légitimité au processus de régionalisation. De leur côté, les États se verraient appuyés dans les compromis qui touchent aux droits socioéconomiques des citoyens et à la démocratisation du processus d'intégration. Ainsi, le pluralisme et la démocratie seraient renforcés dans les Amériques et les Caraïbes.
Parties annexes
Notes
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[1]
Ce texte a été présenté dans le cadre du séminaire international L'Amérique latine et les Caraïbes face aux défis de la politique extérieure des États-Unis à la fin des années 90, qui s'est tenu à Bogota, Colombie, les 5 et 6 novembre 1998, sous l'égide de l'Institut des hautes études de Colombie. Traduction de Mònica Nunes et Line Boucher.
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[2]
Notons également que des réunions bilatérales entre le Brésil et l'Argentine cherchent à débattre de certains conflits et à uniformiser les points de vue. Au cours d'une de ces réunions, tenue à Rio de Janeiro en avril 1998, la Déclaration de Rio a été signée, qui reconnaît que « le MERCOSUR est le plus important projet de notre histoire de presque cinq siècles de convivialité », et que « ensemble, nous sommes en train de construire une profonde et vraie alliance stratégique » (Coelho, 1998 : 45).
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[3]
Le Groupe de Rio intègre les 11 pays de l'ALADI, un représentant de l'Amérique centrale et un représentant des Caraïbes ; il s'agit de l'instance la plus élevée de coordination politique entre les pays latino-américains.
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[4]
Le 30 septembre 1998, le MERCOSUR et le Groupe andin devaient négocier un accord sur les tarifs préférentiels sur la base du patrimoine historique, qui pourra également inclure de nouveaux produits. Cet accord se substituera à ceux qui existent déjà entre les pays de ces deux régions et dont la portée n'est que partielle, et devrait entrer en vigueur le 1er octobre 1998. Entre cette date et la fin de 1999, le MERCOSUR et le Groupe andin négocieront un accord de libre-échange sur presque tous les produits, accord qui devrait entrer en vigueur au début de l'an 2000 (Almeida, 1998b). Notons qu'au début des négociations, en juin 1998, la liste des produits présentée par le MERCOSUR contenait 1 472 éléments requérant des tarifs préférentiels variant entre 50 et 100 % ; en juillet, le Groupe andin s'est montré intéressé à négocier près de 700 des produits proposés par le MERCOSUR. Par ailleurs, la liste du Groupe andin proposait 2 732 produits, et le MERCOSUR se montrait favorable à en négocier environ 1 800, refusant d'en inclure près de 850 aux ententes. Selon l'esprit du MERCOSUR, seuls des cas exceptionnels ou des situations spécifiques peuvent justifier le recours au régime de bilatéralité (Ferrari, 1998 ; Góes, 1998).
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[5]
Rappelons que l'accord de portée partielle qui lie le Mexique et l'Uruguay dans le cadre de l'ALADI possède une vaste couverture de biens.
-
[6]
L'impossibilité d'en arriver à un accord plurilatéral sur les tarifs préférentiels, en décembre 1997, a amené les membres du MERCOSUR à décider que chacun déterminerait de manière indépendante les étapes à suivre en termes de renouvellement transitoire des accords bilatéraux existants, jusqu'à ce qu'un nouvel accord plus large soit conclu (Bouzas et al., 1998).
-
[7]
À la fin de son intervention, le président Cardoso a ajouté : « Je ne veux pas vous laisser sans dire un mot, ne serait-ce qu'un seul, sur les nombreux doutes et questionnements que j'ai entendus dans les couloirs : Pourquoi pas tous les pays ? Il manque peut-être un pays ? Ce pays s'est affirmé ici, à Valparaíso, il a fait un compromis avec la démocratie. Bien qu'absent, ce pays a un contrat social, il se préoccupe profondément de l'éducation et de la santé. Pourquoi ne pas donner des chances à la démocratie, que nous recherchons, pour que demain nous puissions dire : “Nuestra América es una sola, democrática y hecha de hermanos”. »
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[8]
Les agriculteurs européens, notamment les agriculteurs français, exercent une pression forte et bien organisée pour ajourner le début des négociations de cet accord de libre-échange entre l'UE et le MERCOSUR, car cela impliquerait un accès plus facile au marché européen pour les produits sud-américains, comme les grains et la viande. Selon un document de la Commission européenne dévoilé en juillet 1998, « l'UE devrait dépenser entre 6,2 milliards $ US et 15,6 milliards $ US par année pour compenser les dommages qu'entraîneraient aux producteurs européens les exportations du MERCOSUR vers l'UE, au cas où un accord serait établi ».
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[9]
De plus, un Groupe parlementaire Brésil-Argentine a été formé en 1996 et, en 1998, une rencontre des commissions des relations extérieures des chambres des députés du Brésil et de l'Argentine a été planifiée.
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