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Au Québec, on connaît encore très mal la situation réelle des organismes communautaires. C'est une réalité nouvelle à laquelle les organismes gouvernementaux ne se sont pas encore adaptés. Il ne s'agit pas d'un phénomène propre au Québec. Ainsi, l'Organisation des Nations Unies (ONU), qui amasse des données permettant de faire des comparaisons internationales, considère qu'un organisme est sans but lucratif (OSBL) lorsqu'il reçoit plus de 50 % de son financement sous forme de dons de charité ou par le biais de fondations caritatives. Avec une telle définition restrictive, la réalité des OSBL est complètement occultée dans les statistiques internationales : dans la plupart des pays occidentaux, les dons de charité ne représentent, dans le meilleur des cas, que 10 à 20 % du budget total de l'organisme.
Les organismes communautaires font partie, avec les entreprises d'économie sociale, les organismes bénévoles et autres entreprises à but non lucratif, de ce qu'on appelle de plus en plus le tiers secteur[1] de l'économie. Le tiers secteur ne relève complètement ni de l'État, ni du secteur privé et ne cherche à remplacer aucun de ceux-ci. Il devient plutôt un ajout nécessaire qui relève à la fois de chacun de ces deux premiers secteurs : il est actif sur des marchés qui produisent des biens et des services qui sont échangés et qui sont produits par des personnes qui ne pourraient pas avoir accès autrement au marché du travail, mais il a en même temps besoin de l'aide de l'État pour solvabiliser et contribuer à créer une demande qui ne s'est pas encore complètement exprimée.
Au Québec, le Secrétariat à l'action communautaire autonome (SACA) a tenté d'évaluer les montants globaux distribués par les différents ministères québécois aux organismes communautaires. Il a ainsi découvert qu'au cours de l'année financière qui vient de se terminer, le montant global accordé aux organismes communautaires par l'ensemble des ministères québécois était d'environ 300 millions de dollars, dont la majorité en provenance du seul ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Mais cela ne couvre que le seul financement public fourni par l'État québécois. On ne connaît pas non plus le nombre d'organismes communautaires subventionnés, car un organisme peut être subventionné par plus d'un ministère.
Notre intention, dans l'article qui suit, est de montrer que les organismes communautaires ne représentent plus une quantité négligeable au Québec, qu'il s'agit d'une réalité en pleine expansion qui devient de plus en plus significative non seulement sur le plan de la dynamique sociale mais aussi sur celui de la réalité économique, notamment en termes d'emplois créés. Bref, les organismes communautaires constituent une force montante dont l'importance commence à être reconnue dans différents forums. Mais cette reconnaissance est encore incomplète. Elle le restera tant qu'on continuera à méconnaître les organismes communautaires.
Les subventions du MSSS aux organismes communautaires
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), par le biais maintenant des Régies régionales de la santé et des services sociaux, verse chaque année des montants substantiels aux organismes communautaires de son réseau[2]. Ces montants, qui sont en croissance rapide d'une année à l'autre, traduisent l'importance de plus en plus grande que le réseau accorde à la présence des organismes communautaires pour répondre aux besoins de la population. En même temps, cette reconnaissance reste encore incomplète. Quand, en effet, les différentes instances du réseau parlent de la structuration formelle des institutions qui dispensent des services à la population, on a encore souvent tendance à oublier les organismes communautaires qui fournissent des services directs à la population – et ce, même au niveau des services de première ligne – et à ne prêter attention qu'à l'articulation formelle des instances publiques de dispensation de services qui existent en vertu de la Loi des services de santé et des services sociaux.
La réforme Castonguay-Nepveu, au début des années 1970, avait presque complètement fait abstraction de la présence des organismes communautaires. Le principe général semblait être le suivant : ce qui méritait d'être subventionné à même les fonds publics devait faire partie du système public. Le dynamisme des organismes communautaires devait cependant forcer progressivement leur reconnaissance comme organismes autonomes et accroître progressivement leur financement. La Commission Rochon, au milieu de la décennie suivante, devait elle-même être étonnée dans une bonne mesure par l'importance du rôle joué par les organismes communautaires et par la vitalité de leurs interventions. Les réformes subséquentes ont reconnu plus formellement la place et le rôle de ces organismes communautaires au sein du réseau, vu l'importance de leur rôle comme dispensateurs de services de première ligne et leur capacité de représenter les intérêts et les besoins de la population. Mais aux yeux de plusieurs organismes communautaires, la reconnaissance de l'importance de leur rôle, notamment sur le plan financier, demeure insuffisante.
Le récent débat sur l'économie sociale vient ajouter une dimension supplémentaire à ces interrogations. Les organismes communautaires constituent une source d'emplois non négligeable dans un contexte de taux de chômage élevés (Bélanger, 1997). De façon globale, les organismes communautaires constituent une partie intégrante de l'économie sociale. Cela est d'ailleurs reconnu dans la plupart des analyses internationales sur la question. En effet, en milieu international, et en milieu anglo-saxon en particulier, on parle souvent des organismes de l'économie sociale comme étant des « non-profit organizations » (Salamon et Anheier, 1994). C'est vrai, lorsqu'on regarde les organismes communautaires de façon globale : ils présentent les principales caractéristiques de l'économie sociale (Groupe de travail sur l'économie sociale, 1996 ; Rapport du comité gouvernemental d'orientation et de concertation sur l'économie sociale, 1996).
L'évolution des subventions du MSSS[3]
On se plaint régulièrement de l'insuffisance de fonds compte tenu de l'accroissement des besoins auxquels on veut répondre. Mais ce qui est en cause, ici, c'est probablement moins le financement public global des organismes communautaires, qui, lui, ne semble pas cesser d'augmenter, que l'augmentation rapide du nombre d'organismes communautaires.
Le tableau 1 permet de constater que les subventions aux organismes communautaires du réseau de la santé et des services sociaux ont plus que doublé sur une période de cinq ans. Ce tableau ne tient compte que des subventions accordées par le MSSS ; les subventions octroyées dans le cadre d'autres programmes relatifs à d'autres ministères ou à d'autres paliers gouvernementaux, ainsi que les subventions qui pourraient provenir des instances régionales au sein même du réseau et d'autres programmes d'activités ne sont donc pas considérées ici.
C'est donc l'augmentation du nombre d'organismes subventionnés plutôt que l'augmentation de l'aide moyenne par organisme qui expliquerait, à partir du début des années 1990, la hausse du budget global. Voilà pourquoi d'un côté, le gouvernement peut prétendre aider de plus en plus chaque année les organismes communautaires alors que, de l'autre, les organismes communautaires se plaignent d'être de plus en plus sous-financés puisque la subvention moyenne demeure la même, pendant ce temps la pression de la demande continue à croître avec la notoriété de l'organisme.
Ce tableau fait aussi ressortir un phénomène intéressant. Comme on peut le voir, le montant de la subvention du MSSS aux organismes communautaires n'était que de un million de dollars au début des années 1970. Sept ans plus tard, il n'était encore que de 1,2 million de dollars, soit une baisse réelle si on tient compte de l'inflation au cours de la période. Cette période correspond à la mise en place du réseau des services de santé et des services sociaux à la suite des travaux de la Commission Castonguay. Cela reflète bien la philosophie de l'époque : ce qui mérite d'être financé par les pouvoirs publics doit faire partie des services publics assurés par l'État.
Le virage vers un plus grand financement des organismes communautaires commence en 1998. On se rend alors compte progressivement que les organismes communautaires rendent des services réels qui ne relèvent pas nécessairement de l'État (maisons d'accueil pour femmes violentées, maisons de jeunes, centres de bénévolat, etc.). En même temps, le nombre d'organismes communautaires s'accroît rapidement et les pressions sur les autres bailleurs de fonds (comme Centraide) ainsi que les pressions politiques se font plus insistantes. De plus, l'État-providence – qui voulait assumer lui-même, dans le secteur public, les services directs à la population – commence à marquer le pas en termes de développement pour répondre aux nouveaux besoins qui émergent. Enfin, les organismes communautaires font preuve d'une grande créativité et d'un dynamisme certain ; ils sont plus prompts à trouver des réponses à ces nouveaux besoins de la population.
Les pionniers du réseau des CLSC se souviendront que le ministère des Affaires sociales (le MAS, l'ancêtre du MSSS) n'avait accepté de financer les organismes communautaires qui assuraient les services de maintien à domicile dans Hochelaga-Maisonneuve et Centre-Sud qu'à condition qu'ils soient intégrés aux CLSC de ces territoires. On se souviendra qu'à l'époque plusieurs organismes communautaires avaient vu le jour grâce aux programmes fédéraux de création d'emplois temporaires tels que Canada au travail. Le gouvernement du Québec montrait donc une résistance certaine à prendre la relève du financement de ces organismes et exigeait, lorsque c'était le cas, qu'ils soient intégrés aux services publics. La réforme Castonguay ayant eu comme objectif de rendre publics des établissements qui avaient été jusque-là privés à but non lucratif (c'était le cas de toutes les agences de services sociaux et de la plupart des hôpitaux), on ne voulait pas recréer un tel réseau privé parallèle dans le cas d'organismes communautaires qui seraient demeurés autonomes dans leur fonctionnement malgré l'apport financier de l'État.
Subventions et substitution de financement
Par ailleurs, on peut se demander si la hausse du budget de subvention du MSSS servirait en partie à compenser une baisse de subventions provenant d'autres sources gouvernementales. Les données historiques globales n'existent malheureusement pas sur la question. À défaut, cependant, nous avons pu consulter celles de la région du Saguenay–Lac Saint-Jean (région 02). Comme on peut le constater au tableau 2, il n'y a pas de baisse sensible de revenus selon la source de 1987 à 1994. Au contraire, les montants obenus des différentes sources ont augmenté au cours de la période dans cette région.
On notera que les revenus d'autofinancement tendent à augmenter plus rapidement que la moyenne générale, ce qui accentue le rapprochement possible avec l'économie sociale. À l'inverse, ce sont les revenus tirés de Centraide qui augmentent le moins rapidement, ce qui pourrait refléter l'ensemble de la situation du Québec. Selon quelques experts du domaine des collectes de fonds, les dons de charité transmis par le biais des Centraides tendraient en effet à plafonner d'une certaine façon. Les autres sources de financement suivent la tendance générale dans cette région, ce qui traduit probablement la pression croissante qui s'exerce sur elles.
La répartition régionale des subventions du MSSS
Comme on peut le voir au tableau 3, le montant par habitant moyen dépensé par chaque région dans le cadre du programme de subventions aux organismes communautaires du MSSS (programme 02) augmente dans le temps, passant globalement de 12,75 $ en 1994-1995 à 19,34 $ en 1996-1997, mais il varie beaucoup d'une région à l'autre. Cela mesure l'effort relatif en la matière dans chacune des régions. Cela peut s'expliquer en partie par des facteurs historiques ou contextuels. Ainsi, dans certaines régions plus éloignées, la pénurie relative de ressources a pu entraîner l'octroi de ressources plus abondantes aux organismes communautaires. En revanche, à Montréal, où le nombre et le militantisme des organismes communautaires sont en général plus grands, les pressions exercées par ceux-ci ont pu amener les pouvoirs publics à consacrer relativement plus de ressources au cours des dernières années, à mesure que cette pression se faisait sentir et que la place des OSBL (organismes sans but lucratif) était aussi plus reconnue. D'autres régions en périphérie de Montréal, comme la Montérégie, Laval et, dans une moindre mesure, les Laurentides et Lanaudière, partaient de beaucoup plus loin. Malgré les efforts parfois appréciables consentis au cours des dernières années, l'écart demeure alors important par rapport aux autres régions.
Données sur le fonctionnement des organismes communautaires financés par le MSSS
On peut voir au tableau 4 que le nombre d'employés réguliers était de 10 107 en 1994 et le nombre d'employés occasionnels, de 14 871. Ces personnes n'ont travaillé en moyenne que 833,74 heures et 455,85 heures respectivement au cours de l'année, ce qui signifie probablement qu'elles n'ont pas été à l'emploi de l'organisme tout au long de l'année. Si l'on considère qu'un employé du réseau travaille en moyenne 1 550 heures durant l'année, cela correspond à 9 810 employés à temps plein.
Par comparaison, cette même année, l'ensemble des CLSC du Québec avaient à leur emploi 16 000 employés dont certains étaient occasionnels ou à temps partiel. Ces employés représentaient l'équivalent de 11 000 employés à temps plein. Les organismes communautaires subventionnés par le MSSS fonctionnent donc maintenant, globalement, avec une force de travail presque équivalente à celle des CLSC, et cela, sans tenir compte de l'apport des bénévoles. Ces bénévoles ont fourni, selon les déclarations des organismes communautaires du secteur de la santé et des services sociaux, plus de 20 millions d'heures de travail bénévole au cours de l'année 1994, ce qui représenterait un volume équivalant à 13 204 employés à temps plein.
Le tableau 5 permet de constater que les subventions reçues du SSOC en 1992-1993[4] (soit 70,5 millions de dollars) ne représentent que 25,6 % du budget total des organismes communautaires. Ceux-ci vont chercher une autre tranche de 7 % (soit 19,5 millions de dollars) de leur budget dans d'autres programmes du MSSS, soit une proportion à peu près semblable à celle qu'ils obtiennent d'autres ministères provinciaux (notamment du ministère de la Sécurité du revenu ou du ministère de l'Enseignement du Québec dans le cadre du programme OVEP). Une mince tranche de 2,8 % du budget (soit 7,7 millions de dollars) provient des indemnités quotidiennes pour l'hébergement qui sont versées par le gouvernement provincial dans les différents centres ou maisons d'accueil. Les organismes vont aussi tirer environ 14,5 % de leur budget (soit 40 millions de dollars) auprès de ministères fédéraux (essentiellement du ministère fédéral de la Santé et des programmes d'emplois).
Mais il faut aussi retenir que les organismes communautaires vont chercher plus de 112 millions de dollars à l'extérieur des gouvernements, soit 74 millions ou 26,9 % sous forme de revenus d'autofinancement et 38 millions, ou 13,8 % des Centraides. Dans ce dernier cas, les pouvoirs publics doivent assumer indirectement une partie du coût puisqu'il s'agit essentiellement de dons de charité déductibles d'impôt. Au total, ces deux sources de fonds représentent plus de 40 % du budget total des organismes. Par conséquent, près de 60 % du financement des organismes communautaires du réseau de la santé et des services sociaux provient des différents gouvernements et ministères, 14 %, des Centraides et 27 %, des efforts d'autofinancement.
La place du tiers secteur dans l'économie
Le tiers secteur est donc complémentaire à l'État et au marché et il intègre d'une nouvelle façon les dimensions sociales et économiques du développement des sociétés. Si les taux de chômage « officiels » ou « réels » oscillent entre 10 et 20 %[5], cela signifie que les secteurs privés et publics sont encore en mesure de créer de 80 à 90 % des emplois nécessaires. C'est dans la marge de 10 à 20 % qui n'est pas satisfaite que le développement local et le tiers secteur peuvent trouver leur principale raison d'être en matière de création d'emplois.
Par exemple, chez nos voisins du Sud, que nous prenons si souvent comme référence, le secteur privé à but lucratif avait créé, en 1990, 71,3 % des emplois disponibles alors que les gouvernements en avaient créé 16,4 % et le secteur à but non lucratif 12,3 % (Burbridge, 1996). Au cours des 40 dernières années, les États-Unis ont cependant connu une baisse constante de la part des emplois créés dans le secteur privé comparativement à la proportion des emplois totaux qui ont été créés dans le secteur gouvernemental et, de façon plus récente, dans le secteur à but non lucratif. Les emplois dans ce dernier secteur sont occupés, non exclusivement mais de façon plus que proportionnelle, par des femmes (11,8 % contre 6,5 % d'hommes) et légèrement plus que proportionnelle par des personnes de couleur (20,0 % des femmes noires contre 18,8 % de toutes les femmes)[6].
L'insuffisance relative de nouveaux emplois ne débouche malheureusement pas, comme on a pu le croire pendant un certain temps, sur une utopie radieuse du type « société de loisir » : « il n'y a pas d'alternative globale à la société salariale. Il faut permettre au plus grand nombre d'accéder à un emploi. En même temps il faut développer un nouvel équilibre et de nouvelles synergies entre le travail et les autres formes de participation à la vie sociale » (Perret, 1995). Mais ce nouvel équilibre, il faut le chercher ailleurs que dans les sentiers connus. Ainsi, le secteur public qui représentait environ 20 % de l'ensemble de la main-d'oeuvre du Québec, dont la moitié dans le seul secteur des services de santé et des services sociaux, n'est pas appelé à croître. En même temps, les multinationales, si elles se développent rapidement sur le plan économique, ne sont pas de grandes créatrices d'emplois. Ainsi, on dénombre environ 37 000 firmes multinationales à travers le monde qui comptent un total de 206 000 filiales. Leur chiffre d'affaires représente 25 % du PIB de la planète, mais leurs 73 millions d'employés ne représentent que 3 % de l'emploi mondial (Hatem, 1995). Pour accroître l'emploi mondial de 3 %, en ne comptant que sur les firmes multinationales, faudrait-il accroître le PIB mondial d'un autre 25 % ? Poser la question, c'est déjà y répondre. Et l'exemple récent des 40 000 mises à pied chez AT&T nous enseigne que l'avenir de l'emploi ne réside pas nécessairement dans l'augmentation du nombre de leurs employés. Il reste donc les PME mais aussi le tiers secteur. Or le tiers secteur, en augmentant ce potentiel d'amélioration de la qualité de vie par les services, peut largement contribuer à l'atteinte de ces objectifs. Autrement, il faudra continuer à entretenir un large contingent de sans-travail par les programmes de soutien du revenu.
La mondialisation de la recherche et du développement (la « R-D »), l'automatisation, le développement accéléré des technologies de l'information, la réorganisation en profondeur des organisations conséquente auront des conséquences énormes sur l'emploi. Certaines études prévoient même la disparition de 20 à 25 millions d'emplois aux États-Unis au cours des 20 prochaines années (Groupe de Lisbonne, 1995). Les PME continueront d'être « la texture moléculaire » de l'économie au sein des pays évolués en matière d'emploi. Le fossé s'élargira cependant entre les PME novatrices et davantage intégrées aux réseaux planétaires et les PME « traditionnelles » tournées vers les marchés locaux et régionaux. Mais la création d'emplois n'y sera vraisemblablement pas suffisante pour absorber le nombre élevé de sans-emploi.
Si l'emploi est plus nécessaire que jamais, c'est ailleurs qu'il faut en chercher la source complémentaire. D'abord, du côté du développement du tiers secteur (dont l'économie sociale mais aussi des organismes communautaires) qui peut être créateur d'emplois tout en offrant une alternative à l'intervention de l'État, une alternative plus humaine dans la mesure où sa finalité ne réside pas dans la recherche du profit à tout prix. Du côté aussi d'un partage plus équitable de l'emploi disponible qui peut contribuer à limiter l'impact des mises à pied inévitables dans certains secteurs, à réduire le taux de dépendance à l'égard des programmes sociaux, à accroître la solidarité intergénérationnelle, mais aussi à accroître la qualité de vie de ceux ou celles qui le choisissent librement. Mais il ne faut pas s'attendre à des miracles. Ces changements ne vont se faire que progressivement à mesure que les mentalités et les valeurs vont évoluer. Les résistances des nostalgiques d'une époque qui n'est plus viable seront en effet nombreuses et parfois féroces puisque cela dérange des habitudes et menace des intérêts. Cela accroît d'autant la nécessité de commencer dès maintenant à implanter progressivement ces changements, sinon cela devra éventuellement se faire... mais de façon brutale.
L'importance du secteur à but non lucratif dans les pays occidentaux
Le tableau 6 résume quelques-unes des principales caractéristiques du secteur à but non lucratif dans les sept pays occidentaux qui ont été étudiés[7]. On peut constater que le secteur à but non lucratif y occupe l'équivalent de 11,8 millions de travailleurs à temps plein, ce qui représente 4,5 % de l'emploi total dans ces pays ou 11,8 % de l'emploi dans le secteur des services, ce qui constitue la base de comparaison la plus appropriée puisque c'est principalement dans ce domaine qu'on retrouve le secteur à but non lucratif. Il faudrait cependant ajouter à cela l'équivalent d'un autre 4,7 millions de travailleurs équivalents temps plein qui résulte du travail des bénévoles dans ce secteur à but non lucratif. En outre, les dépenses occasionnées dans le secteur privé à but non lucratif représentent 4,6 % du PNB de ces pays, ce qui correspond à peu près à leur importance dans l'emploi total.
Il est intéressant de constater que l'emploi dans le secteur à but non lucratif dans ces pays est largement supérieur à celui que procurent les firmes privées les plus importantes dans ces pays. Les firmes dont il est ici question ne sont pas les plus marginales. Ainsi, Daimler-Benz (Allemagne), General Motor (É.-U.), Hitachi (Japon), Fiat (Italie), Alcatel-Alsthom (France) et Unilever (Royaume-Uni). Ces firmes sont responsables de deux millions d'emplois directs.
Mais le secteur à but non lucratif, contrairement aux multinationales, semble en voie d'expansion au regard de l'emploi. Ainsi, dans les principaux pays que constituent les États-Unis, la France et l'Allemagne, le secteur à but non lucratif y a représenté, en 1990, 6 % de l'emploi total. Mais au cours de la décennie 1980-1990, il a été à l'origine de la création de 12,6 % des nouveaux emplois.
Conclusion
Le développement du secteur de l'économie sociale ne représente sûrement pas le remède ultime et définitif à tous nos maux. Mais dans un contexte comme le nôtre, nous ne pouvons rien négliger pour permettre à un plus grand nombre d'adultes en âge de travailler, et à un plus grand nombre de jeunes en particulier, d'occuper un emploi. Or le tiers secteur est déjà présent et dynamique chez nous. Ainsi, les quelques 2 300 organismes communautaires subventionnés par le ministère de la Santé et des Services sociaux ont créé 10 000 emplois réguliers et 14 000 emplois occasionnels (Bélanger, 1995). Les services de garde en garderies, en agences de garde en milieu familial ou scolaire, essentiellement à but non lucratif, ont aussi créé 17 500 emplois. Dans les deux cas, une partie substantielle du financement provient des contributions des usagers ou des activités d'autofinancement. Ces deux seuls secteurs sont donc la source de plus de 40 000 emplois (soit 1,3 % de l'emploi total en 1992, proportion qui n'a pu qu'augmenter depuis compte tenu des subventions accrues et de la nouvelle politique familiale). Leurs activités représentent un montant de 680 millions de dollars, dont 54 % provient de l'État et 46 %, des contributions d'usagers ou de la population[8]. De façon plus générale, les experts évaluent entre 785 millions et 1 milliard de dollars le volume du secteur caritatif au Québec.
Cet exercice nous fait cependant prendre conscience à quel point on connaît mal l'importance des organismes communautaires au Québec. Il en est de même pour le secteur de l'économie sociale et pour le tiers secteur dans son ensemble. Il s'agit là pourtant de secteurs qui pourtant, en matière d'emplois et d'effets sur l'amélioration de la qualité de vie et de bien-être de la population, jouent un rôle de plus en plus grand. D'autres pays ont pourtant mieux réussi à cet égard.
Parties annexes
Notes
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[1]
Les termes tiers secteur, organismes à but non lucratif, organismes communautaires et économie sociale sont parfois substitués l'un à l'autre dans le présent texte selon le contexte.
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[2]
Dans le cadre du programme de Soutien aux organismes communautaires (SOC).
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[3]
Les données financières sur les organismes financés par le MSSS constituent une source privilégiée d'informations statistiques. Elles permettent d'illustrer quelques-unes des facettes importantes du fonctionnement des organismes communautaires sans prétendre toutes les représenter.
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[4]
Dernière année financière complète des organismes communautaires qui avaient soumis des demandes financières pour l'année 1994-1995 puisque ces demandes devaient être acheminées avant la fin de l'exercice 1993-1994.
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[5]
Certains auteurs évaluent le taux de chômage réel à 20 % au Canada en 1995. Voir Sullivan et al. (1997). « Politiques d'adaptation de la main-d'oeuvre et santé : réflexions sur un monde en mutation », dans Groupe de travail sur les déterminants de la santé,La santé au Canada : un héritage à faire fructifier. Rapport de synthèse et documents de référence, Forum national sur la santé, Ministère des Travaux publics et Services gouvernernentaux, 138-139.
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[6]
Cela pourrait être lié au niveau de développement du capital social dans ces régions.
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[7]
Ces sept pays sont l'Italie, le Japon, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, les États-Unis et la Hongrie.
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[8]
Une autre recherche en cours auprès de 143 organismes arrive à la conclusion d'une proportion de financement par les gouvernements de 57 %. Les 19,9 millions de dollars de subventions publiques entraînent cependant des retours fiscaux directs de 6,1 millions, mais sans tenir compte des retombées fiscales indirectes. Voir Réjean Mathieu, D.-G. Tremblayet al. « Rapport d'étape : recherche sur l'évaluation de l'impact économique du secteur communautaire dans les arrondissements de Rosemont-Petite-Patrie, Centre-sud / Plateau Mont-Royal, Hochelaga-Maisonneuve et St-Henri / Pointe-St-Charles », UQAM, LAREPPS, octobre.
Bibliographie
- Bélanger, Jean-Pierre (1997). « L'économie sociale au Québec », Interface, revue de l'ACFAS, janvier-février, 44-45.
- Bélanger, Jean-Pierre (1995). Les organismes communautaires du réseau : un secteur à consolider, miméo, MSSS, juillet.
- Burbridge, Lynn C. (1996). Government, For-Profit, and Third Sector Employment : Differences by Race and Sex, 1950-1990, Washington, The Aspen Institute.
- Groupe de Lisbonne (1995). Limites à la compétitivité : vers un nouveau contrat mondial, Montréal, Boréal.
- Groupe de travail sur l'économie sociale (1996). Osons la solidarité, Sommet sur l'économie et l'emploi, Montréal, octobre.
- Hatem, Fabrice (1995). « Les multinationales et l'emploi », Alternatives économiques, no 130, septembre-octobre, 70-73
- Perret, Bernard (1995). L'avenir du travail : les démocraties face au chômage, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L'histoire immédiate ».
- Rapport du comité gouvernemental d'orientation et de concertation sur l'économie sociale (1996). Entre l'espoir et le doute, Secrétariat à la condition féminine, Gouvernement du Québec, mai.
- Salamon, Lester M. et Helmut K. Anheier (1994). The Emerging Sector. An Overview, Baltimore, Institute for Policy Studies, Johns Hopkins University.
- Sullivanet al. (1997). « Politiques d'adaptation de la main-d'oeuvre et santé : réflexions sur un monde en mutation », dans Groupe de travail sur les déterminants de la santé, La santé au Canada : un héritage à faire fructifier. Rapports de synthèse et documents de référence, Forum national sur la santé, Ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux, 138-139.