Corps de l’article

1. Problématique

1.1 Des attentes sociales envers l’éducation

Conformément à ce que prévoient les programmes d’études destinés aux élèves (Gouvernement du Québec, 2006), l’école est tenue de s’adapter aux attentes visant à «préparer les individus aux problèmes et aux risques globaux encourus par les sociétés» (Barthes et Albero, 2019, p. 1). Cette orientation illustre clairement comment, après la période de course aux diplômes et à l’emploi de la fin du siècle dernier, nous assistons depuis une vingtaine d’années à la restauration des fonctions éducatives du système scolaire; ce changement des attentes envers l’école témoigne également des relations étroites qui existent entre l’éducation et la sphère publique, l’éducation devenant «un atout des sociétés développées face aux crises et aux enjeux de société» (Barthes et Albero, 2019, p. 9).

D’ailleurs, réfléchir à la manière dont l’enseignement scolaire pourrait contribuer à la formation de personnes aptes à agir pour répondre à des problèmes sociétaux complexes est devenu – comme le montrent les documents de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE, 2018) – une préoccupation généralisée.

De ce fait, plusieurs études récentes se penchent sur la manière d’aborder dans les matières d’enseignement des thématiques considérées comme cruciales au niveau mondial: justice sociale (Carr, 2011), racisme (Thésée et Carr, 2014), nationalisme (Éthier et Lefrançois, 2022), questions autochtones (Côté, 2019), sexisme (Brunet et Demers, 2018) sont ainsi devenus des sujets fondamentaux dans l’éducation citoyenne et la construction d’un «meilleur monde» (Moisan et al., 2022).

1.2 Du nouveau dans l’éducation artistique

Mais qu’en est-il du champ des arts? Qu’en est-il de ces disciplines marginalisées dans le système scolaire (Kerlan, 2007; Lenoir et al., 2000; Savoie, 2015), très souvent encore considérées comme des «petites matières»? Quelle place leur est réservée dans l’éducation à l’heure où la création artistique est pleinement reconnue comme terrain de débats (Saez, 2021)? L’art est effectivement un «phénomène à destination sociale» (Château, 2000, p. 7), il a le pouvoir de favoriser une réflexion élaborée (Millet, 2021) et, par ce fait, il peut permettre de prendre conscience d’enjeux spécifiques et de réfléchir à notre positionnement personnel et collectif vis-à-vis de ces enjeux. Dans ce sens, le nouveau Référentiel de compétences professionnelles québécois à l’intention du personnel enseignant prône justement la mission de l’école comme levier d’éducation des élèves à la vie en société et à l’exercice de leur rôle de citoyennes et de citoyens (Gouvernement du Québec, 2020).

Mais si, dans les documents officiels, les attentes envers l’éducation sont bien définies, la manière d’aborder les matières scolaires prenant en compte les nouveaux enjeux du présent et du futur (en l’occurrence dans les arts plastiques) n’est ni précisée ni toujours accessible pour l’ensemble du personnel enseignant. Par conséquent, l’enseignement des arts reste encore trop souvent confiné dans une approche formaliste et/ou folklorisée (Trudel et al., 2017), ou se trouve tout simplement réduit à une activité spontanée de «dessin libre» (Rickenmann, 2018). Nous pensons pour notre part que les arts sont un domaine tout à fait approprié pour sensibiliser les jeunes et développer chez eux des compétences à l’égard de l’environnement, de la conservation des fondements naturels de la vie et d’un avenir durable (Deslauriers, 2022; Morel et Fafard, 2023; Song, 2008). De ce fait, l’art permet de développer le «sens des responsabilités» personnelles et collectives qui représente, selon l’OCDE, une dimension incontournable des compétences transformatives (2018). À cet égard, la création artistique pour laquelle la cause environnementale est devenue un axe mobilisateur fort se présente comme une ressource privilégiée: les recherches en danse, par exemple, explorent le pouvoir de «transformation pro-environnementale», soit le processus «permettant aux individus de prendre conscience de leur capacité d’agir» (Clavel et Gonzalez, 2017, paragr. 30). En musique, on parle «d’écologie sonore», concept d’abord théorisé par Raymond Murray Schafer (2010), et développé dernièrement sous forme «d’éco-éducation musicale» (Bouchard-Valentine, 2018), ou «d’éducation à l’écoute» (Goday, 2022), situées à l’intersection des pratiques artistiques sonores avec l’ERE. Quant aux études en arts visuels, elles abordent la question environnementale dans plusieurs perspectives. La recherche anglophone, riche en exemples, propose diverses approches permettant le renversement des schémas anthropocentriques par la valorisation des liens émotionnels que les activités d’art peuvent offrir en croisant la création, l’appréciation et l’ERE (Bertling, 2015; Hollis, 1997; Song, 2008).

Au Québec, d’après la littérature consacrée à l’enseignement des arts plastiques, une des orientations de l’éco-éducation artistique privilégie l’appréciation d’oeuvres (Morel, 2013, 2022), tandis qu’une autre s’appuie sur la création artistique (Deslauriers, 2017, 2022; Guillard, 2022). En design, discipline qui relève du même champ esthétique, la recherche interroge la conception et l’exploitation de produits dans le respect du développement durable (Richard et Monvoisin, 2023). Pour ce qui est des programmes scolaires, ils recommandent d’arrimer l’éducation à la complexité des contextes sociaux – incluant les problématiques de l’environnement – et de préparer les jeunes à affronter de tels défis. Mais dans la réalité il semble qu’«un fossé profond reste à combler entre les volontés ministérielles et l’engagement sur le terrain» (Deslauriers, 2022, paragr. 18). Ce constat nous amène à réfléchir sur la nécessité d’actualiser la formation enseignante; à ce sujet, notre étude nous permet de mettre en évidence le flou vécu par le personnel enseignant et/ou le manque des ressources dont il a besoin pour mettre à jour ses pratiques. Nous pensons notamment qu’il est important d’approfondir les questionnements concernant un nouveau type de rapport au monde – tant sur le plan individuel que sur le plan collectif –, processus que Hartmut Rosa appelle «résonance» (2021). C’est dans ce contexte que nous avons été amenée à explorer dans la présente recherche les interférences des arts plastiques avec l’éducation relative à l’environnement (ERE), dans le but d’établir les besoins de formation professionnelle contribuant au développement de compétences spécifiques des personnes enseignantes en lien avec les enjeux environnementaux.

Pour ce faire, nous devions interroger les personnes enseignantes concernées au sujet de leurs perceptions des liens entre arts et ERE, qui contribuent à façonner la pratique et, par extension, à influencer le processus de développement des compétences chez les jeunes. Quel est donc leur vécu lié à l’art et l’ERE (expériences de formation et/ou pratiques d’enseignement)? Quelle est leur compréhension de ce type d’approche de l’ERE, et quels sont leurs points de vue quant aux effets de l’art sur la sensibilisation des jeunes aux problématiques environnementales?

Afin de mieux comprendre ces différents aspects, nous avons réalisé une recherche exploratoire de type qualitatif auprès d’un groupe de 14 personnes enseignantes du Québec spécialisées en arts plastiques, et intervenant – dans l’exercice de leurs fonctions – au primaire ou au secondaire.

Nous présentons ci-dessous, dans un premier temps, le cadre de référence sur lequel s’appuie notre recherche, l’approche méthodologique retenue ainsi que quelques limites de l’étude. Viennent ensuite les résultats et leur discussion, avant les conclusions, qui permettent de proposer de nouvelles pistes de travail.

2. Cadre de référence

2.1 Environnement et éducation

Les enjeux environnementaux, si l’on considère les menaces qui pèsent sur l’espèce humaine, mais aussi sur tout ce qui est vivant (Barbault, 2005; Lesourne, 2009; Ramade, 1999), sont aujourd’hui d’une importance primordiale dans la recherche en éducation. Cette préoccupation répond notamment aux orientations officielles au niveau mondial sur l’urgence de la prise de conscience de ces enjeux (GIEC, ONU, Planèt’ERE, UNESCO) et, bien que dans le nouveau Référentiel des compétences professionnelles du personnel enseignant (Gouvernement du Québec, 2020) la formation reliée à l’ERE ne fasse pas l’objet d’une compétence en tant que telle (Villemagne et Molina, 2021), la recherche insiste sur l’intégration des savoirs spécifiques en lien avec l’ERE dans la formation ainsi que dans l’exercice de la profession enseignante (Coquidé et al., 2010; Corres et al., 2020; Gayford, 2002; Girault et al., 2007; Lange et Victor, 2006; Pomares-Brandt et al., 2008).

Reconnus comme porteurs d’une dimension sociale, ces savoirs sont toutefois considérés comme étant à caractère «non stabilisé» (Pache et al., 2022), «fragiles» et «incertains» (Alpe et Barthes, 2013). Ils sont aussi associés à des savoirs «a-disciplinaires» (Lange, 2008), ou à des savoirs dits «chauds» (Chauvigné et Fabre, 2021; Simonneaux, 2003), qui résultent de faits d’expérience et comportent une certaine dose de relativité, étant toujours susceptibles de remise en question. Dans ces conditions, l’intégration de ces savoirs dans la formation enseignante implique la proposition d’un cadre offrant aux personnes apprenantes un parcours structuré dont l’ERE deviendrait, dans notre cas, un enjeu éducatif fort.

2.2 L’éco-éducation artistique

La formation à l’ERE dans l’enseignement des arts est un champ de recherche émergent au Québec qui se penche notamment sur la convergence entre les arts et les questions environnementales: nommé «éco-éducation artistique» (Morel et Fafard, 2023), ce mouvement tente de satisfaire aux exigences contemporaines d’une appréhension nouvelle des problématiques éco-environnementales fondée sur la responsabilité citoyenne. Faisant écho aux recherches anglophones (beaucoup plus avancées sur cette question, voir Bouchard-Valentine, 2017), et notamment à ce qu’Inwood appelle eco-art education (2008), l’éco-éducation artistique se définit comme un parcours d’apprentissage (passage d’un état de savoir à un autre [Mezirow, 2009]) de l’individu qui, à travers des expériences sensibles (de création ou d’appréciation), se prépare à «l’entrée en relation progressive avec les choses» (Rosa, 2022, p. 122). Un tel parcours représente un processus dynamique basé sur un vécu (positif et/ou négatif) et impliquant le fait de se laisser imprégner et transformer par celui-ci.

Ainsi, arrimée à la proposition de Mälkki et Green (2018), qui complètent les aspects rationnels et cognitifs de la théorie de l’apprentissage transformationnel de Mezirow (1991, 2009) par des dimensions émotionnelles et sociales dans l’apprentissage, l’éco-éducation artistique prévoit un contact spécifique avec l’art qui, faisant appel à la perception, aux sentiments et à l’imagination, offre un espace de parfait équilibre entre les modes d’intelligence perceptif/syncrétique et logique/analytique (Savoie, 2015).

Le processus d’éco-éducation artistique repose, selon la conceptualisation retenue pour la présente recherche, sur la notion de «résonance» (Rosa, 2021), qui permet de prendre conscience d’un enjeu spécifique et de réfléchir à notre positionnement personnel et collectif vis-à-vis de cet enjeu. Intégré à la pratique enseignante, ce concept peut aider à revoir le rôle des arts plastiques à l’école afin de répondre aux exigences actuelles de formation citoyenne.

2.3 La résonance, ou l’art de développer des expériences transformatives

Afin de dégager des éléments qui permettent d’arrimer l’éco-éducation artistique à la «pédagogie de la résonance» (Rosa, 2022), et de lui donner des contours conceptuels plus précis, nous pensons notamment à éviter ce que Rosa appelle des expériences scolaires «aliénantes» (caractérisées par la rigidité, l’indifférence, le mutisme), qui empêchent l’établissement de liens fondés sur la résonance, cette dernière étant vue comme un processus de transformation en matière de rapport à soi, à l’autre, à la culture ou à l’environnement. Nous nous référons également à des tournures métaphoriques telles que «s’enflammer», «s’emmétamorphoser», «toucher l’esprit», «allumer l’étincelle», utilisées par Rosa pour dépeindre une pédagogie de la résonance permettant à l’adulte d’amener la classe à «vibrer» (Rosa, 2022).

En effet, dans les démarches liées à l’ERE, la place du sensible est devenue essentielle (Schneller et al., 2021): se contenter de promouvoir de «bons comportements» et des gestes «écocitoyens» dans une approche «naturaliste» et/ou «normative» sans solliciter la dimension sensible peut créer un type d’expérience «aliénante», voire donner lieu à des interprétations moralisatrices, qui provoquent des réactions opposées au message émis (Monnot et Reniou, 2013).

C’est ce que cherche à éviter l’éco-éducation artistique, que nous assimilons à une écologie de la sensation:

Il ne s’agit pas d’une connaissance formelle, institutionnelle, transmissible hors du contexte de son application pratique. Au contraire, cette connaissance s’appuie sur une façon de sentir qui est constituée par les capacités, les sensibilités et les orientations qui se développent à travers une longue expérience de vie dans un environnement particulier.

Ingold, 2012, paragr. 34

De ce fait, à travers les expériences sensibles qu’elle engendre, l’éco-éducation artistique comporte un pouvoir transformateur. C’est-à-dire qu’en menant le public apprenant à vivre des moments forts, à se trouver dans un état de résonance – état dont les indicateurs comportementaux peuvent être, d’après Rosa (2022), le rire, les larmes, la chair de poule, et qui témoigne d’une relation d’exception à l’autre et à la matière enseignée –, elle influence notre compréhension des enjeux planétaires. Elle oriente ainsi nos attitudes et améliore notre connaissance des conséquences environnementales des actions humaines.

Par ailleurs, vivre une expérience sensible rejoint parfaitement, à nos yeux, le processus de développement des compétences transformatives (Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2028), qui sont censées «armer les élèves à agir de manière radicalement différente pour résoudre les problèmes complexes générés par l’état d’urgence du monde qui leur sera livré une fois entrés dans la vie active» (Joliat et Terrien, 2021, paragr. 7). Or, une expérience sensible devient transformative à partir du moment où elle installe une forme spécifique de rapport au monde qui «n’est plus déterminé par une posture de maîtrise, de contrôle et d’emprise, mais par une relation d’écoute et de réponse», autrement dit par une «relation responsive» (Rosa, 2022, p. 36). Dès lors, dans le contexte de l’éco-éducation artistique, valoriser la sensibilité de l’élève et le guider vers une meilleure prise en compte de la dimension sensorielle de son expérience est justement ce que l’on peut appeler une manière d’apprendre «en résonance».

Opérationnaliser l’éco-éducation artistique dans le contexte de l’école passe par la formation du personnel enseignant qui, en tant qu’agent multiplicateur (voire agent de changement, Thompson et al., 2006) sert de maillon indispensable dans le processus de transfert, d’implantation et de promotion de cet apprentissage transformateur. À ce titre, documenter les récits des personnes enseignantes quant à leurs expériences de formation, de socialisation et de pratique nous semble une première piste à explorer, car cela touche à des «connaissances ouvragées» construites et développées pour le travail et par le travail (Vause, 2009), associées à l’idée de changement/transformation.

3. Éléments méthodologiques

3.1 Collecte de données

Pour rendre compte du regard des personnes participantes sur l’éco-éducation artistique à la lumière de leurs points de vue, de leurs savoirs et/ou de leurs vécus liés à notre objet d’étude, nous avons mis en oeuvre une méthode de collecte de données en deux temps.

Tout d’abord, nous avons proposé au personnel enseignant spécialisé en arts plastiques un sondage sous forme de questionnaire écrit. L’invitation a été lancée début 2023 par voie électronique, via la lettre d’information de l’AQESAP (Association québécoise des enseignantes et enseignants spécialistes en arts plastiques), et s’adressait aux membres de l’association souhaitant participer à notre étude sur une base volontaire (n = 14). Le questionnaire à réponses anonymes, déposé sur Forms Office, comprenait deux sections: la première concernait les arts plastiques et leur relation à l’éducation (cinq questions ouvertes); la seconde visait les problématiques environnementales et leur intégration dans l’enseignement des arts (une question à choix multiples avec sept possibilités de réponse, et une question à développement).

Dans un second temps, par souci de respecter le principe de saturation de l’information, nous avons réalisé ce que Van der Maren (2004) appelle «la constitution d’un échantillonnage raisonné en fonction du problème de recherche» (p. 381). Pour ce faire, nous avons procédé à des entretiens semi-directifs, réalisés auprès des personnes ayant répondu au questionnaire et qui avaient consenti à être contactées ultérieurement (n = 5). Ces entretiens avaient comme objectif l’explicitation des réponses données précédemment par écrit, ainsi que leur approfondissement quant aux points de vue que les personnes participantes émettaient au sujet de notre objectif de recherche.

Les cinq entrevues ont été réalisées en mode distanciel et ont duré – selon les cas – de 38 à 62 minutes. Les personnes participantes ont également accepté (voire proposé, en réponse à notre lettre de remerciement) de poursuivre, au besoin, la discussion par courriel et/ou lors d’une nouvelle rencontre (n = 3). Nous avons profité de cette ouverture pour recontacter deux personnes (par courriel, une fois chacune), ainsi que pour communiquer à nouveau par Teams, pendant 15 minutes supplémentaires, avec une troisième personne participant à notre recherche.

3.2 Public participant

À la date de réponse au questionnaire, les 14 personnes participantes étaient toutes membres de l’AQESAP et occupaient un poste d’enseignement spécialisé en arts plastiques dans des écoles secondaires du Québec (statut qui exige une formation dans le domaine des arts). L’ancienneté dans l’enseignement variait entre 4 et 18 ans.

Les personnes enseignantes ayant accepté de nous accorder un entretien nous ont permis de compléter les données sociodémographiques de notre échantillon et de présenter un portrait plus précis des membres d’une même branche professionnelle exerçant au sein d’établissements et dans des contextes similaires. Il s’agit de spécialistes en arts plastiques au secondaire, dont quatre exerçaient au secondaire (trois femmes et un homme), et une (femme) au secondaire et au primaire. Par souci de préserver leur anonymat, nous leur avons attribué un code, soit les initiales PE, pour «personne enseignante», suivie d’un numéro allant de 1 à 5. Un aperçu de leurs parcours de formation montre que quatre personnes ont terminé leur formation au premier cycle au Québec (trois en arts visuels, et une en enseignement au préscolaire et primaire, études qu’elle a complétées avec un certificat en arts plastiques et un certificat en arts graphiques), et qu’une autre a suivi une formation en arts appliqués (option design de mode) en France.

Ces caractéristiques professionnelles et l’expérience des personnes participantes au regard des éléments que nous souhaitions étudier nous permettent de considérer les données recueillies comme suffisamment représentatives de la population cible de la recherche.

3.3 Traitement des données

Sans rendre compte de l’ensemble des contenus de réponses au questionnaire et des verbatim, nous traiterons ici plus spécifiquement des données en lien avec l’éco-éducation artistique à la lumière des expériences antérieures (formation et/ou pratiques d’enseignement), ainsi que des savoirs et/ou points de vue des personnes participantes quant à la place des arts plastiques dans le processus de sensibilisation des jeunes aux enjeux environnementaux.

Nous avons soumis les données collectées à une analyse thématique, méthode validée dans la recherche exploratoire (Van der Maren, 2004). Le codage de l’information récoltée (transformation des données en unités d’exploitation), suivi d’une procédure de découpage (repérage des significations), nous a permis d’établir une grille d’analyse de type émergent. Nous avons ensuite mis les données issues de ce tamisage en relation avec les catégories définies par notre cadre de référence, ce qui nous permet de formuler et présenter dans ce qui suit les résultats principaux de la recherche.

3.4 Quelques limites de l’étude

Cette recherche, bien que modeste par le nombre de personnes participantes, est une documentation inédite de la place qu’occupe l’éco-éducation artistique dans les pratiques des spécialistes en arts plastiques au Québec. En mettant l’accent sur une composante de l’éducation qui rejoint la «pensée écologisée» d’Edgard Morin (Trespeuch-Berthelot, 2023), elle plaide pour une meilleure prise en compte des arrimages à construire dans l’enseignement des arts avec les enjeux environnementaux. Nous visions ainsi à permettre une prise de conscience globale de ces enjeux, aspect qui est, à nos yeux, essentiel pour l’éducation relative à l’environnement des jeunes.

Cependant, nous sommes consciente que l’échantillon avec lequel nous avons travaillé est un groupe privilégié par rapport au corps enseignant du pays, car, d’une part, ces personnes ont bénéficié d’une formation ciblée en enseignement des arts visuels et, d’autre part, elles font partie de l’AQESAP, ce qui implique un développement professionnel soutenu.

Nous pensons également que l’interférence de la désirabilité sociale, ce «parasite qui restreint la certitude» des résultats obtenus (Van der Maren, 2004, p. 221), est une variable impossible à contrôler/éliminer lors d’une étude avec des êtres humains, et que celle-ci a certainement influencé le processus de la présente recherche.

Enfin, l’hétérogénéité du public participant à notre recherche (soit le parcours de formation et de pratique ainsi que l’ancienneté dans le poste) joue sans doute un rôle non négligeable; il y aurait donc intérêt à différencier les personnes participantes en regard de ces critères. En tout état de cause, une analyse en profondeur mériterait d’être menée, ce qui constituerait à notre avis un champ de recherche fructueux.

4. Résultats

4.1 Thème 1: arts plastiques et questions environnementales

À la suite de leur formation et de leur pratique enseignante, l’ensemble des 14 personnes participantes s’accordent sur le fait que l’art contribue de manière significative et de diverses façons au développement de l’individu. La dimension cognitive, citée à 13 reprises (savoirs essentiels, techniques artistiques, gestes plastiques, compétences disciplinaires) est systématiquement associée à la culture et/ou aux repères culturels, à la créativité et à l’esprit créatif.

Les informations complémentaires recueillies auprès des personnes qui nous ont accordé des entrevues montrent qu’elles s’alignent pleinement sur cette posture. Par exemple, PE-1 est d’avis que: [la fonction de l’art s’exprime par] son apport en tant qu’objet structurant et d’identité dans nos sociétés et cultures, en précisant aussi que sa conception de l’enseignement est plutôt de le voir comme un processus: oui, on aborde différentes techniques et vocabulaire rattachés à la discipline, mais pour moi l’important n’est pas le résultat final. Pour PE-4, une des premières préoccupations semble être la place des arts plastiques à l’école: les arts plastiques ne sont pas un temps de divertissement pour prendre une pause entre deux disciplines «importantes» comme les maths et le français; elle précise ensuite: je propose des problèmes à résoudre, je veux dire des problèmes plastiques dans un cadre que j’appelle «liberté organisée» pour que la classe s’implique dans un travail de réflexion, de recherche, avant d’élaborer son oeuvre.

Les réponses à la question visant la relation entre les arts plastiques et les autres éléments du Programme de formation de l’école québécoise (Gouvernement du Québec, 2006, secondaire cycle 1, p. 401), notamment les domaines généraux de formation (DGF, qui sont au nombre de cinq, voir Gouvernement du Québec, 2006), révèlent que les personnes participantes sont généralement attentives à cette recommandation ministérielle et l’intègrent dans leur pratique. Parmi les cinq DGF, le domaine «Environnement et consommation», soit celui qui nous intéresse ici, occupe une place privilégiée: six réponses explicites citent ce DGF seul ou associé à un autre DGF, auxquelles s’ajoutent cinq autres réponses qui visent l’ensemble des DGF (par exemple: Les arts se prêtent à tous les domaines généraux de formation; Les activités pédagogiques en arts devraient généralement être associées à un DGF).

Deux personnes participantes rapportent, quant à elles, que cet aspect n’est pas une priorité dans leur pratique.

Je vais être honnête, les domaines [généraux de formation] sont loin loin loin dans ma tête et dans le contexte scolaire, seules les C1 et C2 comptent.

Insuffisant, je présente des artistes émergents, mais je manque de temps pour constamment être à jour.

Les compléments d’information issus des entretiens ajoutent à ces données des propos qui confirment l’intérêt des personnes participantes relativement aux interactions des arts avec les domaines généraux de formation:

[A]bsolument! l’art peut les aider à comprendre le monde dans lequel ils vivent […] apprécier une oeuvre de land art permet de réfléchir à l’impact de nos activités sur terre.

EP-2

Plusieurs thèmes ou notions énoncés dans le cadre des DGF sont signifiants et d’actualité… j’explique toujours aux élèves qu’en bout de ligne – après les gouvernements – c’est aux artistes qu’on fait appel pour faire changer les choses.

EP-3

Nous nous sommes également intéressée aux connaissances liées aux enjeux environnementaux, en proposant aux personnes participantes une liste de termes qui devait nous indiquer si ces derniers leur sont familiers et/ou si ces sujets sont abordés en classe (que ce soit dans la création ou dans l’appréciation). Les données obtenues montrent que la pollution (eau, air, terre) et la surconsommation sont présentes dans 100 % des réponses (14 personnes connaissent les sujets et 13 personnes les abordent dans leurs classes). La notion d’écocitoyenneté est familière à 13 personnes participantes, et dans 7 cas celle-ci se retrouve dans les contenus enseignés (l’art contribue, sans aucun doute, à l’écocitoyenneté).

La notion de transition énergétique est connue par neuf personnes, mais une seulement propose des activités autour de cette question. Enfin, neuf réponses confirment la connaissance de l’enjeu de décroissance économique, mais la notion n’est pas abordée en classe.

Quant à la provenance des savoirs en lien avec les problématiques environnementales et/ou avec le maillage «art et environnement», les réponses obtenues montrent l’hétérogénéité des sources (mon conjoint; mes collègues; intérêt personnel). Pour ce qui est des interviewées, il apparaît que, d’une part, ce sujet est abordé – bien que de manière sporadique – dans les activités de formation artistique: pas de place avérée [dans ma formation universitaire], mais les matériaux que j’avais utilisés dans un projet d’atelier – colorant naturels, végétaux – peuvent sensibiliser les élèves à l’écologie (PE-4), et, d’autre part, qu’il est souvent présent dans l’actualité quotidienne: si je m’intéresse… [à l’environnement] euh… oui, mais je n’ai pas vraiment de connaissances théoriquesnous sommes constamment interpellés en tant que première génération à vivre les effets de la surconsommation (PE-1). Si ces expériences suscitent bien chez les personnes participantes une réflexion sur la place de cette thématique dans l’éducation, le parcours de formation à l’enseignement (ex.: cours de didactique et/ou de fondements de l’éducation) n’a pas été mentionné comme source de savoir à ce sujet.

4.2 Thème 2: à propos des effets de l’art 

Un autre aspect qui nous intéresse, en plus des connaissances et des expériences des personnes participantes, concerne leurs perceptions sur «ce que l’art fait à l’école» (Kerlan et Langar, 2016). Nous les avons ainsi invitées à nous faire part de leurs opinions et/ou de leurs hypothèses sur l’effet de leurs activités sur les élèves, et notamment en lien avec l’art contemporain (paradigme dans lequel s’inscrit l’art socialement engagé, dont l’art écologique).

S’agissant des activités qui touchent à des enjeux environnementaux, nous avons invité les personnes participantes à nous faire part des «coups de coeur» de leur pratique en classe et ce, afin de savoir comment certains éléments sont exploités in situ, dans le but de déceler l’approche enseignante à ce sujet. Nous avons reçu cinq réponses écrites (dont deux ont été ultérieurement complétées lors de l’entrevue semi-dirigée) et un témoignage lors de l’entrevue avec une autre personne (qui n’avait pas répondu à cette question par écrit), ce qui fait un total de 6/14 récits. Les personnes qui ont répondu mettent en avant la prise de conscience des conséquences environnementales de l’activité humaine: Faire de l’art au-delà du «beau». Amener les élèves à se positionner, à réfléchir me semble primordial. Certains récits parlent spécifiquement de la surconsommation, par exemple du [t]ravail de création: confection de chandails papier, grandeur nature avec illustration représentant les désastres de la Fast fashion, ou Projet recycl’art, ou encore Activité interdisciplinaire art et histoire, réflexion sur l’archéologie du futur […] l’accumulation des objets de consommation dans les sites d’enfouissement. Qu’est-ce que les objets racontent sur nos modes de vies? Quelles traces laissons-nous sur la planète? Un autre témoignage aborde le thème du vivant: Cohabitation entre espèces en milieu urbain, appréciation de l’oeuvre des artistes qui touchent à ce thème, interrogation sur leur posture et le message écologique que leur oeuvre veut transmettre.

Les données obtenues complètent le tableau par la mention d’une approche plus générale de la personne enseignante quant aux liens entre l’art et la société:

J’aime les amener à réfléchir sur des enjeux sociaux, à mieux les comprendre et ensuite leur permettre de développer leur opinion. Construire et développer leur esprit critique. Par exemple, je fais régulièrement un projet avec les secondaires 2 dans lequel ils doivent exprimer une idée […]. Tout ce projet s’oriente à partir d’enjeux sociaux d’actualité qui les touchent.

EP-5

Une posture similaire est rapportée dans une autre réponse: Je tiens à déconstruire la prédisposition de certains à tout rattacher à Picasso ou Léonard de Vinci. Je leur présente des oeuvres engagées, dénonciatrices, visionnaires et urbaines.

Dans la même série de réponses, la dimension affective de la discipline est mentionnée par une personne participante ([l’essentiel est] le soi et ses émotions), à quoi s’ajoutent cinq autres réponses où le ressenti est combiné avec d’autres aspects de l’enseignement. Toutefois, les témoignages recueillis lors de l’entretien montrent qu’apparemment l’approche sensible n’est pas toujours une priorité dans le contexte des apprentissages, ainsi que le confirment les réponses obtenues lorsque nous avons tenté de diriger l’entrevue vers cette question:

L’émotion? euh… je n’avais pas vraiment visé les émotions… je pose des questions qui demandent plutôt la réflexion, mais c’est vrai qu’on pourrait faire quelque chose de ce côté.

PE-5

Oui, le ressenti est important, oui… avant je ne voyais pas les choses comme ça, mais puisque tu m’en parles, oui, ce serait intéressant de l’explorer.

PE-4

Le reste des personnes interviewées va dans le même sens (pas suffisamment, partiellement).

5. Discussion et conclusion

Cette section présente l’interprétation finale des données et les conclusions issues de ce travail. Afin de situer les résultats obtenus en rapport avec les questions de recherche, rappelons les grandes thématiques qui émergent de notre étude: il s’agit, premièrement, des expériences et/ou savoirs de personnes enseignantes ayant porté leur regard sur la place de l’art dans la sensibilisation des jeunes aux problématiques environnementales et, deuxièmement, des indices nous permettant, à partir de cet état des lieux, d’émettre des hypothèses quant à la structure possible d’un dispositif institutionnalisé de formation à l’éco-éducation artistique.

5.1 Le trio art-société-environnement

À la lumière des données obtenues, nous constatons que, au-delà du consensus sur la transmission des savoirs disciplinaires, considérée comme un incontournable à l’enseignement de toute matière scolaire (Hasni et Baillat, 2011; Laroui, 2012; Torregrosa, 2023), les personnes participantes à notre recherche développent également une ouverture notable quant à la fonction sociale de l’art (Ardenne, 2019; Château, 2000; Lapalu, 2020; Ramade, 2015; Verger, 1991) ainsi qu’aux opportunités qu’il offre à l’éducation (Curtis et al., 2014; Deslauriers, 2022; Morel et Fafard, 2023). Comme nous l’avons vu, ce public dans son ensemble est à jour concernant diverses facettes de la problématique environnementale (et, d’après les propos recueillis, certains sujets sont abordés en classe: surconsommation, pollution, écocitoyenneté), bien que la source de ces savoirs ne soit pas toujours (ou pas du tout) la formation reçue dans le cadre des études.

Dans le même registre, la possibilité d’infuser des savoirs environnementaux dans le cours d’arts plastiques (et/ou d’aborder l’ERE dans une formule transversale) a été perçue par certaines personnes comme source de difficultés possibles parce que seules les C1 [compétence 1] et C2 [compétence 2] comptent ou parce que je manque de temps.

Bien que ces réactions puissent donner l’impression que croiser art et ERE serait considéré comme un geste professionnel accessoire à l’enseignement des contenus disciplinaires, nous nous demandons toutefois si, dans le premier cas, il ne s’agirait pas de tensions qui existent entre les «éducations à…» et leur intégration dans les disciplines scolaires (Lebrun et al., 2019). Quant au «manque de temps», argument trop souvent entendu dans l’enseignement des arts, nous sommes d’avis – comme le souligne Rickenmann (2018) – qu’il est plutôt question ici d’un intérêt «qui n’est pas nié par les enseignants mais dont la prise en compte tendrait à faire augmenter les besoins en temps d’enseignement pour des disciplines dont la charge horaire est déjà réduite à une portion congrue du temps scolaire» (p. 60). Ce fait conduit les pratiques éducatives «[à] se réajuster, un arrimage qui appelle une forme de responsabilisation professionnelle, éthique et sociale» (Deslauriers, 2022, paragr. 10). Si nous voulons que l’éco-éducation artistique s’inscrive au coeur de sa pratique, «légitimer» la formation à l’ERE dans le parcours universitaire du personnel enseignant en arts plastiques semble un impératif.

5.2 L’art comme lieu d’expériences transformatives

La documentation de récits d’expériences concernant cette question montre que la grande majorité des personnes participantes considère les activités en arts plastiques comme un levier de développement de la pensée (esprit critique, problèmes à résoudre, réflexion, recherche  questionnement) et ce, par rapport à l’art (l’art actuel en contraste avec […] l’art […] «scolaire». Faire de l’art au-delà du «beau», déconstruire la prédisposition de certains à tout rattacher à Picasso ou Léonard de Vinci), aux divers sujets de société (fonction sociale de l’art, comprendre le monde dans lequel ils vivent, l’impact de nos activités sur terre) ainsi qu’aux impératifs de changement ([l’art pour] faire changer les choses, [l’art aide à] quitter les idées reçues, à ouvrir [leur] esprit, à déconstruire leurs prédispositions… [à comprendre qu’] ils sont des acteurs de changements).

Il en va de même pour la question du rôle de l’art dans la cause environnementale, dont divers aspects font partie des intérêts des personnes participantes; 6/14 récits en témoignent: les activités en atelier visent ainsi à dénoncer l’impact de l’industrie du vêtement, de l’accumulation des déchets et de la surconsommation, ainsi qu’à s’interroger sur le vivant et sur la cohabitation des espèces.

Les résultats obtenus abondent ainsi dans le sens de l’opinion de Winner et al. (2013) pour qui 

l’art permet avant tout aux enfants de découvrir une manière de comprendre le monde qui est bien différente de celle proposée par la science et les autres matières théoriques. Parce que l’art est un domaine où il n’existe ni bonne ni mauvaise réponse, il offre aux élèves la possibilité de faire leurs propres découvertes et expériences. Il favorise aussi l’introspection et peut permettre de trouver un sens à sa vie.

p. 26

Toutefois, si les données permettent d’affirmer que les personnes participantes se placent à l’opposé à ce que Beuys appelle une «conception cosmétique de l’art» (Moeglin-Delcroix, 2012, paragr. 10), conduisant à des pratiques que l’on rencontre très souvent en contexte scolaire (par exemple, des projets visant l’utilisation de matières recyclées pour réaliser des créations sur divers sujets qui sont sans lien avec l’idée environnementale ni réflexion sur un quelconque problème écologique), pouvons-nous pour autant affirmer que les expériences artistiques proposées sont des expériences transformatives? (Clavel et Gonzalez, 2017). Est-il suffisant d’aborder en enseignement de l’art les questions de société de façon réflexive, logique et cognitive?

Les écrits montrent que les arts et la création – par le fait qu’ils évitent d’exercer une pression moralisatrice, culpabilisatrice et/ou alarmiste sur le public spectateur (Lafitte, 2017) – seraient un champ propice pour aborder les enjeux de l’environnement.

D’autre part, rencontrer une oeuvre, c’est vivre un événement cognitif mais aussi affectif (Chabanne et al., 2012), c’est-à-dire établir une relation au savoir qui implique l’émotion, l’émerveillement, ainsi qu’une relation au monde qui s’accompagne d’une «désaliénation» (Rosa, 2021).

De même, Kaisu Mälkki et Larry Green (2018) insistent-ils sur le lien existant entre le processus d’apprentissage transformateur et la dimension affective, soulignant que cognitions et émotions sont étroitement entrelacées dans la réflexion et occupent une place essentielle dans ce type de démarche.

Or, nous avons constaté que, parmi les réponses obtenues, seulement six personnes participantes mentionnent cette dimension et ce, de manière très succincte (le soi et ses émotions, le ressenti), et que les personnes interviewées, bien qu’elles s’accordent sur l’importance de l’émotion, estiment – au moment du sondage – que leur pratique ne vise pas la composante affective de l’enseignement des arts.

À cet égard, l’étude montre que l’approche sensible, en tant que dimension essentielle de la résonance et état permettant à l’individu de vivre une expérience transformative, reste manifestement une piste à explorer.

5.3 En guise de conclusion: vers un dispositif d’éco-éducation artistique à visée transformative

Une des trois compétences transformatives mentionnées dans les documents de l’OCDE (2018) prévoit que lors de sa scolarité la personne apprenante devrait acquérir «le sens des responsabilités» (p. 8). Il est ici question de la capacité de l’individu à réfléchir et à évaluer ses propres actions à la lumière de son expérience et de son éducation, en tenant compte des différents aspects personnels, éthiques et sociétaux. Développer une telle capacité à une époque de multiplication de problèmes sociétaux complexes, dont les défis d’ordre environnemental (OCDE, 2018), peut s’appuyer, d’après nous, sur l’établissement d’un dispositif d’«éco-éducation artistique» en mesure d’offrir au personnel enseignant une formation adéquate à cet égard.

Mais quelle est la place réelle de l’éducation relative à l’environnement (soit la place du «sens des responsabilités») dans l’enseignement des arts plastiques?

Il apparaît que les personnes participantes sensibilisent déjà les jeunes aux enjeux environnementaux, mais que cette motivation trouve son origine dans la socialisation (mon conjoint, mes collègues) et/ou l’autoformation (intérêt personnel/sources diverses); bien que cela puisse ouvrir des perspectives pour la mobilisation d’apprentissages, informelle ou non formelle (Bélisle, 2012), dans l’éco-éducation artistique, il n’en reste pas moins que la formation professionnelle intentionnalisée n’inclut que peu, ou pas du tout, cet aspect. Cette réalité nous rappelle qu’il existe un écart entre les ambitions éducatives des programmes de formation de l’école québécoise et le cursus universitaire des personnes enseignantes. En l’occurrence, ces dernières ne se sentent pas suffisamment outillées pour créer des liens entre le cours d’arts plastiques et l’ERE (Morel, 2022).

Pour ce qui est de la dimension sensible des enseignements, le fait qu’elle se trouve peu exploitée par les personnes participantes (l’émotion? euh…, pas suffisamment, partiellement) laisse penser que cet aspect ne fait pas toujours partie de la réflexion enseignante. Pourtant, le domaine artistique, qui implique naturellement une connexion à la faculté affective, émotionnelle et empathique de l’individu, peut lui offrir d’excellentes occasions de s’approprier une manière plus «résonante» d’être-dans-le-monde (Rosa, 2021).

Notre étude montre donc que, faute d’un dispositif structuré (et structurant) d’éco-éducation artistique, les personnes enseignantes s’appuient plutôt sur des «connaissances artisanales», ou connaissances ouvragées, activité à caractère autoformatif qui se fait principalement en solo et dont les résultats peuvent, dans certaines situations, s’avérer «obsolètes» (Vause, 2009).

Par conséquent, proposer un parcours de formation qui permettrait au personnel enseignant en arts plastiques de s’approprier les fondements de l’ERE en lien avec les pratiques artistiques est devenu une nécessité pour la mise à jour de ses connaissances professionnelles. Il s’agit de combiner des éléments de sensibilisation environnementale et de pratiques artistiques pour aider la personne en formation à comprendre et exprimer les enjeux écologiques à travers l’art, processus dont la finalité sera de construire et/ou développer son répertoire didactique (Maldonado, 2021).

Nous pensons également que ce type de dispositif devrait être attaché au concept de pédagogie actualisante, soit «un projet en devenir, appelé à se transformer et à s’enrichir au fur et à mesure de son intégration dans les activités de formation […]» (Landry, 2002, p. 11), qui devrait offrir, à nos yeux, un cheminement décrit par la même autrice comme «suffisamment ouvert pour accueillir les développements futurs, le questionnement et les remises en question contribuant précisément à faire progresser le concept» (p. 11).