Résumés
Résumé
Comment faire coexister pédagogie, recherche, partage de la science à visée émancipatrice? C’est l’expérimentation du spectacle-recherche (SR), un outil de production artistique collective pour participer à la communication de résultats de recherche. S’il est utilisé comme dispositif pédagogique pour mobiliser les concepts abordés dans le master Bien-être dans les organisations, peut-il aussi être considéré comme un outil de développement de compétences des tuteurs et tutrices? Car eux aussi interrogent la notion de SR, se mettent en scène et mobilisent des compétences psychosociales et transformatives. Nous interrogeons leur perception des compétences de créativité, de communication et de collaboration possiblement développées dans cet exercice, de la transposabilité de ces compétences et de la capacité de médiation offerte par ce dispositif pédagogique en cherchant à identifier des tendances.
Mots-clés :
- spectacle-recherche,
- compétences psychosociales,
- compétences transformatives,
- innovation pédagogique,
- enseignement par la forme artistique
Abstract
How can education, research and research dissemination with a view to emancipation coexist? This question underpins the experiment behind spectacle-recherche (SR), a tool for collective artistic production designed to help disseminate research results. Could it serve not only as a pedagogical mechanism for conveying the concepts taught in the Master's degree Bien-être dans les organisation, but also as a tool for developing tutors’ skills? After all, turos also engage with the concept of research dissemination through performance, put on a performance, and utilise psychosocial and transformative skills. To address this question, we asked the tutors about their perceptions of the creative, communicative, and collaborative skills they might have developed through this exercise, the transferability of these skills, and the potential for mediation offered by this course.
Keywords:
- performance to disseminate research findings,
- psychosocial skills,
- transformative skills,
- pedagogical innovation,
- teaching through the art form
Resumen
¿Cómo hacer coexistir pedagogía, investigación y la divulgación de la ciencia con una finalidad emancipadora? Esta es la experimentación del Espectáculo-Investigación (SR), una herramienta de producción artística colectiva diseñada para contribuir a la comunicación de resultados de investigación.Si bien se utiliza como un dispositivo pedagógico para movilizar los conceptos abordados en el máster Bienestar en las organizaciones, ¿podría también considerarse una herramienta para el desarrollo de competencias en los tutores y tutoras? Pues ellos también reflexionan sobre la noción de SR, se ponen en escena y ponen en práctica competencias psicosociales y transformadoras. Cuestionamos su percepción sobre las competencias de creatividad, comunicación y colaboración que podrían desarrollarse en este ejercicio, su aplicabilidad en otros contextos y la capacidad de mediación que ofrece este dispositivo pedagógico, con el objetivo de identificar posibles tendencias.
Palabras clave:
- espectáculo-investigación,
- competencias psicosociales,
- competencias transformadoras,
- innovación educativa,
- enseñanza a través del arteia
Corps de l’article
1. Introduction
Les travaux qui s’appuient sur les recherches relatives au fonctionnement du cerveau (Damasio, 2010; Mikolajczak et al., 2023) rendent caduque la dualité entre raison et émotions mise en avant par Goodman (1976). Le rôle de l’expression et de la perception des émotions dans les mécanismes de raisonnement ne se limite pas seulement à celui d’éléments perturbateurs: Hogan (2011) propose qu’elles ont un rôle motivationnel qui contribue à nos décisions futures. Comme le montrent les travaux de Lukács (1981), il est réducteur de penser que l’art est politiquement subversif par sa forme. Sa contribution à la délibération collective ne se borne pas aux thèses portées par les oeuvres: il transforme les spectateurs et spectatrices en sujets sensibles qui pensent le monde, qui prennent une distance réflexive avec leurs pensées par la construction d’un espace de production symbolique. Il établit une relation aux récepteurs et réceptrices, les spectateurs et spectatrices, qui font vivre eux-mêmes ces contenus à l’aune de leur culture, de leurs affects et de leurs émotions dans une perspective originale: Wiame (2015, p. 24) décrit des spectacles «mettant au coeur de leurs dispositifs l’expérience des spectateurs [comme] une construction en train de se faire – mouvante mais fragile». Pour Barthes (1963) – au sujet de l’écriture dont on propose que l’on peut l’élargir à toute forme artistique –, «[écrire], c’est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l’écrivain, par un dernier suspense, s’abstient de répondre. La réponse c’est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté […]» (p. 29). Selon Eco (1965), c’est le propre des oeuvres ouvertes. L’art est une invitation. C’est la question du partage des savoirs autant que la notion de savoir sensible (Rancière, 1995) qui est en jeu, celle d’un partage du sensible, ce qui ne signifie pas partager les mêmes émotions, mais mettre à l’épreuve les paroles et les affects à l’aune d’un sensible, ce faisant interrogeant les manières de comprendre le monde.
Nous présentons dans cet article le spectacle-recherche (SR), un dispositif multi-usage visant à articuler art et recherche (Mabilon-Bonfils et Lecorre, 2023). Plus précisément, nous nous intéressons à l’instrumentation qui est faite du SR dans le master Bien-être dans les organisations (BEO) de CY Cergy Paris Université comme dispositif pédagogique innovant. Celui-ci vise à l’appropriation et la mobilisation de connaissances scientifiques par un enseignement mettant en oeuvre une forme artistique, et aux possibles effets formatifs du SR sur les tuteurs et tutrices, qui accompagnent les étudiants et étudiantes dans la conception de leur chef-d’oeuvre, alors qu’ils co-conçoivent leur propre spectacle. Ce dispositif pédagogique conçu pour mobiliser les concepts abordés dans le master BEO peut-il aussi être considéré comme un outil de développement de compétences psychosociales et transformatives des tuteurs et tutrices? Pour explorer cette potentialité, nous interrogeons les perceptions des tuteurs et tutrices à deux reprises, peu après le SR et un an plus tard.
2. Le spectacle-recherche: taxinomie et usages
Le SR (Mabilon-Bonfils et Lecorre, 2023), interface entre recherche et art, est un dispositif de mise en relation de l’art et de la science dans l’objectif de dépasser la dualité entre l’objectivité froide et l’imaginaire créatif (Goodman, 1976) dans la diffusion des connaissances, pour partager le savoir autrement et présenter des résultats de recherche à l’aide d’un dispositif spécifique et inédit. Il s’appuie sur la mobilisation d’une forme artistique (théâtre, BD, chanson, vidéo, roman, humour, danse, photographie, etc.) pour communiquer des résultats issus de la recherche. Des chercheurs et des chercheuses, voulant acculturer-sensibiliser autrement un public donné, l’ont initialement pensé comme une modalité alternative de diffusion de la science. Ils l’ont ensuite détourné de sa fonction originale pour en faire, d’une part, un outil pédagogique grâce auquel des étudiants et des étudiantes ont à créer un SR dans un domaine de savoir qu’ils ne maîtrisent pas et, d’autre part, un dispositif de recherche.
2.1 Une modalité alternative de partage de la science
La structure conceptuelle du protocole de recherche s’articule autour du concept théorique de savoir-relation (Mabilon-Bonfils et al., 2024), qui sert de fondement à un cadre interprétatif global pour éclairer les modes et les formes d’implication des acteurs et actrices potentiellement engagés au coeur des dispositifs. La démarche originale est fondée sur deux leviers:
-
conceptualiser la notion de savoir-relation (Mabilon-Bonfils et al., 2024),
-
concevoir des cercles d’intéressement (Akrich et al., 1988) avec les professionnels et professionnelles et plus largement tous ceux et celles qui sont concernés (Schemeil, 2012).
«Le terme de savoir-relation désigne en la relation des savoirs: c’est l’idée d’une circulation accrue des savoirs» (Mabilon-Bonfils, 2018, paragr. 25). Grâce aux technologies numériques, les idées sont largement diffusées, désormais partagées et mises à la disposition des autres. Cette relation des savoirs rend possible leur appropriation, voire la création de savoirs hybrides à condition de savoir les repérer et les interpréter. Ce savoir de la relation, qui permet de passer de l’information à la connaissance, de la simple réception des messages à leur compréhension, nécessite des compétences, développées notamment au travers de l’apprentissage scolaire, dont on pourrait souhaiter qu’il inclue plus formellement l’apprentissage du savoir-être en relation, autrement dit dans «une école dont le projet serait de former de «bons humains» et non pas seulement de «bons élèves» (Durpaire et Mabilon-Bonfils, 2024, p. 20).
L’idée de cercles d’intéressement est issue de la sociologie de la traduction, autrement nommée sociologie de l’acteur réseau (Callon, 2006). Celle-ci considère que «la société ne constitue pas un cadre à l’intérieur duquel évoluent les acteurs» mais au contraire que «la société est le résultat toujours provisoire des actions en cours» (Callon, 2006, p. 267). Les cercles d’intéressement représentent les interactions, les allers-retours et les liens entre les innovateurs, les usagers, les technologies émergentes et l’objet en cours de création impliqués dans un «tourbillon créateur» (Akrich et al., 1988, p. 8), caractéristique d’une innovation par adhésion. Ce modèle soutient que le succès d’une innovation, en constante transformation, «dépend de la participation active de tous ceux qui sont décidés à la faire avancer» (Akrich et al., 1988, p. 1), que son adoption passe par une adaptation, qui entraîne souvent une (ré)élaboration collective. Ses parties prenantes, voyant leur intérêt suscité, expérimentent, font des compromis, s’adaptent: «l’innovateur collectif, au lieu de retarder les sanctions et les jugements, suscite toutes les critiques et toutes les objections, même si, sûr de lui et de sa stratégie, il décide en toute connaissance de cause de ne pas en tenir compte» (Akrich et al., 1988, p. 9).
Le problème des rapports entre recherche et formation réside dans l’acceptation d’un simple transfert de savoirs. Il s’agit au contraire de le présenter comme la production d’un espace collectif hybride de confrontation des savoirs et des pratiques. On peut se demander si le top-down est inefficient: la simple existence de pratiques de valorisation des savoirs, de lieux réels ou virtuels de ressources, de recherches collaboratives, suffit-elle pour que les professionnels et professionnelles se les approprient? Le SR, en tant que méthode expérimentale de diffusion des savoirs, vise à concrétiser plusieurs objectifs pédagogiques et sociaux. Premièrement, cette démarche cherche à activer le concept de savoir-relation, en l’incarnant dans une expérience tangible. Elle s’appuie également sur l’exploitation de compétences artistiques, intégrant ainsi une dimension créative au processus d’apprentissage. En parallèle, elle propose une solution alternative aux méthodes traditionnelles de dissémination des connaissances issues de la recherche.
Selon Dahan (2012), «les pratiques artistiques constituent les formes d’expression qui prennent appui sur un art (danse, théâtre, arts plastiques, écriture…) et font appel à la créativité individuelle ou collective» (p. 1). Au-delà de cette fonction descriptive et explicative, elles visent également à susciter des réactions, à interpeller, à soulever des questionnements, et potentiellement à proposer de nouvelles perspectives, voire à catalyser des changements. Selon Lachaud (2012), elles ont notamment une vocation à la fois critique et émancipatrice car elles mobilisent et mettent au travail les mots, les images, les matières, les corps, l’espace. En «ouvrant à la compréhension des rapports entre des connaissances sensibles et les savoirs rationnels, [l’art] constitue un levier d’empowerment, […] à la fois pouvoir sur soi et pouvoir d’agir» (Ward, 2014, p. 9). Nous proposons qu’elles partagent avec les sciences sociales des préoccupations de fond, des approches méthodologiques et des aspirations.
La question du partage des savoirs autant que la notion de savoir sensible (Rancière, 1995) invite à reconsidérer les manières de comprendre le monde et la séparation cartésienne entre raison et émotion (Damasio, 2010). Le SR se distingue par sa capacité à articuler arts et sciences, offrant ainsi une nouvelle perspective sur la dissémination et la réception du savoir scientifique. Cette approche novatrice permet l’émergence d’un dialogue entre la science, les connaissances et la culture au sein d’un espace public réinventé, où l’expérience sensorielle et les émotions jouent un rôle central. Dans ce contexte, les sciences sociales et les arts donnent sens au monde: l’ambition de la démarche est de transformer le public passif en actrices et acteurs actifs de la réflexion sur le monde qui les entoure, favorisant ainsi une compréhension plus profonde et engagée de notre réalité.
Penser l’intrication de la science et de l’art offre une nouvelle approche pour appréhender les applications sociales de la science, dès lors que la forme et le contenu artistique qu’est susceptible de prendre le mode de fabrication et de dissémination du savoir scientifique peuvent impacter sa réception sociale et la façon dont la société civile et ses différentes sphères sociales peuvent prendre part au champ scientifique.
2.2 Un dispositif de recherche
Au cours de la dernière décennie, les sciences participatives ont connu un développement remarquable. Selon Houllier et al. (2017), elles sont définies comme «les formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée»: ces initiatives permettraient de développer le pouvoir d’agir des acteurs et des actrices en leur donnant à fonder leur opinion pour effectuer des choix. Les auteurs proposent que la littérature sur les sciences participatives distingue différents niveaux de participation, de l’information jusqu’à la capacitation et identifient deux types de bénéfices: ceux d’ordre cognitif et ceux d’ordre social ou sociétal. Dans le cadre scolaire par exemple, il s’agit d’imaginer les conditions d’un dialogue entre chercheurs et chercheuses, formateurs et formatrices, enseignants et enseignantes, élèves, étudiants et étudiantes et rectorats, dans la lignée des sciences participatives, en créant des espaces d’intéressement (Akrich et al., 1988). Les savoirs-relations se conçoivent comme des outils opérants pour soutenir la relation et guider l’action et c’est grâce à la production de cercles d’intéressement, qui dépassent la simple diffusion de savoirs en se demandant si des communs sont possibles. Dans cette configuration, des biens collectifs, qui concernent aussi bien des ressources que des connaissances, sont partagés par une communauté et placés sous un protocole visant à réguler leur utilisation commune et leur gestion (Hess et Ostrom, 2003). Un protocole allouant aux membres de la communauté des droits pour utiliser les biens collectifs, tels l’accès, l’extraction, la gestion, l’exclusion et la cession de biens (Schlager et Ostrom, 1992), faciliterait la conservation, la pérennité, l’accessibilité et l’utilisation par l’ensemble des membres de la communauté des biens collectifs.
La démarche du SR repose sur une ingénierie dans laquelle des acteurs et des actrices aux profils et statuts professionnels divers (Akrich et al., 1991; Derouet, 2005; Latour, 2005), s’y engagent en portant leurs intérêts, leur expérience et leurs savoirs. Ces processus collectifs n’existent que par l’implication individuelle intéressée de chaque participant ou participante dans le travail commun dans un espace symbolique de rencontres, et inversement cette implication est renouvelée grâce aux effets du travail collectif (Legros, 2008). Ce phénomène peut être assimilé à l’élaboration d’un commun (Hess et Ostrom, 2003).
Mais le SR n’est pas seulement un dispositif de recherche: c’est aussi un outil pédagogique et une modalité alternative de partage de la science à visée émancipatrice.
2.3 Un outil pédagogique
Le SR a aussi été pensé en tant que levier de formation dans une formation universitaire aux ingénieries de recherche et de développement du bien-être. Le master BEO est ouvert aux acteurs et actrices de l’éducation et de la formation (cadres de l’Éducation nationale, professeurs, conseillers et conseillères principaux d’éducation, conseillers et conseillères pédagogiques, formateurs et formatrices, responsables de formation…). Il apporte les cadres théoriques du bien-être et offre les conditions du changement de posture favorable à une démarche de recherche. Il vise plusieurs objectifs: former des experts et des expertes du bien-être dans l’éducation et la formation, apporter une formation et un diplôme à ceux et celles qui souhaitent évoluer vers des postes d’encadrement où ils auront à susciter et réguler des initiatives de développement du bien-être, voire les encourager à s’engager dans une thèse de doctorat à l’issue du master. Un SR collectif est au coeur du master: il s’agit de mobiliser une forme artistique pour communiquer certains résultats de la recherche, en l’occurrence un ouvrage de la marraine ou du parrain annuel choisi par les tuteurs et les tutrices: Edgar Morin en 2021-2022, Boris Cyrulnik en 2022-2023, Jacques Lecomte en 2023-2024, Rebecca Shankland en 2024-2025. Une conférence-débat avec l’auteur ou l’auteure est organisée durant laquelle les étudiants et les étudiantes posent des questions qu’ils ont préparées. Les notions de spectacle, de recherche et de SR sont travaillées collectivement par les étudiants et les étudiantes. Des groupes de cinq à six membres sont formés et, accompagnés par un tuteur ou une tutrice, lui-même ou elle-même formé dans un dispositif de formation de formateurs et formatrices, ont à imaginer, concevoir et finalement produire un SR à partir d’un ouvrage du parrain ou de la marraine. Toute forme artistique est acceptée (documentaire, théâtre, roman, nouvelle, BD, chanson, danse, performance de tout ordre, etc.). Parallèlement, une grille d’évaluation, comprenant les critères et leurs indicateurs, est conçue, puis validée par les étudiants et les étudiantes, à la fois par des méthodes statistiques et par la confrontation des interprétations des indicateurs. Une journée présentielle de fin d’année est consacrée à la performance. Celle-ci donne lieu à une triple évaluation: par les tuteurs et les tutrices, par les pairs et une autoévaluation à l’aide de la grille d’évaluation. À l’instar des étudiants et des étudiantes, les tuteurs et tutrices se réunissent régulièrement pour analyser l’oeuvre, choisir une forme artistique, co-écrire, scénariser, répéter leur propre SR, qu’ils interprètent le même jour que les étudiants et étudiantes.
Ce projet vise plusieurs objectifs. Il s’agit de découvrir les savoirs disponibles dans l’oeuvre du parrain ou de la marraine, de se les approprier suffisamment individuellement et collectivement pour en créer, avec ses pairs et son tuteur et sa tutrice (dans le cas des étudiants et des étudiantes), une nouvelle forme de savoir que l’on donne à voir à un public invité, à ses pairs, à son tuteur ou à sa tutrice, et à ses étudiants et à ses étudiantes (dans le cas des tuteurs et des tutrices). Le savoir-relation est opérant dans cette circulation et transformation des savoirs au sein d’un cercle d’intéressement qui s’étend des acteurs du master pour atteindre le public invité au spectacle. Certains objectifs sont spécifiques aux étudiants et étudiantes, d’autres aux tuteurs et aux tutrices, et d’autres encore sont communs aux deux publics. Le tableau 1 les détaille selon le public visé.
Tableau 1
Objectifs du dispositif selon le public
Pour les enseignants et enseignantes, le SR est un outil pédagogique, pour les étudiants et les étudiantes, il est un outil de partage de recherche alternatif, pour tous et toutes, le SR est un outil de développement professionnel de compétences socioémotionnelles par la mobilisation d’une forme artistique. Celles-ci peuvent relever des compétences psychosociales et/ou transformatives.
3. Les compétences psychosociales et transformatives
3.1 Les compétences psychosociales
Selon Luis et Lamboy (2015), les compétences psychosociales (CPS) ont été introduites en 1993 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui les décrivent comme une compétence globale correspondant à
la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est la capacité d’une personne à maintenir un état de bien-être subjectif qui lui permet d’adopter un comportement approprié et positif à l’occasion d’interactions avec les autres, sa culture et son environnement. La compétence psychosociale joue un rôle important dans la promotion de la santé dans son acception large renvoyant au bien‐être physique, psychique et social.
OMS, 1993, cité dans Luis et Lamboy, 2015, p. 12
Cette préoccupation pour le bien-être est plus tard partagée par le Collaborative to Advance Social and Emotional Learning (CASEL) qui y voit un levier de réussite académique (Payton et al., 2000). L’organisme définit des compétences relatives à l’apprentissage social et émotionnel et des critères clés pour la conception de programmes visant à développer ces compétences, en vue d’aider les jeunes à réussir dans leurs vies académique, personnelle et sociale.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) étend cet intérêt pour les compétences sociales et émotionnelles en leur reconnaissant un lien avec la réussite professionnelle, au-delà de la réussite scolaire (Kankaraš et Suarez-Alvarez, 2019). Ces compétences sont décrites comme des vecteurs de résultats socioéconomiques et comme participant au développement d’individus capables de contribuer à la productivité de la société.
S’appuyant sur les définitions successives de l’OMS, de CASEL et de l’OCDE, Lamboy et al. (2022) proposent un définition des CPS centrée sur des compétences clés:
Les compétences psychosociales constituent un ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales), impliquant des connaissances, des processus intrapsychiques et des comportements spécifiques, qui permettent d’augmenter l’autonomisation et le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives.
p. 23
Lamboy et al. (2022) présentent une classification des CPS intégrative, reprenant la catégorisation en trois groupes (compétences sociales, cognitives et émotionnelles), adoptée par l’OMS dans les années 2000, de compétences relevées dans les publications de l’OMS, de CASEL et de l’OCDE. Les CPS y sont déclinées en neuf compétences générales, elles-mêmes sous-divisées en 21 compétences spécifiques, comme illustré dans le tableau 2.
Tableau 2
Classification des CPS
3.2 Les compétences transformatives
Alors que les CPS trouvent leur origine dans une démarche de promotion de la santé et du bien-être des personnes (Lamboy et al., 2015), l’OCDE (2018) répertorie les compétences qu’elle considère comme indispensables aux élèves «pour construire leur vie et contribuer à celles des autres» (p. 3). Ces compétences sont qualifiées de transformatives (CT) et «répondent à la nécessité croissante pour les jeunes d’être inventifs, responsables et conscients des réalités» (OCDE, 2018, p. 7). Ces trois catégories sont déclinées en compétences spécifiques dans le tableau 3. Elles sont décrites comme hautement transférables (OECD, 2019), «inextricablement liées entre elles, […] complexes, mais […] de nature développementale, et l’on peut donc les acquérir» (OCDE, 2018, p. 8). Elles peuvent être considérées comme des compétences non académiques (Duru-Bellat, 2015), en ce sens qu’elles s’inscrivent dans le champs de l’apprentissage scolaire mais qu’elles ne découlent pas de savoirs disciplinaires, et qu’elles répondent à une demande d’efficacité des systèmes éducatifs pour répondre aux besoins de l’économie.
Tableau 3
Classification des CT à partir des définitions de l’OCDE (2018)
3.3 Compétences psychosociales et/ou transformatives
On remarquera que les CPS et les CT se recoupent ou peuvent être rapprochées pour nombre d’entre elles, par exemple résoudre des conflits de façon constructive (CPS) et capacité à résoudre des problèmes (CT), mais que les compétences émotionnelles sont peu abordées dans les compétences transformatives, alors que les compétences relatives à la créativité sont moins décrites dans les CPS. Cette différence peut s’expliquer par les objectifs de l’acquisition de ces compétences selon les organismes qui les ont introduites: les CPS s’inscrivent dans une démarche de promotion de la santé et du bien-être des personnes (Lamboy et al., 2015), alors que les CT répondent à une nécessité économique (OCDE, 2018). Concernant les CPS, Lamboy et al. (2015) alertent cependant sur les dangers d’un engouement pour «un concept à la mode» (p. 10) qui par manque d’approfondissement pourrait mener à des actions fugaces ou d’affichage ou, pire encore, à des tentatives de normalisation sociale. Les auteurs préconisent une approche heuristique du développement de ces compétences tout au long de la vie, accompagnée par des actrices et acteurs équipés de repères théoriques et pratiques.
4. Enquêtes de terrain
L’instrumentation du SR comme outil pédagogique dans le cadre du master Bien-être dans les organisations met les tuteurs et tutrices dans une double posture: celle d’encadrant ou encadrante qui accompagne les étudiants et étudiantes dans la co-conception de leur oeuvre, et celle de participant ou participante qui co-conçoivent leur propre SR. Ces acteurs voient ainsi leurs intérêts pour l’objet multipliés (appropriation de savoirs savants, transmission de savoirs savants, développement de compétences de collaboration et de communication à distance, co-création artistique, performance artistique) et leurs cercles d’intéressement (Akrich et al., 1988) étendus à leurs étudiants et étudiantes, à leurs collègues tuteurs, à leurs co-créateurs et au public. De même, le SR organise le savoir-relation (Mabilon-Bonfils et al., 2024) en mettant à leur disposition les savoirs de la marraine ou du parrain (relation des savoirs), qu’il s’agit de s’approprier et de transformer (savoir de la relation) dans un travail collectif (savoir-être en relation) de nature artistique. Ces activités mobilisent des compétences de collaboration et de communication, auxquelles s’ajoutent des compétences de co-création dans la conception de leur SR. Notre étude cherche à observer leur perception du possible développement de compétences transformatives (OCDE, 2018) et psychosociales (Lamboy et al., 2022) au travers de cet exercice et de la transposabilité de ces compétences et pratiques à d’autres enseignements. Un second objectif est d’interroger leur évaluation de la dimension de médiation offerte par cette activité pédagogique. Pour ce faire, nous interrogeons les tuteurs et tutrices à deux reprises sur leur perception des compétences mises en jeu dans cette pratique pédagogique, de leur transférabilité et de la capacité du dispositif à partager des connaissances scientifiques: une première fois à la fin de l’année universitaire, et une seconde fois près d’un an plus tard.
4.1 Terrain
L’équipe des tuteurs (n = 3) et tutrices (n = 5) est composée de six chercheurs et chercheuses en sciences de l’éducation et de deux professionnelles: l’une d’entre elle est psychologue clinicienne et docteure en sciences de l’éducation, alors que l’autre est formatrice et docteure en sciences de gestion. Tous font partie du laboratoire BONHEURS de CY Cergy Paris Université. Les étudiants et étudiantes qu’ils encadrent occupent des postes d’enseignants et enseignantes, de formateurs et formatrices dans divers lieux de formation, de directeurs et directrices d’école, de conseillers et conseillères pédagogiques, de conseillers et conseillères d’orientation.
4.2 Enquête 1
Une première évaluation subjective du dispositif pédagogique a lieu à la fin de l’année universitaire en 2022-2023, soit la deuxième année que le SR est utilisé comme outil pédagogique. Cette enquête anonyme est très ouverte, car elle n’est pas conçue dans un objectif de recherche: les concepteurs et conceptrices du dispositif cherchent à en mesurer l’efficacité auprès de ses utilisateurs et utilisatrices, soit les étudiants et étudiantes et les tuteurs et tutrices, dans le but de proposer des pistes d’amélioration. Nous réanalysons ici les résultats obtenus dans l’enquête menée auprès des tuteurs et tutrices, dont nous avons obtenu l’accord pour la présente étude. Cinq personnes ont répondu sur les sept concernées. Il s’agissait de les interroger sur leur expérience vécue pour chacun de leur double statut de participant ou participante et de tuteur ou tutrice. L’enquête porte sur trois items: le collectif créé par le SR, le ressenti lié à la formation et à la performance, les apprentissages et développements perçus (Mabilon-Bonfils et Lecorre, 2023). Nous reprenons dans cet article les questions et réponses portant sur les compétences développées et sur l’évaluation du SR en tant que forme d’apprentissage (annexe A1).
Bien que l’enquête ne s’appuie pas sur un cadre conceptuel car elle vise à évaluer l’efficacité du dispositif pédagogique, on remarque que plusieurs questions portent sur des CSP identifiées dans la classification de Lamboy et al. (2022), en particulier des compétences socioémotionnelles visées par le dispositif pédagogique, mais aussi de CT, telles que définies par l’OCDE (2018), relatives à la création de contenus artistiques et à l’adoption/création de nouvelles pratiques suscitées par le dispositif. Le tableau 4 décrit les CPS et CT qui peuvent être rapprochées des compétences possiblement développées au travers du dispositif.
Tableau 4
Compétences observées dans le questionnaire et CSP et CT correspondantes
Les tuteurs et tutrices (N = 5) en tant que participants et participantes décrivent le SR comme un moment de créativité (100 %) (annexe 1). Ils estiment que cette expérience leur permet de développer leur capacité à partager des savoirs (75 %), à susciter des émotions (75 %), à collaborer (100 %), à entrer en relation (100 %), à créer (75 %) et à penser autrement (75 %). En tant que tuteur ou tutrice, ils déclarent que le SR a été un moment de créativité (100 %) et un outil d’apprentissage conceptuel (80 %) qui leur a permis d’enseigner autrement (50 %). De plus, 40 % déclarent avoir l’intention d’utiliser des éléments du dispositif d’une manière ou d’une autre dans le cadre professionnel et 20 % peut-être.
4.3 Enquête 2
Nous appuyant sur la première enquête, nous interrogeons les mêmes tuteurs et tutrices un an plus tard à travers un questionnaire maison anonyme ouvert, portant sur leur perception des possibles développement et transposabilité de compétences de communication et de collaboration visées par un dispositif pédagogique fondé sur le travail de groupe, et de la compétence de créativité, caractéristique d’un dispositif à dimension artistique. Ce questionnaire, en annexe A2, est constitué de questions ouvertes de manière à repérer les situations dans lesquelles ces potentiels développement auraient lieu. Les questions 1 à 3 portent sur des CSP (sociales et émotionnelle) et des CT (créer de la valeur nouvelle, être responsable), la question 4 s’intéresse à la capacité de médiation offerte par cette activité pédagogique et la question 5 interroge la transférabilité perçue des compétences potentiellement développées dans le SR à d’autres activités. Cinq personnes ont répondu sur les sept concernées. Les deux sondages étant anonymes, nous ne savons pas si ce sont les mêmes personnes qui ont répondu à la première enquête.
Pour analyser les verbatim produits par les questionnaires, nous avons regroupé les CST et CT indiquées dans les catégories de compétences du tableau 4 dans une grille d’encodage, décrite dans le tableau 5 (page suivante). Celle-ci permet d’analyser les réponses des tuteurs et tutrices (N = 5) à partir des CST et CT repérées dans le questionnaire 1 bien que le questionnaire 2 ait ciblé des catégories de compétences spécifiques. Cet encodage permet de plus de repérer les CST et CT citées par les tuteurs et tutrices quelle que soit la question abordée, c’est-à-dire quand ils évoquent une ou des CSP ou CT différentes de celle visée par la question.
4.3.1 CT créer de la valeur nouvelle
Les tuteurs et tutrices évoquent la dimension créative du dispositif, non seulement en raison de la tâche de création d’une oeuvre artistique, par exemple, écrire un texte, «transformer un concept en personnage», «mettre en scène un concept», mais aussi en raison du caractère inhabituel de cette tâche, qui nécessite de nouvelles façons de faire, d’innover, de s’adapter, de collaborer autrement, «de se décentrer de son activité habituelle, de travailler de manière informelle» avec les collègues.
Tableau 5
Grille d’encodage des verbatim
4.3.2 CSP sociale développer des attitudes et comportements prosociaux et CT être responsable
L’activité de création collective donne lieu à une collaboration différente, qui passe par une phase d’adaptation avant d’accéder à une participation plus active pour le tuteur qui participe au SR pour la première fois. La nature «extraordinaire» de la tâche de collaboration amène à une collaboration spécifique à la tâche: les participants et participantes co-écrivent, collaborent et co-élaborent un texte, puis sa scénarisation, pour ensuite répéter et jouer un SR ensemble. Cette collaboration nécessite de s’exprimer, de négocier, de contredire, de débattre, de trouver des accords et de recomposer l’objet de la création artistique.
4.3.3 CSP sociale communiquer et développer des liens
Ces modes de communication sont décrits comme étant mobilisés dans la tâche avec les collègues co-créateurs, les étudiants et étudiantes qu’ils encadrent et le public devant lequel ils jouent. L’exercice passe par l’analyse critique et collective d’une oeuvre pour en tirer une idée forte à communiquer, qu’il s’agit d’accompagner en tant que tuteur ou tutrice pour permettre aux étudiants et étudiantes au travers d’échanges «de créer des liens, des illustrations, des choix et expressions artistiques qui leur parlent». Les tâches qui y sont mobilisées ne permettraient pas leur répartition entre les membres et ne pourraient se réaliser qu’en commun: il s’agirait de collaborer, et non pas de coopérer, pour décider ensemble de ce qui est essentiel dans l’oeuvre, d’en penser la transposition pour co-écrire, choisir ensemble une forme artistique et répéter. La performance donne finalement lieu à une communication avec le public qui requiert de s’exprimer publiquement, «d’oser prendre la parole et de dépasser une forme de timidité personnelle» (CSP émotionnelle). Un tuteur insiste sur le fait que le SR a mobilisé des compétences de communication et indique son doute sur le fait qu’il en ait développé: il évoque, avec un autre collègue, un processus long et complexe de développement de ces compétences.
4.3.4 Transférabilité des compétences acquises
Les tuteurs et tutrices déclarent tous et toutes des possibilités de transfert des compétences acquises à d’autres modalités pédagogiques impliquant une co-création à partir d’un concept de référence: discussion collective pour comprendre, transformer et cristalliser une notion sous une forme différente, théâtre-forum, animation de groupe autour d’un objectif qui amène les étudiants et étudiantes à questionner un texte et à en proposer une interprétation. Un tuteur souligne que plus encore que la performance, c’est la conception du SR qui est importante.
4.3.5 Capacité de médiation du SR
Concernant la capacité de partage de connaissances scientifiques offerte par le SR en tant que dispositif pédagogique, les réponses mettent en lumière trois caractéristiques du SR. Il est décrit d’une part comme plus engageant et plus motivant qu’un partage des connaissances classique tel qu’un article ou une note de presse, de par son caractère original et libre. Il permettrait donc de toucher un public plus large, d’une manière moins précise mais plus ouverte, notamment en laissant au public le rôle de compléter le message, en ouvrant des perspectives plus vastes à la recherche de liens transdisciplinaires, et a minima, en éveillant la conscience d’un public à des problèmes qu’il ne se pose pas. Finalement, la capacité du SR à rendre accessible des contenus riches et complexes est soulignée: ce mode d’appropriation créative permettrait à chacun et à chacune de puiser dans sa culture, ses compétences et croyances pour forger un message fédérateur et pédagogique.
5. Discussion
Trois objectifs sont assignés au SR en tant que dispositif expérimental: il s’agit d’une modalité alternative de partage de la science, d’un outil pédagogique et d’un dispositif de recherche à part entière (Mabilon-Bonfils et Lecorre, 2023). Utilisé dans le cadre du master Bien-être dans les organisations, le SR est un dispositif pédagogique visant à développer chez des acteurs et actrices de la formation et de l’éducation des compétences de partage de connaissances scientifiques et de collaboration, en mobilisant la forme artistique dans un cadre de formation universitaire à distance. Il a pour ambition de développer des compétences non professionnelles par une expérience artistique qui permette une appropriation par le vécu, complémentaire de l’approche académique. Ces compétences ne sont pas sans rappeler les compétences non académiques de Duru-Bellat (2015), en ce sens qu’elles s’inscrivent dans le champ de l’apprentissage visé dans le master BEO, mais qu’elles ne découlent pas de savoirs disciplinaires. Le SR est d’autre part un moyen pour les tuteurs et tutrices de partager les connaissances autrement et de se confronter à une situation inédite, en vivant ce qu’ils demandent à leurs étudiants et étudiantes de réaliser dans le cadre de la formation. Il s’agissait ici de repérer si tuteurs et tutrices s’en sont emparé au point de développer des compétences psychosociales et transformatives. Celles-ci sont complexes et composites et reposent sur la durée, l’action, la répétition et l’utilisation dans une pluralité de contextes (Lamboy et al., 2015).
Interrogés à deux reprises sur leur perception de la capacité de médiation scientifique, les tuteurs et tutrices s’accordent à dire que le SR permet à un plus large public de s’approprier la recherche, a minima de problématiques de recherche, parce que sa forme est plus motivante, ouverte et libre que les formes de partage des connaissances traditionnelles. Le SR permettrait de rendre des concepts complexes plus accessibles à la fois pour ceux et celles qui conçoivent et produisent le spectacle, et pour le public qui y assiste. Le manque de précision de la communication scientifique, au profit de l’interprétation artistique qui en est faite, servirait un message plus ouvert et plus engageant pour le public. Concernant les compétences de créativité, communication et collaboration possiblement développées dans cette double activité, les personnes interrogées déclarent mobiliser des compétences de créativité, à la fois en raison de la dimension artistique du projet, mais aussi parce que cette approche suscite de nouvelles méthodes de travail, par exemple co-analyse d’un texte scientifique, et des situations professionnelles inhabituelles, par exemple jouer devant un public. Cette situation semble engager des CT de créativité, de capacité d’adaptation et d’ouverture d’esprit (OCDE, 2018). De même, ils indiquent mettre en oeuvre des compétences de communication, à la fois avec leurs étudiants et étudiantes, par exemple «guider», «proposer», «insuffler», et avec leurs collègues dans la co-création de leur SR. Cette dernière passe par différentes étapes: expression, négociation, contradiction, débats, accords et recomposition. On y relève la mobilisation de compétences psychosociales (Lamboy et al., 2022), par exemple prendre des décisions constructives, communiquer de façon constructive, développer des relations constructives, résoudre des difficultés, comme des compétences transformatives (OCDE, 2018), par exemple, concilier tensions et dilemmes, être responsable. Selon les tuteurs et tutrices, ce dispositif mettrait au travail ces compétences qu’on peut décrire d’«inextricablement liées entre elles» (OCDE, 2018, p. 8), grâce à des tâches qui imposent la collaboration au sein du groupe, sans permettre aux membres de recourir à la coopération. Alors que plusieurs d’entre eux expriment leur incertitude sur le fait que le SR leur ait permis de développer ces compétences en raison d’un processus nécessitant un temps long, les tuteurs et tutrices décrivent unanimement des situations pédagogiques dans lesquelles ils peuvent transférer les compétences mobilisées et/ou acquises: activités pédagogiques de co-compréhension, co-construction, co-transformation. Des entretiens permettraient de vérifier et/ou approfondir les perceptions décrites par les tuteurs et tutrices dans les verbatim.
6. Conclusion
Le projet du dispositif multi-usage SR est né d’un projet citoyen de faire de la science un commun, en offrant une solution alternative complémentaire aux systèmes d’archivage ouverts qui veillent à garantir qu’une partie des savoirs scientifiques soient des biens collectifs (Hess et Ostrom, 2003). Il fait le pari d’une oeuvre collective comme mode d’empowerment (Arnstein, 1969), visant à encourager la participation active et le développement des compétences réflexives de membres de la société civile, et d’un outil pédagogique, reposant sur la co-interprétation des savoirs à l’étude et la dynamique de la création collective. Le parti pris du SR repose sur le projet de confronter tuteurs et tutrices et étudiants et étudiantes exactement aux mêmes contraintes. C’est la proposition d’une forme inédite utilisant des leviers puissants – la forme artistique, la coopération, la prise de risques – pour faire face aux défis d’apprentissage et d’enseignement du bien-être en éducation, thématique centrale du master BEO, non seulement pour faire prendre conscience aux étudiants de leur capacité à agir, mais aussi pour mettre les tuteurs et tutrices dans les mêmes dispositions que leurs étudiants et étudiantes. Elle repose sur l’idée de faire des étudiants et des étudiantes, et des tuteurs et des tutrices une communauté apprenante pendant le temps de la formation, et sur le projet d’en faire un outil réutilisable dans d’autres temps de formation dans ses différentes dimensions. Une enquête auprès des étudiants et des étudiantes dirait s’ils ont vécu le dispositif comme leurs tuteurs et tutrices et s’ils pensent en avoir tiré des compétences psychosociales et transformatives.
Parties annexes
Annexes
Annexe A1. Enquête à chaud des tuteurs et tutrices (2023)
Qualifiez-vous, dans la formation Bien-être dans les organisations, le spectacle-recherche comme:
Avec le spectacle-recherche, vous avez développé votre capacité à:
Avez-vous l’intention d’utiliser des éléments de ce dispositif d’une manière ou d’une autre dans le cadre professionnel?
Annexe A2. Enquête à froid des tuteurs et tutrices (2024)
-
Question 1: Est-ce que le dispositif du spectacle-recherche vous a permis de développer votre créativité? Décrivez un exemple précis.
-
Question 2: Est-ce que le dispositif du spectacle-recherche vous a permis de développer vos compétences de communication? Décrivez un exemple précis.
-
Question 3: Est-ce que le dispositif du spectacle-recherche vous a permis de développer vos compétences de collaboration? Décrivez un exemple précis.
-
Question 4: Que pensez-vous de la capacité de partage de connaissances scientifiques du dispositif spectacle-recherche offerte par cette activité pédagogique?
-
Question 5: Les compétences et pratiques que vous avez acquises dans le spectacle-recherche sont-elles transposables à d’autres pratiques pédagogiques? Si oui, en quoi? Décrivez un exemple précis.
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Liste des tableaux
Tableau 1
Objectifs du dispositif selon le public
Tableau 2
Classification des CPS
Tableau 3
Classification des CT à partir des définitions de l’OCDE (2018)
Tableau 4
Compétences observées dans le questionnaire et CSP et CT correspondantes
Tableau 5
Grille d’encodage des verbatim