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1. Introduction et problématique

Au Québec, la formation générale des adultes (FGA) demeure une voie d’accès importante pour les jeunes de 16 à 24 ans qui désirent obtenir un premier diplôme de niveau secondaire. Selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES] (2020), pas moins de 170 000 élèves fréquentaient la FGA en 2018-2019. L’offre de programmes de la FGA est diversifiée afin de répondre aux différents besoins des jeunes, que ce soit pour obtenir un diplôme d’études secondaires (DES), pour terminer certains préalables permettant d’accéder à la formation professionnelle (FP) ou encore pour suivre une formation continue (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2021). Parmi les élèves inscrits à la FGA, certains jeunes de 16 à 24 ans vivent des difficultés d’apprentissage ou de comportement (Marcotte et al., 2014) de même que de la détresse psychologique au cours de leur formation (Rousseau et al., 2015).

Comme le soulignent Voyer et al. (2023), l’approche individualisée, qui domine à l’éducation des adultes, exige que les élèves travaillent individuellement dans leurs cahiers d’apprentissage et consultent le personnel enseignant à son bureau s’ils ont besoin d’explications. Selon Villemagne et al. (2016), des élèves souhaiteraient évoluer dans un autre environnement d’apprentissage où le personnel enseignant recourt à l’enseignement magistral, circule en classe et va à la rencontre des élèves qui font appel à son soutien. Cela laisse à penser que des élèves bénéficieraient d’un contexte d’apprentissage qui s’inspire davantage du paradigme socioconstructiviste duquel les interactions sociales en contexte de médiation didactique dirigée par le personnel enseignant vis-à-vis des élèves concourent au développement et à l’apprentissage (Barbeau-Hénault, 2022). De leur côté, Dumont et Rousseau (2016) relèvent que des élèves manifestent des besoins relatifs à la possibilité de faire des choix dans les activités à réaliser en classe et à la présence de tranquillité pendant leur travail. De là, certains paramètres de l’aménagement physique de la classe pourraient répondre à certains de ces besoins et, par le fait même, influencer l’expérience scolaire des élèves en FGA.

Au chapitre de l’aménagement physique, dans son plan stratégique de 2019-2023, le MEES (2019) s’est engagé à investir dans la rénovation de son parc immobilier (p. ex., écoles, centres administratifs). Cet engagement serait en partie en réponse au constat de la vétusté de plusieurs établissements scolaires québécois. En effet, pas moins d’un bâtiment scolaire sur deux serait en mauvais ou en très mauvais état en 2019 (Vérificateur général du Québec, 2019). Toujours dans la perspective d’améliorer l’environnement physique des écoles, le Lab-École, une initiative appuyée par le MEES (2020) regroupant plusieurs acteurs du monde de l’éducation (p. ex., personnel enseignant), divers professionnels (p. ex., architecte), des chercheurs et des personnalités publiques initiatrices du projet, vise à concevoir des écoles qui prennent mieux en compte la qualité de l’environnement physique dans lequel évoluent les élèves (Lab-École, 2020).

Considérant que les décideurs politiques et le milieu scolaire accordent de plus en plus d’importance à l’aménagement physique des écoles, il nous apparaît juste d’explorer l’expérience scolaire des jeunes de la FGA qui fréquentent la classe flexible. Pour mieux situer cet objectif qui, à notre connaissance, n’a pas été étudié en contexte de FGA, nous examinons les questions de l’expérience scolaire et de la relation enseignant-élève (REE) qui en découle tout en décrivant le concept de classe flexible.

2. Cadre de référence

Dans cette partie, nous présentons le concept d’expérience scolaire qui est lui-même traversé par celui de la REE. Nous traitons également de la classe flexible qui repose sur l’adaptation de l’aménagement physique de la classe et qui est encline à influer autant sur l’expérience scolaire que sur la REE.

2.1 Expérience scolaire

L’expérience scolaire fait référence au parcours des élèves à l’école qui est marqué par la nature des relations avec le personnel enseignant et les pairs de même que par les valeurs et les représentations familiales de l’apprentissage et des savoirs qui en découlent (Gauthier, 2007). Porter un intérêt à l’expérience scolaire des élèves exige une écoute et une prise en considération de leur point de vue (Dubet et Martuccelli, 1996). Pour les fins de la présente étude, nous avons retenu la conception de l’expérience scolaire de Gauthier (2007) qui est en cohérence avec la réalité du contexte éducatif québécois. Pour ce même auteur, l’expérience scolaire s’observe sous six types de rapports:

  1. le rapport aux savoirs;

  2. le rapport à l’apprentissage;

  3. le rapport aux tâches scolaires;

  4. le rapport à l’école comme milieu de vie;

  5. le rapport à l’autrui significatif;

  6. le rapport à soi-même.

De prime abord, le rapport aux savoirs renvoie aux savoirs disciplinaire, pratique et relationnel. En ce qui a trait au rapport à l’apprentissage, il est observable dans la nature de l’acte, soit dans l’appropriation d’un savoir-objet, de la maîtrise d’une activité ou d’une relation. Il s’actualise aussi dans le cadre du processus d’apprentissage. Le rapport aux tâches scolaires renvoie aux activités de classe, aux devoirs et leçons effectués à la maison ainsi qu’aux activités parascolaires. Pour ce qui est du rapport à l’école comme milieu de vie, il tient compte de l’école comme milieu physique et humain, des pairs, de l’autorité institutionnelle (p. ex., personnel enseignant, professionnels, direction). En ce qui concerne le rapport à l’autrui significatif, il est composé des parents, de la fratrie, des amis et de la communauté qui gravitent autour des élèves. Enfin, le rapport à soi-même se résume par le projet de scolarisation, les modèles identificatoires, le futur professionnel et global anticipé ainsi que la vie communautaire (Gauthier, 2007). Au regard des types de rapports de l’expérience scolaire, nous observons que la dimension relationnelle ressort en particulier lorsqu’il est question du rapport au savoir dans une perspective relationnelle, du rapport à l’apprentissage dans le cas de la maîtrise d’une relation et dans le rapport à l’école comme milieu de vie à caractère humain. Ces remarques par rapport à la dimension relationnelle présentes dans la conception de l’expérience scolaire de Gauthier (2007) nous portent à réfléchir plus précisément sur la REE en contexte d’éducation des adultes.

2.2 Relation enseignant-élève en contexte d’éducation des adultes

Nous conceptualisons la REE à travers le modèle Teaching Through Interactions qui comprend trois principaux domaines: le soutien émotionnel, le soutien organisationnel et le soutien cognitif (Hamre et Pianta, 2006).

Le domaine du soutien émotionnel est ancré dans les théories de l’attachement (Bowlby, 1969) et de l’autodétermination (Ryan et Deci, 2000). D’une part, la théorie de l’attachement met en exergue que les enfants qui sont soutenus adéquatement sur le plan émotionnel par un adulte (parent ou tuteur) tendent à être plus autonomes et enclins à prendre des risques dans l’exploration de leur environnement, et ce, parce qu’ils peuvent compter sur l’adulte au besoin (Pianta et al., 2012). Concernant la continuité du modèle d’attachement jusqu’à l’adolescence et au début de l’âge adulte, Bowlby (1982) mentionne qu’il varie peu contrairement à la figure d’attachement qui, elle, change pour le conjoint ou la conjointe, des amis proches ou le personnel enseignant. Ainsi, le personnel enseignant qui développe une REE chaleureuse, sécurisante et soutenante avec les élèves est susceptible d’être considéré comme un modèle d’attachement non parental positif (Bergin et Bergin, 2009). D’autre part, la théorie de l’autodétermination stipule que les enfants et les adolescents sont plus motivés à apprendre lorsque les adultes répondent à leurs besoins de compétence et d’autonomie (Ryan et Deci, 2000). À ce sujet, il est déjà connu que des élèves qui ont un lien d’attachement positif avec le personnel enseignant se développent davantage sur les plans sociaux et scolaires (Silver et al., 2005).

Le domaine du soutien organisationnel repose, lui, principalement sur des travaux empiriques effectués relativement à l’efficacité du personnel enseignant (Tochon, 1992) de même que sur les théories constructivistes et du traitement de l’information relativement à l’apprentissage et à la cognition (Pianta et al., 2012). Il fait référence à une gestion efficace des comportements des élèves et du temps imparti à l’apprentissage, ce qui participerait à un meilleur rendement scolaire (Tochon, 1992). De même, la disposition physique des salles de classe (p. ex., confort, ordre) et les interactions renforçant les comportements positifs des élèves (p. ex., attentes claires, prévention de conflits) jouent un rôle dans l’établissement d’une REE positive (Hafen et al., 2015). Pour maintenir l’attention et l’intérêt des élèves dans leur processus d’apprentissage, le personnel enseignant est invité à formuler des objectifs d’apprentissage clairs et à utiliser du matériel intéressant et attrayant (Pianta et al., 2012).

Enfin, le domaine du soutien cognitif s’appuie sur les théories du développement cognitif et langagier (Romberg et al., 2005). Selon ces perspectives théoriques, le personnel enseignant s’engage à planifier des activités d’apprentissage qui mobilisent les compétences déjà acquises par les élèves et à prendre appui sur ces dernières pour favoriser le développement de compétences plus complexes (Pianta et al., 2012). Il revient donc au personnel enseignant de susciter le développement des processus mentaux supérieurs tels que l’analyse et l’intégration de l’information de même que la vérification d’hypothèses. De même, la qualité des rétroactions (p. ex., immédiates, précises et constructives) du personnel enseignant contribue à l’établissement d’une REE positive puisque les élèves perçoivent que celui-ci démontre un intérêt véritable à leur travail et à leur réussite scolaires (Beaudoin, 2022). De fait, les élèves s’avèrent plus motivés et engagés dans les tâches scolaires (Hafen et al., 2015).

Selon plusieurs chercheurs, la REE jouerait un rôle majeur auprès des jeunes qui fréquentent un centre d’éducation des adultes (Carroz et al., 2015). D’ailleurs, ces jeunes, aux prises avec diverses difficultés personnelles ou scolaires, manifestent le besoin d’entretenir un plus grand lien de confiance avec les formateurs (Dumont et Rousseau, 2016). Qui plus est, des jeunes adultes de 19 à 24 ans témoignent en outre de la nécessité d’établir un lien socioaffectif avec le formateur (Dumont et Rousseau, 2016), ce qui a déjà été identifié comme un facteur de réussite favorisant la persévérance dans les études (Villemagne, 2011).

Puisque l’expérience scolaire des jeunes de la FGA semble marquée par les relations qu’ils entretiennent avec le personnel enseignant, il nous apparaît pertinent d’examiner si l’aménagement physique, soit l’idée de classe flexible, peut jouer un rôle dans l’expérience scolaire et les REE qui y sont développées.

2.3 Classe flexible

Le concept de classe flexible fait référence à l’adaptation et à la gestion de l’environnement physique de la classe ou de l’école pour satisfaire les besoins physiques, cognitifs et sociaux des élèves (Sorrell, 2019). La classe flexible est donc en rupture avec l’idée de la classe traditionnelle «où les pupitres sont encore souvent organisés en rangs d’oignon et de manière frontale (Vallée, 2019)» (Leroux et al., 2021, s. p.).

Ainsi, cette «flexibilité» dans l’aménagement de la classe mise sur la diversité et l’adaptabilité des ressources matérielles en présence (p. ex., pièce bien éclairée, espace de travail confortable et ergonomique, disposition des pupitres en îlots) (Doyon, 2018). Bien qu’un pan de la recherche sur la classe flexible porte strictement sur l’influence de l’ergonomie du mobilier scolaire sur les élèves (p. ex., choix diversifié d’assises ou d’espaces de travail) (Vallée, 2019), des recherches (Desrosiers et Laquerre, 2022; Leroux et al., 2021) invitent à examiner conjointement les liens entre l’aménagement physique de la classe et l’efficacité des pratiques pédagogiques qui y sont mobilisées.

Au regard des études effectuées sur la classe flexible dans les ordres d’enseignement primaire et secondaire, il est mentionné que les élèves sont portés à s’engager davantage dans le processus d’apprentissage lorsque la salle de classe est confortable, dynamique et attrayante, ce qui est susceptible d’agir positivement sur les résultats scolaires (Chen et al., 2016). Imms et Byers (2017) précisent que les élèves des classes flexibles font preuve d’une meilleure éthique de travail face aux nouvelles connaissances et d’une plus grande motivation scolaire. Des quelques études effectuées en contexte d’enseignement postsecondaire, nous remarquons que la classe flexible concourt à l’engagement des étudiants et améliore les interactions avec leurs professeurs (Bakare, 2012). Parallèlement, la classe flexible présenterait certaines limites. En effet, elle s’avérerait moins efficace pour des activités d’apprentissage axées sur la mémorisation (Park et Choi, 2014), notamment parce que les élèves qui expérimentent nouvellement cet environnement peuvent être distraits par les paramètres introduits (p. ex., mobilier et assises adaptés) (Perks et al., 2016). Qui plus est, des élèves manifesteraient une certaine résistance face au changement induit par la transformation de la classe traditionnelle en une classe flexible, entre autres dans la mesure où ils préfèrent conserver une posture passive, cette dernière particulièrement empruntée en classe traditionnelle dans laquelle le personnel enseignant recourt à l’enseignement magistral et se positionne en un transmetteur de connaissances par rapport aux élèves (Petersen et Gorman, 2014).

Prenant acte de ces constats issus de différents ordres d’enseignement, il est probable que des paramètres de la classe flexible puissent agir sur l’expérience scolaire des jeunes de 16 à 24 ans en FGA.

3. Objectifs poursuivis

Dans le contexte où nous nous intéressons à l’expérience scolaire, qui est modulée en partie par la REE, et où la classe flexible serait encline à influer à la fois sur cette expérience et la REE, cette étude a donc pour objectif général d’explorer l’expérience scolaire des jeunes de 16 à 24 ans de la FGA qui fréquentent la classe flexible. Un objectif spécifique est poursuivi par la présente recherche:

  • Explorer le point de vue des jeunes de 16 à 24 ans à la FGA relativement à l’influence de la classe flexible et de la classe traditionnelle sur leur expérience scolaire.

4. Méthode

Dans le cadre de cette étude, l’approche exploratoire de nature qualitative a été privilégiée dans le but de mieux décrire l’expérience scolaire des jeunes de la FGA en classe flexible. Dans les prochaines lignes, nous brossons d’abord le portrait des participants de l’étude en plus de faire le point sur les caractéristiques des classes traditionnelle et flexible. Nous focalisons ensuite sur la collecte de données en mettant en évidence les stratégies utilisées, soit l’entrevue individuelle semi-dirigée et le questionnaire électronique. Nous explicitons enfin la démarche d’analyse par réseau par rapport aux données qualitatives qui ont été recueillies (Cohen et al., 2018).

4.1 Participants

L’équipe de recherche a d’abord été sollicitée par deux membres du personnel enseignant de la FGA afin d’amorcer une étude sur la classe flexible, modèle étant en expérimentation dans leurs classes. Ces personnes enseignantes ont par la suite invité leurs élèves à prendre part au projet sur une base volontaire. Afin de préserver la confidentialité des informations formulées et l’anonymat des élèves participants vis-à-vis le personnel enseignant, l’identité des élèves ayant pris part ou non à la collecte de données n’est connue que par l’équipe de recherche. Ainsi, ce sont 41 participants, dont 27 femmes et 14 hommes, âgés de 16 à 24 ans et inscrits en FGA, qui ont été recrutés à l’éducation des adultes dans la région de la Mauricie. Parmi eux, 17 évoluaient dans le programme de formation de base commune (FBC) dans lequel sont offerts des cours de premier cycle du secondaire. Ces élèves fréquentaient la classe flexible uniquement dans le cadre de leur cours de français. Pour les autres disciplines, les cours avaient lieu en classe traditionnelle. De plus, 24 autres participants étaient inscrits dans le programme de formation de base diversifiée (FBD), qui offre des cours de deuxième cycle du secondaire. Leur cours de mathématiques se déroulait en classe flexible. Tout comme pour la FBC, l’ensemble des autres cours étaient offerts en classe traditionnelle. Que ce soit en français pour la FBC ou en mathématiques pour la FBD, les élèves ont passé 40 heures en classe flexible sur une période d’un mois, soit en moyenne 10 heures par semaine.

4.2 Caractéristiques des classes traditionnelle et flexible

Dans cette étude, la classe traditionnelle était dotée de chaises et de pupitres, tous uniformes, disposés en rangées pour les élèves. Le personnel enseignant bénéficiait d’un espace de travail à l’avant de la classe (p. ex., chaise et bureau) et disposait d’un tableau à craie à proximité. Peu ou pas d’affiches ornaient les murs qui étaient blancs et non décorés. Comme les élèves cheminaient selon une approche individualisée, ils travaillaient seuls à leur pupitre et se déplaçaient au bureau du personnel enseignant à l’avant de la classe pour obtenir des explications au besoin.

Les caractéristiques de la classe flexible variaient quelque peu pour les participants en français de la FBC et en mathématiques de la FBD. En français, un mur avait été peint de couleur verte et une affiche géante représentait un paysage d’une chute d’eau. Les élèves avaient accès à un ventilateur sur pied pour se rafraîchir. En mathématiques, les élèves avaient un choix diversifié d’assises (p. ex., chaise standard, ballon, tabouret à hauteur variable). Pour les élèves qui en manifestaient le besoin, il leur était possible de s’asseoir à une longue table de travail au lieu d’un pupitre. Le local était décoré de plantes et d’un serpentin de lumières décoratives. Dans les deux classes (en français et en mathématiques), des pupitres étaient regroupés par quatre pour former des îlots de travail. Concernant le personnel enseignant, il était en mesure de circuler d’un îlot de travail à l’autre pour répondre aux questions des élèves concernant des exercices à réaliser en français ou en mathématiques ou pour valider l’état d’avancement de leur travail. En d’autres mots, le rôle du personnel enseignant en classe flexible ne se limitait plus à attendre à son bureau qu’un élève vienne le consulter pour du soutien, comme c’est le cas ordinairement à la FGA.

4.3 Collecte des données

Dans ce qui suit, nous présentons les stratégies qui ont servi à la collecte de données de la présente recherche.

4.3.1 Entrevue individuelle semi-dirigée

Suivant une logique de coconstruction des connaissances (Karsenti et Savoie-Zajc, 2018) avec les participants lors de la collecte de données, nous avons conduit une entrevue individuelle semi-dirigée d’une durée moyenne de 20 minutes auprès des répondants (Fortin et Gagnon, 2016). Ainsi, 14 participants ont répondu à 10 questions ouvertes quant à leur expérience de la classe flexible par rapport à la classe traditionnelle. Ainsi, ils ont été appelés à expliquer quel était leur environnement de classe préféré (classe flexible ou traditionnelle), comment ces types de classes avaient influencé leurs apprentissages, leurs comportements, leur motivation et leur niveau de plaisir d’aller à l’école de même que leur relation avec le personnel enseignant. De plus, ils ont été sondés à savoir comment le fonctionnement de la classe flexible ou traditionnelle avait contribué au plaisir d’enseigner du personnel enseignant et à leur propre plaisir de travailler en classe. À la fin de l’entrevue individuelle semi-dirigée, les participants étaient encouragés à partager tout autre commentaire relatif à leur expérience de la classe flexible.

4.3.2 Questionnaire électronique

En complémentarité à l’entrevue individuelle semi-dirigée, un questionnaire électronique hébergé sur le site Internet de SurveyPlanet a été rempli par 27 répondants. Ce questionnaire comptait trois énoncés relatifs à l’expérience de la classe flexible à compléter par les participants: 1) Pour moi, la classe flexible, c’est… 2) Mon expérience en classe flexible m’a permis de… 3) Mon expérience en classe flexible m’a permis d’être… Pour l’ensemble de ces énoncés, nous avons obtenu 78 réponses. Nous avons eu recours au questionnaire électronique afin d’accommoder certains participants qui préféraient partager leur expérience sans interagir avec une personne de l’équipe de recherche. Les répondants ont pris en moyenne 10 minutes pour répondre aux trois énoncés relatifs à leur expérience de la classe flexible.

4.4 Analyse des données

À la suite de la tenue des entrevues individuelles semi-dirigées et de la passation du questionnaire électronique, l’ensemble des réponses formulées par les participants ont été transcrites de manière intégrale et analysées à l’aide du logiciel qualitatif Atlas.ti en prenant soin de suivre les étapes de l’analyse par réseau (Cohen et al., 2018), c’est-à-dire l’identification des unités de sens issues des données qualitatives collectées, l’attribution d’un code à chacune de ces unités, le groupement de ces unités en catégories, et enfin le regroupement par thèmes qui unissent ces catégories. Ces thèmes singuliers viennent donc décrire l’expérience scolaire des jeunes de 16 à 24 ans à la FGA fréquentant la classe flexible.

5. Résultats

Dans ce qui suit, nous faisons part des résultats relatifs quant au point de vue des jeunes de la FGA sur leur expérience scolaire en classe flexible. Cinq principaux thèmes, qui ont été relevés de l’analyse par réseau (Cohen et al., 2018), sont abordés: la classe flexible préférée à la classe traditionnelle, le soutien à l’apprentissage, la régulation des comportements, le plaisir d’aller à l’école et le développement d’une REE positive.

5.1 Classe flexible préférée à la classe traditionnelle

Les répondants ont généralement indiqué préférer la classe flexible à la classe traditionnelle. Ils expliquent cette préférence sur la base de l’organisation de la classe. En fait, des répondants ont verbalisé le sentiment d’avoir plus d’espace pour circuler en classe: «Il me semble, t’as plus d’espace entre les bureaux. On dirait qu’on a plus d’espace. C’est peut-être ça aussi, t’as l’impression d’être moins de monde parce que t’as peut-être plus de place pour bouger là, circuler» (participant 7).

Quelques sondés ont souligné que le meilleur éclairage qui y est offert et le choix judicieux des couleurs des murs de la classe réduisaient leur stress: «Comme je dis, je me sens moins stressé en rentrant dans une classe avec cette couleur-là. Moi je reviens aux couleurs. C’est la seule grosse différence que je ressens quand je rentre dans cette pièce-là» (participant 14).

De plus, certains participants ont fait part de leur plus grande concentration en raison de la possibilité d’adapter la hauteur de leur chaise: «Dans le fond, oui, ça m’aide pour avoir de la concentration. Bien j’suis plus haute, j’aime plus l’endroit où je suis, j’suis plus dans mes trucs» (participant 12). Qui plus est, quelques répondants mentionnent qu’ils apprécient avoir le choix du mobilier pour s’asseoir en fonction de la tâche à effectuer (p. ex., tabouret, ballon).

5.2 Soutien à l’apprentissage

Les participants ont été questionnés pour savoir comment la classe flexible avait influencé leurs apprentissages. De l’avis des répondants, plusieurs ont révélé que la classe flexible les soutenait dans leurs apprentissages: «Les enseignants sont à notre écoute quand on travaille» (participant 15); «Cela permettait d’avoir des explications [de l’enseignant] plus rapidement» (participant 37). En effet, les personnes sondées ont entre autres exprimé avoir obtenu de meilleurs résultats, être plus enclines à se mettre au travail, être plus concentrées et bénéficier d’un enseignement plus individualisé en contexte de classe flexible: «J’avais de meilleures notes. J’étais stimulé à étudier et je me sentais bien dans cette classe» (participant 15); «Un endroit unique dans l’école pour étudier les mathématiques, j’ai plus de concentration. Je termine bientôt mes mathématiques de 4e secondaire et c’est en partie grâce à cette classe flexible» (participant 29). La classe flexible concourrait donc au soutien à l’apprentissage.

5.3 Régulation des comportements

Les répondants ont aussi été sondés pour déterminer si la classe flexible avait eu un effet sur leurs comportements. Mentionnons d’emblée que certains n’ont remarqué aucune différence dans leurs comportements, que ce soit en classe flexible ou traditionnelle: «Euh, bien, pour moi, personnellement, ça change pas grand-chose. J’suis toujours comme à mon affaire» (participant 7). Ces derniers répondants ont expliqué avoir un bon comportement, peu importe le type d’environnement dans lequel ils se trouvaient: «J’ai le même comportement dans les deux [types de classes], je crois» (participant 13). Pour quelques-uns, la classe flexible a permis de mieux réguler leurs comportements puisqu’ils parvenaient à rester plus concentrés: «[…] à place d’être trop immobile […] si je bouge un peu ça va permettre que […] oui j’vais moins être dans lune pis j’vais pouvoir plus me concentrer sur mes choses» (participant 10). Un répondant a indiqué moins bien s’engager dans les apprentissages en contexte de classe flexible.

5.4 Plaisir d’aller à l’école

Les répondants ont été appelés à s’exprimer sur l’influence qu’avait eue la classe flexible sur leur plaisir d’aller à l’école. La majorité des personnes apprenantes ont ainsi affirmé avoir plus de plaisir à aller à l’école en contexte de classe flexible: «Beaucoup plus qu’en classe normale, oui» (participant 3). Les réponses fournies pour justifier leur choix portaient sur leur appréciation de l’environnement et, plus particulièrement, sur celle du mobilier utilisé, de la décoration attrayante de la classe et des possibilités de faire des choix dans l’aménagement physique, ce qui contribuait à rendre le climat de classe plus agréable: «Un environnement de travail idéal. L’ambiance y est beaucoup plus agréable que dans une classe standard» (participant 33). À l’opposé, une minorité de participants ont indiqué ne pas avoir un plus grand plaisir d’aller à l’école en contexte de classe flexible: «Non y’a pas une grande différence» (participant 5). À ce sujet, ils ont exprimé avoir déjà un intérêt pour aller à l’école, être motivés intrinsèquement ou être prêts à fournir les efforts nécessaires pour terminer leur cheminement scolaire. Également, il a été question des relations positives des élèves avec le personnel enseignant et les pairs comme facteur d’influence dans le plaisir d’aller à l’école en contexte de classe flexible.

5.5 Développement d’une relation enseignant-élève positive

Les participants ont été invités à répondre à une question visant à déterminer en quoi la classe flexible avait contribué au développement de la REE. Il en ressort que la classe flexible était en cause pour la plupart des répondants quant au développement de relations positives avec le personnel enseignant. Pour appuyer leurs propos, des participants ont fait état que la classe flexible est plus vivante, c’est-à-dire que les interactions entre les pairs et le personnel enseignant sont encouragées, ce qui facilite la création d’une relation positive: «Ça nous fait du bien en fait pour le changement qui est là, une bonne atmosphère, l’ambiance et l’énergie. C’est vraiment comme il [y] a d’énergie là-dedans [classe flexible]. C’est plus vivant» (participant 1). De plus, certains ont explicité que le personnel enseignant apparaît plus intéressé dans la classe flexible et a l’occasion d’aller davantage à la rencontre des élèves, contrairement à la classe traditionnelle dans laquelle le personnel enseignant demeure à son bureau dans l’attente qu’un élève vienne lui poser une question: «S’ils [les enseignants] voient qu’on ne respecte pas notre échéancier, ils nous rencontrent tout de suite et ils nous demandent ce qui se passe, si on a des problèmes dans la vie qui nous empêchent d’avancer» (participant 4). En d’autres mots, certains élèves disent que le personnel enseignant est plus préoccupé par leur état d’avancement dans le travail scolaire et se montre davantage à leur écoute.

À l’inverse, quelques participants ne considèrent pas que la classe flexible a contribué au développement d’une REE positive:

Ça tient pas à ça. Être en classe flexible ou pas, c’est la même chose. Bien tu peux quand même aller parler avec l’enseignant, jaser de la matière mais aussi un peu d’autres choses plus personnelles, autant en classe normale que flexible.

participant 3

Selon leur dire, les liens positifs entre le personnel enseignant et les élèves se sont développés tout aussi bien en classe flexible qu’en classe traditionnelle.

6. Discussion

À la lumière des résultats de notre étude, il nous a été donné d’explorer l’expérience scolaire des jeunes de la FGA qui fréquentent la classe flexible. Nous discutons des cinq principaux thèmes issus des résultats de notre étude, soit le soutien à l’apprentissage, la régulation des comportements, le plaisir d’aller à l’école, la classe flexible préférée à la classe traditionnelle et le développement d’une REE positive.

Par rapport aux thèmes de soutien à l’apprentissage et de régulation des comportements, pour plusieurs répondants, se concentrer en classe semble une préoccupation de taille à l’égard de leur expérience scolaire à la FGA. Rappelons d’emblée que les élèves de la FGA cheminent généralement sous une approche individualisée où ils sont appelés à être autonomes dans leurs apprentissages, c’est-à-dire à effectuer des exercices dans des cahiers ou des modules, seuls à leur pupitre (Voyer et al., 2023). On peut penser qu’il ne soit pas toujours aisé pour ces élèves de trouver la motivation nécessaire pour effectuer leur travail scolaire considérant le nombre de distracteurs possibles présents en classe (p. ex., bruit ambiant). Ce besoin concernant la concentration en classe est aussi rapporté dans les travaux de Dumont et Rousseau (2018) où les élèves sont à la recherche de moyens pour travailler plus efficacement en classe à la FGA. En fait, les élèves qui évoluent en FGA ont à respecter des échéanciers, ce qui leur demande certainement d’avoir une attention soutenue dans leur travail scolaire de manière à s’assurer de le terminer dans le temps imparti (Voyer et al., 2023). Comme le montrent les résultats de la présente étude, la classe flexible aurait contribué favorablement à la concentration de certains élèves qui l’ont fréquentée, ce qui se répercutait positivement sur leurs résultats scolaires de même que sur la régulation de leurs comportements en classe. Cela s’expliquerait en partie par la mobilisation de nouvelles pratiques pédagogiques qui seraient en adéquation avec l’environnement de la classe flexible, et donc qui se détacheraient de celles de la classe traditionnelle (Imms et Byers, 2017). À ce sujet, Kariippanon et al. (2018) rappellent ainsi que l’aménagement de la classe devrait être au service des pratiques enseignantes mises en oeuvre et aux activités pédagogiques pilotées par le personnel enseignant. Bien que les répondants de la présente étude aient exprimé relativement peu de commentaires par rapport aux pratiques pédagogiques déployées par le personnel enseignant en contexte de classe flexible à la FGA, soulignons tout de même que quelques-uns ont témoigné à l’effet que le personnel enseignant allait à la rencontre des élèves lorsque ces derniers travaillaient, ce qui diffère de l’approche individualisée observée généralement en FGA. En somme, cela suggère l’importance de s’intéresser de plus près aux pratiques pédagogiques mobilisées afin de cerner celles qui répondent le mieux au contexte de la classe flexible à la FGA et, par conséquent, qui sont sujettes à influencer favorablement l’expérience scolaire des élèves.

Quant au thème inhérent au plaisir d’aller à l’école, la majorité des participants en ont éprouvé davantage en contexte de classe flexible, principalement en raison du caractère plus attrayant de l’environnement, du mobilier utilisé et de la possibilité de prendre des décisions vis-à-vis l’aménagement physique. Selon la théorie de l’autodétermination, les élèves ont tendance à être plus motivés à apprendre lorsque le personnel enseignant vise le développement de leur compétence et de leur autonomie (Ryan et Deci, 2000). Il est ainsi probable que cette liberté de choix par rapport à certains paramètres physiques de la classe flexible améliore le sentiment de contrôlabilité des élèves vis-à-vis les différentes activités d’apprentissage, ce qui les incite à être plus engagés et, du même coup, à éprouver davantage de plaisir à aller à l’école.

En s’intéressant de plus près aux résultats relatifs au thème de la classe flexible préférée à la classe traditionnelle, des participants de la présente étude ont révélé que certains paramètres de la classe flexible, dont le meilleur éclairage et le choix des couleurs des murs, semblent contribuer à la réduction de leur stress en contexte d’apprentissage. À l’instar des résultats de Marchand (2019), il est reconnu que des élèves de la FGA vivent du stress au cours de leur formation et qu’ils exprimeraient le besoin de mieux le gérer. Si l’environnement physique a le potentiel d’apaiser certains élèves de la présente étude, il apparaît cependant que l’on en connaît bien peu sur les paramètres physiques de la classe flexible les plus optimaux pour soutenir les élèves plus stressés. Ainsi, nous nous questionnons sur les paramètres physiques les plus susceptibles de contrer le stress des élèves (p. ex., couleur des murs et type de luminosité à privilégier) ou encore sur le temps d’exposition nécessaire aux modalités de la classe flexible avant que puisse être observée une réduction du stress chez les élèves.

Relativement au thème du développement d’une REE positive, mentionnons que des élèves sondés ont verbalisé que la classe flexible était en cause dans le développement d’une relation positive avec le personnel enseignant. Selon le modèle Teaching Through Interactions (Hamre et Pianta, 2006), le soutien émotionnel du personnel enseignant à l’égard des élèves est requis dans l’établissement d’une REE de qualité. Ainsi, le personnel enseignant aurait avantage à maintenir des relations chaleureuses et soutenantes auprès des élèves pour que ces derniers en bénéficient dans leur développement social et scolaire (Silver et al., 2005). En effet, certains d’entre eux ont mentionné que les interactions avec le personnel enseignant étaient facilitées en classe flexible étant donné que ce dernier circule davantage en classe, écoute plus attentivement les élèves et est donc mieux au fait des difficultés que ces derniers rencontrent en cours d’apprentissage. Comme l’indiquent les résultats de Marcotte et al. (2015), nous notons que les élèves de la FGA s’attendraient à être soutenus sur le plan socioaffectif, c’est-à-dire que le personnel enseignant témoigne de l’ouverture et des attitudes positives à leur égard. Il y a ainsi lieu de penser que la classe flexible aurait le potentiel de répondre aux besoins des élèves concernant l’établissement et le maintien d’une REE de qualité si nous tenons compte des conditions favorables précédemment évoquées (p. ex., plus grande possibilité d’interagir avec le personnel enseignant).

7. Conclusion

Cette étude avait pour objectif général d’explorer l’expérience scolaire des jeunes de la FGA qui fréquentent la classe flexible. Les principaux résultats ont montré que, selon le point de vue des élèves sondés, la classe flexible contribuerait à répondre à certains de leurs besoins, entre autres, en matière de soutien à l’apprentissage, de régulation des comportements, de plaisir d’aller à l’école et de REE. Certains aspects découlant des résultats ont été discutés, notamment en ce qui a trait à la gestion du stress des élèves, leur plus grande concentration et le développement d’une REE positive.

L’une des principales limites de la présente recherche repose sur la faible considération accordée aux besoins physiques ou psychophysiques des élèves de la FGA en contexte de classe flexible. En effet, il est connu que la classe flexible puisse contribuer à répondre au besoin de bouger de certains élèves, entre autres ceux ayant un déficit d’attention avec hyperactivité ou manifestant de l’anxiété, car ces derniers se sentent plus libres de circuler dans leur environnement (Leroux et al., 2021; 2022). Mentionnons que notre étude n’a pas procédé à une analyse différenciée selon les sexes. Il serait sans doute pertinent de mieux départager les points de vue des garçons et des filles quant à leur expérience scolaire en contexte de classe flexible à la FGA. En effet, comme le font remarquer Dumont et Rousseau (2016), les garçons et les filles qui cheminent à la FGA présentent des besoins psychologiques, psychopédagogiques et pédagogiques qui leur sont propres, ce qui suppose que les paramètres de la classe flexible pouvant y répondre sont sujets eux aussi à varier selon le sexe des élèves.

En prospective, il serait judicieux de croiser le point de vue des élèves ayant expérimenté la classe flexible à celui du personnel enseignant évoluant dans ce milieu. Ce dernier serait à même de soulever les obstacles qui se dressent dans le fait d’enseigner en classe flexible ainsi que d’exposer les pratiques pédagogiques les plus efficaces pour répondre aux différents besoins des élèves et, du même coup, contribuer positivement à leur expérience scolaire.