Corps de l’article

1. Introduction

Dans le cadre d’une vaste réforme visant l’amélioration du système éducatif en Belgique francophone, les instances gouvernementales ont lancé un appel à projets en vue de créer des partenariats entre les écoles et des chercheurs ou des chercheuses, dans le but d’améliorer les compétences des enseignants et des enseignantes en matière de différenciation pédagogique et d’accompagnement personnalisé des élèves, au début de l’enseignement secondaire (grades 7 et 8[1]). Une des spécificités de ces projets résidait dans le fait qu’ils devaient s’ancrer dans des thématiques précises posant particulièrement des difficultés aux élèves. En mathématiques, trois éléments ont été ciblés: le sens du signe «moins» dans l’introduction des nombres négatifs, le sens de la lettre en algèbre et les fractions.

Ces partenariats constituent un lieu privilégié de démarches qui intègrent des processus de formation et de recherches impliquant deux types de partenaires – des personnes enseignantes et des responsables de recherche – autour de champs disciplinaires particuliers.

L’un de ces projets est structuré autour de l’exploitation de tests diagnostiques pensés dans une perspective d’évaluation en tant que soutien aux apprentissages des élèves (Fagnant, 2023) L’utilisation de ces tests vise à amener les enseignants et les enseignantes à établir un diagnostic clair des acquis et des faiblesses de leurs élèves et à réguler leurs pratiques d’enseignement en conséquence: décider quoi enseigner, quand introduire une nouvelle technique ou encore comment organiser le regroupement d’élèves en vue de travailler par exemple sur une difficulté spécifique. Ces tests à visée formative ont été élaborés par l’équipe de recherche. Ce choix s’appuie sur le constat qu’une part non négligeable des difficultés d’apprentissage des élèves dans un contenu particulier s’explique par le fait que certains savoirs sont tout simplement ignorés par les personnes enseignantes (Pilet, 2015; Grugeon, 2016). C’est particulièrement le cas en regard de l’introduction des nombres négatifs: les curricula ont en effet tendance à se focaliser sur les attendus quant aux techniques opératoires, la compréhension de concepts utilisés dans ces techniques (et en particulier le sens du signe «moins») étant peu mise en évidence. Or, les études récentes menées dans ce domaine montrent que les problèmes de compréhension engendrent un nombre important d’erreurs auprès des élèves (Bofferding et Farmer, 2019; Bofferding et Wessman-Enzinger, 2017; Vlassis 2010). Les tests ont donc été conçus pour permettre d’établir un diagnostic qui met en évidence les acquis et les faiblesses des élèves en référence à ces études récentes.

Trois types d’activités ont structuré le travail de collaboration entre l’équipe de recherche et les personnes enseignantes, autour des tests diagnostiques:

  1. la correction des tests (dont plusieurs questions impliquaient une analyse fine des démarches mises en place par les élèves pour répondre aux questions);

  2. l’analyse des résultats visant à dépasser la note globale en vue de mettre à jour les acquis et les faiblesses des élèves dans la compréhension de concepts et dans la mobilisation des techniques de calcul;

  3. la réflexion sur les opportunités d’apprentissage offertes aux élèves dans les cours habituels, en regard des forces et faiblesses dégagées à l’étape précédente, et l’élaboration d’activités complémentaires pour combler d’éventuels manques dans ces cours.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la recherche présentée dans cet article: elle vise à étudier le potentiel de l’exploitation de tests diagnostiques pour favoriser la diffusion de résultats de recherches dans les pratiques enseignantes au début de l’enseignement secondaire (grades 7 et 8). Le travail s’articule autour d’un contenu mathématique particulier: l’introduction des nombres négatifs et des opérations sur ces nombres.

2. Cadre théorique

S’inspirant de la théorie anthropologique du didactique (Chevallard, 1991), le modèle de la transposition méta-didactique (Arzarello et al., 2014; Cusi et al., 2022) permet d’analyser les interactions entre deux communautés (des personnes enseignantes et une équipe de recherche), lorsque ces dernières sont engagées dans des activités réalisées en contexte de développement professionnel du personnel enseignant.

La transposition méta-didactique peut être définie comme un processus dynamique au travers duquel, grâce aux interactions entre deux communautés – des personnes enseignantes et une équipe de recherche – leurs praxéologies respectives vont pouvoir être confrontées et discutées en formation. Dans ce modèle, les praxéologies peuvent être définies comme des réflexions qui concernent la pratique des intervenants et les justifications de cette pratique. Ces praxéologies se développent notamment lorsque ces personnes échangent des savoirs dans le cadre de tâches réalisées en formation (Aldon et al., 2013).

Lors d’un programme de développement professionnel, les interactions entre les deux communautés sont favorisées par un travail sur un objet frontière. Défini comme un dispositif permettant d’amorcer un travail commun aux partenaires (Monod-Ansaldi et al., 2019), cet objet frontière n’existe que lorsque les acteurs en présence agissent réellement dessus (Aldon et al., 2020).

Lors du travail sur un objet frontière, les composantes des praxéologies des deux communautés peuvent évoluer en passant d’un statut externe à un statut interne. Par exemple, une pratique amenée au départ par l’équipe de recherche peut, au travers des discussions entre les partenaires, être progressivement internalisée par le personnel enseignant: c’est ce qu’on appelle le processus d’internalisation. Du côté des enseignantes et des enseignants, les échanges réalisés autour de l’objet frontière leur permettront de s’approprier des connaissances issues de la recherche et approfondir ainsi certains aspects de leurs praxéologies. De leur côté, les équipes de recherche pourront, à la suite de ces échanges, développer des connaissances directement issues de la pratique enseignante et les intégrer à leurs praxéologies également.

Dans cette recherche, nous nous intéressons au rôle de tests diagnostiques élaborés en référence à la littérature de recherche dans le domaine, afin d’amener les personnes enseignantes à s’approprier pleinement de nouvelles connaissances didactiques permettant d’orienter par la suite leurs pratiques de classe. En ce sens, le concept d’objet frontière est plus particulièrement ciblé dans notre étude, de même que le processus d’internalisation. En effet, nous pensons que ces tests diagnostiques constituent un objet frontière: les activités réalisées en formation autour de ces tests contribuent à favoriser un travail commun entre les partenaires en présence, visant in fine le développement de connaissances pour enseigner les nombres négatifs au début de l’enseignement secondaire. Par exemple, lors de la correction des tests, les stratégies mises en oeuvre par les élèves vont pouvoir être mises à jour, certaines étant sans doute insoupçonnées des équipes enseignantes. En outre, l’analyse des résultats aux tests est pensée pour porter un regard plus diagnostique sur certains acquis et faiblesses des élèves issus des classes dont les personnes enseignantes ont la responsabilité. Ces tests ne sont pas pensés pour noter la performance des élèves, mais plutôt pour déterminer le niveau de maîtrise des élèves, de diverses dimensions essentielles à une compréhension approfondie des nombres négatifs et des opérations impliquant ces nombres. L’analyse des tests vise aussi à déboucher sur des discussions relatives aux opportunités d’apprentissage offertes aux élèves et à l’amélioration de ces dernières afin de traiter en classe certaines difficultés relevées. En ce sens, le travail collaboratif vise bien à favoriser, auprès des équipes enseignantes, l’internalisation de démarches leur permettant d’affiner leurs praxéologies en matière non seulement d’évaluation mais aussi d’enseignement d’un contenu disciplinaire spécifique.

Il est possible d’approfondir les caractéristiques de ces deux concepts que sont l’internalisation et l’objet frontière, en référence aux travaux de Cusi et al. (2022) qui proposent un modèle dit «de la transposition méta-didactique 2».

Figure 1

Modèle de la transposition méta-didactique 2

Cusi et al., 2022, p. 365 [traduction libre]

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2.1 Objet frontière

Comme le montre le haut du schéma, l’objet frontière n’existe réellement que grâce aux actions réalisées par les personnes sur cet objet: il convient donc d’étudier ce dernier au travers des activités exercées par les enseignants, les enseignantes, les chercheurs et les chercheuses sur l’objet frontière, ces actions permettant aux praxéologies des partenaires en présence de se développer (Aldon et al., 2020).

Pour réellement constituer un objet frontière, l’objet de travail des deux partenaires doit offrir une «flexibilité interprétative» permettant à chaque acteur de trouver un intérêt à son étude, son usage (Monod-Ansaldi et al., 2019; Robutti et al., 2020), en fonction des buts qu’il accorde au travail collaboratif. Il importe également que cet objet soit suffisamment commun pour susciter des interactions entre les partenaires, interactions qui permettront d’éclairer progressivement l’objet frontière (Aldon et al., 2020). Un autre élément fondamental pour la compréhension de l’objet frontière relève de sa «structure interne et sa granularité» (Aldon et al., 2020; Star, 2010): un objet frontière peut ainsi être décomposé en une série de dimensions qui vont susciter des échanges entre les partenaires et qui vont finalement aider à mieux comprendre la portée de l’objet frontière pour favoriser des évolutions dans les praxéologies des personnes enseignantes et chercheuses. Il est également possible que certains aspects spécifiques de l’objet frontière soient plus intéressants à étudier que d’autres en fonction de leurs potentiels pour favoriser une telle évolution des praxéologies des partenaires.

2.2 Processus d’internalisation

L’internalisation correspond à un processus continu qui va permettre aux deux communautés d’interagir de manière collaborative durant la formation. Elle est intimement liée au concept de développement professionnel: celui-ci est en effet considéré comme le résultat des interactions entre les deux partenaires (Cusi et al., 2022). Trois éléments permettent de préciser le processus d’internalisation (ils sont représentés par des flèches courbées sur le schéma de la figure 1).

  1. Grâce à leurs échanges, tant les personnes enseignantes que chercheuses vont pouvoir établir de nouvelles connexions dans leurs connaissances déjà existantes (cela est représenté par les nuages sur le schéma: les lignes en pointillés et les points noirs représentent les nouvelles connaissances qui vont s’articuler à celles existant déjà avant la participation au programme de développement professionnel).

  2. En outre, ce processus d’internalisation sera rendu possible grâce aux actions individuelles des partenaires en présence, actions qui participent à l’activité collective sur l’objet frontière.

  3. Enfin, le processus d’internalisation ne se réalisera pas de la même manière pour toutes les personnes enseignantes: en effet, pour qu’il soit rendu possible, la présence d’une série d’agents (par exemple, des éléments de type motivationnel ou institutionnel) est nécessaire.

2.3 Tests diagnostiques et caractéristiques de l’objet frontière et du processus d’internalisation

S’inscrivant dans l’optique d’une évaluation au service des apprentissages des élèves (Fagnant, 2023), les tests diagnostiques exploités lors du programme de développement professionnel ont une visée formative. Ils ont été élaborés en référence directe aux travaux de recherche qui mettent en évidence les éléments clés permettant aux élèves de progresser dans la maîtrise des premiers apprentissages liés aux nombres négatifs et aux opérations impliquant ces derniers (Bofferding et Farmer, 2019; Bofferding et Wessman-Enzinger, 2017; Vlassis 2010; Vlassis et Demonty, 2022). Ces tests diagnostiques constituent donc probablement au départ un outil externe aux praxéologies des personnes enseignantes. En outre, ils ont été pensés pour mettre en évidence des concepts incontournables pour susciter la bonne maîtrise du sujet par les élèves. En ce sens, une collaboration réussie devrait aboutir à l’internalisation, dans les praxéologies des personnes enseignantes, de pratiques plus efficaces en matière d’apprentissage et d’évaluation des concepts liés au contenu mathématique abordé.

Ces tests présentent les deux caractéristiques de l’objet frontière évoquées ci-dessus. Premièrement, ils s’adaptent bien à une flexibilité interprétative, puisque l’utilisation qui en sera faite est pensée pour répondre aux besoins d’apprentissage des élèves de chacune des classes dont les enseignants et les enseignantes ont la responsabilité. Cette utilisation variera sans doute en fonction des contextes de travail des différentes équipes éducatives. Deuxièmement, il est possible d’étudier ces tests à des niveaux de granularité variés, ce qui ne sera probablement pas sans conséquence sur le processus d’internalisation: les équipes enseignantes peuvent en effet s’emparer de ces tests en tant que tels, en vue de les utiliser finalement dans leurs praxéologies. Il est également possible que les enseignants et les enseignantes n’utilisent plus ces derniers mais qu’ils intègrent plutôt, dans leurs praxéologies, les connaissances que ces tests ont permis de dégager (analyse fine des démarches d’élèves, démarches d’enseignement particulièrement porteuses pour traiter certaines difficultés d’élèves qui étaient peu prises en compte avant la participation au programme de formation…).

3. Questions de recherche

Afin d’étudier le potentiel de tests diagnostiques pour favoriser la diffusion de recherches dans les pratiques des enseignants et des enseignantes, cette recherche s’intéresse au processus d’internalisation et vise à questionner plus précisément l’usage de cet objet frontière perçu par le public enseignant pendant et après le dispositif de collaboration mis en place. Plus précisément, les deux questions de recherche suivantes sont étudiées.

3.1 Quel regard les personnes enseignantes portent-elles sur les tests diagnostiques proposés par l’équipe de recherche et le travail réalisé sur ces derniers durant la formation?

En référence aux caractéristiques liées à l’objet frontière décrites ci-avant (Monod-Ansaldi et al., 2019), nous étudierons plus précisément les types d’activités réalisées par le personnel enseignant sur ces tests diagnostiques. Ce faisant, nous analyserons également le potentiel de ce dispositif en matière de flexibilité interprétative (Monod-Ansaldi et al., 2019; Robutti et al., 2020). Les éléments liés à la structure interne de cet objet frontière et sa granularité (Aldon et al., 2020; Star, 2010) seront également envisagés. Singulièrement dans ce dispositif collaboratif, il est important que les personnes enseignantes dépassent l’utilité de ces tests pour constater les forces et les faiblesses de leurs élèves en vue d’aborder également tout son intérêt pour porter un regard réflexif sur leurs stratégies d’enseignement (Fagnant, 2023).

Cette première question de recherche sera appréhendée au travers des usages de ces tests que les personnes enseignantes ont perçus durant la collaboration.

3.2 Après la formation, dans quelle mesure les tests diagnostiques seront-ils maintenus dans la pratique enseignante?

Cette deuxième question de recherche permet d’approcher le processus d’internalisation: quels aspects des tests diagnostiques seront finalement intégrés par les personnes enseignantes, dans leurs pratiques futures? Comme expliqué précédemment, les tests diagnostiques sont des outils élaborés par les chercheuses, en référence à leur cadre d’analyse issu de la recherche en didactique des mathématiques: en ce sens, ils sont sans doute externes aux praxéologies des enseignantes et des enseignants. Au terme de la collaboration, ces derniers ressentent-ils un intérêt à utiliser cet outil dans la suite de leur travail dans les classes? L’utilisation de ces outils semble-t-elle intégrée dans les praxéologies des enseignants et des enseignantes? Ces personnes vont-elles plutôt sélectionner certains aspects de ces tests pour leurs pratiques futures, voire les abandonner?

Cette deuxième question sera étudiée au travers des réponses apportées par les personnes enseignantes ayant participé au dispositif de formation à une question leur demandant ce qui sera maintenu dans leur pratique, une fois la collaboration terminée.

4. Méthode

4.1 L’organisation du travail collaboratif

Le projet de recherche collaborative présenté dans cette étude s’est déroulé durant l’année scolaire 2020-2021. Il réunit treize équipes éducatives et quatre chercheuses autour de l’exploitation d’environnements porteurs en mathématiques au 1er degré de l’enseignement secondaire (grades 7 et 8). Ces environnements s’appuient sur des stratégies de différenciation exploitables à la fois dans les cours habituels de mathématiques proposés à l’ensemble des élèves concernés et dans des séances dites d’encadrement personnalisé: durant deux heures par semaine, les enseignants et les enseignantes peuvent proposer à leurs élèves de travailler en demi-groupes pour approfondir la matière vue durant les cours habituels (remédiation pour les élèves en difficulté, consolidation des apprentissages pour les élèves moyens ou dépassement pour les élèves plus avancés).

L’accompagnement des équipes éducatives s’appuie sur les constats relevés par plusieurs recherches concernant les pratiques efficaces d’accompagnement des personnes enseignantes dans le domaine des mathématiques au début de l’enseignement secondaire (Borko et al., 2005; Koellner et al., 2011). Trois éléments clés se dégagent de ces études:

  • le programme se centre sur les connaissances pour enseigner issues de la littérature de recherche comme essentielles pour favoriser le raisonnement des élèves; et justement, dans des domaines comme les nombres négatifs, les enseignants et les enseignantes doivent parvenir à prendre de la distance par rapport à leur propre maîtrise du sujet (et en particulier leur aisance calculatoire) pour prendre en compte les réels besoins des apprenants qui découvrent ces matières (Ball et al., 2008);

  • l’accompagnement s’insère dans une approche située, en ce sens que l’exploitation de ces connaissances doit être envisagée en lien direct avec la pratique enseignante;

  • le dispositif favorise le développement d’une communauté de personnes enseignantes-apprenantes en misant sur les partages de pratiques entre celles-ci (Borko et al., 2005).

Les tests diagnostiques exploités en formation rencontrent ces trois éléments. Tout d’abord, ils sont élaborés en référence directe aux recherches récentes menées dans le domaine de l’introduction des nombres négatifs (Bofferding et Farmer, 2019; Bofferding et Wessman-Enzinger, 2017; Vlassis 2010; Vlassis et Demonty, 2023). Ensuite, ces tests s’inscrivent dans une approche située, dans la mesure où ils sont soumis aux élèves dont les personnes enseignantes ont la responsabilité et sont analysés avec les équipes éducatives. Des leçons de ces mêmes personnes sont en outre analysées et discutées en formation à la lumière des constats dégagés à la suite de la passation des tests et des activités sont menées dans les classes par les personnes enseignantes, en présence des chercheuses. Enfin, le dispositif de collaboration autour de ces tests mise également sur le partage de pratiques et sur le développement d’une communauté de personnes enseignantes-apprenantes. Ce partage est réalisé à deux niveaux. D’une part, il est envisagé à l’échelle de l’école, lors de réunions de concertation prévues entre les chercheuses et chaque équipe enseignante de mathématiques impliquée dans le projet et organisées dans chaque école. D’autre part, des échanges sont suscités entre les personnes enseignantes des écoles qui participent au projet, lors de trois rencontres réunissant les chercheuses, les enseignantes et les enseignants des différentes écoles. Afin de favoriser la présence d’un maximum de personnes, ces rencontres ont été organisées à distance.

4.2 Le public enseignant ciblé dans la recherche

Sur les 13 équipes éducatives qui ont pris part au projet, dix personnes enseignantes, issues de quatre écoles, ont choisi d’exploiter la thématique liée à l’introduction des nombres négatifs et des opérations sur ceux-ci. Elles étaient âgées de 22 à 59 ans et avaient une expérience professionnelle en enseignement des mathématiques variée (entre une et plus de vingt-cinq années d’expérience). Ces dix personnes ont participé à l’ensemble des activités prévues (rencontres en école et participation aux séances en ligne). Chaque personne impliquée dans le travail disposait en outre d’une période de 50 minutes par semaine dans son horaire, consacrée à des concertations liées à cette recherche collaborative.

Avant le début de la formation, une rencontre avec chaque équipe enseignante a eu lieu: elle a permis de dégager quelques aspects des praxéologies des enseignants et des enseignantes concernant l’évaluation en général, ainsi que d’évaluer la familiarité de ces derniers avec les tests diagnostiques. Cette discussion nous a permis de constater que ces personnes ont l’habitude de proposer des tests exclusivement après l’apprentissage: structurés autour d’une série de calculs impliquant les nombres négatifs, ces tests sont essentiellement destinés à évaluer la maîtrise des techniques opératoires. En cas de réussite, la note est prise en compte pour le bulletin. En cas d’échec, les élèves ont la possibilité de participer à des activités de remédiation, destinées à revoir les techniques permettant d’effectuer les calculs: les difficultés des élèves sont essentiellement dues, d’après les enseignants et les enseignantes n’ayant pas encore participé au programme, à un manque de mémorisation des techniques à utiliser. Après cette séance de remédiation, dans certaines classes, les élèves ont la possibilité de passer un second test, du même type que le premier test, et la meilleure des deux notes est conservée.

4.3 Le contenu des tests diagnostiques

Étant donné que les enseignants et les enseignants travaillent en première et deuxième année de l’enseignement secondaire (grades 7 et 8), trois «tests diagnostiques» ont été élaborés pour prendre place à quatre moments de la scolarité des élèves:

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Figure 2

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Les items qui les composent s’articulent autour de trois thématiques, considérées comme importantes pour développer une bonne compréhension des nombres négatifs et des opérations impliquant ces derniers (Bofferding et Farmer, 2019; Bofferding et Wessman-Enzinger, 2017; Vlassis, 2010):

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Deux points d’attention sont par ailleurs identifiés, en lien avec les obstacles recensés dans la littérature de recherche (Vlassis 2010; Vlassis et Demonty, 2023).

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Dans tous les tests, il est demandé aux élèves «d’expliciter leurs démarches» pour permettre d’analyser plus finement les procédés utilisés en allant au-delà de la réponse. Ainsi, il est par exemple possible de déceler, dans les explications produites, quel sens du signe «moins» l’élève convoque.

Il s’agit bien ici d’utiliser les productions des élèves comme «indicateurs de leurs modes de pensée» de manière à pouvoir les aider à progresser grâce à une aide plus personnalisée et adaptée. Tous ne réfléchissent pas de la même manière et tous n’assimilent pas les concepts à la même vitesse. Certaines questions sont similaires aux deux tests, de manière à pouvoir percevoir une évolution dans les modes de pensée des élèves et dans leur appropriation du signe «moins».

L’objectif du premier test est de repérer les déjà-là des élèves. Le but des deux autres tests n’est plus du même ordre: il s’agit ici de mettre en évidence les compétences que l’élève a acquises, celles en cours de construction et celles qu’il n’a pas acquises. Étant donné le caractère évolutif des tests, l’attribution de scores n’est pas préconisée, car leur comparaison temporelle serait caduque. L’idée est bien que ces tests constituent pour l’enseignant une aide à la régulation de ses pratiques.

Ces tests diagnostiques sont donc assez éloignés de la pratique enseignante habituelle, que ce soit au niveau de leur contenu (puisqu’on cible ici des dimensions bien plus larges que celles habituellement envisagées dans les tests des enseignants et des enseignantes) ou de leur utilisation (la note chiffrée fait place à un diagnostic basé sur des critères particuliers; un test est proposé avant même de démarrer les apprentissages, ce qui n’est pas non plus une habitude des personnes enseignantes). Les tests leur ont été présentés avant de démarrer le travail collaboratif, lors d’une rencontre réunissant tous les partenaires. Les équipes enseignantes ont eu l’occasion de donner leur point de vue sur ces tests et les ont accueillis de manière très positive, particulièrement pour le test soumis avant les apprentissages de première secondaire (grade 7): connaissant peu leurs élèves puisque l’enseignement secondaire débute en Belgique au début du grade 7, elles étaient intéressées par la possibilité d’avoir des informations permettant de cibler leur «déjà-là». Elles étaient cependant très sceptiques concernant la capacité de ces élèves à réaliser un certain nombre de tâches (en partie celles qui concernent les opérations en contexte), avant même que le chapitre sur les nombres négatifs n’ait été introduit. Elles ont en outre souhaité d’emblée conserver leurs tests habituels pour établir un bilan des acquis des élèves, au terme des leçons, et disposer alors d’une note chiffrée, en référence directe aux attendus des référentiels.

4.4 Le travail sur les tests diagnostiques

Une première série d’actions a pour objectif d’amener le personnel enseignant à explorer les résultats de tests diagnostiques en vue de piloter leurs pratiques. Chaque école s’est lancée dans ce travail. Le travail a été planifié comme suit.

  1. Chaque équipe éducative propose un test fourni par l’équipe de recherche à ses élèves de 1re année ou de 2e année (grades 7 et 8).

  2. Personnes enseignantes et chercheuses se réunissent en vue de corriger les épreuves, en s’appuyant sur un guide de codage aménagé en fonction des productions effectives des élèves analysées durant cette étape. Les résultats sont encodés dans des grilles informatisées permettant de disposer assez rapidement d’un diagnostic par classe: celui-ci permet de déceler le «déjà-là» des élèves sur lequel les apprentissages pourront s’appuyer, mais aussi de cibler certains points d’attention (correspondant à des stratégies d’élèves particulièrement problématiques en regard du noeud matière visé).

  3. C’est sur la base de ces premiers constats qu’une discussion est menée entre les deux partenaires: il s’agit de voir comment, dans les cours préparés par les personnes enseignantes, il sera possible de tenir compte de ces «déjà-là», des compétences déjà acquises ou partiellement acquises et des points d’attention.

  4. Les leçons sont ensuite données par les personnes enseignantes et les chercheuses observent la mise en oeuvre de certaines activités, pensées pour combler certains manques apparaissant dans les leçons analysées à l’étape précédente.

  5. Une fois les leçons terminées, un test ciblé sur les apprentissages essentiels de l’année considérée est proposé: il permet non seulement à l’équipe éducative de se questionner sur l’efficacité du dispositif mis en oeuvre, mais également de guider le contenu de séances d’encadrement personnalisé, afin d’approfondir l’un ou l’autre point qui reste problématique.

4.5 Les données exploitées dans le cadre de cette recherche

Les données exploitées dans cet article s’appuient sur une analyse d’un questionnaire soumis aux enseignants et aux enseignantes au terme de l’année de collaboration: elles concernent les réponses apportées par les dix personnes ayant exploité le noeud matière lié à l’introduction des nombres négatifs et des opérations impliquant ces nombres. Ces questionnaires ont été remplis de manière tout à fait anonyme et comportaient au total une quinzaine de questions.

Plus précisément, les réponses apportées aux trois questions suivantes sont ciblées.

  1. Quel est selon vous l’intérêt du prétest et qu’en retirez-vous?

  2. Quel est l’intérêt du post-test et qu’en avez-vous retiré?

  3. Que comptez-vous réutiliser l’an prochain par rapport au noeud matière choisi cette année?

Ces données ont été traitées au travers d’une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2021) visant à décrire, de manière qualitative, les propos des personnes enseignantes exprimés en regard de ces différentes questions.

5. Résultats

5.1 Quel regard les personnes enseignantes portent-elles sur les tests diagnostiques proposés par l’équipe de recherche et le travail réalisé sur ces derniers durant la formation?

Les premières activités réalisées par les personnes enseignantes au départ des tests diagnostiques concernent la correction proprement dite du test soumis aux élèves avant les apprentissages en classe. Sur la base d’un guide de codage élaboré par les chercheuses, les différents partenaires ont corrigé les copies des élèves.

Durant cette étape, le travail s’est principalement focalisé sur l’analyse des démarches des élèves. Pour y parvenir, le guide de codage présentait des types de démarches, accompagnées de productions authentiques d’élèves. Les équipes enseignantes ont par exemple pu constater qu’avant tout apprentissage formel des nombres négatifs plusieurs de leurs élèves avaient conscience que l’utilisation du signe «moins» devant un nombre pouvait avoir le statut de signe attaché au nombre. Ils ont également pu observer les capacités de certains élèves dans le calcul impliquant les nombres négatifs, avant l’apprentissage des règles formelles. Ce sont donc bien des connaissances issues de la recherche qui ont pu être appréhendées par les enseignants et les enseignantes, lors de l’analyse des démarches de leurs propres élèves.

Interrogés sur l’intérêt du premier test diagnostique, les enseignants et les enseignantes ont principalement formulé trois types d’usage: un regard sur l’analyse des démarches des élèves, une réflexion sur sa propre pratique d’enseignement, un outil qui n’a de sens qu’en comparaison au test final.

Le tableau 1 présente la manière dont les enseignantes et les enseignants se sont positionnés, au terme du travail sur l’intérêt perçu de ces premiers tests diagnostiques. Leurs propos apparaissent entre guillemets dans le tableau.

Tableau 1

Intérêt perçu par les enseignants et les enseignantes sur le premier test diagnostique

Intérêt perçu par les enseignants et les enseignantes sur le premier test diagnostique

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La flexibilité dans l’interprétation de l’objet frontière apparaît dans ces commentaires, puisque trois grands usages sont relevés. Très peu de personnes évoquent toutefois le potentiel de ces tests pour développer leurs connaissances pour enseigner, en regard du noeud matière ciblé.

Par la suite, une réunion a été organisée dans chaque école pour discuter, avec les enseignants et les enseignantes, de l’analyse du cours qu’ils envisageaient de donner, à la lumière des résultats des élèves au premier test diagnostique.

Si quelques activités d’introduction visaient à donner du sens aux nombres négatifs (à l’aide de températures ou d’activités de gain et de pertes), les cours habituels des enseignantes et des enseignants se focalisaient très rapidement sur les règles d’addition et de soustraction avec parfois le souci d’introduire ces règles, sans chercher réellement à développer une compréhension conceptuelle. Les débats avec les chercheuses ont donc amené à réfléchir ensemble à des activités visant à travailler davantage le sens des techniques impliquant les opérations sur les nombres négatifs, au travers de l’utilisation de supports visuels. Deux activités ont été élaborées, l’une visant à exploiter la droite des nombres et l’autre, les tuiles algébriques. Ces tuiles permettent de visualiser des quantités positives (représentées par des carreaux rouges) et négatives (représentées par des carreaux blancs et de réaliser des opérations d’addition et de soustraction impliquant ces deux types de quantités (voir figure 3).

Figure 3

Un exemple d’utilisation des tuiles algébriques pour donner du sens aux opérations impliquant les nombres négatifs: dans ce cas, l’opération 3 – (-5).

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Qu’elles impliquent l’utilisation de la droite des nombres ou des tuiles algébriques, ces activités ont été très appréciées des personnes enseignantes qui ont en particulier relevé l’engagement des élèves dans les situations proposées et l’intégration aisée de celles-ci dans leur cours habituel.

Après avoir enseigné le chapitre sur les nombres négatifs, les personnes enseignantes ont soumis un second test diagnostique à leurs élèves qui, comme le précédent, a ensuite été corrigé conjointement par les partenaires. Outre l’analyse des démarches mises en oeuvre par les élèves, les échanges ont cette fois permis d’analyser les progrès des élèves à la suite de l’apprentissage: plusieurs questions étant soit identiques, soit pensées en continuité entre le premier et le second test diagnostique. Le travail de collaboration a en outre permis non seulement de constater les progrès des élèves, mais aussi d’interpréter les différences entre les résultats des classes, à la lumière de l’enseignement proposé dans ces classes. Par exemple, bien qu’ayant exploité les mêmes activités, les résultats de deux classes d’élèves étaient assez contrastés: dans l’une d’entre elles, des difficultés apparaissaient encore dans l’utilisation de techniques, alors que dans l’autre, les questions sur le sens du signe «moins» posaient davantage de difficultés. Les personnes enseignantes ont alors cherché à voir quelles actions elles avaient pu faire pour expliquer ces résultats et, en effet, l’une a constaté que dans ses interventions elle a beaucoup insisté sur la compréhension des concepts alors que l’autre a davantage travaillé sur la maîtrise des techniques en tant que telles.

Le tableau 2 présente l’intérêt perçu par les personnes enseignantes concernant ce second test diagnostique. Leurs propos sont indiqués entre guillemets.

Tableau 2

Intérêt perçu par les enseignants et les enseignantes concernant le second test diagnostique

Intérêt perçu par les enseignants et les enseignantes concernant le second test diagnostique

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À nouveau dans ce cas, les usages qu’ont perçus les personnes enseignantes de ces seconds tests diagnostiques sont variés et vont souvent bien au-delà du seul intérêt pour les résultats. De nombreuses personnes identifient la dimension formative de ces tests, que ce soit pour revoir leurs pratiques ou pour approfondir la matière avec certains élèves.

5.2 Après la formation, dans quelle mesure les tests diagnostiques seront-ils maintenus dans la pratique enseignante?

Au terme de la formation, les personnes enseignantes ont été interrogées sur leur intention de conserver les différents outils créés dans le cadre de la recherche (tests diagnostiques et activités d’apprentissage).

Seulement deux personnes ont estimé qu’ils continueraient à utiliser l’ensemble des outils, les tests contribuant principalement à cibler les acquis ou les difficultés d’apprentissage des élèves et les activités constituant une ressource intéressante pour favoriser une meilleure compréhension des techniques de calcul impliquant des nombres négatifs. Les huit autres personnes ont considéré que seules les activités élaborées durant la formation, à la suite de l’analyse des manques apparaissant dans leurs cours, seraient conservées, car, selon eux, elles permettent de travailler le sens des concepts sous-jacents aux procédures (sens du «signe moins», compréhension des règles).

Lors d’une discussion collective avec les chercheuses, les personnes qui ont décidé de ne pas conserver les tests ont expliqué les raisons de ce choix: selon elles, ces tests ont demandé un temps de passation et de correction non négligeable. Si ces activités étaient très utiles durant la collaboration, c’était avant tout pour prendre conscience des démarches des élèves et pour adapter leur enseignement à ces dernières. En outre, tous les enseignants et les enseignantes considèrent qu’il est important de diffuser ces ressources auprès des personnes souhaitant mener une réflexion sur l’enseignement des nombres négatifs. Toutefois, à la suite de cette prise de conscience réalisée, il n’est plus nécessaire, selon leurs dires, de proposer le test chaque année, car il est également tout à fait possible d’avoir accès aux démarches des élèves, lorsque ces derniers effectuent des exercices en classe, sans nécessairement passer par des tests formatifs écrits.

Tout en reconnaissant l’intérêt des tests diagnostiques pour améliorer leurs pratiques d’enseignement, la grande majorité des enseignants et des enseignantes ne considèrent donc pas que ces tests seront réutilisés dans leur pratique future. Plus que l’utilisation des tests en tant que tels, ce qui semble être internalisé dans leur praxéologie relève essentiellement des connaissances que ces tests ont permis de développer, dans le cadre de la collaboration avec les chercheuses. Ce constat peut sans doute en grande partie s’expliquer par le fait que la collaboration n’a réellement débuté que par la correction des tests. Un travail de collaboration impliquant l’élaboration même des tests aurait peut-être permis une meilleure internalisation des «tests diagnostiques» dans la pratique enseignante. Ceci est d’autant plus probable qu’initialement les tests proposés par les enseignants et les enseignantes ne comportaient pas réellement une dimension diagnostique.

6. Discussion

Favoriser les collaborations entre personnes chercheuses et enseignantes autour de l’exploitation de connaissances issues de la recherche apparaît comme une voie intéressante pour favoriser l’appropriation de ces dernières auprès des enseignants et des enseignantes (Wilkie, 2017).

La recherche présentée dans cet article visait à étudier un dispositif de développement professionnel s’appuyant sur l’exploitation de tests diagnostiques, en focalisant la réflexion sur les enseignants et les enseignantes ayant participé à ce dispositif: quelle vision ont ces personnes de l’utilité d’un travail autour des tests diagnostiques et dans quelle mesure considèrent-elles que ces derniers puissent être intégrés dans leurs pratiques courantes, après le travail de collaboration?

La recherche présente une série de limites: les analyses reposent exclusivement sur des réponses écrites par les personnes ciblées, réponses rédigées directement au terme de la collaboration et par le biais d’un questionnaire rédigé par les chercheuses. Même si la passation du questionnaire était tout à fait anonyme, on ne peut exclure une certaine désirabilité sociale dans les réponses apportées aux questions. Les enseignantes et les enseignants impliqués dans le dispositif étaient peu nombreux et volontaires pour participer au travail collaboratif. Des aménagements d’horaire avaient d’ailleurs été prévus, afin par exemple de leur dégager du temps pour participer aux rencontres avec les chercheuses. Cela a indubitablement permis une implication importante de leur part.

Au-delà de ces limites, cette recherche pointe plusieurs éléments favorisant l’appropriation des personnes enseignantes de connaissances pour enseigner, dans le cadre de l’exploitation de tests diagnostiques.

Tout d’abord, les analyses présentées permettent d’éclairer quelques facettes de l’objet frontière, émergeant des échanges entre les partenaires autour des tests diagnostiques. L’utilité perçue par les personnes enseignantes concernant ces tests fait en premier lieu apparaître une flexibilité interprétative importante: les personnes considèrent qu’ils permettent tantôt de diagnostiquer les acquis et faiblesses des élèves, tantôt de stimuler la réflexion sur les leçons à proposer aux élèves, tantôt de mettre à jour des progrès réalisés par les élèves et d’objectiver davantage l’efficacité des actions mises en place durant les leçons. Par ailleurs, la structure interne de cet objet et sa granularité peuvent être éclairées au travers du constat que posent plusieurs personnes enseignantes concernant le rejet des tests: l’analyse didactique que les tests ont permis de susciter constitue en définitive un aspect central de l’objet frontière, bien plus que les tests diagnostiques en tant que tels.

Les analyses amènent également à documenter le processus d’internalisation, au travers de deux éléments clés permettant de le caractériser (Cusi et al., 2022). Tout d’abord, grâce à leurs échanges autour de l’exploitation des tests diagnostiques, les personnes enseignantes ont eu l’occasion d’établir de nouvelles connexions dans leurs connaissances déjà existantes: si, initialement, elles mettaient beaucoup d’attention dans leurs leçons à installer les techniques, les tests diagnostiques leur ont permis de se rendre compte de l’importance de travailler également le sens des concepts et des techniques impliquant les nombres négatifs. Elles ont eu la possibilité d’élaborer, en concertation avec les chercheuses, des activités d’enseignement à inclure dans leurs leçons habituelles, pour pleinement répondre à ces besoins d’apprentissage des élèves qu’elles avaient tendance à négliger. Ces nouvelles connaissances acquises en formation semblent donc avoir pu s’intégrer dans leur réseau initial de pensée. De plus, les explications qu’ont fournies les enseignants et les enseignantes pour justifier l’abandon du test diagnostique dans leur pratique future font émerger au moins deux types d’agents qui limitent l’internalisation de cet objet frontière dans sa globalité. Ces types d’agents relèvent d’aspects motivationnels et institutionnels. Singulièrement ici, les personnes enseignantes évoquent des problèmes de compatibilité de l’utilisation des tests diagnostiques avec leurs pratiques habituelles (temps de correction et de passation des tests trop important). Cette volonté de ne pas conserver les tests dans leurs pratiques peut également être analysée à la lumière des praxéologies des enseignants et des enseignantes, avant la collaboration: réaliser un test avant de démarrer un chapitre ne faisait pas partie de leurs habitudes. En outre, l’absence de note des tests diagnostiques peut également constituer un frein à l’intégration de cette pratique dans leur praxéologie. Ces différents éléments contribuent à expliquer les raisons finalement multiples de l’abandon des tests. Bien sûr, une évaluation-soutien d’apprentissage ne se limite pas à l’intégration de tests diagnostiques dans les pratiques enseignantes. Toutefois, nos résultats confirment la complexité d’installer durablement une telle vision de l’évaluation, qui nécessite que les personnes enseignantes disposent non seulement d’une série d’attitudes générales face à l’évaluation, mais également des compétences professionnelles relevant tant du domaine de l’évaluation que de la didactique liée à des champs disciplinaires spécifiques (Fagnant, 2023).

Malgré cette difficulté d’implanter une pratique d’utilisation de tests diagnostiques dans les écoles, l’analyse du travail collaboratif décrit dans cet article montre que ce travail a favorisé l’appropriation, par les équipes enseignantes, de connaissances pour un enseignement plus efficace, s’appuyant sur les résultats de recherches didactiques récentes. En effet leurs propos sont rassurants dans ce domaine, dans la mesure où elles expriment l’intérêt d’intégrer les connaissances échangées en formation dans leurs praxéologies. Elles proposent par exemple d’observer plus finement que par le passé les démarches des élèves lorsqu’ils travaillent sur les exercices des cours ou d’intégrer, dans les leçons, des séances permettant aux élèves de mieux comprendre les nombres et les symboles qu’ils manipulent lorsqu’ils effectuent des opérations impliquant les nombres négatifs. Ces éléments sont constitutifs d’une évaluation-soutien d’apprentissage et nous amènent à penser qu’une partie essentielle de l’objet frontière (les connaissances didactiques que les tests ont contribué à susciter) a finalement bien été intégrée dans la praxéologie des enseignants et des enseignantes ayant participé au dispositif.

7. Conclusions et perspectives

Le modèle de la transposition méta-didactique a été développé dans le but de fournir un cadre permettant d’analyser les interactions entre deux communautés engagées dans des activités en lien notamment avec le développement professionnel du personnel enseignant. L’analyse de l’exemple précis d’un dispositif articulé autour de l’exploitation de tests diagnostiques a montré son intérêt pour mieux comprendre non seulement le processus d’internalisation mais également les caractéristiques de l’objet frontière qui se dégage des interactions entre les personnes qui collaborent.

De nombreuses questions restent en suspens et permettent d’envisager des perspectives dans deux directions au moins.

Premièrement, concernant le suivi de l’évolution de praxéologies des enseignants et des enseignantes, des études complémentaires gagneraient à être menées pour approfondir l’analyse, afin de voir par exemple si de telles connaissances acquises en formation se maintiennent dans le temps. Il serait également très utile de répliquer ce type de programme de développement professionnel dans d’autres contextes, auprès d’autres équipes éducatives, afin de documenter davantage encore la valeur des tests diagnostiques qui favorisent le développement de connaissances pour enseigner, particulièrement dans des domaines qui posent de nombreuses difficultés auprès des élèves.

Deuxièmement, en matière de développement de compétences liées spécifiquement à l’évaluation, les analyses présentées dans cet article renforcent l’idée que davantage d’attention devrait encore être accordée aux démarches permettant de favoriser, auprès des enseignants et des enseignantes, le développement d’une véritable évaluation au service des apprentissages: celle-ci nécessite d’articuler deux types de connaissances au moins, celles liées à l’évaluation et celles relevant de la didactique liée à des contenus disciplinaires spécifiques (Fagnant, 2023). Afin de favoriser davantage une telle articulation, il serait sans doute indispensable d’impliquer davantage les personnes enseignantes dès la conception même des évaluations, afin notamment de mieux prendre en compte leurs contraintes, leurs attentes mais aussi leurs praxéologies dans ce domaine.