Recensions

Maroy, C. (2021). L’école québécoise à l’épreuve de la gestion axée sur les résultats. Sociologie de la mise en oeuvre d’une politique néo-libérale. Presses de l’Université Laval[Notice]

  • Caroline Letor

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  • Caroline Letor
    Département de gestion de l’éducation et de la formation, Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke

La sociologie critique est «déclinante» (Maroy, 2018) dans le milieu éducatif québécois mû principalement par un souci d’efficacité. Dans ce mouvement, la recherche s’incline à tenir une position instrumentale en tant que source de données probantes et inspirantes de pratiques à adopter. Le mouvement de rationalisation instrumentale qui traverse aujourd’hui le monde scolaire et, dans ce cadre, la position à laquelle tend à être réduite la recherche en éducation fait partie de son objet d’étude. Christian Maroy poursuit un autre dessein, celui de contribuer à l’intelligence de la construction et de l’appropriation des politiques publiques ainsi que de leurs impacts. L’ouvrage traite de la gestion axée sur les résultats (GAR) appliquée au système scolaire québécois, en tant qu’entreprise de changement institutionnel. Il constitue une analyse synthétique et cohérente d’un ensemble de travaux empiriques réalisés pendant 8 ans au Québec (2010-2017). Les résultats sont présentés et analysés dans un travail de théorisation progressive construisant au rythme du lecteur la compréhension de la production et de la réception de ces politiques scolaires. L’ouvrage s’ouvre avec l’analyse de la trajectoire de la GAR et les courants normatifs internationaux dont elle est inspirée: la nouvelle gouvernance publique (NGP), la reddition des comptes basée sur la performance ainsi que du modèle ontarien pris couramment en exemple dans les milieux scolaires québécois. L’auteur montre qu’à travers des moyens réglementaires (lois, règlements, normes, PE, PEVR), des outils de suivis (objectifs, reddition des comptes, Lumix…) et des outils de régulation cognitive (formation, discours, guides…), le pouvoir central s’est renforcé même s’il donne explicitement plus de pouvoir aux parents. Cette orientation néostatiste maintient une structure à trois strates (gouvernement, commission scolaire et établissement), du moins jusqu’en 2020 avec la transformation des commissions scolaires, pouvoir démocratique local, en centres de services scolaires. L’auteur démontre qu’en sus de ces contraintes normatives et légales, cette réforme résulte de traductions cognitives et politiques de la part des acteurs. Il illustre comment les cadres et les dirigeants des commissions scolaires et des établissements scolaires ont joué un rôle clé dans la mise en convergence de la GAR, au moins par mimétisme. Outre le rôle coercitif des lois, ces acteurs intermédiaires ont adopté les cadres cognitifs et normatifs en phase avec leurs éthos et leurs croyances: en l’efficacité de la transparence et de la comparaison des résultats. Ils ont activement soutenu la construction et l’institutionnalisation d’une nouvelle rhétorique associée à une logique instrumentale et productive de l’École, soutenue par une logique de rationalisation des actions (discours managérial, instrumentalisation des actions). À ce titre, ils se sont emparés des outils de régulation (dont les données statistiques) et des outils de participation proposés (les communautés de pratiques [COP], les communautés d’apprentissage [CAP], entre autres) contribuant à un certain isomorphisme des pratiques. De même, les directions des établissements, au pouvoir d’action renforcé, ont promu l’idée de la mobilisation des membres du personnel et de la réflexion collective comme outils d’amélioration des pratiques et d’une plus grande efficacité. Quant au corps enseignant, tout en manifestant peu de résistance franche et directe, il se montre plus mitigé. Les enseignants n’y trouvent ni de légitimité cognitive, considérant les indicateurs chiffrés comme réducteurs de la complexité des situations, ni de légitimité pragmatique, ne percevant pas l’utilité de l’arsenal des outils de régulation, ni de légitimité morale, craignant de se voir attribuer une responsabilité accrue des résultats des élèves qui leur échappent en partie tout en constatant leur autonomie professionnelle se réduire. Dans cet ouvrage dense et largement documenté, l’auteur met en évidence les conditions et les intérêts contribuant à la problématisation de la question scolaire autour de la GAR. Il en analyse …

Parties annexes