Dans un monde en mutation dont la dynamique de changement s’accélère depuis le XXe siècle, notamment à travers les développements technologiques et informationnels, former des praticiens réflexifs à l’université est devenu «normal» (Boud, 2010; Brockbank et McGill, 2007; Cowan, 2006; Paquay, Altet, Charlier et Perrenoud, 1996). Il s’agit d’entraîner les professionnels à l’intelligibilité et à l’autonomie au travail, afin qu’ils puissent affronter le complexe et l’énigmatique ou l’inédit (Durand et Fabre, 2007; Pastré, Mayen et Vergnaud, 2006). Au croisement des mondes éducatifs et professionnels, la réflexivité semble faire l’unanimité. On voit ainsi, depuis les années 1990, l’approche dite réflexive s’étendre à de nombreux domaines du savoir – éducation (Loughran, 2006; Tardif, Borges et Malo, 2012), santé (Garnier et Marchand, 2012; Ghaye, 2006), psychologie (Scaife, 2010), ingénierie (Majgaard, 2014; Rouvrais, 2013). Cette approche puise toutefois à des sources théoriques et épistémologiques variées, dont on mesure mal les chevauchements, tensions et effets de polysémie (Beauchamp, 2012; Chaubet, 2010). Parfois appelée réflexion ou intégrée au couple pratique réflexive, l’approche réflexive peut faire référence à la théorie de l’enquête de Dewey (1938), à la métacognition de Flavell (1979), à l’abstraction réfléchissante de Piaget (1974). Comme véhicule de formation, elle peut aussi porter des valeurs et enjeux bien différents: formation à l’adaptation (Pastré, 2011), prise de conscience de savoirs tacites (Osterman et Kottkamp, 2004), émancipation (Lyons, 2009). Il est intéressant de noter que cette formation à une réflexivité affinée et critique, appelée de tous bords dans l’enseignement supérieur, peut rencontrer un paradoxe en milieux de travail: alors que des formations universitaires et professionnelles préparent à réfléchir sur sa pratique passée, présente et à venir, les acteurs sociaux, pressés par des logiques de rentabilité et de performance, auraient de moins en moins d’espaces réels de réflexion (Boud, Cressey et Docherty, 2006). Compte tenu des éléments ci-dessus, un ensemble d’interrogations se pose à nous, parmi lesquelles on peut retenir: Quels sont les facteurs de déclenchement de la réflexivité? Au travers de quels processus se met-elle en oeuvre? Quels effets produit-elle? Quels types d’accompagnement nécessite-t-elle? Comment au juste la réflexivité s’intercale-t-elle entre l’expérience interpellante et l’adaptation ou le changement qui peut en résulter? Quelles que soient les réponses à ces questions, nous faisons l’hypothèse que le point de départ de toute pratique réflexive est lié à une situation déstabilisante qu’il s’agit d’analyser pour mieux la problématiser (Dewey, 1938; Fabre, 2011; Schön, 1983). Ces questions et l’hypothèse qui les sous-tend constituent des points de repère caractérisant les huit contributions de ce numéro des Nouveaux cahiers de la recherche en éducation (NCRÉ). Elles sont structurées autour de quatre thématiques complémentaires et interactives, que nous avons soulignées dans la présentation de chaque article. Dans cette nouvelle livraison de la revue NCRÉ, nous proposons aux lectrices et lecteurs huit articles émanant de chercheurs et de praticiens oeuvrant dans différents champs de pratiques sociales. Certains étudient la réflexivité, d’autres, comme formateurs, tentent de la stimuler pour obtenir des modifications de perspective et d’action chez leurs étudiants en formation initiale, en perfectionnement ou en réorientation de carrière. Ces contributions traitent de façon transversale les quatre thématiques, en cible parfois l’une ou l’autre de façon privilégiée en la mettant en perspective par rapport aux autres. Chaque fois, nous repérons en gras les quatre thématiques telles qu’elles nous apparaissent. Pour des raisons logistiques, les huit articles sont publiés dans deux numéros successifs des NCRÉ.
Parties annexes
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