Corps de l’article

1. Problématique

1.1 L’enseignement et l’apprentissage des probabilités

De nos jours, le citoyen se heurte aux probabilités partout dans son quotidien, autant dans les médias que dans ses relations sociales (Albert, 2006). Les phénomènes aléatoires ou semblant l’être, qui touchent de près ou de loin le citoyen dans sa vie courante, peuvent effectivement être rencontrés dans une foule de domaines (Albert, Ibid. ; Caron, 2002). Le développement d’un raisonnement probabiliste éclairé permet de mieux comprendre ces phénomènes et d’y faire face avec un plus grand discernement. De plus, l’élaboration d’outils conceptuels qui permettent de faire face aux différents phénomènes aléatoires s’inscrit dans le développement d’une citoyenneté autonome et responsable (Caron, Ibid.) en général et, plus précisément, dans le développement d’une pensée critique envers les jeux de hasard et d’argent (Savard et DeBlois, 2005). Dans cet ordre d’idées, les probabilités constituent sans aucun doute un des plus importants champs des mathématiques.

L’apprentissage des probabilités dans un contexte scolaire constitue un important enjeu. Alors que les probabilités n’ont pas toujours été beaucoup abordées dans les programmes du passé, Watson (2006) soutient qu’elles ont désormais trouvé leur place dans les documents curriculaires. De plus, l’autrice rapporte que de nouveaux projets de curriculum ont permis l’élaboration d’activités stochastiques[2] appropriées pour les élèves évoluant à différents degrés. D’ailleurs, avec le Renouveau pédagogique au Québec, l’enseignement des probabilités occupe une place importante dans le curriculum mathématique du primaire puisqu’il est abordé dès le premier cycle (Gouvernement du Québec, 2001). En effet, les probabilités font désormais partie des savoirs essentiels du programme, et ce, à tous les cycles du primaire (Ibid.). Ainsi, le Programme de formation de l’école québécoise. Éducation préscolaire et enseignement primaire (PFÉQ) (Ibid.) commande un enseignement approfondi et systématique de ce domaine particulier des mathématiques (Savard et DeBlois, 2005).

Cependant, l’enseignement des probabilités apparaît encore aujourd’hui comme un défi important. En dépit du fait que ce secteur des mathématiques semble si proche des expériences et des intuitions de la vie quotidienne, une compréhension de sens commun des probabilités s’oppose souvent à une compréhension mathématique formelle des concepts probabilistes (Pratt, 2000). Ce fossé entre une compréhension de sens commun et une compréhension formelle des probabilités se traduit par diverses difficultés recensées chez les apprenants, souvent nommées conceptions erronées (Fischbein et Schnarch, 1997 ; Schoenfeld, 1985 ; Shaughnessy, 1992). Pour la plupart, celles-ci semblent provenir d’idées préconçues présentes dès l’enfance et concernent les notions de chance, de probabilité et de rapport à l’aléatoire. Ces conceptions entrent alors en conflit avec la version des probabilités que le système scolaire cherche à faire apprendre (Schmidt, 2002).

Un premier exemple est la conception liée à la qualité du joueur et à la nature chanceuse de certains objets, rituels ou comportements (Fischbein et Gazit, 1984 ; Schmidt, 2002). Les sujets qui présentent cette conception ont tendance à croire que, dans les événements aléatoires, les qualités personnelles du joueur (par exemple, son intelligence, son habileté, son âge, etc.) peuvent influencer le jeu, malgré le fait qu’objectivement, de tels effets n’existent pas. Un second exemple est la conception liée à l’effet de la taille de l’échantillon (effect of sample size) (Fischbein et Schnarch, 1997 ; Shaughnessy, 1992). Les individus qui entretiennent cette conception ont tendance, lorsqu’ils tentent d’estimer les probabilités de deux événements probabilistes distincts, à ignorer le nombre d’essais ou la grandeur de l’échantillon qu’ils sous-tendent respectivement et à leur accorder la même probabilité. Cette conception pourrait donc amener quelqu’un qui joue à pile ou face à croire qu’il est aussi probable d’obtenir 7 fois pile sur 10 lancers que 70 fois pile sur 100 lancers, sans considération pour la taille des deux échantillons en présence.

Afin de favoriser le développement d’un raisonnement probabiliste en dépit de ces difficultés, l’entrée par l’activité de résolution apparaît comme une piste pédagogique prometteuse. À ce propos, Lajoie, Jacobs et Lavigne (1995) ont souligné que le contexte de résolution de problèmes en petits groupes de travail est favorable à l’apprentissage des probabilités. Savard et DeBlois (2005) jugent quant à elles que le fait d’amener des enfants du primaire à résoudre des problèmes probabilistes peut être un moyen efficace pour hausser leur niveau de conscience à l’égard des jeux de hasard.

1.2 Particularités de l’activité de résolution chez les élèves à risque

En dépit de ces constatations favorables à l’égard de l’approche par problèmes[3] pour l’apprentissage des mathématiques en général et des probabilités en particulier, cette approche n’a pas nécessairement le même genre d’implications pour tous les types d’apprenants. En effet, comme le type d’activité que sous-tend l’approche par problèmes est complexe et ardu, Focant (2003) le juge propice à engendrer des situations privilégiées pour l’apparition des difficultés mathématiques chez l’enfant. Ainsi, l’activité de résolution peut représenter un défi particulièrement important pour des élèves qui présentent un retard ou qui ont des difficultés d’apprentissage pouvant les mener à l’échec (Mary et Theis, 2007 ; Van Garderen et Montague, 2003). Les élèves qui présentent des difficultés langagières ou liées aux mathématiques sont d’ailleurs particulièrement susceptibles de rencontrer des échecs en résolution de problèmes mathématiques (Montague et Van Garderen, 2003 ; Van Garderen et Montague, 2003).

Ainsi, certaines caractéristiques des élèves à risque pourraient expliquer les difficultés qu’ils rencontrent face à l’activité de résolution. D’abord, Péricola Case, Harris et Graham (1992) ont mis en évidence que ces élèves ont recours à des stratégies de résolution moins développées lors de la résolution de problèmes. Focant (2003) et Perrin-Glorian (1993) ont souligné le manque d’autonomie des élèves à risque lors d’activités de résolution, ainsi que leurs difficultés à construire une représentation du problème et à utiliser des mesures de contrôle dans un tel contexte. La maîtrise des différents contenus mathématiques traités est un autre aspect qui permet d’expliquer une partie des difficultés que rencontrent les élèves à risque durant l’activité de résolution (Focant, 2003). Les variables affectives, qui incluent l’autoperception, la motivation et la persévérance, sont généralement plus faibles chez les élèves à risque et ont également d’importants impacts durant l’activité de résolution. Elles pourraient constituer une autre piste d’explication des difficultés rencontrées par les élèves à risque durant l’activité de résolution de problèmes (Montague et Van Garderen, 2003).

Ce portrait, souvent dressé par des recherches s’inscrivant dans une perspective psychocognitiviste, explique les difficultés rencontrées par les élèves en mathématiques par la description de ce qui fait défaut dans l’activité mathématique. Dans cette perspective, les difficultés d’apprentissage sont vues comme des caractéristiques fonctionnelles et structurales des élèves (Lemoyne et Lessard, 2003), sans que soient prises en compte les autres composantes du système d’enseignement, par exemple, le type d’enseignement, le type de tâche proposé aux élèves, la nature du savoir à enseigner et à apprendre, etc. Toutefois, certaines difficultés rencontrées par les élèves pourraient être attribuables à des effets liés au contrat didactique, ainsi qu’à la perception qu’ont les élèves de leur rôle et du rôle de l’enseignant à l’école (Perrin-Glorian, 1993).

Des travaux en didactique des mathématiques ont mis en évidence certains phénomènes d’enseignement souvent liés à l’enseignement des mathématiques dispensé aux élèves en difficulté (Brousseau et Warfield, 2002 ; Cange et Favre, 2003 ; Cherel, 2005 ; Conne, 1999 ; René de Cotret et Giroux, 2003). Ces phénomènes d’enseignement sont notamment la rééducation par le recours à plus de problèmes du même type, l’algorithmisation et l’économie dans l’exposé des savoirs, le morcellement des contenus, la diminution des exigences et la simplification des situations, ainsi que le surinvestissement de certains contenus et l’insistance sur les préalables. Les élèves en difficulté se désengagent alors cognitivement des tâches mathématiques (Cherel, 2005 ; Perrin-Glorian, 1993 ; René de Cotret et Fiola, 2006), ce qui met en péril leur apprentissage des mathématiques.

C’est ainsi qu’en opposition à cette vision de l’élève en difficulté et à ce type d’enseignement des mathématiques, certains auteurs adoptent plutôt une vision systémique où l’élève rencontrant des difficultés est considéré au sein d’une institution (Lemoyne et Lessard, 2003). Dans cette vision, l’enseignement des mathématiques vise le développement du potentiel d’apprentissage des mathématiques des élèves par le biais de situations qui demandent aux élèves de réfléchir et de construire des raisonnements (Mary, Squalli et Schmidt, 2008), quitte à accepter, comme le mentionnent Cange et Favre (2003), que l’élève ne dispose pas de tous les préalables mathématiques. L’activité de l’élève se trouve alors enrôlée dans des pratiques mathématiciennes (Conne, 1999). D’ailleurs, plusieurs auteurs sont favorables à l’idée de proposer des tâches mathématiques riches et complexes pour l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté (Blouin et Lemoyne, 2002 ; Lemoyne et Bisaillon, 2006 ; Mary et al., 2008 ; Mary et Theis, 2007 ; René de Cotret et Fiola, 2006). C’est précisément dans cette perspective que s’inscrivent nos travaux de recherche.

1.3 Contexte de travail en équipe hétérogène

Plusieurs recherches sur la collaboration entre pairs ont montré que les élèves des classes ordinaires qui collaborent pour l’atteinte d’un objectif commun atteignent de meilleures performances en résolution de problèmes que ceux qui travaillent individuellement (Eizenberg et Zaslavsky, 2003 ; Fawcett et Garton, 2005 ; Fuchs, Fuchs, Kazdan, Karns, Calhoon, Hamlett et Hewlett, 2000 ; Mulryan, 1995). La composition des équipes peut alors avoir une influence toute particulière sur les performances des élèves impliqués dans une tâche collaborative (Baxter, Woodward et Olson, 2001 ; Theis et Ducharme, 2005). Des recherches ont montré que l’organisation en équipe de travail la plus profitable sur le plan des apprentissages pour des élèves à risque est celle qui les rassemble avec des élèves plus forts (Fawcett et Garton, 2005 ; Theis et Ducharme, 2005).

Le contexte de travail en équipe hétérogène dans le cadre d’activités de résolution peut permettre aux élèves à risque de rester plus longtemps concentrés sur une activité de résolution (Mulryan, 1995). De surcroît, Petrello (2000) a souligné que le travail en groupe hétérogène présente également des avantages pour les élèves plus compétents, car ils doivent fournir des efforts qui exigent une conceptualisation de nature différente de celle requise pour la résolution individuelle de problèmes. Par ailleurs, ce contexte permet aussi aux élèves à risque de valider les propos de l’enseignant, de confronter leur compréhension conceptuelle et leurs connaissances avec celles de leurs pairs (Salyer, Curran et Thyfault, 2002). D’ailleurs, plusieurs chercheurs reconnaissent l’importance du rôle de la communication en contexte de collaboration lors d’une activité de résolution (Baxter et al., 2001 ; Fawcett et Garton, 2005 ; Fuchs et al., 2000).

En contrepartie, la possibilité de résoudre une situation-problème en équipe n’assure pas automatiquement un effet positif pour tous les élèves (Eizenberg et Zaslavsky, 2003) et n’avantage pas nécessairement l’élève à risque. Effectivement, plusieurs aspects négatifs du travail en équipe hétérogène ont déjà été soulevés par des recherches, entre autres, l’attitude passive des élèves à risque (Fuchs et al., 2000 ; Mulryan, 1995 ; Pitts-Hill, Barry, King et Zenhder, 1998), la prise en charge de tâches non mathématiques par ceux-ci (Baxter et al., 2001), leur recours à des stratégies d’évitement (Focant, 2003) et leur tendance à s’appuyer sur des pairs plus forts (Mulryan, 1995). Le risque d’une domination potentielle des élèves plus forts sur des pairs plus faibles a aussi été soulevé (Kotsopoulos, 2007).

Le présent article cherche à connaître : a) la contribution à la résolution d’une situation-problème probabiliste qu’apporte une élève à risque à l’intérieur d’une équipe hétérogène ainsi que b) la compréhension que celle-ci développe de cette tâche ainsi que des stratégies et concepts mathématiques impliqués. Notre propos se divise en quatre parties : nous présenterons dans un premier temps les assises conceptuelles qui nous ont permis de définir clairement les notions d’élève à risque et de situation-problème ; nous exposerons dans un deuxième temps les outils méthodologiques qui nous ont guidés dans la collecte et l’analyse des données ; nous décrirons dans un troisième temps une étude de cas qui présente notre analyse des données qualitatives recueillies et, dans un dernier temps, nous discuterons les résultats dégagés par notre étude.

2. Cadre conceptuel

2.1 Définition du concept d’élève à risque

Depuis 2000, le MEQ[4] a renouvelé sa terminologie qui concerne la clientèle d’élèves qui ont des besoins spécifiques : d’un côté, la catégorie des élèves handicapés et de l’autre, celle des élèves en difficulté d’adaptation et d’apprentissage, qui sont toutes deux réunies sous l’appellation d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA). Ainsi, dans les nouvelles définitions que le MEQ propose (Gouvernement du Québec, 2000), la catégorie “élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage” est elle-même divisée en deux groupes : les “élèves à risque” et les “élèves ayant des troubles graves du comportement”. Selon ces définitions, les élèves dits “à risque” sont ceux qui présentent des difficultés qui peuvent mener à un échec, des retards d’apprentissage, des troubles émotifs, des troubles du comportement, un retard de développement ou une déficience intellectuelle légère. La catégorie des élèves à risque comporte un regroupement d’élèves tout à fait hétérogène, qui répond au seul critère « (d)’absence de progrès du jeune en fonction des buts que se fixe l’école au regard de ses apprentissages, de sa socialisation et de sa qualification. » (Ibid., p. 5).

Cette définition se rapporte au cheminement de l’élève et aux objectifs élaborés par les différents acteurs du système scolaire à son égard, afin de déterminer si une intervention préventive ou adaptée est nécessaire. Cette prise de position est cohérente avec les choix de l’école québécoise qui se veut en faveur de la prévention et d’une approche globale des difficultés des élèves. Elle s’oppose à la pratique d’étiquetage maintes fois décriée dans les écrits en éducation, et elle permet de centrer les efforts sur les interventions préventives (Schmidt, Tessier, Drapeau, Lachance, Kalubi et Fortin, 2003).

2.2 Définition du concept de situation-problème

Comme l’ont souligné Mary et Theis (2007), plusieurs recherches en didactique des mathématiques ont placé la résolution de problèmes en centre de l’apprentissage des mathématiques dans le but de rapprocher l’activité mathématique de l’élève de celle du mathématicien. Dans notre cas, nous parlons de la résolution d’une situation-problème, c’est-à-dire une tâche qui vise le développement de nouvelles connaissances chez l’élève à travers une réelle activité mathématique plutôt que la simple manifestation de ses connaissances. La situation-problème est conçue de telle sorte que l’élève puisse s’engager dans la tâche sans disposer à priori de tous les moyens pour arriver à la résoudre (Astolfi, 1993). Les moyens de validation dont dispose l’élève dans ce contexte, notamment la confrontation des stratégies et le débat, jouent un rôle important dans l’avancement de la résolution (Ibid.). Ainsi, la situation-problème est conçue pour permettre à l’élève de raffiner avec ses pairs les stratégies et de lever les obstacles – épistémologiques ou cognitifs – qui appartiennent au développement même des connaissances (Ibid.). Dans cet article, nous présenterons une activité mathématique qui offre un potentiel de situation-problème, telle que nous venons de la définir.

3. Méthodologie

3.1 Situation-problème proposée

Mentionnons tout d’abord que la situation-problème que nous avons présentée aux élèves dans le cadre de notre expérimentation est inspirée d’une séquence didactique qui a été mise en oeuvre durant les années 1970 dans une école élémentaire avec des élèves de quatrième année (G. Brousseau, N. Brousseau et Warfield, 2002). La séquence didactique visait alors l’enseignement des probabilités et des statistiques à l’élémentaire. Puis, elle a été reprise et adaptée par Briand (2005, 2007) pour être présentée à des élèves de 15-16 ans (classe de seconde) en France. Cette recherche s’est notamment intéressée à la transposition de la séquence dans la classe de seconde et aux effets produits par et dans ce nouveau contexte. Pour sa part, notre étude a visé à extraire une situation-problème de la séquence d’origine qui pouvait être présentée à des élèves de la fin du primaire dans un laps de temps plus court. La différence prégnante de notre étude par rapport aux deux précédentes tient à l’accent mis sur le rôle joué par des élèves à risque dans la résolution de cette situation-problème au sein d’équipes hétérogènes.

La situation-problème que nous avons présentée aux élèves a débuté par la présentation de bouteilles rendues opaques par l’application d’un ruban adhésif. Nous leur avons expliqué que ces bouteilles contenaient cinq billes au total, soit un certain nombre de blanches et de noires. Aussi, nous leur avons exposé l’impossibilité d’ouvrir les bouteilles ou de retirer le ruban qui les recouvre. La seule piste fournie a été l’explication d’un tirage. En effet, le goulot des bouteilles n’a pas été rendu opaque (voir figure 1). Ainsi, en retournant les bouteilles à l’envers, une seule bille a l’espace suffisant pour descendre jusqu’au fond du goulot, qui laisse transparaître sa couleur. En remettant la bouteille à l’endroit, la bille tirée retourne se mêler aux quatre autres. Cette suite d’actions correspond donc à un tirage avec remise et est le seul moyen pour les élèves d’avoir un accès direct au contenu des bouteilles.

Figure 1

Aperçu du contenu, du recouvrement et du renversement d’une bouteille

Aperçu du contenu, du recouvrement et du renversement d’une bouteille

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Après cette brève mise en contexte, il a été demandé aux élèves de déterminer le contenu des bouteilles, et ce, en utilisant une stratégie qui leur permettait d’être le plus certains possible. Puis, placés en équipes hétérogènes de travail, les élèves ont reçu une bouteille. À partir de là, chaque équipe a tenté de déterminer la composition exacte de sa bouteille. Notons que chacune des équipes était accompagnée d’un intervenant dont le mandat était de questionner les élèves afin de les amener à discuter ou à verbaliser leurs hypothèses, stratégies ou points de vue ainsi qu’à assurer le maintien d’un climat favorable à l’activité de résolution.

La situation-problème présentée dans le cadre de cette recherche offre certains enjeux mathématiques pour les apprenants. Elle demande d’abord aux élèves de se familiariser avec la réalisation de tirages avec remise à l’aide d’un outil probabiliste. Elle exige également des élèves qu’ils compilent et organisent les données issues des tirages. De plus, à partir de la compilation des résultats de tirages, les élèves doivent émettre des hypothèses sur le contenu de leur bouteille à partir de la fréquence d’apparition des différentes couleurs. Ils doivent ensuite déterminer et mettre en oeuvre une stratégie pour confirmer ou infirmer leurs hypothèses. Pour ce faire, les élèves peuvent, entre autres, recourir à un raisonnement proportionnel ou de rapport à partir des résultats de tirages pour déterminer le contenu de la bouteille ou encore concevoir et utiliser un modèle.

Puisque la situation-problème amène les élèves à réaliser des tirages, à considérer les résultats des tirages effectués et à les compiler pour tenter de déterminer le contenu de leur bouteille, elle s’inscrit dans une perspective probabiliste fréquentielle. De surcroît, la situation-problème permet l’émergence (implicite) de la loi des grands nombres. En effet, l’accumulation des résultats de tirages, c’est-à-dire l’augmentation de la taille des échantillons à considérer, permet de faire évoluer les hypothèses issues des probabilités fréquentielles observées vers les probabilités théoriques. Cette relation entre ces deux types de probabilités, appelée loi des grands nombres, soutient que plus un échantillon grandit, plus l’ensemble des résultats empiriques risque de se rapprocher de la prédiction probabiliste théorique.

Finalement, il convient de souligner que la situation-problème n’offre qu’une faible rétroaction et peu de perspectives de validation, soient les tirages avec remise. En effet, par l’accumulation des tirages et la compilation des résultats, les élèves peuvent émettre des hypothèses, qu’ils pourront ensuite argumenter à la lumière de leurs interprétations. C’est donc par le débat et la confrontation des idées que les élèves peuvent aller chercher de la rétroaction et ainsi valider leur interprétation dans le cadre de cette situation.

3.2 Choix du milieu et de l’élève ciblée

Notre expérimentation a été menée dans une école primaire alternative publique du sud du Québec. Ce milieu a été choisi à cause de son projet pédagogique particulier, qui favorise l’enseignement des mathématiques par résolution de problèmes, à l’intérieur de projets thématiques. Par ailleurs, le personnel enseignant y dispose d’une longue expérience d’enseignement par la résolution de problèmes, cette approche y étant pratiquée depuis de nombreuses années.

Le choix de l’élève sur laquelle porte le présent article a été fait de concert avec l’enseignante, à qui nous avons demandé de cibler des élèves à risque dans sa classe en fonction de la définition du MEQ (Gouvernement du Québec, 2000). Au moment de notre expérimentation, l’élève choisie fréquentait une classe multi-niveaux de 4e et 5e année dans l’établissement sélectionné. Notre choix de recourir au jugement de l’enseignante s’appuie sur les propos de Bryant, Bryant et Hammill (2000), qui ont montré que les professionnels de l’enseignement sont compétents pour évaluer et identifier des élèves en difficulté d’apprentissage. Ainsi, dans le cadre d’une recherche, ces auteurs ont mis en lumière le fait que des chercheurs aussi bien que des enseignants peuvent observer et identifier des comportements qui traduisent des difficultés d’apprentissage en mathématiques chez des élèves.

3.3 Instruments de collecte et modalités d’analyse et de traitement des données

Dans le cadre de notre étude, deux outils de collecte de données ont été mis en place : 1) l’observation par vidéoscopie des actions de l’élève ciblée à l’intérieur de son équipe ; et 2) la réalisation d’entrevues individuelles avec l’enfant pour cerner davantage sa compréhension de situation-problème et des concepts mathématiques impliqués. Dans un premier temps, nous avons tenté de déterminer quelle est la contribution de l’élève à risque dans une équipe de travail. Dans ce contexte, nous avons observé l’apport de cette élève à la résolution du problème, la pertinence de ses interventions en fonction des discussions amorcées ainsi que la justesse des hypothèses émises et des stratégies qu’elle a proposées. Nous avons également réalisé des entrevues individuelles avec l’élève à risque ciblée par notre recherche afin de la questionner sur sa compréhension de la consigne de départ, des stratégies proposées et mises en oeuvre, ainsi que des concepts mathématiques impliqués. Finalement, les données issues des enregistrements vidéo, autant lors des plénières, des moments de travail en équipe que des entrevues, ont été transcritesmot à mot afin d’en permettre l’analyse. C’est sur ces données qualitatives qu’a porté l’analyse qui sous-tend l’étude du cas de Coralie.

4. Résultats – Le cas de Coralie

Pour présenter le cas à l’étude, nous dépeignons d’abord le portrait de Coralie et le contexte de résolution. Puis, nous abordons successivement la compréhension de Coralie par rapport à l’énoncé de départ, les hypothèses émises par Coralie quant au contenu de la bouteille, les stratégies de résolution mises en oeuvre par Coralie, ainsi que l’attitude de Coralie durant la résolution.

4.1 Portrait de Coralie

Coralie apparaît comme une jeune fille réservée, qui semble plutôt timide. De plus, elle bégaye régulièrement. Lors d’une entrevue réalisée à la suite de l’expérimentation, l’enseignante a souligné certaines caractéristiques de Coralie. D’abord, cette élève présente des troubles d’apprentissage, soit de la dyslexie et de la dysorthographie. Elle faisait d’ailleurs l’objet d’un plan d’intervention au moment de l’expérimentation. Ces troubles neurologiques diagnostiqués chez Coralie entraînent, selon l’enseignante, des difficultés sur le plan du traitement de l’information et du langage, entre autres, dans la compréhension de consignes ou dans la validation personnelle de sa compréhension. D’ailleurs, toujours selon l’enseignante, Coralie comprend rarement du premier coup une intervention qui lui est destinée. Coralie présente aussi un trouble de déficit d’attention sans hyperactivité, qui n’était pas médicamenté au moment de l’expérimentation.

4.2 Contexte de résolution

L’équipe dans laquelle Coralie a travaillé était composée de quatre élèves, soit Simon, Benoît, Valérie et elle-même. Les deux garçons, qui sont apparus gênés, ont agi comme le feraient des amis l’un envers l’autre. Sans paraître liés d’amitié avec Valérie, Simon et Benoît sont arrivés à collaborer avec celle-ci. Pour sa part, Coralie n’a pas semblé entretenir de relation d’amitié avec les autres membres de son équipe, pas plus avec les deux garçons qu’avec la jeune fille. En effet, une simple relation de travail s’est installée entre Coralie et ses trois coéquipiers.

L’activité de résolution, telle que vécue au sein de l’équipe de Coralie, s’est déroulée en deux séances. La première séance, qui était d’une durée d’environ 40 minutes, a débuté avec la présentation de la situation-problème. Durant cette séance, l’équipe s’est familiarisée avec la bouteille et s’est lancée dans une première étape de recherche et d’application de stratégies. Pendant la première dizaine de minutes, les membres de l’équipe ont réalisé et compilé des tirages avec la bouteille, à partir desquels ils ont constaté la présence d’une majorité de billes noires à l’intérieur de la bouteille. Puis, durant la trentaine de minutes restante, l’équipe de Coralie a travaillé en deux sous-groupes. D’une part, la stratégie de Coralie, qu’elle a réalisée seule, consistait à compiler et à interpréter un ensemble de 60 résultats de tirages. D’autre part, la stratégie des trois coéquipiers visait à ce que chacun des membres de l’équipe réalise des séries de cinq tirages avec la bouteille et que les résultats de ces séries soient compilés, comparés et utilisés pour déduire le contenu de la bouteille. Par le travail avec ces stratégies de résolution, plusieurs hypothèses (2n-3b[5], 4n-1b, 3n-2b et celle voulant qu’une bille soit collée au fond de la bouteille) ont été émises et débattues par les différents membres de l’équipe. Finalement, cette première séance s’est bouclée par un retour en plénière, qui a permis de mettre en commun les stratégies élaborées et testées ainsi que les premières pistes de solutions dégagées par les équipes.

La seconde séance, qui a duré environ 20 minutes, a essentiellement permis à l’équipe de recourir à une stratégie de modélisation. Cette stratégie, qui a été présentée et discutée par d’autres équipes lors des plénières, a consisté à déposer cinq pièces de plastique noires ou blanches selon différentes combinaisons à l’intérieur d’un contenant sans couvercle pour valider les hypothèses sur le contenu de la bouteille. L’équipe a donc fait des tentatives avec certaines conjectures (3n-2b et 4n-1b) afin de comparer les résultats issus du modèle avec ceux obtenus avec la bouteille. Ainsi, au cours de cette séance, tous les membres de l’équipe se sont ralliés unanimement à l’hypothèse (3n-2b), qui représentait le véritable contenu de la bouteille. Finalement, cette seconde séance s’est aussi conclue par un retour en plénière visant la mise en commun des stratégies utilisées entre les équipes et la discussion de leur efficacité ainsi que des solutions dégagées et de leur adéquation.

4.3 Compréhension de l’énoncé de départ

Certains indices qui proviennent de la manière dont Coralie est intervenue durant l’activité laissent croire qu’elle a bien compris l’énoncé et les paramètres de la situation-problème, même si elle ne s’est pas explicitement exprimée par rapport à cette compréhension. Ainsi, autant durant les séances de résolution qu’au cours des entrevues, lorsque Coralie a formulé des hypothèses quant au contenu de la bouteille, elle a toujours nommé un total de cinq billes, qui étaient divisées en deux couleurs. Ceci nous laisse deviner qu’elle a bien compris les caractéristiques de la tâche, en l’occurrence le nombre de billes et le nombre de couleurs contenues dans la bouteille ainsi que les consignes rattachées à l’activité de résolution, qui visaient à faire déterminer le contenu de la bouteille.

4.4 Hypothèses émises quant au contenu de la bouteille

L’évolution de la compréhension de Coralie peut être suivie à travers les différentes hypothèses qu’elle a émises durant l’activité de résolution. Ainsi, au tout début de la première séance, Coralie a été la première au sein de son équipe à soulever l’hypothèse 4n-1b.

Coralie : Ah, je vois une blanche.
Intervenant : C’est blanc ça, ouais.
Coralie : Moi je dis qu’il y en (sic) quatre noires et une blanche.
Intervenant : Pourquoi?
Coralie : Ben, parce que sur dix fois environ, je n’ai vu juste qu’une fois une blanche.
Intervenant : Ah, OK.

Avec sa première intervention, Coralie a écarté la possibilité que la bouteille soit complètement remplie de billes noires. Puis, en proposant l’hypothèse 4n-1b, Coralie a énoncé l’idée que la majorité de billes présentes dans la bouteille puisse être noire. Cette constatation de Coralie a été faite à la lumière des résultats d’une dizaine de tirages. Cependant, puisque cette hypothèse reposait sur une quantité très limitée de données, elle a vite été abandonnée au profit d’une nouvelle conjecture à mesure que les données issues des tirages ont été cumulées.

Cette seconde hypothèse, soit 3n-2b, a également été proposée pour la première fois par Coralie. L’émission de cette hypothèse permet définitivement de constater que Coralie s’ajustait à l’échantillon, qui comptait alors une cinquantaine de tirages. Néanmoins, Coralie n’a justifié cette hypothèse que plus tard. Notons par ailleurs que cette hypothèse représente le contenu réel de la bouteille avec laquelle a travaillé l’équipe. Coralie a régulièrement réitéré cette hypothèse au cours de l’activité de résolution. De plus, cette conjecture est l’hypothèse finale qu’a retenue Coralie au terme de l’activité de résolution, et ce, lors d’un échange survenu à la toute fin de la seconde séance de résolution. À ce moment, les coéquipiers discutaient de la composition de la bouteille en interprétant les résultats dégagés durant l’activité.

Intervenant : […] OK, toi, tu penses quoi de ça, Coralie?
[…]
Coralie : Trois noirs et deux blancs.
Intervenant : Puis, pourquoi?
Coralie : C’est parce que c’est presque égal les deux, mais il y a plus souvent des noires.

Ainsi, il apparaît que lors du dernier échange où cette hypothèse a été évoquée, Coralie s’est trouvée à justifier davantage sa prise de position en soulignant que les occurrences de billes noires et blanches tirées étaient similaires, mais que les billes noires ont été tirées un peu plus fréquemment. L’utilisation de cet argument par Coralie, même s’il a été soulevé par un coéquipier quelques instants auparavant, illustre comment elle fait la transition entre l’échantillon de 60 tirages et le contenu de cinq billes de la bouteille. Par contre, ce raisonnement apparaît comme plutôt intuitif, puisqu’il ne semble pas reposer sur des arguments mathématiques de proportion ou de rapport.

Sur le plan de la contribution, Coralie a fourni un apport majeur à la résolution de la situation-problème puisqu’elle a été la première à émettre deux importantes hypothèses sur le contenu de la bouteille, et ce, à différents moments de l’activité. Effectivement, l’émission des hypothèses 4n-1b et 3n-2b par Coralie, puisqu’elles ont animé les discussions et nourri certains débats au sein de l’équipe, a assurément servi l’avancement des idées de l’équipe dans le processus de résolution de la situation-problème.

Par ailleurs, Coralie a émis une conjecture voulant qu’une bille puisse être collée au fond de la bouteille. Cette hypothèse, très peu discutée par les membres de l’équipe, ne constitue cependant pas un élément déterminant de la contribution de Coralie à l’avancement des idées de son équipe. Cette troisième hypothèse a uniquement été émise par Coralie, et ce, en concomitance avec l’hypothèse 3n-2b. En effet, alors que ses coéquipiers travaillaient à la compilation et à l’interprétation des résultats de séries de tirages récemment effectuées, Coralie a soulevé la possibilité qu’une bille puisse avoir été collée au fond de la bouteille après avoir énoncé l’hypothèse 3n-2b.

Valérie : Ben ça se peut que ce soit du hasard aussi. Ça se peut que la boule revienne et que ça soit la même qui revienne à chaque fois.
Coralie : Et qu’il y en ait une collée au fond!
Valérie : Je ne pense pas que ça pourrait coller dans le fond.
Coralie : Ben là, tantôt, tu en entendais juste deux (billes).
Valérie : Non, je le sais, mais c’est… Il y en a cinq (billes).
Intervenant : Oui, il y en a cinq (billes).
Coralie : Ben ils peuvent (les expérimentateurs) en coller au fond.

Coralie a répété cette hypothèse à quelques reprises au cours de la séance. Elle l’a également abordée une ultime fois au commencement de la seconde séance. C’est néanmoins la dernière fois où cette hypothèse d’une bille collée au fond a été énoncée, puisque ni Coralie ni ses coéquipiers n’y ont référé par la suite. Pour le reste de l’activité, Coralie ne s’est référée qu’à l’hypothèse 3n-2b. Nous croyons que l’énonciation de l’hypothèse de la bille collée n’aura été qu’un détour qui démontre la progression dans le processus de compréhension de Coralie puisqu’au final, elle est revenue à l’hypothèse qui représente le contenu réel de la bouteille. Il se peut que la stratégie du recours au modèle lui ait permis de peaufiner sa compréhension et d’ainsi écarter l’hypothèse stipulant qu’une des cinq billes pourrait être collée au fond de la bouteille.

4.5 Stratégies de résolution mises en oeuvre

Coralie a réellement été impliquée à différents niveaux dans la mise en oeuvre des stratégies de résolution au sein de son équipe. D’abord, elle a joué un rôle important dans le processus de résolution par la proposition implicite d’une stratégie. En effet, au début de la première séance de résolution, Coralie a été la première à réaliser une série de cinq tirages avec la bouteille et à en énoncer les résultats.

Coralie : Cinq noires.
Intervenant : Oh! Qu’est-ce que t’as fait? T’as regardé […] dedans combien de fois, Coralie ?
Coralie : Cinq.
Intervenant : Tu as regardé dedans cinq fois.

Il apparaît probable que ces prémices de stratégie de résolution, sans avoir fait l’objet d’une proposition explicite de la part de Coralie, aient éventuellement inspiré une proposition, faite par un coéquipier. Cette proposition, faite par Simon, visait à ce que les quatre membres de l’équipe réalisent cinq tirages (4 x 5) avec la bouteille, que les résultats de ces séries soient compilés, que d’autres séries soient réalisées, et que les ensembles de 20 tirages soient comparés pour raffiner les hypothèses et déterminer le contenu de la bouteille. La résolution de l’équipe est d’ailleurs passée par l’utilisation de cette stratégie. Ainsi, cette proposition pourrait être considérée comme une simple transformation de la stratégie préalablement proposée par Coralie, plutôt que comme une piste de résolution complètement inédite.

Par la suite, Coralie a essentiellement travaillé sur une stratégie qui visait à compiler et à interpréter un ensemble de soixante résultats, sans cependant réellement collaborer avec ses coéquipiers. En fait, Coralie n’a ni travaillé avec la même stratégie ni sur les mêmes données que les autres membres de son équipe. Ceci atteste en définitive que Coralie n’a pas simplement copié une stratégie d’un autre membre de son équipe, mais qu’elle a plutôt mis en oeuvre une stratégie originale de résolution.

Intervenant : OK. Ici, tu as mis les nombres 38 et 22 en bas de ta feuille. Que signifient-ils ?
Coralie : Oui, 38, c’est les noires. (En indiquant des endroits dans son cahier) Ici, c’est des billes, tout ça, toutes les billes coloriées, ce sont des noires.
Intervenant : OK.
Coralie : Et ici, ce sont des blanches.
Intervenant : OK. […] Et qu’as-tu fait avec ces nombres-là? Les as-tu utilisés pour dire : il y a trois noires et deux blanches?
Coralie : Ben, j’ai pris la majorité […] et il y avait quand même beaucoup de blanches.
Intervenant : Qu’est-ce que la majorité t’a dit sur le nombre de billes dans la bouteille?
Coralie : Ben qu’il y avait plus de noires que de blanches.

Dans le cadre de cet échange, survenu au cours d’une entrevue, Coralie a expliqué sa méthode de compilation des résultats des tirages. Puis, afin de relier les quantités tirées de billes noires (38) et blanches (22) avec l’hypothèse 3n-2b, elle a souligné l’idée qu’une majorité de billes noires a été obtenue avec la bouteille, malgré le fait que beaucoup de billes blanches ont été tirées. Coralie s’est donc trouvée à transposer les interprétations portant sur l’ensemble de son échantillon vers les cinq billes contenues dans la bouteille, mais sans que son raisonnement repose sur des proportions ou sur des rapports. Par ailleurs, toujours dans la même entrevue, Coralie s’est exprimée quant à la taille de l’échantillon et à son influence sur le niveau de certitude associé aux hypothèses sur le contenu de la bouteille.

Intervenant : Est-ce que tu es convaincue que c’est trois noires et deux blanches?
Coralie : Oui. […] Ben presque.
Intervenant : Presque? Mais qu’est-ce qui te manquerait pour être vraiment, vraiment convaincue? […] (Qu)’est-ce qu’on pourrait faire pour être plus sûr, là, que c’est… Là, tu penses que c’est trois noires et deux blanches, mais qu’est-ce qu’on pourrait faire pour être plus certain, encore?
Coralie : Refaire les calculs et en refaire plus. Si ça continue comme ça, alors… On l’a fait.
Intervenant : OK, donc en faire plus et voir si ça continue comme ça, pour toi, c’est un bon moyen pour être plus sûre?
Coralie : Oui.
Intervenant : Pourquoi est-ce que ça nous aide à être plus sûrs, quand on en fait plus?
Coralie : Parce qu’on a plus de chances. Là, je crois que j’en ai fait assez pour savoir qu’il y a plus de noires que de blanches.

Ainsi, Coralie a soulevé explicitement l’idée que « faire plus » de tirages et voir si la tendance dessinée « continue comme ça » pouvait hausser son niveau de certitude quant au contenu de la bouteille. En d’autres mots, les actions et les formulations de Coralie semblent implicitement faire appel au savoir visé par l’activité didactique, soit les prémices de la loi des grands nombres, selon laquelle plus un échantillon grandit, plus la probabilité de voir survenir un certain événement se rapproche de sa probabilité théorique.

Par ailleurs, au cours de l’activité de résolution, Coralie a aussi participé à la vérification des résultats à l’aide d’un modèle. Cette stratégie de recours à un modèle consistait à déposer une certaine quantité de pièces de plastique noires et blanches dans un contenant sans couvercle en fonction de ce que les enfants croyaient être le contenu de la bouteille (hypothèses). Les élèves ont donc réalisé des tirages à l’aide du modèle afin de mettre à l’épreuve les différentes hypothèses quant au contenu de la bouteille.

Intervenant : Donc, aujourd’hui vous avez essayé de jouer avec le (modèle). Peux-tu m’expliquer pourquoi vous avez fait ça?
Coralie : Pour voir si c’était la même chose qu’avec la bouteille.
Intervenant : […] Comment est-ce que vous avez fait? Qu’est-ce que vous avez mis dans le pot?
Coralie : D’abord on a mis trois noires et deux blanches…
Intervenant : Oui.
Coralie : Là on voyait…que ce n’était pas vraiment pareil.
Intervenant : Hum, hum.
Coralie : On a mis quatre noires, une blanche. On a vu que ce n’était pas du tout. Alors on a…
Intervenant : Ce n’était pas du tout pareil à quoi?
Coralie : À ce qu’on avait fait la dernière fois.
Intervenant : Ah, OK. Ce que vous avez trouvé, oui?
Coralie : Alors, on est revenu à deux blanches, trois noires.

Dans le cadre de cet échange, survenu au cours de la seconde entrevue, Coralie a fait référence à l’idée d’arriver à établir une comparaison entre les résultats issus du modèle et ceux de la bouteille. En effet, elle a clairement énoncé que l’utilisation de différentes combinaisons de pièces avec le modèle a permis de comparer les résultats issus du modèle aux résultats obtenus avec la bouteille. Ainsi, les actions et les formulations de Coralie semblent implicitement faire appel aux possibilités de validation qu’offrait l’usage d’un modèle dans le cadre d’une activité de la sorte. Cependant, les quelques interventions de Coralie en lien avec cette stratégie ne constituent pas un élément important de sa contribution au processus de résolution de son équipe. Effectivement, durant la séance de travail, Coralie est peu intervenue par rapport à cette stratégie et c’est seulement durant les entrevues qu’elle en a davantage traité. Ainsi, il semble que le fait que Coralie ne soit pas beaucoup intervenue en lien avec cette stratégie ne permet pas de conclure pour autant qu’elle n’a pas compris son utilité.

4.6 Attitude (concentration et implication) durant la résolution

L’attitude de Coralie durant l’activité a influé sur sa contribution à la résolution de la situation-problème. Premièrement, Coralie s’est impliquée inégalement au cours de l’activité de résolution. Effectivement, une part particulièrement importante des interventions de Coralie est survenue durant la première séance et ce, même en tenant compte des durées inégales des séances de travail. Il convient également de souligner que Coralie a fréquemment manipulé la bouteille dans le cadre de la première séance de résolution, tandis qu’elle a très peu utilisé la bouteille ou le modèle durant la seconde séance. En outre, les interventions faites par Coralie durant la première séance de travail étaient diversifiées et plusieurs de celles-ci ont porté sur l’analyse et l’interprétation des résultats, tandis que durant la seconde séance de travail, ses rares interventions ont surtout été orientées vers l’exécution mécanique de séries de tirages ou de piges que ses pairs lui demandaient de réaliser. La plupart des interventions que Coralie a réalisées durant la seconde séance, même si elles sous-tendaient des actions nécessaires pour la résolution de la situation-problème, n’étaient pas de nature conceptuelle. Ces interventions offraient donc moins de retombées sur le plan des apprentissages pour l’élève.

Deuxièmement, Coralie a régulièrement décroché de la tâche et a souvent déconcentré ses pairs ou l’enseignante au cours de l’activité de résolution. Ces comportements ont compromis le bon fonctionnement de l’activité puisque l’enseignante ou les coéquipiers ont souvent dû intervenir pour rappeler Coralie à l’ordre. Ainsi, plusieurs regards errants et certains actes inadéquats (par exemple, jouer avec son crayon ou avec un bijou) de Coralie sont apparus comme autant de preuves potentielles de son désintérêt pour l’activité de résolution. À certains moments, Coralie en est même arrivée à ne pas réagir à certaines interpellations faites par des pairs ou l’enseignante à son égard, qui visaient à la réorienter sur l’activité de résolution lorsqu’elle avait décroché. Remarquons que c’est au cours de la seconde séance de résolution que Coralie a décroché le plus fréquemment de la tâche.

Deux éléments importants nous semblent devoir être considérés au sujet de l’attitude de Coralie. D’abord, il est possible que l’attention de Coralie ait baissé au fur et à mesure que l’activité avançait, simplement parce que plus elle était convaincue de son résultat, moins elle ressentait le besoin de faire d’autres essais. Ensuite, le trouble de déficit d’attention sans hyperactivité que présentait Coralie est possiblement en bonne partie responsable de son engagement changeant au cours de l’activité de résolution.

5. Discussion

Dans l’ensemble, les résultats montrent qu’au fil de la tâche, Coralie a développé une bonne compréhension de la situation-problème et des concepts mathématiques impliqués en dépit d’une contribution à la fois riche à certains égards et limitée à d’autres égards. Notons d’abord que sur le plan de la manière dont Coralie a compris l’énoncé de départ de la situation-problème et le but qu’elle visait, nos constats s’opposent aux propos de Focant (2003). Effectivement, ce chercheur a souligné que les élèves en difficulté peinent généralement à construire une représentation correcte d’un problème. Les différences entre nos résultats et ceux de Focant (2003) résident peut-être dans la nature des difficultés exhibées par les élèves ciblés, dans le type de tâches présentées ou dans les mesures organisationnelles mises en place. Alors que dans l’étude de Focant (2003), quatre élèves (5e année) en difficulté dans les apprentissages mathématiques ont travaillé en dyades homogènes à la résolution d’un court problème écrit, dans notre étude, une élève à risque (5e année) a travaillé dans une équipe hétérogène à la résolution d’une situation-problème. L’énoncé du court problème écrit proposé aux élèves par le chercheur contenait toutes les informations nécessaires à sa résolution, alors que l’énoncé de la situation-problème que nous avons présentée uniquement à l’oral aux élèves ne contenait pas toutes les informations nécessaires à sa résolution. Il est possible que ces différences entre les deux tâches aient influencé les résultats obtenus par les deux recherches quant à la compréhension des élèves. Finalement, il se peut que Coralie se soit mieux représenté la situation initiale de l’activité de résolution que ne l’ont fait les enfants dans l’étude de Focant (Ibid.) en raison du fait que la situation-problème que nous lui avons présentée reposait sur un nombre restreint de consignes et de paramètres.

Par ailleurs, Coralie a joué un rôle important au sein de son équipe en proposant implicitement une stratégie de résolution. Effectivement, elle a été la première à réaliser une série de cinq tirages avec la bouteille et à en énoncer les résultats, et ce, au commencement de la première séance de résolution. L’idée d’organiser les tirages en série de cinq avait aussi émergé dans l’expérimentation de Brousseau et al. (2002) et ce, dès la seconde séance. Les auteurs ont supposé que les élèves avaient choisi cette quantité de tirages par série en raison de la présence de cinq billes à l’intérieur de la bouteille. Les auteurs soutiennent que la proposition de faire cinq tirages par série, puisque cette quantité peut directement refléter une composition possible de l’outil probabiliste, a joué un rôle clé dans le processus de confrontation des résultats statistiques avec les compositions possibles de l’outil.

Au cours de l’activité de résolution, l’équipe de Coralie a eu recours à un modèle. Cette stratégie a aussi été proposée par un participant de l’étude de Brousseau et al. (2002) lors de la sixième séance de la séquence d’enseignement. Ces auteurs jugent que la construction d’un modèle qui représente le phénomène étudié par les élèves leur a permis de savoir ce qu’ils regardaient afin de mieux interpréter ce qui survenait. C’est effectivement dans cette perspective que Coralie a semblé comprendre le modèle : elle s’est référée à l’idée de comparaison entre les résultats issus du modèle et ceux issus de la bouteille pour justifier le recours à une telle stratégie. Ainsi, elle a soutenu que l’utilisation de différentes combinaisons de couleurs avec le modèle avait permis de comparer les résultats issus du modèle avec ceux obtenus précédemment avec la bouteille.

L’interprétation de Coralie des résultats statistiques obtenus avec la bouteille a pris en compte l’échantillon total de résultats de tirages. Ainsi, Coralie a relié les nombres de billes noires et blanches tirées avec l’hypothèse 3n-2b en soulignant l’idée qu’une majorité de billes noires a été obtenue avec la bouteille, malgré le fait que beaucoup de billes blanches aient été tirées. Cependant, Coralie n’a pas établi de relation proportionnelle ou de rapport entre les résultats issus des tirages avec la bouteille ou des piges avec le modèle et le contenu de la bouteille. Elle s’est plutôt trouvée à transposer intuitivement les interprétations portant sur l’ensemble de son échantillon vers les cinq billes contenues dans la bouteille. Dans la recherche de Brousseau et al. (2002), les élèves sont arrivés à déterminer les contenus en utilisant des calculs de rapports. Possiblement que la séquence d’enseignement de ces auteurs, plus riche et plus longue que notre activité de résolution, aura permis des réflexions plus élaborées et donc le développement d’un raisonnement probabiliste plus éclairé chez les élèves.

Mulryan (1995) a mené une étude sur l’implication et la participation au sein de groupes de coopération homogènes ou hétérogènes. Cette autrice a montré que le niveau d’engagement et de concentration des élèves en général – mais tout spécialement dans le cas des élèves en difficulté – est considérablement plus grand lors d’un travail en petits groupes hétérogènes que lors d’une activité en plénière. Les résultats de notre recherche n’apparaissent pas complètement cohérents avec les résultats de recherche de cette chercheuse. Effectivement, Coralie a contribué à l’avancement des idées au sein de son équipe, mais elle a aussi souvent décroché de la tâche et a déconcentré ses pairs à plusieurs reprises au cours de l’activité de résolution. Selon nous, l’engagement et la concentration de Coralie durant le travail en équipe peuvent s’expliquer en partie par deux aspects. D’une part, nous croyons que les caractéristiques de l’élève ciblée, à savoir entre autres son déficit d’attention sans hyperactivité, ont probablement une part de responsabilité sur son niveau de concentration à l’égard de la tâche. D’autre part, il est également possible que l’enseignante, qui a été présente avec l’équipe durant la quasi-totalité de l’activité et qui est intervenue en réaction aux décrochages de Coralie, ait opéré une certaine régulation sur l’attitude de l’élève au fil des séances de travail. Coralie aurait-elle décroché davantage de la tâche et aurait-elle contribué moins positivement à la résolution de la situation-problème si l’enseignante n’avait pas été présente pour minimiser les effets de son trouble de déficit d’attention? Si l’enseignante n’avait pas été présente, Coralie aurait-elle aussi bien compris la situation-problème et les concepts mathématiques impliqués? Ces interrogations sur le rôle de l’adulte dans un tel contexte d’apprentissage, qui ne trouvent pas réponse dans notre étude, n’en représentent pas moins des pistes intéressantes pour la réalisation de nouvelles recherches.

Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes référés au concept d’élève à risque, tel que défini par le MEQ (Gouvernement du Québec, 2000). Cette définition, qui s’appuie sur des critères nombreux et relativement larges, circonscrit une population d’élèves particulièrement hétérogène. Les profils d’élèves à risque sont donc à la fois multiples et diversifiés. Pour Coralie, le statut d’élève à risque ne faisait aucun doute, étant donné la présence de troubles d’apprentissage et d’un trouble de déficit d’attention. Elle est cependant arrivée à développer une bonne compréhension de la situation-problème et des concepts mathématiques impliqués ainsi qu’à contribuer positivement à certains égards à la résolution de la situation-problème et à l’avancement des idées au sein de son équipe. Il a pourtant été souligné par certains auteurs que les élèves à risque sont particulièrement susceptibles de rencontrer des difficultés en résolution de problèmes (Mary et Theis, 2007 ; Montague et Van Garderen, 2003 ; Van Garderen et Montague, 2003). Est-ce possible que la tâche que nous avons proposée, par sa nature et par ses caractéristiques, ait permis à Coralie de résoudre la situation-problème sans rencontrer de telles difficultés? Serait-elle arrivée à comprendre aussi bien une tâche différente sur le plan de la forme ou des contenus abordés?

Une piste de réponse possible réside dans la conclusion de l’article de Mary et Theis (2007), qui a présenté une recherche où les raisonnements statistiques d’élèves à risque de la fin du primaire pendant la résolution de situations-problèmes ont été explorés. Ils mentionnent que le domaine de la statistique semble offrir une opportunité de travail positif avec les élèves à risque. Effectivement, ils soulèvent l’idée que ce domaine des mathématiques pourrait moins porter le poids des connaissances que les autres domaines puisqu’il a été relativement peu abordé dans la classe. Ainsi, celui-ci se retrouverait moins connoté négativement par les élèves à risque. Allant dans le même sens que ces auteurs, nous jugeons possible que les probabilités aient eu une connotation moins négative que les autres domaines mathématiques pour Coralie, compte tenu du fait que ce domaine des mathématiques avait été très peu abordé dans la classe au moment de l’expérimentation. De plus, le faible investissement de ces contenus mathématiques dans la classe a mis l’ensemble des élèves de la classe – Coralie incluse – à peu près sur un pied d’égalité sur le plan des outils probabilistes. Coralie n’était donc pas écartée d’emblée par des retards accumulés. Toutefois, nous croyons que d’autres travaux de recherche doivent être réalisés afin d’approfondir la compréhension de ce phénomène.

6. Conclusion

La présente étude visait à décrire et comprendre la contribution d’une élève à risque lors de la résolution d’une situation-problème probabiliste à l’intérieur d’une équipe hétérogène, ainsi que la compréhension que celle-ci a développée d’une telle tâche et des concepts probabilistes impliqués. Notre recherche génère donc d’importants résultats au regard de la résolution d’une situation-problème probabiliste par une élève à risque oeuvrant au sein d’une équipe hétérogène.

D’abord, il semble qu’en dépit d’une contribution limitée au travail collectif de l’équipe, l’élève à risque ciblée soit tout de même parvenue à bien comprendre la situation-problème et les concepts mathématiques impliqués. Les résultats de notre recherche montrent donc que la compréhension d’une élève à risque n’est pas nécessairement équivalente à sa contribution à la résolution d’une situation-problème à l’intérieur d’une équipe hétérogène. Est-ce que la nature de la tâche proposée dans notre étude peut avoir favorisé la compréhension de l’élève, notamment le type de consignes données ou les contenus probabilistes traités? Est-ce que les caractéristiques de l’élève et la composition de l’équipe pourraient avoir eu un impact sur le type de contribution qu’a apportée l’élève dans le contexte de notre expérimentation? Ces questions, auxquelles notre recherche ne permet pas de répondre, présentent des pistes pour la réalisation d’autres travaux, fondés sur de nouvelles situations-problèmes qui seraient liées à d’autres concepts mathématiques et qui cibleraient des élèves à risque présentant des caractéristiques différentes.

Finalement, il aurait pu être intéressant de prendre en compte les étapes d’institutionnalisation et d’évaluation du processus d’enseignement-apprentissage, puisqu’elles peuvent fournir d’importants détails supplémentaires sur la compréhension développée par l’élève. Dans le même ordre d’idées, il aurait pu être profitable d’étudier les possibilités de mobilisation dans d’autres contextes des apprentissages développés par l’élève dans le cadre de l’expérimentation. Toutefois, ces perspectives de recherche n’ont pas été considérées dans le cadre de notre recherche, puisqu’elles n’auraient pas contribué à répondre à nos questions de recherche. Il serait donc pertinent de réaliser de nouvelles recherches qui permettraient d’examiner ces avenues.