Entretiens

« Ça a résonné en moi » : les accompagnements du Wapikoni mobileEntretien avec Manon Barbeau, initiatrice et co-fondatrice, et Melissa Mollen Dupuis, présidente du C.A.[Notice]

  • Léonore Brassard

Manon Barbeau, initiatrice et co-fondatrice du Wapikoni mobile

Melissa Mollen Dupuis, présidente du conseil d’administration du Wapikoni mobile

Depuis près de vingt ans, le Wapikoni mobile se déplace dans des communautés autochtones pour offrir aux jeunes des Premières Nations à la fois des outils matériels et des connaissances artistiques et techniques en cinéma qui leur permettent de réaliser leur propre film. Ce sont plus de 1500 courts-métrages qui ont été produits, lesquels sont ensuite diffusés d’abord dans les communautés, puis sur le site web de l’organisme, et enfin dans des festivals de cinéma. Ce projet, extrêmement porteur, s’ancre ainsi dans un rapport double à l’accompagnement : d’abord celui nécessaire à l’apprentissage du cinéma, et ensuite celui que permet l’art lui-même. Les deux entretiens qui suivent permettent de penser les multiples accompagnements qui s’inscrivent à même la démarche du Wapikoni. D’abord, Manon Barbeau, cinéaste, co-fondatrice et initiatrice du projet, a eu la générosité de me parler de l’histoire de l’organisme, ainsi que de la vision de l’accompagnement qu’il met en oeuvre. Melissa Mollen Dupuis, présidente actuelle du Conseil d’administration du Wapikoni mobile et elle-même ancienne participante-cinéaste, s’est entretenue avec moi au sujet de son propre parcours dans l’organisme, ainsi que sur l’apport singulier que permet un tel projet pour les mentors et les participants, et pour l’expression des individus et des communautés autochtones. Ce sont donc deux paroles au sujet d’un même organisme qui sont mises ici côte à côte, pour penser à la fois ce que peut l’art en tant qu’accompagnateur, et ce que représente l’accompagnement dans une démarche artistique. Parmi eux, il y avait Wapikoni (« fleur » en atikamekw), une jeune fille de vingt ans qui me recevait, qui organisait les rencontres avec moi… qui me protégeait en quelque sorte dans ce nouvel univers où tout était pour moi à apprivoiser. C’est que le choc culturel, quand tu n’es pas habituée et que tu arrives dans une communauté autochtone, est plus incommensurable qu’il peut l’être dans certains pays : les codes relationnels, par exemple, ne sont pas les mêmes. De sorte que Wapikoni m’accompagnait, m’amenait un peu partout, me guidait. On dormait parfois dans la même maison. J’en prenais soin un peu comme si c’était ma fille et elle prenait soin de moi, elle aussi, un peu comme on prend soin d’une mère. Après un an et demi d’écriture, alors qu’on en était à la première version du scénario, Wapikoni a eu un accident. Sa voiture a heurté un camion forestier chargé de billots sur la route dangereuse qui mène de sa communauté à La Tuque. Elle est morte à peu près sur le coup. Je me souviens d’une fois où je suis allée faire du kayak sur la Côte-Nord. Sur la route menant à Mingan se trouvait une communauté innue. J’ai « osé » pénétrer dans la communauté et j’y ai découvert à quel point c’était un autre monde, un univers dont on préférait ignorer l’existence, sans doute une conséquence d’une culpabilité historique qu’on refusait d’assumer. Les films du Wapikoni redonnent de l’existence et de la fierté. Certains diront que le résultat n’est pas important, que c’est le processus qui l’est. Et c’est vrai. Dans les communautés où j’ai travaillé au départ, c’est-à-dire il y a près de vingt ans, il y avait un niveau de détresse très important, un taux de suicide considérable, beaucoup de consommation de toutes sortes, parce que les jeunes ont hérité de l’histoire de leurs parents, de l’histoire des pensionnats, de blessures collectives et individuelles qui se sont répercutées sur toute une génération. Les films réalisés pouvaient alors servir d’exutoire. Et c’est déjà énorme. Mais les films qui ont une certaine qualité formelle ou de contenu permettent aussi …

Parties annexes