CréationsFigures du soin

Être auprès[Notice]

  • Anne Demerlé-Got

Accompagner, être accompagnée, avoir été accompagnée, avoir à accompagner, ne pas avoir pu accompagner… La ritournelle se perd dans la nuit, car l’envie presse de cerner quelques figures rencontrées ou incarnées, d’approcher en danses brèves ces fées, Poucette ou pleureuses qui s’invitent en mémoire dans un « brouillard presque blanc ». Le miracle a lieu dans l’air, entre le brancard et le lit. Une main chauffe la joue de la petite opérée qui se réveille sans plus rien connaître. Une douceur qu’aucun geste jamais ne retrouvera. Il se penche vers chaque enfant, le regarde intensément, lui si docteur dans sa haute blouse blanche. Il se penche vers chaque enfant jusqu’à trouver le passage que masquent la douleur et la peur. Alors il peut soigner. Elles arrivent en retard à l’atelier organisé par la Mission locale pour l’emploi. Elles ont couru, manqué le bus. Et le bébé n’a pas été changé, elles préviennent. Je ne sais pas écrire. Je suis trop fatiguée. Je ne me rappelle plus. Tant de douleurs, de violences, à fleur de négations, il faut des livres-rochers avec de petites anfractuosités pour se hisser et endiguer le flot noir. Aujourd’hui le Dictionnaire intime des femmes, elles sont d’accord, même si dictionnaire c’est un peu trop scolaire. On va pouvoir commencer à distiller les entrées de l’ouvrage. « Jupe » et interdiction de porter un pantalon, la jeunesse de Laure Adler les fait rire. « Barbara », pas sûr qu’elles voient, mais une chanteuse aimée, une fée pour les jours mauvais, ça leur parle. « Cendrillon », l’auteur a décidément tout prévu : « le courage de Cendrillon, qui choisit de rester heureuse alors que ses deux soeurs font d’elle une esclave et une souillon ». Et puis les deux grand-mères chez qui la journaliste passait alternativement toutes ses vacances. Inutile de poursuivre, elles ont déjà résumé la consigne d’écriture. Un objet qui nous aide, une personne importante. Derrière le rempart d’un bras ou d’un grand sac les stylos pagaient énergiquement vers un téléphone-doudou, vers les conseils affichés dans la cuisine pour les jours où on a tout essayé avec le petit, vers une île dont il a fallu partir sans revoir les grands-parents. Lus d’une voix de plus en plus assurée les textes habitent le silence de la pièce. Écoute, puis rires et pleurs mêlés, les remparts ont fondu. Surgissent et se répondent la grand-mère d’avant le malheur, le père si sévère et pourtant si…, et l’enfant qui est maintenant d’accord pour arroser le potager un peu tous les soirs. Une main se lève. Vous êtes d’accord si elle le relit son texte ? Tu n’as pas vu M depuis plusieurs mois. Son Parkinson, ses sautes d’humeur et ses chutes, son ami B te tient au courant. M t’accompagne dans l’apprentissage de l’architecture depuis la mort de ton père, son ami d’enfance. Quand vous arrivez, B te redit ce qu’il t’a annoncé au téléphone. Tu sais, il est très… Tu es sûre que tu veux le voir ? Dans la vie, M est un homme jovial, en surpoids de bonnes et belles choses. Dans la vie, il s’esclaffe et parle fort, plante sa fourchette dans le gigot aillé ou les pâtes alle vongole avec un appétit expansif. Dans la vie, ses yeux gris-vert reflètent les forêts, les lumières de terre et de mer, les nuances du poème, du dessin ou de l’opéra qu’il veut te faire découvrir. Là, maintenant, ce soir, on y va. Dans la pénombre, une petite forme, un tremblement insonore. Deux yeux sans teinte se sont tournés dans ta direction quand tu as murmuré. M …

Parties annexes