Résumés
Mots-clés :
- accompagnement,
- care,
- conte,
- deuil,
- espace-temps,
- fée,
- figures tutélaires,
- Gilles Deleuze,
- maladie,
- marraine,
- Moires,
- mort,
- naissance,
- Parques,
- pharmakon
Keywords:
- accompaniement,
- care,
- tale,
- grief,
- fairy,
- spacetime,
- tutelary figures,
- Gilles Deleuze,
- disease,
- godmother,
- Moirai,
- death,
- birth,
- Parcaes,
- pharmakon
Des figures, généralement féminines, racisées, ou autrement marginalisées, ont été représentées comme accompagnatrices et protectrices de la vie des autres, de la naissance à la mort. Les fées, popularisées comme « fées marraines » dans les contes, sont connues pour guider le destin des êtres qu’elles protègent. Dans les légendes, elles annoncent les bons et mauvais coups du sort, offrent aux héroïnes et aux héros leurs dons dès leurs premières heures de vie, au chevet de leur berceau. L’un des Petits poèmes en prose de Baudelaire, « Les dons des fées », met notamment en scène une « grande assemblée des fées [procédant] à la répartition des dons parmi tous les nouveau-nés, arrivés à la vie depuis vingt-quatre heures ». Les fées, qui veillent sur les nouveau-nés, ou qui en dirigent (avec peu de bienveillance, chez Baudelaire) le destin, « [toutes] ces antiques et capricieuses Soeurs du Destin, toutes ces Mères bizarres de la joie et de la douleur », sont héritières des Parques et des Moires, elles qui, depuis les mythologies grecques et romaines sont, « partout et pour toujours, maîtresses et souveraines du sort des mortels ». Elles font don de leurs aptitudes et pouvoirs, présagent la destinée des humains qu’elles accompagnent, mais aussi guident l’énonciation performative des paroles de leurs récits de vie. En ce sens, le nom des « fées » vient de fata, féminin de fatum, et aussi « participe passé du verbe fari […] qui signifie parler, et par extension “chose dite, décision, décret”, “déclaration prophétique, prédiction”, et donc “destin” (fate en anglais) ». Étymologiquement, les fées, avec leurs dons et prophéties, sont celles qui font s’accomplir la destinée des personnages à travers le langage : figures tutélaires d’un corps mais aussi d’une parole performative qui à la fois donne naissance, ventriloque, détourne et accomplit les différents destins des personnages. Les fées marraines sont les figures par excellence de celles qui dotent et accompagnent les vivant·e·s, prennent soin d’elles et eux, mais dont les sorts peuvent aussi être équivoques, voire devenir malfaisants comme ceux de la fée Carabosse, septième « fée marraine » dans la version de Perreault de La Belle au bois dormant, et treizième « sage-femme » dans celle des frères Grimm, qui s’insurge de ne pas avoir été conviée à la fête en jetant sur l’héroïne une prophétie maléfique. Dans une tradition médiévale qui nous est encore actuelle, la fée marraine, fée qui guide, se dédouble pour devenir de surcroît la fée amante, cristallisation fantasmatique d’un féminin inaccessible. Ce rôle s’ajoute à l’ambiguïté d’une figure déjà complexe, et « il faut constater l’extrême ambivalence de la fée médiévale telle qu’elle se présente dans les romans de chevalerie, à la fois marraine et amante, maternelle et séductrice, bienveillante et maléfique ». Enfin, la figure tutélaire des « fées marraines » se décline dans la figure – sexuellement neutre – des « anges gardiens », dont la littérature, l’art pictural et encore le cinéma foisonnent, de Damiel et Cassiel dans le célèbre film Der Himmel über Berlin (Wim Wenders, 1987) à l’ange gardien Clarence dans It’s a Wonderful Life (Frank Capra, 1946). À l’autre bout du spectre de la vie, après l’instant de la mort, ce sont les « Pleureuses », dont la tradition remonte à l’Égypte antique, qui accompagnent les morts dans leur cortège funèbre. Traversées par la mort et les douleurs des autres, les pleureuses prennent en quelque sorte le relais des fées marraines, et font du deuil et des lamentations leur profession. Les pleureuses incarnent, au sens le plus propre du terme, un rituel de larmes et de …