Trente-six ans après la toute première tentative de thérapie génique, seize ans après le premier essai officiellement autorisé, et six ans après le premier indéniable succès thérapeutique, le bilan des multiples efforts investis dans cette approche médicale est bien modeste. Le chiffre d’affaires du secteur, que les pronostics de 1994 évaluaient à plus de vingt milliards de dollars pour 2006, est en réalité quasiment nul : aucun produit de thérapie génique n’est actuellement utilisé, à l’exception de la Gendicine, destinée au traitement des cancers ORL par l’apport du gène p53 et autorisée uniquement en Chine. Que d’espoirs et d’annonces pourtant… Dès 1985, La Recherche titrait «Traitement des maladies génétiques : le compte à rebours» et prévoyait une montée en puissance rapide des thérapies géniques. Quelques années plus tard, en 1990, la revue Science saluait les premières autorisations dans un article intitulé «Thérapie génique : le but en vue» [1]. Pourtant les résultats sur l’animal étaient assez minces ou – s’agissant de transgenèse - non transposables chez l’homme, et les expériences initiales mettaient plus en évidence les difficultés techniques que les possibilités à court terme. Mais cette thérapie innovante allait dans le sens de l’histoire, et promettait de répondre à des besoins fortement ressentis. Les progrès du diagnostic par analyse de l’ADN (notamment en situation prénatale) n’avaient pas été accompagnés d’avancées médicales équivalentes, et ce décalage croissant soulignait cruellement la nécessité d’approches plus rapides et plus efficaces. L’idée de soigner par l’introduction d’un gène s’accordait aussi avec une vision ultra-réductionniste de la biologie, très en vogue lors du début des Programmes Génome, qui attribuait à l’ADN un rôle central et presque exclusif dans le fonctionnement des organismes : sa lecture allait nous dévoiler les secrets de la vie. Bref, tout était en place pour que l’idée de guérir par les gènes paraisse séduisante et, en somme, naturelle. D’autant que cela promettait de contourner les longues étapes de mise au point des traitements classiques, qui impliquent généralement une compréhension détaillée de l’affection puis la découverte d’agonistes ou d’antagonistes agissant sur les éléments-clés des régulations affectées par la maladie… Une expression très employée alors, «L’ADN médicament», exprime bien cet espoir [2], induisant l’idée qu’une fois le gène introduit, les mécanismes cellulaires allaient «faire leur affaire» de son expression, de sa régulation, et produire à bon escient la protéine thérapeutique. La thérapie génique, enfin, servait de réponse, et éventuellement d’alibi, aux scientifiques et aux institutions que le public commençait à questionner sur les retombées réelles de recherches aussi coûteuses qu’apparemment ésotériques. Les Programmes Génome mobilisaient des sommes colossales. Pour la première fois en biologie, on parlait de milliards de dollars, et les applications thérapeutiques étaient souvent mises en avant pour justifier ces dépenses. La brochure de présentation du programme américain, en 1995, s’intitulait «Des cartes à la médecine», laissant entendre une liaison directe entre le balisage du génome et les avancées médicales. En France, le slogan du Téléthon 1993, « Des gènes pour guérir », allait dans le même sens, et la communication de l’Association française contre les myopathies (AFM) a durablement mis l’accent sur le soutien aux travaux de thérapie génique, qui ne représentait pourtant qu’un quart environ de ses dépenses. C’est que cette voie apparaissait comme la réponse rêvée à des attentes largement partagées… Ce n’est pas ici le lieu de détailler les multiples problèmes techniques auxquels s’est heurtée la mise au point de thérapies géniques réellement utilisables. Ils sont nombreux, depuis le développement de vecteurs efficaces et sûrs (ces deux qualités étant le plus souvent contradictoires) jusqu’à la maîtrise de la réaction immunitaire du patient envers la nouvelle protéine apportée …
Parties annexes
Références
- 1. Culliton BJ. Gene therapy: into the home stretch. Science 1990 ; 249 : 974-6.
- 2. Kahn A (ed). Thérapie génique, l’ADN médicament. Montrouge : John Libbey Eurotext, 1993.