Une équipe scientifique internationale a dévoilé récemment les résultats d’une étude détaillée du crâne de Toumaï (Sahelanthropus tchadensis), le plus ancien représentant de la famille humaine. Cette étude, publiée aux Etats-Unis par l’Académie Nationale des Sciences [1] s’inscrit dans les recherches menées au Tchad par la MPFT (Mission paléoanthropologique franco-tchadienne) sur l’origine et l’évolution des hominidés anciens ; elle fait suite à une série d’articles publiés dans la revue Nature en 2002 et 2005 [2-5] qui décrivent et analysent les restes de l’hominidé tchadien âgé d’environ 7 millions d’années, son environnement et la reconstruction tridimensionnelle du crâne. Une nouvelle étape vient d’être franchie dans la caractérisation et l’interprétation de la morphologie de l’hominidé tchadien. Les auteurs, un groupe de neuf chercheurs français, américains, suisses et tchadiens, s’appuyant sur la reconstruction tridimensionnelle récente de Toumaï [3] ont pu mesurer le degré de similarité morphologique entre le crâne type de l’espèce Sahelanthropus tchadensis, et des crânes d’hominidés fossiles plus récents, de grands singes africains actuels (chimpanzés et gorilles) et d’hommes modernes. Les résultats obtenus confirment non seulement l’attribution de Toumaï à la famille des hominidés - il est distinctement plus proche de la morphologie des hominidés anciens que de celle des grands singes africains - mais révèlent également une mosaïque unique de caractères anatomiques primitifs et dérivés. Morphologiquement, Toumaï se distingue clairement des gorilles et des chimpanzés actuels et se positionne comme le groupe frère de l’ensemble des hominidés plus récents incluant l’homme moderne. Lorsque l’on étudie un fossile, on procède généralement en deux étapes principales : la caractérisation de sa morphologie et, sur cette base, sa comparaison avec un ensemble de spécimens déterminants pour le groupe concerné. Les méthodes employées vont de la description anatomique détaillée, où l’on nomme et où l’on décrit les structures identifiables, à l’acquisition de données chiffrées plus ou moins complexes. La reconstruction virtuelle du crâne de Toumaï a permis d’acquérir davantage de données chiffrées en supprimant les incertitudes liées aux outrages du temps, c’est-à-dire un ensemble de déformations plastiques et de fractures affectant sa morphologie. L’étude du crâne de Toumaï présentée par Guy et al. [1] s’appuie sur une série de données quantitatives standard (mesures linéaires, ratios…) complétée par des méthodes d’analyses mathématiques de la forme. En effet, l’utilisation de distances ou d’angles, bien qu’indispensable, ne fournit qu’une vue fragmentée de la morphologie d’un fossile. Pour en avoir une vue globale et pouvoir le comparer, d’un point de vue quantitatif, à d’autres spécimens, les paléontologues disposent de méthodes regroupées sous le nom de « morphométrie géométrique ». Celles-ci reposent aussi sur l’identification de points anatomiques précis, mais cette fois c’est leur position que l’on étudie. Le crâne est ainsi décrit par un ensemble de points repères, appelés points homologues, dont on acquiert les coordonnées dans un plan ou dans l’espace, et c’est sur ces coordonnées que s’effectuent les analyses. Les méthodes de morphométrie géométrique fournissent de nombreuses informations moins aisément accessibles à partir de mesures linéaires. L’avantage est notable dans le cas des comparaisons entre différents spécimens. En effet, nous pouvons comparer un ensemble de crânes, par exemple des chimpanzés et des gorilles, en repérant sur chacun d’entre eux des structures anatomiques homologues à l’aide de points repères. Bien que l’ensemble de ces crânes présente fondamentalement les mêmes structures osseuses (tous montrent une mâchoire, deux orbites…), ils diffèrent par la taille et par la position relative de ces structures. En comparant les configurations de points qui décrivent chaque crâne, nous obtenons une image globale de leurs similitudes et de leurs différences en termes de placement relatif des structures osseuses composant leur morphologie. …
Parties annexes
Références
- 1. Guy F, Lieberman DE, Pilbeam D, et al. Morphological affinities of the Sahelanthropus tchadensis (late Miocene hominid, Chad) cranium. Proc Natl Acad Sci USA 2005 ; 102 : 18836-41
- 2. Brunet M, Guy F, Pilbeam D, et al. New material of the earliest hominid from the Upper Miocene of Chad. Nature 2005 ; 434 : 752-5.
- 3. Zollikofer CPE, Ponce de Leon M, Lieberman DE, et al. Virtual cranial reconstruction of Sahelanthropus tchadensis. Nature 2005 ; 434 : 755-9.
- 4. Brunet M, Guy F, Pilbeam D, et al. A new hominid from the Upper Miocene of Chad, Central Africa. Nature 2002 ; 418 : 145-51.
- 5. Vignaud P, Duringer P, Mackaye HT, et al. Geology and palaeontology of the Upper Miocene Toros-Menalla hominid locality, Chad. Nature 2002 ; 418 : 152-5.