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Activation de NF-κB et réponse pro-inflammatoire
L’invasion de la barrière intestinale par des micro-organismes pathogènes, extra- ou intracellulaires, est détectée par différentes voies de signalisation convergeant vers le facteur de transcription NF-κB. En condition de non-stimulation, NF-κB est associé, dans le cytoplasme, à des protéines inhibitrices (IκB) qui masquent son signal d’adressage au noyau. La stimulation des cellules par des agents infectieux conduit à l’activation des protéines IKK qui phosphorylent alors IκBα. La protéine IκBα phosphorylée (p-IκBα) est ensuite ubiquitinylée, ce qui constitue un signal d’adressage au protéasome où elle est dégradée. La dégradation de IκBα libère NF-κB qui transite alors vers le noyau pour activer la transcription des gènes cibles et conduire à l’établissement d’une réponse pro-inflammatoire [1]. La voie d’ubiquitinylation comprend trois étapes : la première, catalysée par l’enzyme E1 en présence d’ATP et d’ubiquitine, conduit à la formation d’une liaison entre le résidu carboxyterminal de l’ubiquitine et un résidu Cys de E1 ; la deuxième, catalysée par l’enzyme E2 (Ubc), conduit au transfert de l’ubiquitine de E1 vers un résidu Cys de E2 ; la troisième, catalysée par l’enzyme E3, conduit au transfert de l’ubiquitine de E2 vers un résidu Lys de la protéine cible [2]. Dans les cellules humaines, il existe un seul E1, environ 25 E2 et plus de 500 E3. Chaque E3 reconnaît un petit nombre de cibles et fonctionne avec un E2 spécifique. L’ubiquitinylation de p-IκBα met en jeu le E2 UbcH5b et le E3 SCFβ-TrCP comprenant quatre protéines [3].
La voie de sécrétion de type III chez les bactéries pathogènes
Les bactéries du genre Shigella sont responsables de la shigellose chez l’homme, caractérisée par la destruction de l’épithélium, provoquée par l’invasion de la muqueuse colique par les bactéries. Celles-ci utilisent un système de sécrétion de type III pour interagir avec les cellules de l’hôte. Ce système, présent également dans de nombreuses autres bactéries pathogènes à Gram négatif, comprend un appareil de sécrétion qui injecte, lors du contact de la bactérie avec la cellule cible, des effecteurs protéiques dans la cellule [4]. S. flexneri présente un répertoire de 25 effecteurs spécifiés par un plasmide de virulence [5]. Certains effecteurs interviennent sur l’organisation du cytosquelette d’actine, ce qui conduit à l’internalisation des bactéries dans les cellules épithéliales [6]. Des résultats récents indiquent que l’effecteur OspG inhibe l’ubiquitinylation de IκBα et empêche l’activation de NF-κB [7].
L’effecteur OspG inhibe l’activation de NF-κB
La séquence d’OspG (196 résidus) présente des motifs caractéristiques d’une kinase. Pour identifier des partenaires d’interaction de OspG dans la cellule, cette protéine a été utilisée comme appât pour cribler, dans un système double hybride, une banque de proies construites à partir de l’ADNc de cellules humaines. Ce test a détecté une interaction entre OspG et plusieurs E2, dont UbcH5b, UbcH5c, UbcH7, UbcH8, UbcH9 et RIG-B. Des études biochimiques ont indiqué que OspG interagit avec les protéines E2 ubiquitinylées (Ub-E2). Cette interaction n’interfère pas avec l’ubiquitinylation de E2 par E1 et ne conduit pas à la phosphorylation de Ub-E2. UbcH5 intervenant dans l’ubiquitinylation de IκBα par SCFβ-TrCP, nous avons recherché si OspG - exprimé dans des cellules à partir d’un plasmide recombinant ou injecté dans des cellules épithéliales par S. flexneri - interférait avec l’ubiquitinylation et la dégradation de p-IκBα. La transfection des cellules HEK293T par un plasmide spécifiant OspG a inhibé la dégradation d’IκBα et l’activation d’un promoteur contrôlé par NF-κB (les deux étant induites par une stimulation des cellules par le TNFα). L’infection de cellules HeLa par la souche sauvage de S. flexneri, détectée par la voie Nod1 [8], a induit la dégradation d’IκBα une heure après l’entrée des bactéries dans les cellules. Cette dégradation a été observée après seulement 20 minutes d’infection par un mutant chez lequel le gène ospG avait été inactivé. De plus, une accumulation de p-IκBα a été observée après 20 minutes d’infection par la souche sauvage, mais pas par le mutant ospG. Ces résultats indiquent que l’entrée de la souche sauvage dans les cellules induit la phosphorylation de IκBα et que OspG inhibe l’ubiquitinylation, et donc la dégradation de p-IκBα∈et l’activation de NF-κB. Le rôle de OspG lors de l’infection in vivo a été analysé dans le modèle d’infection d’anses ligaturées de lapin. La réponse inflammatoire et la destruction des tissus étaient plus importantes après infection par le mutant ospG qu’après infection par la souche sauvage. Le mécanisme par lequel OspG inhibe l’activité de SCFβ-TrCP mettrait en jeu l’association d’OspG à UbcH5, permettant à OspG d’être ciblé sur SCFβ-TrCP, et la phosphorylation par OspG d’un constituant de SCFβ-TrCP. Outre sa capacité d’inhiber la dégradation de IκBα, OspG pourrait interférer avec l’ubiquitinylation d’autres substrats de SCFβ-TrCP, tels que la β-caténine. De plus, la capacité d’OspG à s’associer à différentes protéines E2 suggère qu’OspG pourrait interférer avec les activités d’autres protéines E3.
Contrôle de l’inflammation par d’autres effecteurs
Le recrutement de polymorphonucléaires neutrophiles au site d’infection facilite l’accès de S. flexneri au pôle basolatéral des cellules épithéliales par lequel les bactéries pénétrent dans les cellules [9]. L’analyse fonctionnelle de OspG indique que S. flexneri possède au moins un effecteur capable de contrôler de façon négative la réponse immunitaire innée que les bactéries déclenchent lors de l’infection. Des effecteurs d’autres pathogènes, tels que la protéase à cystéine YopJ et la phospho-tyrosine phosphatase YopH de Yersinia, sont également impliqués dans le contrôle de l’inflammation [10]. La caractérisation des effecteurs des systèmes de sécrétion de type III, issus de la longue co-évolution des micro-organismes pathogènes avec leurs hôtes, pourrait nous mettre sur la piste de nouvelles cibles cellulaires pour le développement de molécules anti-inflammatoires.
Parties annexes
Références
- 1. Li QT, Verma IM. NF-kappa B regulation in the immune system. Nat Rev Immunol 2002 ; 2 : 725-34.
- 2. Pickart CM. Mechanisms underlying ubiquitination. Annu Rev Biochem 2001 ; 70 : 503-33.
- 3. Zheng N, Schulman BA, Song LZ, et al. Structure of the Cul1-Rbx1-Skp1-F box(Skp2) SCF ubiquitin ligase complex. Nature 2002 ; 416 : 703-9.
- 4. Hueck CJ. Type III protein secretion systems in bacterial pathogens of animals and plants. Microbiol Mol Biol Rev 1998 ; 62 : 379-433.
- 5. Buchrieser C, Glaser P, Rusniok C, et al. The virulence plasmid pWR100 and the repertoire of proteins secreted by the type III secretion apparatus of Shigella flexneri. Mol Microbiol 2000 ; 38 : 760-71.
- 6. VanNhieu GT, BenZeev A, Sansonetti PJ. Modulation of bacterial entry into epithelial cells by association between vinculin and the Shigella IpaA invasin. EMBO J 1997 ; 16 : 2717-29.
- 7. Kim DW, Lenzen G, Page AL, Legrain P, Sansonetti PJ, Parsot C. The Shigella flexneri effector OspG interferes with innate immune responses by targeting ubiquitin-conjugating enzymes. Proc Natl Acad Sci USA 2005 ; 102 : 14046-51.
- 8. Girardin SE, Boneca IG, Carneiro LAM, et al. Nod1 detects a unique muropeptide from Gram-negative bacterial peptidoglycan. Science 2003 ; 300 : 1584-7.
- 9. Sansonetti PJ. War and peace at mucosal surfaces. Nat Rev Immunol 2004 ; 4 : 953-64.
- 10. Espinosa A, Alfano JR. Disabling surveillance : bacterial type III secretion system effectors that suppress innate immunity. Cell Microbiol 2004 ; 6 : 1027-40.