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Les mélanocytes, situés dans la couche basale de l’épiderme, dérivent des cellules de la crête neurale et sont responsables de la synthèse des pigments et de leur transfert vers les kératinocytes épidermiques, permettant ainsi d’obtenir une couleur uniforme de la peau. L’α-MSH (α-melanocyte stimulating hormone) est l’un des principaux facteurs sécrétés par les kératinocytes en réponse aux rayons UV de la lumière solaire. Ce facteur interagit avec le récepteur spécifique des mélanocytes (MC1R) et stimule la voie de signalisation intracellulaire dépendante de l’AMP cyclique (AMPc).
Depuis plusieurs années, notre équipe de recherche étudie de façon extensive la signalisation liée à l’action de l’AMPc sur le mélanocyte et a démontré le rôle essentiel de cette molécule dans le processus de pigmentation [1]. Nous avons pu montrer que l’AMPc régule différentes fonctions mélanocytaires à travers l’activation spécifique de plusieurs voies de signalisation telles que la voie de la PI3K [2] et la cascade B-Raf-MAPK [3, 4]. Il est par ailleurs important de noter que des mutations activatrices de B-Raf ont été mises en évidence dans près de 70 % des mélanomes [5, 6].
Par ailleurs, nos travaux ont permis de montrer que l’AMP cyclique, via l’activation de la PKA et de CREB, augmente l’expression du facteur de transcription spécifique des mélanocytes MITF (microphthalmia associated transcription factor) [7]. MITF, un membre de la famille bHLH, joue un rôle capital non seulement dans la synthèse de la mélanine, mais aussi dans le développement et la survie des mélanocytes [8, 9].
L’ensemble de nos données et celles de la littérature montrent que la voie de signalisation α-MSH/MC1R/AMPc a des effets pléïotropiques sur la différenciation, la croissance et la survie des mélanocytes. Afin d’analyser les événements moléculaires médiés par l’α-MSH et l’AMPc dans les mélanocytes, et de mieux comprendre l’implication de cette voie de signalisation dans le développement et l’évolution du mélanome, nous avons réalisé une analyse des gènes régulés par l’activation de la voie de l’AMPc dans les cellules mélanocytaires.
Résultats
En utilisant des biopuces à ADN [10], nous avons analysé les modifications du transcriptome de cellules de mélanome murin B16, après un traitement de 24 heures par la forskoline, un agent unanimement reconnu pour stimuler la concentration intracellulaire d’AMPc.
De façon intéressante, nous avons montré que l’AMPc stimule l’expression du gène Hif1α (Figure 1A) qui code la sous-unité α du facteur de transcription HIF1 (HIF1α), un régulateur essentiel de l’homéostasie de l’oxygène, et dont le rôle dans la progression tumorale a été démontré dans de nombreuses études [11]. Après dimérisation avec le facteur HIF1β, HIF1α forme le complexe HIF1, qui se lie à une séquence consensus 5’-RCGTG-3’ appelée HRE (hypoxia responsive element). HIF1 contrôle l’expression de plusieurs gènes impliqués dans différentes fonctions liées au développement cancéreux, telles que la survie cellulaire, l’angiogenèse, l’invasion tumorale (pour revue, voir [12]). Jusqu’à présent, il a été démontré que la stimulation, par l’hypoxie, de la protéine HIF1α résultait principalement d’une stabilisation post-traductionnelle de la protéine, consécutive à l’inhibition de sa dégradation par le protéasome [13-15].
Notre travail a permis de mettre en évidence un tout nouveau mécanisme de régulation de HIF1α dans des cellules de mélanomes stimulés par l’AMPC. Nous démontrons en effet que l’AMPc stimule l’expression de HIF1α non pas au niveau post-traductionnel mais selon un processus purement transcriptionnel, et cela indépendamment de toute variation de pression d’O2(Figures 1A et 1B). Ce mécanisme conduit à une augmentation de l’expression de l’ARNm et de la protéine HIF1α, permettant ainsi la formation de complexes HIF fonctionnels capables d’activer des gènes cibles connus tels que le gène angiogénique Vegf (vascular endothelial growth factor). Par ailleurs, nous montrons également, grâce à cette étude, que cette induction de HIF1α est spécifique des cellules mélanocytaires normales et transformées (mélanomes).
Afin de mieux caractériser la régulation transcriptionnelle de HIF1α, et compte tenu de la spécificité cellulaire de ce phénomène, nous avons étudié le rôle potentiel du facteur de transcription MITF dans ce mécanisme. En effet : (1) MITF est le facteur de transcription spécifique des mélanocytes ; et (2) des sites consensus de fixation pour MITF ont été mis en évidence dans la séquence promotrice de Hif1α. Pour aborder cette question, nous avons utilisé différentes approches technologiques telles que des expériences : (1) d’immunoprécipitation de chromatine ou (2) de mesure de l’activité du promoteur de Hif1α, après expression ectopique de MITF. Nous avons ainsi montré que MITF interagit physiquement avec le promoteur de HIF1α et stimule son activité. Par ailleurs, nous montrons également que la surexpression de MITF est suffisante pour augmenter l’expression d’ARNm de Hif1α. Finalement, en utilisant une approche d’ARN interférents (ARNsi) permettant d’inhiber spécifiquement l’expression endogène de MITF, nous montrons de manière définitive que, dans des conditions physiologiques, MITF est bien le facteur de transcription impliqué dans l’induction de HIF1α par l’AMPc dans les cellules mélanocytaires (Figure 1C). Comme nous l’avons discuté précédemment, la régulation de l’expression de HIF1α∈par l’AMPc, d’une part, et par l’hypoxie, d’autre part, mettent en jeu deux mécanismes différents. Cette affirmation est confirmée par le fait que ces deux stimulus ont des effets additionnels sur le taux de protéine HIF1α, et pourraient donc, selon les conditions environnementales, coopérer pour induire de fortes quantités de protéine HIF1α.
En résumé, nous montrons dans cette étude que MITF agit comme un régulateur physiologique de la quantité de HIF1α dans la cellule. Cette propriété permettrait de modifier le devenir des mélanocytes et des cellules de mélanome, et cela indépendamment de la pression d’oxygène.
Vegf étant un gène cible bien connu de HIF1α, impliqué dans l’angiogenèse et la croissance tumorale, nous avons cherché à savoir si MITF et HIF1α pouvaient stimuler l’expression de Vegf dans des cellules de mélanomes incubées en présence d’AMPc. Des analyses par PCR quantitative ont été effectuées après blocage de l’expression de MITF et de HIF1α à l’aide des ARNsi respectifs. Nous avons constaté que la déplétion cellulaire de MITF ou d’HIF1α inhibe l’expression de Vegf induite par l’AMPc, montrant que, dans les cellules de mélanome, l’effet stimulateur de l’AMPc sur Vegf est bien médié par la cascade MITF-HIF1α, et qu’un nouveau rôle angiogénique peut ainsi être attribué à MITF dans les mélanomes.
HIF1α est impliqué dans le contrôle de l’expression d’un très grand nombre de gènes (plus de 60 gènes cibles directs ont été identifiés à ce jour), ce qui lui confère un rôle central dans la régulation de processus cellulaires tels que la prolifération, la motilité ou l’équilibre survie/mort des cellules [12, 16]. Pour mieux définir le rôle physiologique de l’induction de HIF1α dans les mélanocytes, nous avons évalué son implication possible dans le processus de survie des cellules de mélanome. Pour cela nous avons induit le programme d’apoptose à l’aide de la stauroporine, et nous avons évalué les niveaux de caspase 3 clivée (un marqueur du processus apoptotique) dans ces conditions expérimentales. De façon intéressante, nous avons observé que l’AMPc inhibe la mort cellulaire induite par la staurosporine. En outre, en inhibant HIF1α à l’aide d’ARNsi, nous montrons que ce facteur protège les cellules de la mort cellulaire induite par la staurosporine, démontrant ainsi que l’activation de la cascade MITF-HIF joue un rôle clé dans le maintien de la survie cellulaire dans notre modèle de mélanome (Figure 1D).
À ce jour, le rôle de MITF dans la survie et le développement des précurseurs mélanocytaires est bien documenté. Toutefois, l’action de ce facteur sur la croissance et la survie des mélanocytes matures ainsi que sur celles des cellules de mélanome demeure controversé. Des travaux récents de la littérature suggèrent que MITF et HIF1α pourraient induire des réponses cellulaires opposées, en agissant soit comme des facteurs de survie et de prolifération, soit en exerçant un rôle inhibiteur sur ces processus. Nous pouvons à présent proposer que le switch entre l’activité de « pro-survie » et celle contrôlant l’inhibition de la croissance pourrait être dicté par le contexte cellulaire, à savoir les signaux extracellulaires, le microenvironnement, ou le type de mutation à l’origine de la transformation du mélanocyte en mélanome. Il est intéressant de signaler que, dans un travail récent, Garraway et al. [17] suggèrent que MITF pourrait être un oncogène spécifique du mélanome, nécessaire au développement cancéreux et à la prolifération tumorale. Ces auteurs proposent également que MITF soit la cible d’une amplification génique spécifique du mélanome, et démontrent que l’expression ectopique de MITF, associée à la mutation B-Raf (l’une des mutations le plus souvent retrouvée dans des cellules de mélanome) est capable d’induire la transformation des mélanocytes humains primaires.
Dans notre cas, l’AMPc pourrait, par l’intermédiaire de MITF, constituer un signal susceptible d’influencer l’équilibre vers la survie, et probablement vers l’angiogenèse et la prolifération du mélanome.
Conclusions
Nos résultats montrent que le facteur de transcription MITF, spécifique du mélanocyte, contrôle l’expression de HIF1α, établissant ainsi un nouveau lien entre MITF, la survie et la vascularisation du mélanome (Figure 2). Ces résultats ont fait récemment l’objet d’une publication dans le Journal of Cell Biology [18]. Si l’on tient compte de la plasticité fonctionnelle, à la fois de MITF et de HIF1α, de futures études devraient permettre de mieux préciser le rôle de la cascade MITF-HIF1α dans le développement du mélanome.
Enfin, le fait que l’on puisse chimiquement moduler cette cascade est un atout majeur, qui ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour le traitement du mélanome, l’un des cancers les plus agressifs et des plus métastatiques connus à ce jour.
Parties annexes
Références
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