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L’athérosclérose - affection inflammatoire - reste la première cause de maladie coronarienne et d’accident vasculaire cérébral et rend compte de près de 50 % des décès dans les pays occidentaux. L’identification de nouveaux traitements contre la maladie athéromateuse revêt par conséquent un très grand intérêt et constitue un défi permanent pour la communauté médicale. Les cannabinoïdes, tels que le Δ9-tétrahydrocannabinol (THC), le principal composant psycho-actif de la marijuana, régule certaines fonctions de l’immunité et pourrait donc s’avérer bénéfique sur le plan thérapeutique dans le traitement des maladies inflammatoires. Nous avons montré récemment que l’administration orale de faibles doses de THC inhibe la progression de l’athérosclérose chez la souris au travers d’une action immunomodulatrice pléïotrope sur les cellules inflammatoires. Tous ces effets étaient modulés par le récepteur cannabinoïde CB2, le principal récepteur cannabinoïde exprimé sur les cellules immunitaires. Les espoirs suscités par ces résultats, pour prometteurs qu’ils soient, sont cependant tempérés par les risques bien connus associés à la consommation de marijuana puisque le THC possède une affinité pour les deux récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2, qu’il active de manière similaire. Autrement dit, l’un des défis pour la recherche sur le cannabinoïde consiste en l’identification et la caractérisation de dérivés du cannabinoïde capables de stimuler sélectivement le récepteur CB2.

La découverte des récepteurs membranaires se liant au composé psychoactif de la marijuana, le Δ9-tétrahydrocannabinol, et de leurs ligands endogènes a conduit à la description du système endocannabinoïde. Actuellement, ce système est formé de deux récepteurs qui ont pu être clonés [1, 2], ainsi que de ligands endogènes ou endocannabinoïdes, notamment l’anandamide, le 2-arachidonoylglycérol et quelques autres [3-5]. Tous les endocannabinoïdes identifiés à ce jour sont des dérivés d’acides gras polyinsaturés à longue chaîne latérale et présentent des profils de sélectivité variables pour les deux récepteurs cannabinoïdes [6].

Le système endocannabinoïde

Les deux récepteurs cannabinoïdes sont couplés à la protéine G et modulent des messagers secondaires et des substances de signalisation, tels que l’adénylate cyclase [7], les protéine kinases activées par les mitogènes [8] et certains membres de la famille des NF-κB [9, 10]. La distribution de ces deux récepteurs dans les différents tissus explique le tableau des effets psychotropes et périphériques bien connus du THC. Le récepteur cannabinoïde 1 (CB1) est essentiellement exprimé au niveau du système nerveux central et périphérique, tandis que le récepteur cannabinoïde 2 (CB2) se trouve pratiquement exclusivement sur les cellules immunitaires [11]. Le récepteur CB2 n’a aucun effet neurologique connu, mais il pourrait jouer un rôle physiologique dans la réponse immunitaire, l’inflammation et la douleur chronique [12].

Effets du THC sur l’athérosclérose

Le développement d’agonistes et d’antagonistes sélectifs, ainsi que de souches de souris dépourvues de récepteurs CB1 et CB2, a grandement contribué à améliorer notre compréhension de la biologie des cannabinoïdes. La capacité de régulation de la fonction immunitaire des cannabinoïdes est maintenant bien établie. Le traitement in vitro par le THC de cellules immunitaires humaines inhibe la sécrétion de cytokines et de chimiokines pro-inflammatoires et induit une différenciation en phénotype Th2 [13, 14]. Le cannabidiol, une plante cannabinoïde non psychotrope, a des effets positifs sur l’inflammation chronique de l’arthrite murine induite par le collagène, un modèle d’arthrite rhumatoïde chez la souris, par inhibition de la prolifération lymphocytaire spécifique de l’antigène et de la sécrétion d’IFNα [15]. L’inhibition, induite par le THC, de l’activation des cellules T helper fait défaut chez les souris déficientes en CB2, ce qui renforce l’hypothèse selon laquelle les effets immunomodulateurs des cannabinoïdes dépendent du récepteur CB2 [16]. Le très grand nombre d’études ayant démontré les propriétés immunomodulatrices des cannabinoïdes nous a récemment incités à tester le potentiel anti-athérosclérotique du THC dans un modèle murin [17]. Nous avons ainsi trouvé que le THC inhibe la progression des lésions athérosclérotiques établies. Cet effet est associé à une diminution de la prolifération cellulaire et de la sécrétion d’IFNα par les cellules lymphoïdes, ainsi qu’à une diminution de l’infiltrat de macrophages dans les lésions athérosclérotiques. Nous avons par ailleurs détecté la présence du récepteur CB2 au niveau des lésions athérosclérotiques chez l’homme et la souris. Nous avons également observé in vitro que le THC inhibe la réponse chimiotactique des macrophages en réponse au MCP-1 et diminue l’expression du récepteur CCR2 des chimiokines. Il faut souligner que ces effets étaient bloqués en présence d’un antagoniste spécifique du récepteur CB2 (SR144528) [18]. Il est également très intéressant de noter que les effets du THC observés in vitro et in vivo étaient dépendants de la dose. La courbe illustrant la relation dose-effets avait un aspect en U, les doses faibles et les doses élevées étant inactives. La dose efficace était plus basse que la dose habituellement associée aux effets psychotropes du THC. Il est cependant difficile d’extrapoler à l’homme les résultats obtenus dans le modèle d’athérosclérose chez la souris dépourvue d’apolipoprotéine E (ApoE-/-). Nous avons trouvé des concentrations nanomolaires, donc extrêmement faibles, dans le sérum de souris traitées par le THC, ce qui pourrait s’expliquer par le stockage du THC dans le tissu graisseux, les cannabinoïdes étant connus pour être très lipophiles. Le modèle des souris hypercholestérolémiques ApoE-/- est caractérisé par une forte accumulation de tissu graisseux, en particulier au niveau de la paroi vasculaire. Le THC pourrait donc être stocké dans les lésions athérosclérotiques avec des concentrations locales particulièrement élevées au niveau des sites inflammatoires. D’autres études seront nécessaires pour vérifier si une accumulation locale de THC contribue à l’action anti-athérosclérotique et si des concentrations similaires de THC pourraient être efficaces chez l’homme.

Quoi qu’il en soit, notre étude a montré que le THC exerce une action anti-inflammatoire en agissant sur le récepteur CB2 et qu’il diminue l’infiltrat de cellules immunitaires dans les lésions athérosclérotiques. À cette action favorable au plan thérapeutique s’opposent néanmoins les effets indésirables bien connus de la consommation de marijuana. Le THC se lie avec une affinité comparable aux deux récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2, qu’il stimule de manière similaire. Il a été démontré que le fait de fumer de la marijuana entraîne des effets sur les récepteurs CB1 du cerveau, qui induisent une augmentation de la fréquence cardiaque et de la tension artérielle avec pour conséquence une augmentation du risque de maladie coronarienne [19].

Cannabinoïdes non psychotropes

Par ailleurs, si l’intérêt des cannabinoïdes en tant qu’agents thérapeutiques est aujourd’hui incontesté, leurs effets psychotropes ont jusqu’ici considérablement limité leur emploi dans la pratique clinique. C’est la raison pour laquelle tous les efforts de recherche se concentrent actuellement sur l’identification et le développement de substances cannabinoïdes synthétiques ou dérivées de plantes qui soient à la fois efficaces sur le plan thérapeutique et dépourvues d’effets psychotropes. Parmi les extraits de plantes non psychotropes, le cannabidiol, l’un des composants essentiels de la marijuana, s’est démarqué par une action thérapeutique anti-inflammatoire puissante, associée à des propriétés neuroprotectrices et à un effet antiarthritique chez la souris [13, 15]. Le nombre d’effets favorables observé a logiquement conduit à la réalisation de différents tests dans le cadre d’essais cliniques avec des extraits végétaux de THC/cannabidiol. Ces travaux ont montré que les médicaments étudiés étaient en général bien tolérés et qu’ils ne présentaient que peu d’effets indésirables. Il va sans dire que des études plus vastes, sur des périodes d’observation plus longues, seront nécessaires pour confirmer l’amélioration cliniquement significative des symptômes neurologiques [20, 21].

Il est intéressant de constater que plusieurs cannabinoïdes synthétiques possédant une action anti-inflammatoire tout en étant non psychotropes ont été développés récemment à partir de cannabinoïdes d’origine végétale, notamment l’acide ajulémique (CT3) et le HU-320 [22-24]. Le développement d’agonistes ciblant sélectivement le récepteur CB2 revêt un intérêt tout particulier. Dans les études précliniques, au moins deux agonistes du récepteur CB2, le HU-308 et l’AM-1241, se sont avérés dépourvus d’effets centraux et sont donc prometteurs dans la perspective du traitement de la douleur aiguë et chronique [25-28]. Les propriétés anti-inflammatoires des agonistes du récepteur CB2 en font aussi des candidats idéals soumis à des tests dans les troubles de l’immunité, tels que l’athérosclérose. On ne sait toutefois que peu de choses sur le mode d’action au niveau moléculaire de ces substances, et d’autres études seront encore nécessaires pour obtenir une meilleure compréhension sur ce plan. Tout récemment, il a été démontré in vitro et in vivo qu’un traitement chronique avec le dérivé cannabinoïde synthétique HU210, agissant sélectivement sur le récepteur CB1 des cellules cérébrales de l’hippocampe (noyau gris), augmente la prolifération et la différenciation de ces cellules (neurogenèse), et exerce un effet anxiolytique et antidépresseur [29]. Il est intéressant de relever que d’autres substances de type héroïne, cocaïne, ou même l’alcool, diminuent la multiplication de ces même cellules du noyau gris de l’hippocampe, ce qui pourrait être en relation avec l’effet de dépendance bien connu de ces substances. Ces résultats suggèrent que les dérivés du cannabis avec effet cérébral sur le récepteur CB1 (marijuana par exemple) possèdent des propriétés de type antidépresseur.

Conclusions

Il existe aujourd’hui un faisceau d’indices suggérant fortement l’existence d’un vaste champ d’applications possibles pour les cannabinoïdes dans toute une série d’affections. Malgré cela, les applications en médecine sont restées très limitées jusqu’ici, essentiellement en raison des effets psychotropes associés à la prise de marijuana. Maintenant que nous disposons de cannabinoïdes non psychoactifs, il devient absolument indispensable de se pencher de plus près sur les effets pharmacologiques et biologiques de ces médicaments, afin d’identifier les agents les plus puissants et les plus sélectifs dans l’optique d’une utilisation thérapeutique.

Perspectives d’avenir

Les propriétés régulatrices des cannabinoïdes dans certains processus de l’immunité sont aujourd’hui bien établies et suggèrent que ces principes actifs ont un potentiel thérapeutique remarquable dans toute une série de situations cliniques. Des données précliniques récentes ont notamment mis en lumière les effets anti-athérosclérotiques très intéressants des cannabinoïdes. De nouvelles stratégies fondées sur des cannabinoïdes non psychotropes, autrement dit sur des substances activant sélectivement le récepteur CB2, pourraient contribuer à la solution du problème des effets indésirables associés à l’administration orale des cannabinoïdes ou à leur inhalation par la fumée.

Les agonistes sélectifs du récepteur CB2 sont des substances prometteuses dans la perspective du traitement contre l’athérosclérose sans les effets indésirables habituellement associés à la thérapie par les cannabinoïdes.