L’olfaction proprement dite se double, chez de nombreuses espèces de mammnifères, d’une sensorialité chimique qui partage avec l’olfaction principale de nombreuses propriétés mais s’en distingue aussi par un organe et des voies spécifiques. Ainsi, l’organe voméronasal et le bulbe olfactif accessoire constituent à eux deux un organe chimiosensoriel spécialisé dans la réception et le traitement des phéromones. Ces messagers de communication chimique agissent à distance de leur lieu d’origine et à très faible concentration. Ils sont à l’origine de comportements sociaux spécifiques, comme les comportements sexuels, et de modifications de l’état émotionnel chez les sujets récepteurs, et induisent des réponses physiologiques tout aussi spécifiques [4]. Ces phéromones interviennent notamment dans le choix des partenaires sexuels. Privés d’organe voméronasal, des souris mâles perdent leur intérêt pour des femelles. L’ablation de cet organe affecte également plusieurs composantes de la physiologie sexuelle des femelles de cette même espèce : l’odeur des mâles n’accélère plus la puberté des femelles immatures ; le regroupement de femelles adultes ne provoque plus la synchronisation de leur cycle ovarien ; la présence d’un mâle étranger auprès d’une femelle récemment fécondée n’interrompt plus sa gestation [5]. Autre particularité de ce système dit accessoire : sa fonction s’exerce de façon non consciente. Ainsi, des souris privées d’olfaction principale sont incapables de distinguer des odeurs d’urine auxquelles leur physiologie endocrinienne réagit pourtant de façon différentielle. C’est par analogie avec la fonction phéromonale du système olfactif accessoire, bien démontrée dans le cas des rongeurs, que l’on a cherché à déterminer le potentiel fonctionnel de l’organe voméronasal humain en tant que point de départ périphérique des modalités d’action de différentes phéromones. Cependant, force est de constater que les travaux anatomiques, génomiques, protéomiques ou encore électrophysiologiques sur l’organe voméronasal chez l’homme adulte offre aujourd’hui encore peu d’arguments persuasifs aux yeux des spécialistes pour attribuer à cette structure un véritable statut fonctionnel [6-9]. En revanche, l’organe sensoriel de l’odorat – l’épithélium olfactif – pourrait outre des molécules proprement olfactives, reconnaître les phéromones [10]. En regard des nombreux questionnements que suscitent l’existence et le fonctionnement de l’organe voméronasal chez l’homme, la récente étude de I. Savic et al., si elle confirme l’idée d’une communication chimique entre sujets humains dans le cadre de leurs orientations sexuelles, ne permet toujours pas de spécifier quel système sensoriel et quel chemin emprunté sont responsables de la détection de ces phéromones présomptives et de l’activation des régions hypothalamiques en question. Les réponses comportementales des sujets sont également appelées à différer selon le genre et l’orientation sexuelle des sujets comme semble le préciser une étude également récente du groupe de C.J. Wysocki [11]. Enfin, il reste encore à s’interroger sur la pertinence physiologique des effets observés dans l’activation des régions hypothalamiques des sujets utilisés dans l’étude de I. Savic et al. En effet, l’utilisation des échantillons de AND et EST en concentration pure nécessite d’apprécier à l’avenir l’existence d’effets comparables à des concentrations physiologiques. Les structures héritées d’un lointain passé de vertébré font de l’homme un être sensible à l’autre. Les messages olfactifs pourraient ainsi donc parfois participer à son insu à cette construction interne de l’être désiré, mais toujours au milieu d’un flux d’informations dont la nature, les interactions et les effets demeurent depuis toujours beaucoup plus mystérieux, quelles que soient nos orientations sexuelles, que le rôle supposé de l’organe voméronasal et des phéromones que celui-ci conduirait jusqu’au coeur de notre cerveau.
Parties annexes
Références
- 1. Savic I, Berglund H, Lindström P. Brain response to putative pheromones in homosexual men. Proc Natl Acad Sci USA 2005 ; 102 : 7356-61.
- 2. Savic I, Berglund H, Gulyas B, Roland P. Smelling of odorous sex hormone-like compounds causes sex-differentiated hypothalamic activations in humans. Neuron 2001; 31: 661-8.
- 3. Gottlieb G. Synthesizing nature-nurture. Prenatal roots of instinctive behaviour. Mahwah, New Jersey : Lawrence Erlbaum Associates Publishers, 1997.
- 4. Wysocki C, Preti G. Facts, fallacies, fears, and frustrations with human pheromones. Anat Rec 2004 ; 218A : 1201-11.
- 5. Halpern M, Martinez-Marcos A. Structure and function of the vomeronasal system: an update. Prog Neurobiol 2003 ; 70 : 245-318.
- 6. Trotier D, Eloit C, Wassef M, et al. The vomeronasal cavity in adult humans. Chem Senses 2000 ; 25 : 369-80.
- 7. Meisami E, Bhatnagar KP. Structure and diversity in mammalian accessory olfactory bulb. Microsc Res Tech 1998 ; 43 : 476-99.
- 8. Liman E, Innan H. Relaxed selective pressure on an essential component of pheromone transduction in primate evolution. Proc Natl Acad Sci USA 2003 ; 100 : 3328-32.
- 9. Boehm N, Roos J, Gasser B. Luteinizing hormone-releasing hormone (LHRH)-expressing cells in the nasal septum of human fetuses. Brain Res Dev Brain Res 1994 ; 82 : 175-80.
- 10. Rodriguez I, Greer CA, Mok MY, Mombaerts P. A putative pheromone receptor gene expressed in human olfactory mucosa. Nat Genet 2000 ; 26 : 18-9.
- 11. Martins Y, Preti G, Crabtree CR, Wysocki CJ. Preference for human body odors is influenced by gender and sexual orientation. Psychol Sci 2005 (sous presse).