En 1967 est né à l'hôpital Tenon un avatar histophysiologique, celui de la découverte que les cellules sombres (dark cells), ou cellules intercalaires, du tubule distal et du canal collecteur du rein interviennent dans l'équilibre acidobasique. Ces cellules, observées par A. Heidenhaim [1] et par S. Schachowa dès les années 1870 [2], bénéficiaient jusque là d'études morphologiques et histochimiques, mais leur fonction restait hypothétique [3]. Au tournant des années 1950-1960, la physiologie de la médullaire rénale s'ouvrait à la recherche, après la découverte par Wirz de l'existence d'un gradient osmotique corticomédullaire et de son rôle dans le mécanisme de dilution-concentration de l'urine. L'adaptation de l'osmolarité et du pH de l'urine ayant lieu dans le même territoire, nous y avons cherché un gradient de pH, supposant qu'il pouvait participer à l'élaboration d'une urine acide ou alcaline. Les moyens dont disposait alors le laboratoire de néphrologie de l'hôpital Tenon étant presque inexistants, nous avons interrogé notre savant collègue Manfred Gabe sur le recours à des techniques histologiques susceptibles de nous éclairer, et ensemble décidâmes d'une expérimentation. Dans son laboratoire, une externe du service, M. Peltier [4], constata par histochimie qu'un tel gradient pouvait exister et que les affinités tinctoriales des espaces étaient différentes selon l'acidité de l'urine, ce qui suggérait des changements du pH du liquide interstitiel. Ces arguments étaient fragiles, et nous avons renoncé à vérifier si dans les espaces intertubulaires de la papille s'accumulait du bicarbonate faisant retour à l'organisme quand les protons étaient sécrétés dans la lumière tubulaire. M. Gabe connaissait les cellules sombres pour les avoir scrutées dans un travail d'histologie comparée [5]. Toujours aux aguets, il profita de l'expérience en cours pour colorer par la fuchsine des reins de rats en acidose ou en alcalose métabolique, et constata dans ce dernier cas une nette augmentation du nombre des cellules sombres. Une piste était donc ouverte. Elle nous a d'autant plus attirés que, peu après, M. Gabe identifia sur une pièce d'autopsie une profusion de cellules sombres : le patient avait reçu peu avant sa mort une perfusion de soluté bicarbonaté. Au laboratoire de M. Gabe venait parfois Jacqueline Hagège, Professeur de biologie dans un lycée, après avoir été assistante au laboratoire d'histologie comparée à la vieille Sorbonne. La néphrologie de Tenon, venant de bénéficier d'un nouveau bâtiment, recrutait alors, car le laboratoire n'était pas encore à l'étroit. Jacqueline Hagège put ainsi y jeter l'ancre. Les caractères qui opposent, en microscopie optique ou électronique conventionnelle, les cellules sombres aux cellules claires ont été précisés et complétés : saillie du pôle apical des cellules sombres dans le tubule, position du noyau à mi-distance du pôle basal et de la lumière tubulaire, développement du chondriome qui envahit en désordre tout le cytoplasme, microvillosités apicales, nombreux cytosomes dans le cytoplasme et richesse en mucopolysaccharides. L'étude morphologique a, de plus, dégagé trois faits d'importance. D'une part, le microrelief du pôle apical des cellules sombres bombant dans la lumière tubulaire est tel qu'il apparaît en microscopie électronique à balayage sous forme de feuillets enchevêtrés, alors que les cellules claires ont une région supranucléaire lisse avec de petites microvillosités en doigts de gant [6] ; d'autre part, dans d'indiscutables cellules sombres ou claires coexistent souvent des caractères propres à l'autre type [7] ; enfin, ces différences sont notées ailleurs que chez les vertébrés tétrapodes, par exemple chez des oiseaux, reptiles et amphibiens dont la partie terminale des tubules comportent des cellules sombres [8]. L'administration per os de bicarbonate entraîne en moins d'une heure l'augmentation de la proportion des cellules sombres et, plus encore, de celles d'aspect intermédiaire. Les changements provoqués par l'acidose …
Parties annexes
Références
- 1. Heidenhaim A. Mikroscopische Beitrage zur Anatomie und Physiologie. Arch F Mikr Anat 1870 ; 10 : 1.
- 2. Schachowa S. Untersuchungen über die Niere. Berne : Med Diss, 1876.
- 3. Hagège J. Morphologie et histophysiologie des cellules intercalaires du tube urinaire des vertébrés tétrapodes. Ann Biol 1972 ; XI : 105-43.
- 4. Peltier M. Étude de la substance fondamentale des espaces interstitiels de la médullaire du rein de rat, selon que l'urine est acide ou alcaline. Paris : Thèse de Médecine, 1966 : 24 p.
- 5. Gabe M. Données histochimiques sur le rein de Propterus annectens Owen. Ann Histochimie 1959 ; 2 : 215-24.
- 6. Hagège J, Richet G. Étude par microscopie électronique à balayage de la surface apicale des cellules du tube contourné distal du rein de rat. CR Acad Sci (Paris) 1970 ; 271 : 331-4.
- 7. Hagège J. Morphologie et histophysiologie des cellules intercalaires du tube urinaire des vertébrés tétrapodes. Ann Biol 1972 ; XI : 138-9.
- 8. Hagège J. Morphologie et histophysiologie des cellules intercalaires du tube urinaire des vertébrés tétrapodes. Ann Biol 1972 ; XI : 108-11.
- 9. Hagège J, Gabe M, Richet G. Augmentation du nombre des cellules intercalaires rénales soumis à une surcharge en bicarbonates alcalins. CR Acad Sci (Paris) 1968 ; 267 : 1611-3.
- 10. Hagège J, Richet G, Gabe M. Effet de l'acidose gazeuse sur les parties distales du néphron du rat albinos. CR Acad Sci (Paris) 1969 ; 269 : 1539-42.
- 11. Richet G, Hagège J, Gabe M. Corrélations entre les transferts de bicarbonates et la morphologie du segment terminal du néphron. Nephron 1970 ; 7 : 413-29.
- 12. Hagège J, Richet G. Étude par microscopie électronique à balayage de la surface apicale des cellules du tube contourné distal du rein de rat. CR Acad Sci (Paris) 1970 ; 271 : 331-4.
- 13. Hagège J, Gabe M, Richet G. Scanning of the apical pole of distal tubular cells under differing acid-base conditions. Kidney Int 1974 ; 5 : 137-46.
- 14. Richet G. In memoriam : J. Duveau-Hagège (1933-1998). Néphrologie 1999 ; 20 : 49-50.