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Les adipokines n’arrêtent pas de grossir : découverte de la visfatine

Depuis l’identification de la leptine, on sait que le tissu adipeux est un organe endocrine. Le club des adipokines (ou adipocytokines) vient de s’enrichir d’un nouveau membre : la visfatine qu’on connaissait déjà en tant que PBEF (pre-B cell colony-enhancing factor) [1]. Sept équipes japonaises sont partie de l’idée selon laquelle l’accumulation de graisse abdominale est particulièrement liée au syndrome métabolique. Ils ont comparé par differential display les ADNc dérivés d’échantillons appariés de graisses abdominale et sous-cutanée prélevés chez deux volontaires de sexe féminin (c’est précisé dans la publication !). Trente et une bandes furent identifiées sélectivement dans la graisse abdominale et l’une d’entre elles s’avéra nettement plus exprimée dans ce même tissu. Le séquençage indiqua qu’il s’agissait d’une protéine déjà connue en tant que facteur de croissance des cellules B à un stade précoce (PEBF) et essentiellement exprimée dans la moelle osseuse, le foie et les muscles. Sur un échantillon de 101 sujets, les concentrations plasmatiques de PEBF sont corrélées à la surface de graisse abdominale beaucoup plus qu’à la graisse sous-cutanée. De plus, une relation du même type, ainsi qu’une augmentation de l’expression de PEBF sélective de la graisse abdominale, sont observées sur deux modèles murins d’obésité, la souris KKAy et les souris C57BL/6J soumises à un régime enrichi en graisses. À partir de là, les auteurs décident de renommer le PBEF en tant que facteur sécrété par la graisse abdominale viscérale et choississent le vocable plus évocateur de visfatine. L’injection de visfatine diminue le glucose sanguin, sans modifier l’insuline, aussi bien chez la souris normale que chez la souris obèse KKAy. À l’inverse, des souris hétérozygotes vistatine+/- (les souris vistatine-/- meurent pendant l’embryogenèse précoce mais les souris vistatine+/- ne présentent pas de phénotype majeur) développent cependant une légère intolérance au glucose, avec des valeurs basales élevées. Les effets insulinomimétiques de la visfatine sont liés à la voie de transduction du récepteur de l’insuline (tyrosine-phosphorylation du récepteur de l’insuline et de ses substrats IRS-1 et IRS-2, liaison de PI3K à ceux-ci, phosphorylation d’Akt et de MAPK). Enfin, la visfatine présente une affinité équivalente à celle de l’insuline pour se lier à son récepteur, mais sur un site différent (liaison non compétitive), ce qui est cohérent avec les effets additifs de la visfatine et de l’insuline sur les systèmes de transduction du récepteur. Concernant le rôle physiologique de la visfatine en tant qu’hormone réglant le métabolisme, les auteurs restent cependant prudents car ses concentrations circulantes sont 10 à 30 fois plus faibles que celles de l’insuline et, contrairement à celles-ci, elles ne varient pas en fonction de l’état nutritionnel. En outre, le précurseur de la visfatine ne présente pas de séquence signal, ce qui est plutôt rare pour une protéine sécrétée, et des études antérieures avaient montré une distribution préférentielle dans le noyau et le cytoplasme faisant plus penser à une implication dans la régulation du cycle cellulaire [2]. Quoiqu’il en soit, l’action insulinomimétique de la visfatine en fait une nouvelle cible de choix pour la recherche clinique et thérapeutique dans le domaine du diabète et de l’obésité.

Imitez, imitez, il en restera toujours quelque chose…

La mimicrie - cette façon qu’ont certains animaux de se donner l’apparence d’une autre espèce -, n’avait pas échappé au sens aigu de l’observation de Darwin. Certaines espèces l’utilisent pour tromper les prédateurs en se faisant passer pour une autre, non comestible. D’autres, qui sont des prédateurs, prennent l’aspect d’êtres inoffensifs. La blennie (Plagiotremus rhinorhynchos), par exemple,∈imite le labre nettoyeur, petit poisson inoffensif à rayure bleue qui débarrasse les autres de leurs parasites [3]. Elle peut alors déchiqueter ses proies avec ses dents acérées. Récemment, un groupe de chercheurs vient de démontrer que la mimicrie peut aussi devenir une tactique permettant d’accroître sa descendance en trompant le mâle attitré d’une femelle [4]. Les seiches géantes d’Australie (sepia apana) sont des mollusques céphalopodes solitaires. Elles se rassemblent pour l’accouplement et la ponte. Les femelles repoussent 70 % des tentatives de copulation des mâles puis les couples se forment. Pourtant, 36 % des accouplements se font avec des « extra » qui réussissent non seulement à copuler mais aussi à avoir des rapports fécondants. Des vidéos enregistrées dans les fonds marins au sud de l’Australie ont dévoilé le stratagème. En un clin d’oeil, sous contrôle neural, les petits mâles prennent l’apparence de femelles en cachant leurs tentacules (dont l’ectocotyle ou bras copulateur), et en donnant à leur épiderme l’aspect marbré de celui des femelles. Pendant que le mâle consort est occupé à repousser d’autres gros mâles, le petit mâle travesti se positionne près de la femelle, réussit à s’accoupler et à inséminer celle-ci, qui utilisera son sperme pour la fécondation des oeufs pondus soit immédiatement, soit plus tard. Cette observation apporte une confirmation à la prédiction de Parker [5] selon laquelle, dans la compétition entre les mâles, des intrus sont capables de transmettre leur patrimoine génétique.

Les paradis empoisonnés

En 1989, en Nouvelle Guinée, un ornithologue californien, Jack Dumbacher, essayait d’attraper un oiseau de paradis quand un autre oiseau rouge et noir - du genre Pitohui, de la famille des Pachycéphalidés - se prit dans les mailles de son filet et commença à lui écorcher les mains avec ses serres et son bec. En portant machinalement ses mains à sa bouche, J. Dumbacher éprouva un malaise étrange et sentit tout à coup que ses lèvres et sa langue étaient devenues insensibles. C’est ainsi que furent découvertes les premières espèces d’oiseaux vénéneux : Pitohui et Ifrita (passeraux de la famille des Cinclosomatidés). Car, une fois remis de sa mésaventure, l’ornithologue décida d’étudier la nature de cette toxine. En 1992, il découvrit qu’il s’agissait de batrachotoxines (BTX) [6] qui, comme leur nom l’indique, ont été isolées chez des batraciens, plus précisément chez des grenouilles arboricoles à couleurs très vives vivant dans les régions tropicales d’Amérique. Ces alcaloïdes neurotoxiques, 250 fois plus puissants que la strychnine, qui se trouvent dans leur peau, étaient utilisés par les Amérindiens pour enduire la pointe de leurs flèches. Poursuivant ses travaux, J. Dumbacher et son équipe viennent récemment de trouver la même toxine, l’homobatrachotoxine, dans des coléoptères de la famille des Mélyridés, du genre Choresine, répandus en Nouvelle Guinée, mais aussi en Amérique (dans les mêmes régions que les grenouilles) [7]. Il est fort possible que ces scarabées aux élytres très colorés soient les fournisseurs directs de toxines des oiseaux… et peut-être des grenouilles. L’analyse du contenu gastrique d’une quarantaine d’oiseaux des espèces Pitohui et Ifrita a confirmé qu’ils avaient absorbé ces insectes. Du reste, les villageois de la provine des Hauts Plateaux orientaux de Nouvelle Guinée le savaient bien, eux qui ont donné le même nom, nanisani, aux insectes et aux oiseaux Ifrita, et qui évitent soigneusement leur contact quand ils les trouvent dans les toits de paille de leurs maisons. Ce qui ne les empêche pas de manger les oiseaux, mais enlevant la peau et en les vidant soigneusement. Reste à présent à mieux connaître ces insectes du genre Choresine, dont ni les larves, ni les plantes hôtes qui les hébergent, n’ont encore été étudiées. Reste aussi à comprendre comment les oiseaux survivent à l’absorption de la toxine.

15 000 vierges… contre les cafards

Dans les grandes villes du monde entier, les cafards (Blattella germanica) envahissent les immeubles, les habitations, transportent des agents pathogènes [8], et provoquent des allergies, en particulier chez le jeune enfant [9]. La somme consacrée aux produits pour lutter contre ce fléau est énorme, les insecticides utilisés sont nocifs pour l’environnement et, jusqu’à présent, tout espoir d’éradiquer ces répugnantes bestioles semblait illusoire. Car pour pouvoir les détruire, il faut d’abord les piéger. Certes, les femelles vierges, n’ayant pas encore copulé, attirent irrésistiblement les mâles. Dans le dernier segment abdominal, le pygidium, se trouve une glande qui produit une phéromone [10]. Mais du fait de la quantité infinitésimale obtenue par femelle et de l’instabilité de la molécule, tous les efforts entrepris pour l’isoler étaient restés vains… jusqu’à ce qu’un étudiant japonais, en post-doc à la station d’expérimentation agricole de l’état de New York (USA) ait une idée de génie. Plutôt que d’analyser chimiquement les diverses molécules séparées par chromatographie gazeuse à partir d’extraits de glande à phéromone, il conçut un petit appareil de reconnaissance biologique : une antenne de cafard mâle reliée à des électrodes pour réagir et identifier la phéromone parmi les autres produits. Et son électro-antennogramme de détection hypersensible se révéla efficace [11]. Une fois la molécule reconnue, encore fallait-il la caractériser. C’est désormais chose faite [12]. À partir de pygidium de 15 000 femelles vierges, une quantité suffisante de phéromone fut analysée au département de chimie de l’Université de l’État de New York . Elle fut identifiée : il s’agit de l’isovalérate gentisyl quinone qui fut baptisée blattellaquinone. Ce composé chimique fut ensuite synthétisé sans problème. La phéromone synthétique attire les blattes mâles autant sinon plus (93,8 % contre 92,5 % pour la phéromone naturelle). Des essais sur le terrain, une ferme avec élevage de porcs complètement infestée, se sont révélés efficaces. Certes, le produit épargne les femelles et les nymphes. Mais, mélangé à un poison, ce dernier devrait les détruire néanmoins par contact avec les déjections des mâles. L’inventeur de l’antennogramme, S. Nojima, est désormais retourné au Japon où il travaille pour une importante firme de produits chimiques. Nous avons toutes les chances de trouver bientôt dans les drogueries un produit vraiment efficace contre les cafards.

Une nouvelle famille d’antibiotiques très active dans la tuberculose

Un article tout récemment publié dans Science [13] et qui fait l’objet de deux commentaires ainsi que de la couverture du même numéro, réunit la première série d’informations publiées sur une nouvelle famille d’antibiotiques très actifs dans la tuberculose et sur les autres mycobactéries : les diarylquinolines. Cet article résulte de plusieurs années de travail de trois équipes : le laboratoire de bactériologie de la Pitié-Salpêtrière (Paris, France), l’Institut des maladies infectieuses de Solna (Suède) et les structures de recherche et développement (Belgique, France et Royaume-Uni) des Laboratoires Johnson & Johnson. L’activité anti-mycobactérienne des diarylquinolines a été identifiée par un criblage systématique de très nombreux composés chimiques synthétisés par Johnson & Johnson sur une souche de mycobactérie non pathogène à croissance rapide (Mycobacterium smegmatis). Un des dérivés de cette famille (R207910) s’est révélé être très actif in vitro sur de nombreuses mycobactéries dont Mycobacterium tuberculosis (agent de la tuberculose humaine) et Mycobacterium bovis (agent de la tuberculose des animaux), l’activité in vitro étant supérieure à celle de la rifampicine et du même ordre que celle de l’izoniazide. R207910 s’est aussi révélé très actif sur les souches résistantes aux antituberculeux classiques ainsi que sur les mycobactéries non tuberculeuses, dites atypiques, comme par exemple Mycobacterium avium (agent d’infections opportunistes au cours du sida), qui sont également le plus souvent résistantes aux deux antibiotiques précités. R207910 a un mode d’action tout à fait original : sa cible est l’ATP-synthase, enzyme membranaire jouant un rôle clé dans l’approvisionnement en énergie de la bactérie. Les essais thérapeutiques menés chez la souris ont permis de montrer que cet antibiotique est plus actif que tous les autres antituberculeux connus à ce jour. Les bacilles de souris tuberculeuses (1 million de bacilles par souris en début de traitement) sont presque tous éliminés en deux mois seulement lorsqu’un des trois antibiotiques de l’association recommandée par l’OMS pour traiter la tuberculose (rifampicine, isoniazide, pyrazinamide) a été remplacé par la diarylquinoline, alors qu’il faut quatre mois pour obtenir le même résultat avec la classique triple association. De plus, la demi-vie longue de cet antibiotique lui permet d’être très efficace avec seulement une administration par semaine. Au total, les diarylquinolines sont une nouvelle classe d’antituberculeux au mode d’action tout à fait original. Elles devraient permettre d’améliorer le traitement de la tuberculose en agissant sur des bacilles multirésistants, en raccourcissant la durée du traitement et en permettant une seule prise hebdomadaire.

Une nouvelle indication du Viagra® ?

En dehors du sportif, l’hypertrophie du myocarde est un processus pathologique qui survient en réponse à une surcharge chronique du travail cardiaque. Malgré son caractère adaptatif, ce remodelage profond du myocarde a aussi des effets délétères qui conduisent inéluctablement à l’insuffisance cardiaque. Une forte stimulation de la voie de signalisation liée au GMPc (guanosine monophosphate cyclique) peut prévenir le remodelage hypertrophique du myocarde. Cependant, lors des cardiopathies, ce nucléotide ne s’accumule pas de façon suffisante pour être protecteur. D’où l’idée, à l’origine de l’étude de E. Takimoto et al. [14], d’inhiber sa dégradation par les phosphodiestérases (PDE). L’autre point original de ce travail est d’avoir utilisé un agent pharmacologique bien connu, le sildefanil (Viagra®) pour inhiber une population de PDE cardiaques, les PDE5. Et, en effet, le sildefanil administré à des souris, non seulement prévient, mais aussi fait régresser l’hypertrophie cardiaque induite par une sténose de l’aorte thoracique et améliore nettement les performances cardiaques. Dans cette étude, le sildefanil module l’activité de plusieurs des voies de signalisations mises en jeu dans le développement du remodelage hypertrophique du myocarde : voie des protéine kinases ERK1/2, Akt-PI3Ka, voie de la calcineurine et du facteur régulateur de la transcription NFAT. Cette molécule agirait en amont de ces voies de signalisation en bloquant l’activation de la calcineurine par le calcium et l’Akt par la PI3Ka. Encouragée par le marketing de l’industrie pharmaceutique, la consommation croissante du Viagra® - pour d’autres indications que l’insuffisance cardiaque -, devrait permettre de savoir assez rapidement si, en clinique humaine également, cette molécule a des effets bénéfiques sur le remodelage hypertrophique du coeur.

Plasticité ne rime pas avec jeunesse… chez la drosophile !

Les disques imaginaux de drosophile sont des groupes de cellules épithéliales qui prolifèrent activement pendant le développement larvaire et acquièrent précocement un état de détermination les engageant vers une voie de différenciation, par exemple, vers une cellule de l’aile ou une cellule de la patte. Cette détermination est héritable puisque des fragments déterminés de disque, cultivés pendant plusieurs années et transplantés chez la larve, garderont le même destin lors de la métamorphose de cette dernière. Seules les cellules d’un domaine très spécifique du disque peuvent totalement changer de destin et passer d’une cellule de la patte à une cellule de l’aile. Cette plasticité est appelée « transdétermination ». Les drosophilistes ont dû voir dans cette plasticité une incapacité de prendre en main son propre destin pour donner à cette région du disque le nom péjoratif de « point faible ». Si la transdétermination peut être artificiellement induite par une expression ectopique d’un membre de la famille Wnt, Wingless, les mécanismes qui président à son contrôle restent très mal connus. Jusqu’à présent, l’idée prévalait que la plasticité, notamment lors de la régénération, était une reprogrammation vers un état embryologique plus précoce, en d’autres termes vers une cellule plus jeune. Cependant, A. Sustar et G. Schubiger (Seattle, WA, USA) viennent de démontrer qu’il ne faut pas toujours se satisfaire des modèles existants en définissant un état transitoire précédant la transdétermination qui ne correspond à aucun état embryologique antérieur [15]. Les auteurs ont comparé 3 populations cellulaires distinctes des disques de la patte : les cellules qui régénèrent, celles qui ne régénèrent pas et les cellules en voie de transdétermination. La première surprise est venue du fait que, contrairement aux idées reçues, les cellules qui opèrent une transdétermination ne présentent pas un cycle cellulaire plus rapide que les cellules qui régénèrent. En revanche, une modification du cycle cellulaire précédant la transdétermination a été mise en évidence avec notamment une phase G1 plus courte, des phases S et G2 prolongées et une taille cellulaire plus importante. De plus, il semble que la croissance de la cellule ne soit pas suffisante pour modifier son destin, mais qu’elle soit néanmoins requise et qu’elle précède une augmentation de l’activité morphogène nécessaire pour engager la transdétermination. L’activité de Wg au sein des cellules du point faible joue un rôle essentiel en induisant la croissance de la cellule et sa plasticité. Une fois de plus, nous devrions tirer profit de ce que nous enseigne la drosophile. En effet, si les mammifères que nous sommes ne possèdent pas de disques imaginaux, il semble pourtant que certaines de nos cellules soient également douées de capacités de transdétermination et que la voie Wnt y joue un rôle majeur, notamment dans des catégories spécifiques de cellules définissant des niches qui rappellent un peu la région du « point faible ». On pourra donc conclure qu’une cure de jouvence ne suffira pas à trouver le chemin de la multipotence !

Les lignées de cellules ES humaines expriment un acide sialique de mammifères non humains, compromettant leur potentiel thérapeutique

Les équipes de F. Gage et A. Varki (CA, USA) viennent de mettre en évidence la présence d’un acide sialique non humain, le Neu5Gc, à la surface des cellules embryonnaires souches (ES) humaines cultivées dans différentes conditions [16]. Cette découverte compromet par conséquent les espoirs d’utilisation thérapeutique des lignées de cellules ES déjà établies du fait de la réponse immunitaire qu’elles vont engendrer. Les acides sialiques appartiennent à une famille de sucres exprimés non seulement à la surface de tous les types cellulaires mais également sur la plupart des protéines sécrétées. Parmi ceux-ci, les deux plus répandus chez les mammifères sont l’acide N-glycolylneuraminique (Neu5Gc) et son précurseur métabolique, l’acide N-acétylneuraminique (Neu5Ac). Cependant, en raison d’une mutation survenue chez un grand singe, l’homme ne peut produire du Neu5Gc à partir de Neu5Ac. En revanche, il peut l’incorporer à partir du milieu et le métaboliser. Puisque les cellules ES humaines sont incapables de synthétiser du Neu5Gc, sa présence détectée à leur surface provient vraisemblablement des produits animaux utilisés pour leur culture. En effet, les cellules ES humaines sont traditionnellement cultivées sur une couche de fibroblastes embryonnaires murins irradiés et en présence de sérum de veau foetal. D’autres produits de remplacement peuvent être utilisés, mais ceux-ci contiennent également une concentration non négligeable de Neu5Gc. Le Neu5Gc exprimé par ces différents milieux est capté par les cellules ES humaines et incorporé dans des glycoconjugués membranaires. Or, une majorité d’individus possède différents taux d’anticorps circulants spécifiques du Neu5Gc. Ces derniers se fixent aux cellules ES humaines lorsqu’elles sont mises au contact de sérum humain, ce qui suggère que la transplantation de ces cellules ES déclencherait une attaque immunitaire inéluctable et par conséquent leur rejet. Dans le contexte actuel de l’interdiction américaine de créer de nouvelles lignées ES humaines grâce aux fonds publics, il est important de mentionner que l’ensemble des 22 lignées de cellules ES déjà établies aux États-Unis ont été cultivées en présence de fibroblastes murins ou de différents dérivés animaux. Il y a donc fort à parier qu’elles portent toutes l’acide sialique coupable. Il pourrait être envisagé de réduire le contenu en Neu5Gc en cultivant ces cellules ES humaines avec des sérums humains sélectionnés pour leur basse teneur en anticorps dirigés contre le Neu5Gc et après leur inactivation à la chaleur afin d’empêcher une activation du complément. Une question essentielle subsiste néanmoins : quelles modifications fonctionnelles le remplacement du Neu5Ac (normalement exprimé par ces cellules) par le Neu5Gc entraîne-t-il dans la cellule ES humaine ?

Des anticonvulsivants pour nous empêcher de vieillir ?

Plus n’est besoin de vendre son âme au diable pour garder le secret de l’éternelle jeunesse : un traitement anticonvulsivant pourrait suffire ! Les études pharmacologiques classiques, destinées à identifier des molécules susceptibles de diminuer les manifestations dégénératives liées à l’âge, sont longues et coûteuses. Pour pallier ces difficultés, l’équipe de K. Kornfeld (St Louis, MN, USA) a choisi comme modèle d’étude le nématode Caenorhabditis elegans [17]. Dix-neuf médicaments choisis parmi des classes pharmacologiques différentes ont été testés, à 3 concentrations croissantes, sur la durée de vie de 50 animaux. Parmi ceux-ci, seul l’éthosuximide augmente la durée de vie de l’animal avec un effet dose-réponse. Cet allongement de la durée de la vie est associé à une amélioration de l’altération de différents processus physiologiques liés à l’âge. L’éthosuximide est une drogue anticonvulsivante utilisée depuis les années 1950 pour le traitement de l’épilepsie. Un traitement à base de triméthadione, autre anti-convulsivant de structure similaire, donne des résultats équivalents allant jusqu’à 57 % d’augmentation de la durée de vie du ver, suggérant que l’effet observé est bien dû à l’activité anti-convulsivante des drogues administrées. Le traitement n’est efficace que s’il est donné au cours de la vie adulte et non pendant les stades embryonnaire ou larvaire et à des concentrations compatibles avec les niveaux thérapeutiques. Les auteurs ont ensuite vérifié que cet effet n’était pas lié à des causes connues de l’augmentation de la durée de vie chez le ver comme la réduction de la pathogénicité bactérienne ou la diminution de la prise alimentaire. Différents gènes ont déjà été impliqués dans la modulation de la durée de vie du ver. Cependant, les anticonvulsivants ont le même effet chez les mutants de la majorité de ces gènes (comme Unc-31, aex-3, ou tax-4). Il est donc possible qu’une voie de signalisation nouvelle soit révélée par cette étude. Si ces drogues contrôlent manifestement l’activité neurale chez l’homme, on ne connaît pas pour autant leur mode d’action précis. Le traitement par éthosuximide ou triméthadione entraîne une hyperactivité neuromusculaire chez le nématode hermaphrodite en raison d’une stimulation de la transmission synaptique de son système neuromusculaire. Ces travaux ouvrent donc non seulement des perspectives thérapeutiques intéressantes, mais aussi des voies de recherche passionnantes sur les corrélations entre activité neurale et contrôle de la sénescence.

La THP : un médiateur du système immunitaire ?

L’uromoduline ou la glycoprotéine Tamm-Horsfall (THP) est la protéine la plus abondante dans les urines humaines (30-50 mg/jour). Il s’agit d’un récepteur clivé, initialement ancré par un glycosylphosphatidylinositol à la surface des cellules épithéliales des tubules rénaux. Sans entrer dans le mécanisme moléculaire, des études préliminaires ont montré que cette molécule pouvait être un médiateur de l’inflammation, par action directe sur les monocytes conduisant à la production de TNF-α [18]. Une étude récente révèle que la THP est un ligand de TLR4, un des récepteurs Toll-like (TLR) impliqués dans la reconnaissance des antigènes microbiens par les cellules du système immunitaire inné, qui constitue la première ligne de défense contre les agents pathogènes [19]. Chez les vertébrés, le système immunitaire inné utilise deux types de récepteurs, ceux liés à la reconnaissance du « non-soi microbien » et ceux liés à la reconnaissance du « soi-altéré ». Les premiers sont impliqués dans la reconnaissance d’antigènes microbiens non apprêtés comme les hydrates de carbone, les acides nucléiques, les ARN double brin ou les séquences CpG. Les seconds interviennent dans la reconnaissance de produits tels que les protéines du choc thermique (HSP) issues d’un stress cellulaire d’origine infectieuse ou tumorale. Les agents pathogènes sont extrêmement hétérogènes et mutent très fréquemment. Ainsi les TLR sont impliqués dans la reconnaissance de structures très conservées, communément appelées PAMP (pathogen-associated molecular patterns). Les TLR peuvent être cytosoliques ou exprimés à la surface des cellules de l’immunité innée. La THP se lie au TLR4 associé à la molécule CD14 présente à la surface des cellules monocytaires. Elle stimule la maturation, dépendante du NF-κB, des cellules dendritiques, ce qui se traduit par l’induction d’une forte prolifération allogénique lymphocytaire T, et d’une sécrétion augmentée de cytokines de type Th1. Tout comme le LPS (lipopolysaccharide), l’engagement in vitro du TLR4 par la THP stimule la voie ERK, p38 et Akt, mais, néanmoins, avec une cinétique décalée. Ainsi, si la THP n’est pas contaminée par du LPS, comme ces travaux tendent à le démontrer, elle se comporte comme un activateur endogène du système immunitaire pouvant amplifier rapidement une réponse antibactérienne locale. La THP ne semble pas être unique dans cette fonction immunostimulatrice qui est aussi le fait de la β-défensine 2. Cette dernière est, elle aussi, produite par les cellules épithéliales tubulaires et agit via le TLR4 [20]. Le tractus urinaire apparaît donc être une source de protéines présentant des propriétés antibactériennes et capables de se lier à des récepteurs de l’immunité innée, permettant ainsi l’activation d’acteurs cellulaires du système immunitaire.

Qui dort dîne

Cette vieille expression populaire vient d’être remise au goût du jour dans deux études montrant l’existence d’une relation inattendue entre la durée du sommeil, la sécrétion d’hormones contrôlant la prise alimentaire et la prise de poids. K. Spiegel et al. [21] ont étudié des individus soumis à une diminution de la durée du sommeil pendant quelque jours et sans modification de l’apport calorique (imposé) ou du poids. Cela entraînait des modifications tout à fait significatives de deux hormones impliquées dans la régulation centrale de la prise alimentaire, la leptine et la ghreline. La concentration plasmatique de leptine, une hormone anorexigène produite par le tissu adipeux, diminuait alors que la concentration de ghreline, une hormone orexigène produite au niveau de l’estomac, augmentait. De telles modifications devraient stimuler la prise alimentaire et donc à terme le poids. Dans une étude de cohorte sur 1 024 volontaires, S. Taheri et al. [22] ont montré qu’un temps de sommeil de moins de huit heures par nuit s’accompagnait d’une diminution très significative de la concentration de leptine, d’une augmentation de la concentration de ghreline et d’un indice de poids corporel plus élevé d’un point (ce qui revient à trois kilos supplémentaires pour un individu d’1,70 m). Bien que les causes de l’interaction entre la durée du sommeil et la sécrétion de ces hormones ne soient pas établies, ces deux comportements fondamentaux, prise alimentaire et sommeil ont déjà été associés. Il a été montré par exemple chez l’homme et chez l’animal qu’une invalidation du gène de l’orexine - un peptide orexigène exprimé dans l’hypothalamus latéral - entraînait une narcolepsie, maladie caractérisée entre autres par une durée importante de sommeil pendant la journée [23]. Si ces observations se confirment, une recommandation visant à allonger la durée du sommeil pourrait faire un jour partie de l’arsenal thérapeutique anti-obésité. Dormez et maigrissez…

Un code barre pour le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer grâce aux nanotechnologies

À l’heure actuelle, le diagnostic en phase symptomatique précoce de la maladie d’Alzheimer est fondé sur le profil clinique, la neuro-imagerie et les tests neuropsychologiques, et sa justesse est évaluée entre 65 et 90 % [24]. Les troubles cognitifs initiaux de la maladie d’Alzheimer ne peuvent donc être différenciés des troubles bénins liés à l’âge. C’est dire comme une mesure biologique rapide, précise et fiable serait un progrès dans ce domaine. Depuis une dizaine d’années, que ce soit dans le liquide cérébrospinal ou le plasma, les tentatives de mesure de marqueurs pathogéniques (protéines tau anormalement phosphorylées ou dérivés du précurseur des peptides β-amyloïdes) se sont avérées vaines. Si les dégénérescences neurofibrillaires semblent corrélées strictement avec les symptomes cliniques, ce n’est pas le cas des plaques amyloïdes. Cela a conduit à proposer qu’à côté de la phophorylation des protéines tau, l’agent pathogène puisse être le peptide Aβ diffusible (amyloid-β-derived diffusible ligand, ADDL) et non les formes agrégées dans les plaques. Mais les concentrations de tels marqueurs restaient indétectables par les dosages ELISA conventionnels. Les nanotechnologies semblent avoir résolu ce problème de sensibilité par le développement d’un dosage combinant des anticorps spécifiques de l’ADDL et une amplification du signal à l’aide de nanoparticules enrobées de sondes nucléotidiques qui peuvent être amplifiées par PCR [25]. Cette « immuno-PCR » est en fait un dosage sandwich sur support solide, analogue à un ELISA classique, sauf que le second anticorps est couplé de manière covalente à une courte séquence d’ADN qui peut ensuite être amplifiée et détectée. Les équipes de William Klein et Chad Mirkin ont donc mis au point une telle stratégie intitulée « bio-code barre » qui permet la mesure d’ADDL dans 10 μl de LCR. L’échantillon est mélangé avec des microparticules magnétiques (1 μm de diamètre) qui portent les anticorps monoclonaux anti-ADDL. Après une heure de réaction à 37 °C, les microparticules porteuses de l’antigène sont retenues par un aimant et l’antigène non lié est lavé. Des nanoparticules (30 nm de diamètre) d’or porteuses d’un anticorps secondaire et d’un ADN-thiol complémentaire de celui qui servira comme cible d’amplification sont alors ajoutées pendant 30 minutes. Le complexe est de nouveau séparé magnétiquement. La solution est ensuite remuée vigoureusement à 60 °C pendant 30 minutes pour obtenir une déshybridation complète de l’ADN code barre. Après élimination des microparticules magnétiques, l’ADN code barre présent dans le surnageant est déposé sur une lame de verre sur laquelle ont été spottés des oligonucléotides complémentaires de la moitié de sa séquence. Des nanoparticules d’or porteuses d’oligonucléotides complémentaires de l’autre moitié de séquence sont alors hybridées sur les ADN code barres capturés. Le signal est ensuite révélé à l’argent et scanné à l’aide d’un analyseur d’image conventionnel. La sensibilité du dosage est de l’ordre de 100 attomoles, soit mille fois plus basse que les dosages disponibles jusqu’alors. Les valeurs mesurées d’ADDL dans le LCR des sujets témoins sont environ deux fois plus élevées que cette limite de détection et la valeur moyenne des patients déments est de 1,7 fM. Seuls deux patients sur quinze présentent des valeurs d’ADDL qui recouvrent celles des sujets témoins. Les auteurs indiquent que le premier était très âgé et peu dément alors que le cerveau du second présentait également des signes anatomo-pathologiques de démence vasculaire ; ce qui pourrait indiquer qu’il s’agissait de faux positifs selon les critères diagnostiques habituels prenant en compte les données cliniques et anatomo-pathologiques. L’approche immuno-PCR apparaît donc très prometteuse pour améliorer le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer, surtout si elle peut être adaptée et couplée au second marqueur pathognomonique de la maladie, la protéine tau. Plus généralement, il s’agit d’une des premières applications réelles des nanotechnologies qui semble dépasser le stade de la preuve de concept. Il n’est pas inintéressant de remarquer que chacun des auteurs seniors de l’article a d’ailleurs développé sa propre start-up