Corps de l’article
Ce cahier thématique de médecine/sciences tente de dresser un panorama aussi large que possible des recherches dans le champ de l’épigénétique. Le noyau dur en est représenté aujourd’hui par l’étude des changements dans l’activité des gènes, héritables au cours de la mitose ou de la méiose, et qui ne peuvent être expliqués par des modifications de la séquence d’ADN ; plus précisément, il s’agit des changements résultant de la méthylation de l’ADN ou de modifications des protéines constituant la chromatine. La diversité des mécanismes moléculaires mis en jeu (modification covalente des histones, substitution par des histones de remplacement ((→) m/s 2005, n° 4, p. 384), l’importance que ces variations pourraient avoir dans certaines maladies ((→) m/s 2005, n° 4, p. 406) et le syndrome métabolique ((→) m/s 2005, n° 4, p. 412), leur place dans la différenciation cellulaire et le développement embryonnaire à travers le phénomène d’empreinte génomique ((→) m/s 2005, n° 4, p. 396) et celui, en partie inverse, de la reprogrammation du génome ((→) m/s 2005, n° 4, p. 422), en font un domaine très actif de recherches. De tels mécanismes épigénétiques interviennent aussi chez les plantes, même s’ils y jouent des rôles assez différents ((→) m/s 2005, n° 4, p. 390)
Tous ces phénomènes épigénétiques se rajoutent aux phénomènes génétiques, et peuvent parfois rendre compte de différences autrement inexplicables, par exemple de l’évolution de certaines maladies à forte composante génétique chez des vrais jumeaux. En allant un peu plus loin dans la même direction, tous les mécanismes qui donnent à l’organisme sa forme et sa structure et qui prolongent l’action des gènes seront dits épigénétiques : la formation des synapses, qui échappe à un déterminisme génétique strict, mais dépend de l’activité nerveuse précoce, et donc des contacts que l’organisme a établis avec son environnement, est considérée comme un phénomène épigénétique ((→) m/s 2005, n° 4, p. 428). De même, les systèmes dynamiques émergeant de la coopération des composants macromoléculaires ((→) m/s 2005, n° 4, p. 371) ont des modes de fonctionnement en partie héritables, et leur étude relève donc de l’épigénétique.
Enfin, seront aussi appelés épigénétiques des phénomènes héréditaires indépendants des gènes : la structure du cortex des ciliés ((→) m/s 2005, n° 4, p. 377), ou encore les phénomènes prions, non évoqués ici, mais déjà bien connus des lecteurs de médecine/sciences. Autrefois, on baptisait aussi épigénétiques les mécanismes de contrôle de l’expression des gènes par modification du génome, notamment par migration d’éléments régulateurs comme dans le cas du maïs, étudié par Barbara McClintock. De tels phénomènes sont rares, et l’on n’y fait plus guère référence lorsque l’on parle aujourd’hui d’épigénétique.
Le terme épigénétique est donc utilisé dans des sens bien différents. Même si l’on peut passer progressivement de l’un à l’autre, le résultat demeure néanmoins que l’on nommera épigénétiques des phénomènes qui n’ont rien en commun : la formation du cortex chez les ciliés et le contrôle chromatinien de l’activité des gènes ne font pas appel aux mêmes mécanismes moléculaires ; le premier est héritable, alors que le deuxième ne l’est que dans des cas bien particuliers. Pourquoi utiliser le même mot pour des phénomènes différents ? Que peut-il y avoir de commun entre ces usages multiples ? L’article d’introduction ((→) m/s 2005, n° 4, p. 367) de ce cahier thématique de médecine/sciences tentera de répondre à ces deux questions, et d’expliquer l’effet de mode dont bénéficie aujourd’hui l’étude des phénomènes épigénétiques[1]. C’est aussi en reconsidérant les relations entre hérédité et reproduction que l’on peut espérer comprendre ce qu’est le coeur du « projet épigénétique ».
Parties annexes
Note
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[1]
L’étude des mécanismes épigénétiques bénéficie notamment de la création d’un Réseau d’excellence « Épigénome », européen, officiellement lancé fin 2004 et co-coordonné par Geneviève Almouzni (Institut Curie) et Philippe Avner (Institut Pasteur).